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Collection « Les auteur(e)s classiques »
La théorie de la connaissance des Stoïciens. (1891) Introduction au texte, par Bertrand Gibier
Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Alain (Émile Chartier), La théorie de la connaissance des Stoïciens (1891). Paris: Les Presses universitaires de France, 1964, 74 pp. Avec annotations et traductions de Bertrand Gibier, février 2003. Une édition numérique réalisée par Bertrand Gibier, bénévole, professeur de philosophie au Lycée de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas-de-Calais).
Introduction au texte par Bertrand Gibier, février 2003.
Cette étude a constitué en 1891 le diplôme dÉtudes supérieures (Note 1) de létudiant Émile Chartier (Note 2), qui nest pas encore Alain. Elle porte sur la théorie de la connaissance des Stoïciens, et principalement sur la question de la représentation. Ce mémoire fut rédigé pour la fin de la deuxième année dÉcole Normale et remis à Georges Lyon (Note 3).
Le manuscrit se compose de quarante-deux demi-feuilles de papier écolier couvertes au recto dune écriture fine et espacée, à lencre noire.
Alain ne semble pas sêtre particulièrement appuyé sur les commentateurs. Il ignore par exemple complètement louvrage de François Ogereau qui venait de paraître quelques années auparavant, Essai sur le système philosophique des Stoïciens, ou encore les travaux de Félix Ravaisson (Note 4). Il ne mentionne Zeller, Stein ou Bonhöffer que pour les révoquer, préférant rechercher directement la compréhension de la conception stoïcienne auprès des textes anciens.
Il sest trouvé conduit pour son sujet à utiliser principalement Sextus Empiricus (Contre les mathématiciens, livre VII) et Diogène Laërce, et quelque peu les Premiers Académiques de Cicéron. Bien des passages constituent des paraphrases de leurs uvres.
Ce mémoire se compose de cinq chapitres :
I. une introduction présentant le sujet et la méthode suivie ; II. lexamen de la distinction entre la vérité et le vrai ; III. la définition de la notion de phantasia ; IV. lanalyse de la phantasia katalèptikè ; V. un bilan concernant la portée de cette conception.
Voici le passage de Histoire de mes pensées (Lécole) où Alain revient sur ses études et son travail sur les Stoïciens :
« Je faisais cependant ma besogne décolier. Assez bien, non pas très bien. Mais je pratiquais ma méthode de lire de bout en bout et de ne pas faire dextraits. Je lus Platon entièrement et presque tout Aristote. Jentrai dans les ouvrages de Kant, et je reconnus aussitôt lirréprochable maître décole. Mais je perdis bien du temps en tapage et invectives ; sans compter le jeu de cartes, qui occupait une partie de nos nuits. Je crus alors que javais la passion du jeu ; il nen était rien. Je mamuse aisément de tout.
Ce qui séclaircit en moi, dans ces trois années, ce fut, il me semble, une doctrine de la volonté. Aristote y contribua, car je le compris de telle manière que linvention, par individuel développement, fût mise au-dessus de lintellect. Cette idée est dans le Dieu dAristote, mais à la condition quon aperçoive, dans cette uvre confuse, de grands degrés qui élèvent lesprit, à partir du dieu moteur ou physique, et en passant par lintellect, jusquà lesprit lui-même. Emporté par cette poésie rustique (car le style dAristote, quand il nest pas mutilé par les copistes, est de première beauté) jaurais presque oublié Platon. Lagneau, que je vis souvent pendant ces trois années, sétonna de ce changement, je le sentis bien ; mais ce nétait pas un homme à conseiller témérairement.
La suite naturelle dAristote se trouve dans les Stoïciens. Cette philosophie, toute en fragments, et souvent énigmatique, me donna loccasion du seul travail dérudition que jaie fait de ma vie. En ce temps-là les recueils des textes stoïciens nétaient pas encore dusage. Je me donnai le travail de chercher les Stoïciens dans un bon nombre douvrages ennuyeux. Cest alors que jappris que Diogène Laërce nest ni ennuyeux ni mal composé. Sextus Empiricus fut moins aisé à dépouiller. Il y avait pire. Cest alors que je pris le goût de lire véritablement, au lieu de me borner à vérifier une citation daprès Zeller. Selon mon opinion ce temps perdu est la matière de nos pensées. Et je commençai alors de soupçonner pourquoi je navais pu apprendre lhistoire ; cest que je ne lavais connue quen résumé. Ainsi elle ne remuait rien en moi ; jen ignorais les véritables ressorts. Je veux dire à ce propos que jai lu depuis, et plus de trois fois sans rien passer, les Mémoires de Saint-Simon, ceux de Retz, et le Mémorial de Sainte-Hélène, sans compter dautres mémoi-res de moindre importance. Et enfin jai su et connu des parties de lhistoire.
