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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Le péché et l'expiation dans les sociétés primitives (1922)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Robert Hertz (1881-1915), Le péché et l’expiation dans les sociétés primitives. (1922). Réimpression de l’édition établie par Marcel Mauss dans la Revue de l’histoire des religions, Annales du Musée Guimet. Paris: Ernest Leroux, 1922. Paris: Éditions Jean-Michel Place, 1988, 71 pp. Collection: Les Cahiers du Grad Hiva, no 6. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, professeure retraitée du Cégep de Chicoutimi, bénévole.

Introduction

par Marcel Mauss

Robert Hertz, tué à la tête de sa section, à l'attaque inutile et sanglante de Marchéville, le 13 avril 1915, laisse inachevée une oeuvre considérable.

Il n'a pas été possible jusqu'ici de communiquer au public ce qui reste du travail gigantesque qu'avait fourni ce jeune homme de trente-cinq ans. Mais il n'est pas trop tard. Nos sciences avancent si lentement; elles sont si vastes et si neuves; nos écoles sont si pauvres en travailleurs fort, et d'avenir; nous en avons tant perdu qui donnaient tant d'espérances; et, d'autre part, Hertz était déjà allé si loin, si en avance sur son temps, que tout ce qu'il a fait garde encore une fraîcheur, une originalité aussi grande qu'au premier jour. Mérite on peut dire que la valeur s'en accroît. Car le temps, au lieu d'infirmer, de démoder ses méthodes, ses études directrices, ses façons de s'exprimer, les confirme et les acclimate chaque jour davantage. Elles entrent dans la sphère sereine du classique et de l'acquis. Nul ne conteste encore les résultats positifs auxquels Hertz était parvenu dans deux Mémoires fameux: sa Représentation collective de la Mort, sa Prééminence de la main droite.
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Nous publierons un recueil de ses œuvres imprimées, et une thèse importante de mythologie grecque et comparée qu'il laissa en une première rédaction continue

Mais bien que ces impressions doivent occuper deux des volumes de la Collection des Travaux de l'Année sociologique, elles ne donneront qu'une idée imparfaite de l’œuvre entreprise. L'œuvre réalisée,pour considérable qu'elle soit, n'est qu'une partie de celle que Robert Hertz avait déjà commencée: ce sont d'une part, des ouvrages de mythologie et de folklore qui sont des travaux de délassement,d'occasion, pourrait on dire; de l'autre, des travaux préparatoires. En particulier ses deux Mémoires sont, au fond, des excerpta, (les addenda d'un ouvrage de plus grande envergure. Car ce sont deux études de l'impureté, funéraire et de l'impureté du côté gauche; et elles sont des à-côté de l'étude totale de l'impureté en général.
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C'était ici le centre des préoccupations de R. Hertz. Il avait chois comme sujet de recherches et de réflexion le «Péché et l'Expiation».

Témoin de ses débuts, je puis à peu près décrire les raisons pour lesquelles il l'entreprit. Dans les pages qui suivent, il expose lui-même les justifications historiques et rationnelles du problème. Mais il est intéressant de montrer quelle vie intérieure intense se cache sous de bel exposé didactique.

Hertz, dans ses années d'École Normale Supérieure, hésita longtemps entre la sociologie pure et, à l'intérieur de celle-ci, entre la sociologie religieuse ou la sociologie économique - d'une part - la morale et la politique de l'autre. Au fond, pendant toute sa vie si courte mais si pleine, il ne choisit jamais. De ses tendances morales, il reste sa collaboration à l’œuvre posthume de Rauh, et surtout son admirable brochure sur le Problème de la dépopulation. Il aima toujours à enseigner: l'éducation morale, et l'enseignement en général furent des joies pour lui. Ses années de professeur de philosophie, au Lycée, à Douai, furent heureuses et fécondes. De son goût pour la pratique et la réalisation, résultèrent la fondation et l'administration des Cahiers du Socialiste.

