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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Du sage antique au citoyen moderne: études sur la culture morale. (1921)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre Célestin Bouglé, Émile Bréhier, Henri Delacroix et Dominique Parodi, Du sage antique au citoyen moderne: études sur la culture morale. Préface de M. Paul Lapie. Paris: Armand Colin Éditeur, 1921, 245 pages. Une réalisation de Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec.

[vii]

Préface

     Nos écoles normales ne sont pas des couvents laïques où ne pénétrerait aucun bruit du dehors. Elles ouvrent aux futurs instituteurs des échappées sur le monde. Une réforme récente permet de soulever devant nos normaliens les problèmes les plus graves de la philosophie. Et longtemps avant cette réforme il était de tradition, à l'école normale de la Seine, de demander à des maîtres éminents quelques conférences sur les grandes questions qui doivent dominer la vie et la pensée de l'éducateur.

     En 1920, ces conférences ont eu pour objet de montrer aux normaliens les traits sous lesquels, aux différents âges de notre civilisation, est apparu l'idéal moral. Devant leurs yeux ont défilé, tour à tour, le sage antique, le [viii] saint du moyen âge, l'honnête homme des siècles classiques, le citoyen moderne. Et, devant leur esprit, s'est posé le problème dont chacun de ces personnages apporte une solution : pour se conduire dans la vie, est-ce en lui-même, est-ce en dehors de lui que l'homme doit chercher un guide ? La moralité réside-t-elle dans l'épanouissement de notre nature ou dans la lutte contre la nature ? L'action bonne, est-ce l'action dictée par la raison, ou Faction imposée par une puissance mystérieuse ?

     À cette question, l'antiquité est unanime à répondre : Entre le réel et l'idéal il y a harmonie ; nos tendances naturelles sont bonnes, il suffit de les coordonner ; la vie du sage est une œuvre d'art. Cette réponse, que M. Bréhier emprunte à Platon, aux Stoïciens, à Plotin, on la trouverait aussi dans Épicure et dans Aristote. Tous les grands penseurs de l'antiquité, si diverses qu'aient pu être leurs doctrines, conçoivent le bien sous cet aspect séduisant. La morale antique est essentiellement naturaliste.

     Tout autre est la conception chrétienne. La nature humaine est mauvaise : le péché l'a viciée dès l'origine. Le devoir n'est donc pas de l'améliorer ; il est de la détruire pour la [ix] refaire. Il faut tuer en soi le vieil homme, se mortifier, c'est-à-dire mourir pour revivre de la vie morale. L'éducation de l'homme ne consiste pas à cultiver ses tendances : il faut extirper du cœur humain la tendance fondamentale, l'égoïsme, et y greffer une tendance contraire à la nature, la charité. Opération qui ne saurait être tentée sans un secours surnaturel. A vrai dire, cette doctrine fait trop violence à la nature pour s'imposer à la majorité des mortels. Aussi a-t-elle dû s'accommoder de compromis : tous les docteurs de l'Église, - M. Delacroix le fait justement remarquer, - n'ont pas condamné avec la même sévérité la nature humaine. Il n'en est pas moins vrai que l'idéal du Moyen âge s'oppose trait pour trait à l'idéal antique.

     À la Renaissance, l'idéal antique fait sa réapparition et affronte l'idéal chrétien. Sans paraître gêné de leur opposition, « l'honnête homme » du XVIIe siècle les recherche l'un et l'autre. Il les concilie au nom de la raison qu'il considère comme une faculté à la fois divine et humaine, surnaturelle et naturelle à la fois. L'honnête homme, c'est l’être raisonnable, qui sait gouverner ses passions, qui sait assigner à chaque être sa place dans l'échelle des valeurs, qui [x] sait, en particulier, respecter l'ordre établi et la religion traditionnelle. M. Parodi nous fait assister à l'évolution de ce rationalisme et nous montre comment, au XVIIIe siècle, il s'épure, chez Voltaire sinon chez Rousseau, de tout élément mystique.

     Puis les différents courants de pensée se mêlent, et le problème, - on le verra dans la conférence de M. Bouglé - change d'aspect : de métaphysique, il devient sociologique. Il ne s'agit plus de savoir si, entre le réel et l'idéal, il y a harmonie profonde ou discorde fondamentale. L'individu doit-il se subordonner à son groupe, ou, au contraire, le groupe est-il fait pour l'individu ? L'acte moral, est-ce ou non l'acte social ? Voilà l'énoncé nouveau de la question.

     Et, sans doute, pour quiconque estime que l'homme est naturellement égoïste, ce nouvel énoncé se ramène à l'ancien : l'individu ne saurait se sacrifier à son groupe sans une inter­vention surnaturelle. Mais la pensée moderne, rejoignant celle du vieil Aristote, tend à recon­naître que  l’homme est, de sa nature, un être social : il peut donc sans miracle obéir à la loi de  la société. C'est, au contraire, l'individualisme [x] qui serait contre nature, car il ne conviendrait qu'à un être indépendant et parfait, à l'Absolu : et l'homme n'est ni indépendant ni parfait ; il n'est pas l’Absolu. Les hommes ne sont que des êtres relatifs, dépendants, des fragments d'êtres qui ne vivent qu'en se complétant les uns par les autres, eu se donnant les uns aux autres. La subordination de l'individu à un objet qui le dépasse ne résulte plus d'un décret mystérieux ; elle est une conséquence inéluctable de notre nature sociale.

     Ainsi se dégage des mythes qui l'enveloppaient, pour s'appuyer sur l'expérience et sur la raison, une doctrine de la loi morale qui doit recueillir l'assentiment unanime. Confiants, comme le sage antique, dans la nature humaine, nous devons, comme l'homme de bien du moyen âge et du XVIIe siècle, imposer silence à nos passions individuelles. Et l'altruisme, pour n'avoir pas été prescrit au milieu des éclairs et du tonnerre, n'en est pas moins notre devoir impérieux. Voilà l'une des leçons que nos futurs instituteurs auront pu tirer de ces conférences. Voilà l'un des aspects de la morale dont ils pourront s'inspirer dans leur carrière d'éducateurs populaires. Loin de leur suggérer une [xii] sorte de scepticisme, la comparaison des différents types d'humanité supérieure qui ont été conçus depuis l'antiquité leur a montré ce qu'il y a d'éternel dans l'idéal moral, ce qu'il y a d'inébranlable dans les principes de notre éducation nationale.

Paul LAPIE.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 4 août 2011 6:38
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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