Il faut maintenant que jexplique ce que jai trouvé dans les Stoïciens. Non pas seulement cette fière résignation que lon sait, qui est comme un enivrement de pouvoir. Certes ce nest pas peu. Mais cette doctrine en suppose une autre, qui mette au-dessus des disputes la fonction de vouloir. Car la doctrine de la nécessité, ou du destin, qui est évidemment une partie de toute sagesse, ne manque pas de tout envahir dès que lon a perdu de vue les raisons assez cachées qui font comprendre que le destin tout seul nest plus rien. Car, disent les malheureux, il ne dépend point de moi de me résigner ; je suis toujours ce que je peux être. Or cette idée a tué plus dun esprit ; je lévitai toujours comme on échappe à un coup mortel, mais je nétais pas assuré desquiver si bien dans la suite tant que je neus pas regardé aux racines de lidée.
Aristote est tout liberté ; mais par cela même que la liberté est cachée au fond de la nature, peut-être alors ny peut-on croire. Un dieu, même libre, est toujours un péril pour la liberté de chacun ; je dis un dieu extérieur. Les Stoïciens, il me semble, ont serré de plus près, cherchant ce que serait la connaissance même du monde sans la volonté de connaître. Et leurs formules sont bien frappantes quoique très obscures. Car cherchant, cétait lobjet des polémiques en ce temps-là, le critère de la vérité, ils disaient que la vérité est dans la tension même, ou le ton, de la volonté qui la cherche ; ajoutant, com-me pour redoubler le paradoxe, que le sage ne se trompe jamais, même quand il dit le faux. Cela est violent. Un de leurs exemples ma éclairé lidée par son contraire ; car ils disaient quun fou qui crie en plein jour quil fait jour, ne tient pas la vérité pour cela. Tout le reste est à deviner. Car que la main ouverte, et puis fermée, et puis serrée, et puis serrée encore par lautre main, représente avec force les degrés de la connaissance, ce nest toujours quune invitation à réfléchir. Et ce qui pour moi faisait scandale en ce temps-là, cest que je voyais que des gens à prétention de penser touchaient ces textes sans se brûler. Depuis jai compris que le souci premier de presque tous était de trouver une philosophie nouvelle, ce qui supposait que les anciennes sont seulement à critiquer. Je nai jamais cru pour ma part quil fût possible de trouver une philosophie nouvelle ; et javais assez de retrouver ce que les meilleurs avaient voulu dire ; cela même cest inventer dans le sens le plus profond, puisque cest continuer lhomme. Mais avant que jeusse bien compris cette immense idée de Hegel, que tout est vrai dans les doctrines, et quil faut en prendre le train et lélan quoi quon veuille penser ou chercher, il me suffisait de formules émouvantes comme des proverbes pour me faire creuser sur le lieu même daprès cette idée fulgurante que tout est vrai et que tout semble faux. Jappliquai donc les maximes stoïciennes à nos connaissan-ces modernes, par exemple à lastronomie copernicienne, et je reconnus alors nombre de fous qui disaient le vrai. Mais à quoi les reconnaître ? À ceci, pensais-je, quils croient avoir le vrai ; au lieu que celui qui sait ne prend jamais son idée que comme un moyen pour saisir de plus près le monde. Comme je voyais que ceux qui savent la géométrie croient savoir quelque chose, alors quils ne tiennent quun moyen de savoir, merveilleux à la vérité, mais qui veut aussi quon lapplique. En quoi je ne faisais quexpliquer « limage saisie et saisissante » qui était finalement le signe du vrai pour Zénon et Chrysippe. Cest la même chose que de dire que lénergique recherche est le signe du vrai. Jai retrouvé cette doctrine dans Descartes, qui certes ne la pas prise là. Et Descartes ma paru là-dessus plus obscur que les Stoïciens, et peut-être volontairement obscur. Car, chose digne de remarque, il y a accord en tous les temps entre les marchands de vérités pour réfuter de haut ce quils ont nommé le Volontarisme ; et cest bien une sorte de maladie à leurs yeux. »
Notes:
Note 1 :Ce qui correspondrait pour aujourdhui à son mémoire de maîtrise. Note 2 : Il a vingt-trois ans. Note 3 : À qui lon doit un certain nombre de travaux sur la philosophie anglaise. Note 4 :Cependant, il nest exclu ni quil les ait lus, ni quil y ait puisé des éléments, en particulier des citations.
Dernière mise à jour de cette page le mercredi 30 mai 20077:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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