Cependant dès l'année qui suivit son agrégation, Hertz précisait ses sujets de travaux. Il optait pour les questions où le moral jouxte le religieux. Et comme il n'était ni sans humour et fantaisie - ni sans une certaine teinte de pessimisme, - il se donna la préoccupation de comprendre précisément les côtés sombres et sinistres de la mentalité humaine. À cette époque il définit son champ d'études. D'abord ce qui l'intéressait c'était de savoir comment l'homme «revient à la lumière et à la paix, par la pénitence et le pardon» Le «mystère du pardon», comme il écrit dans une note, l'intriguait. La «révocation du passé, l'anéantissement absolu d'une chose réelle» est en effet, comme il l'écrit ailleurs, «un paradoxe et le sophisme ne disparaît que si on pose la question ainsi: Comment et pourquoi la société efface-t-elle le péché et le crime? Comment et pourquoi oublie-t-elle»? Tel fut le programme de Hertz. Un peu sous l'influence de Durkheim, beaucoup par justesse d'esprit, par logique, par profonde méditation, il le précisait de plus en plus en même temps qu'il le généralisait. Les notions de pardon et de pénitence ne sont en effet que des cas assez rares, des formes de mécanismes mentaux, d'idées morales et religieuses plus générales. Ce sont des espèces d'expiation. Et comme l'expiation n'existe que par rapport au péché, il se donna pour tâche de comprendre l'un et l'autre, et il étendit encore son domaine. Le «Péché et l'Expiation», voilà le sujet qu'il choisit définitivement.

Alors il se livra, en 1901-1905, et en 1905-1906 à de fiévreuses recherches. Installé à Londres au British Museum, tous les jours, régulièrement, dans de longues séances, il fourrageait dans tous les livres et dans toutes les civilisations pour déterminer, par expérience, dans quelles sociétés il trouverait les faits les meilleurs et les plus typiques. Ce furent des journées de travail, et Alice Robert Hertz nous le dit - lorsqu'il avait trouvé de nouvelles idées, de nouveaux faits, de nouvelles pistes, de nouvelles connexions,- ce furent des journées d'ivresse. Il en eut de telles lorsqu'il constata, lui premier, la réalité et la généralité, l'universalité du double enterrement, le temps rythmé dans l'expulsion du malheur funéraire. De nombreuses notes, admirablement rédigées souvent, correspondent à ces jours, à ces soirées de féconde, idéation. - Nous ne pouvons ici en donner idée.
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De cette œuvre, les matériaux sont donc là, à pied d’œuvre. D'énormes fichiers pleins, tout un dossier de fragments, de brouillons. Mais le poids de ce matériel et de ces idées pesa malheureusement sur les dernières années de Hertz. Le plan était trop grave et trop vaste. Qu'on songe qu'il avait à ce propos, étudié de façon approfondie et le dogme et la liturgie pénitentiaires chrétiennes du Ille au VIe siècle; et les systèmes piaculaires sémitique et classique; et surtout, sans secours, dans les textes mêmes en Maori, toutes les religions polynésiennes où se trouvent en effet des faits typiques dont la découverte l'enchanta. En somme tous les faits étaient, dès 1912, rassemblés, commentés, élaborés. Toutes les idées étaient là. Mais il recula devant l'ennui d'un long travail de rédaction et devant quelques difficultés théoriques qui nécessitaient un effort de méditation moins joyeux que le plaisir de la découverte. Nous avons tous connu de ces états d'âme. Il eut un certain moment d’écœurement. Alors, lui qui écrit que «de toutes ces études se dégage une leçon de vaillance et de lutte» ne se laissa pas abattre. C'est à ce moment que, pour s'amuser, se distraire, relever cette oppression d'une trop grande oeuvre, il écrivit et publia son charmant Saint Besse, écrivit son Mythe d'Athéna que nous publierons. En 1914 tout était fini. Il allait se remettre à son oeuvre, «rafraîchi par l'effort»; mais ce fut la guerre et il ne revint pas.
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On trouve ici la seule partie de son ouvrage sur le Péché et l'Expiation où il ait atteint une forme à peu près définitive. C'est l'Introduction. Elle n'est pas terminée. Elle devait se composer de quatre parties. Trois sont complètes. La quatrième, Définition du sujet, n'est rédigée qu'à moitié, et ne comprend en somme que la définition du péché, non pas celle de l'expiation.

Nous comblerons cette lacune, à la fin de cette publication, grâce au texte d'une leçon que Hertz professa en 1909 à l'École des Hautes Études.

Nous avons d'autre part réussi à retrouver un certain nombre des notes qu'il eût certainement ajoutées à ces chapitres. Malheureusement nous n'avons pas réussi à retrouver tous les textes auxquels il fait allusion. Et s'il y a des erreurs, elles sont de nous. Titres et notes sont de nous. Nous donnons en manière de conclusion quelques indications sur le plan du livre qui devait suivre, et sur les résultats auxquels Robert Hertz était parvenu.

Marcel MAUSS.

Retour au texte de l'auteur: Roberrt Hertz Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 12 septembre 2004 11:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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