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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Lettre sur le commerce des livres (1763): Notice de présentation, par Christophe Paillard.
Une édition électronique réalisée à partir du texte de Denis Diderot (1763), Lettre sur le commerce des livres , in Oeuvres complètes de Diderot, Édition Assézat Tourneux, Paris, Garnier Frères, 1875-1877, tome (à venir), pp. (à venir). Un édition réalisée par M. Christophe Paillard, bénévole, professeur agrégé de philosophie au Lycée international de Ferney-Voltaire et artisan de FacPhilo.
Lettre historique et politique adressée à un magistrat sur le commerce de la librairie, son état ancien et actuel, ses règlements, ses privilèges, les permissions tacites, les censeurs, les colporteurs, le passage des ponts et autres objets relatifs à la police littéraire
Notice de présentation
par Christophe Paillard, 15 septembre 2002.
Écrite au magistrat Sartine, la Lettre sur le commerce des livres de Diderot est sans doute le texte le plus important des Lumières françaises sur la liberté décrire et de publier. Il faut savoir que l'Ancien Régime ignorait le droit de propriété privée ou droit d'auteur, qui ne sera reconnu qu'à la Révolution française. L'auteur n'était donc pas le propriétaire de son oeuvre, qui appartenait au libraire - nous dirions aujourd'hui l'éditeur - dûment muni d'un privilège, c'est-à-dire d'un droit exclusif à éditer. Le problème est que le privilège était le plus souvent bafoué par les éditeurs étrangers (en particulier ceux des Pays-Bas, d'Avignon, de Londres et de Genève), inondant le royaume de livres contrefaits, voire par les éditeurs nationaux, parisiens ou provinciaux (Lyon, Rouen et Toulouse), procédant à des éditions clandestines. Fin connaisseur du monde de l'édition, Diderot ne revendique pas la reconnaissance du droit d'auteur mais il défend le système archaïque de la corporation des libraires. On pourra s'étonner de sa position : les Encyclopédistes ne critiquaient-ils pas vigoureusement les corporations ? C'est que Diderot est conscient des méfaits du libéralisme en matière littéraire. Il revendique avec vigueur la spécificité du livre, qui n'est pas un produit manufacturé comme les autres et qui exige à ce titre un régime spécial de protection, voire de protectionnisme : "Une bévue que je vois commettre sans cesse à ceux qui se laissent mener par des maximes générales, c'est d'appliquer les principes d'une manufacture d'étoffe à l'édition d'un livre". Un livre n'est pas un morceau de chiffon ! Aux yeux de Diderot, la concurrence excessive entraîne la dégradation de la qualité des éditions et la spoliation des libraires ayant établi, à grands frais, le texte original : "sans doute la concurrence excite l'émulation ; mais dans les affaires de commerce et d'intérêt, pour une fois qu'elle excite l'émulation de bien faire, cent fois c'est celle de faire à moins de frais", et donc à moindre qualité. La spoliation des libraires entraîne celle des auteurs, lésés de leurs droits et dépouillés de tout revenu par les contrefacteurs. En ce sens, Diderot anticipe ce qu'on nomme aujourd'hui le régime de "l'exception culturelle". Sa lettre plaide pour l'extension "à l'infini" du système des "permissions tacites", moins réglementé que celui des privilèges. Elle revendique en outre l'allégement de la censure et une plus grande tolérance en matière littéraire : "pouvez vous empêcher qu'on écrive ? - Non. - Eh bien ! vous ne pouvez pas plus empêcher qu'un écrit ne s'imprime et ne devienne en peu de temps aussi commun et beaucoup plus recherché, vendu, lu, que si vous l'aviez tacitement permis". L'interdiction des livres est vaine : non seulement elle est contre-productive, stimulant l'intérêt du public pour le livre interdit ("Messieurs" les censeurs, s'exclament ironiquement les auteurs, "de grâce, un petit arrêt qui me condamne à être lacéré et brûlé au bas de votre grand escalier"), mais elle est impossible à appliquer en raison des éditions étrangères qui pénètrent clandestinement les frontières : "Bordez, monsieur, toutes vos frontières de soldats, armez-les de baïonnettes pour repousser tous les livres dangereux qui se présenteront, et ces livres, pardonnez-moi l'expression, passeront entre leurs jambes ou sauteront par-dessus leurs têtes, et nous parviendront". Diderot parle en connaissance de cause : dans les années 1760, il a publié avec le baron d'Holbach toute une "bibliothèque nouvelle antichrétienne" (cf. la note 33 du texte) sans que la police ait jamais pu l'empêcher. Autant tolérer ce qui ne peut être interdit ! La lettre sur le commerce des livres fait ainsi figure de remarquable plaidoyer pour la liberté de publier et la tolérance en matière philosophique et littéraire.
Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 15 septembre 2002 10:46 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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