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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Quelques pensées sur l'éducation (1693):
Épitre à Clarke


Une édition électronique réalisée à partir du livre John Locke (1693), Quelques pensées sur l'éducation. Traduction française de G. Comparyé en 1889. Titre anglais original: Some thoughts concerning education.


À Édouard Clarke,
de Chipley

Écuyer

7 mars 1693.



Monsieur,


Ces Pensées sur l'éducation qui vont maintenant paraître dans le monde vous appartiennent de droit, puisqu'elles ont été écrites depuis plusieurs années à votre intention : elles ne contiennent pas autre chose que ce que vous avez déjà reçu de moi dans mes lettres. Je n'y ai pas apporté de changement, excepté dans l'ordre des réflexions qui vous ont été adressées à différentes époques et dans diverses circonstances : de sorte que le lecteur reconnaîtra aisément, à la simplicité familière et à la forme du style, que ces pensées sont plutôt l'entretien privé de deux amis qu'un discours destiné au public.

Ce sont les importunités de leurs amis que les auteurs allèguent généralement pour s'excuser de publier des livres qu'ils n'osent d'eux-mêmes produire au grand jour. Mais quant à moi, vous le savez, je puis le dire avec vérité : si quelques personnes, ayant entendu parler de mes écrits sur ce sujet, n'avaient pas insisté pour les lire et ensuite pour les voir imprimer, ils dormiraient encore dans le secret de l'intimité pour laquelle ils étaient faits. Mais ces personnes, dont le jugement m'inspire une extrême déférence, m'ayant dit qu'elles étaient persuadées que cette simple esquisse pouvait rendre quelques services si elle était publiée, j'ai cédé à des raisons qui exerceront toujours un grand empire sur mes décisions : car je pense que le devoir absolu de tout homme est de faire pour le service de son pays tout ce qu'il peut, et je ne vois pas quelle différence pourrait établir entre lui-même et les animaux qui l'entourent celui qui vivrait sans cette pensée. Ce sujet est d'une si grande importance, une bonne méthode d'éducation est d'une utilité si générale, que, si mon talent avait répondu à mes désirs, je n'aurais pas attendu les exhortations et les importunités de mes amis. Néanmoins, la médiocrité de cet écrit et la juste défiance qu'il m'inspire ne doivent pas m'empêcher, par la honte de faire trop peu, de faire quelque chose et d'apporter ma petite pierre à l'édifice surtout quand on ne me demande pas autre chose que de livrer mes idées au public. Et s'il se rencontrait encore quelques autres personnes du même rang et du même mérite qui y prissent goût au point de les juger, elles aussi, dignes de l'impression, je pourrais me flatter de l'espoir que tous ceux qui les liront ne perdront pas leur peine.

J'ai été si souvent consulté, dans ces derniers temps, par des personnes qui déclaraient ne pas savoir comment élever leurs enfants, et, d'autre part, la corruption de la jeunesse est devenue un sujet si universel de lamentations, qu'il me semble qu'on ne saurait taxer d'impertinente l'entreprise de celui qui appelle sur ce sujet l'attention du public et qui propose quelques réflexions personnelles sur la matière, dans l'intention d'exciter les efforts des autres et de provoquer les critiques. Car c'est en fait d'éducation que les erreurs méritent le moins d'être excusées. Comme les défauts qui proviennent de la première cuisson d'une faïence et qui ne sauraient être corrigés dans la seconde ou dans la troisième, ces erreurs laissent après elles une empreinte ineffaçable, dont la trace subsiste à travers tous les degrés et toutes les stations de la vie.


Je suis si loin d'être entêté d'aucune des idées que je présente ici, que je ne serais nullement chagrin, même à cause de vous, si quelque autre écrivain plus habile et mieux préparé à ce travail voulait, dans un traité régulier d'éducation approprié à notre bourgeoisie anglaise, rectifier les erreurs que j'aurais pu commettre : car ce serait une bien plus grande satisfaction pour moi de voir les jeunes gens suivre pour leur instruction et leur éducation les méthodes les meilleures (ce que tout le monde doit désirer), que d'apprendre le succès de mes opinions sur ce sujet. Vous devez cependant me rendre ce témoignage que ma méthode a produit des effets extraordinaires dans l'éducation d'un jeune gentleman pour laquelle elle n'avait point été faite expressément.

Je ne veux pas dire que le bon naturel de l'enfant n'ait pas contribué à ce succès : mais je crois que ses parents reconnaîtront comme vous que la méthode contraire, celle qu'on suit habituellement dans les écoles, n'aurait point corrigé ses défauts, ni réussi à lui inspirer l'amour des livres, le goût de l'instruction et le désir d'apprendre toujours plus de choses que les personnes qui l'entourent ne jugent convenable de lui en enseigner.

Mais il ne m'appartient pas de vous recommander ce traité,à vous dont je connais déjà l'opinion, ni de le recommander au public, en m'appuyant sur votre jugement et sur votre patronage. La bonne éducation des enfants est à tel point le devoir et l'intérêt des parents, et le bonheur d'une nation y est si fortement engagé, que je voudrais voir tous les hommes prendre ces questions sérieusement à cœur ; je voudrais que chacun, après avoir soigneusement examiné et distingué ce que la fantaisie, la coutume ou la raison conseillent sur ce point, appliquât tous ses efforts à répandre la méthode d'éducation qui, en tenant compte des diverses conditions, est la plus facile, la plus courte, la plus propre à faire des hommes vertueux, utiles à leurs semblables, capables enfin chacun dans son état. Mais de tous les états, c'est celui de gentleman qui mérite le plus d'attention ; car si l'éducation avait une fois réformé les hommes de ce rang, ils n'auraient pas de peine à régler, comme il faut, l'éducation des autres.

J'ignore si, dans ce bref discours, j'ai fait autre chose que témoigner de mes bon-nes intentions ; mais ce livre, tel qu'il est, appartient maintenant au public, et s'il contient quelque chose qui mérite d'être bien accueilli, c'est vous qu'on devra remercier.

C'est en effet mon affection pour vous qui a donné naissance à cet écrit, et je suis heureux de pouvoir laisser à la postérité ce témoignage de l'amitié qui nous unit. Je ne connais pas en effet de plus grand plaisir dans cette vie, ni de meilleur souvenir à laisser après soi, que celui d'avoir été longtemps l'ami d'un homme bon, utile, capable et qui aime son pays. Je suis,


Monsieur,

Votre très humble et très dévoué serviteur,

JOHN LOCKE.
7 mars 1693.

Retour à l'auteur: John Locke Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 27 mars 2003 09:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
 



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