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Collection « Les auteur(e)s classiques »

La paix calomniée ou les conséquences économique de M. Keynes (1946)
Préface de l'auteur


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Étienne Mantoux (1913-1945), La paix calomniée ou les conséquences économiques de M. Keynes. Préface de Raymond Aron. Paris: Éditions Gallimard, 1946, 329 pp. Collection: Problèmes et documents. Une édition numérique réalisée par Serge D'Agostino, bénévole, professeur de sciences économiques et sociales en France.

Préface de l'auteur

L'absence de merveilleux dans mon histoire pourra, je le crains, lui enlever quelque peu de son agrément ; il me suffit qu'elle soit jugée utile par ceux qui recherchent une exacte connaissance du passé afin de mieux interpréter l'avenir, lequel, étant donné le déroulement des choses humaines, doit ressembler au passé, sinon le refléter.
THUCYDIDE

 

Il ne faut voir dans le titre de cet ouvrage nulle intention discourtoise à l'égard de Lord Keynes, baron de Tilton. Mais le livre auquel on se propose ici de répondre a eu depuis vingt-cinq ans des conséquences historiques, si bien que son auteur lui-même est entré dans l'histoire. Dans les pages qu'on va lire, il s'agira des idées de cet auteur, et non de la personne de celui qui est maintenant Lord Keynes.

Toutefois, ceci ne signifie nullement que le sujet du présent volume soit sans rapport immédiat avec les événements de l'époque actuelle. On se demandera sans doute si un débat aussi rétrospectif peut aujourd'hui servir des fins utiles. Pareille objection, si on en faisait un principe, ôterait toute valeur à l'histoire : ainsi que nous l’a plus d'une fois rappelé M. Churchill, plus nos regards s'étendent loin en arrière, plus loin aussi ils porteront en avant. Et la réponse à cette objection, en ce qui nous occupe, c'est que la plupart des faits en cause appartiennent, certes, au passé, mais que leurs conséquences se situent dans le vif du temps présent. Que le passé - mais lui seul - demeure le passé. Examiner les jugements de Mr. Keynes sur le dernier Traité de Paix, ce n'est ni remuer de vieux griefs, ni exhumer des problèmes défunts : le problème en question n'est autre que celui de la Paix à venir.

Car tandis qu'il y a vingt-cinq ans, l'esprit de Mr. Keynes était militant, il est aujourd'hui triomphant. « Je me suis efforcé », écrivait-il, « dans une série de livres et d'articles publiés pendant ces quelques années, de montrer où nous allions, transigeant le moins possible avec ceux qui réclament diplomatiquement des demi-vérités, des quarts de vérités, et même, pour commencer, des dixièmes de vérités ; j'ai voulu renverser avec violence les faux dieux sur la place publique[1]. » Depuis 1919, l'opinion a été entraînée par un polémiste de génie ; pendant vingt-cinq ans, nous n'avons pas cessé d'entendre résonner les échos éclatants de sa grande offensive contre le dernier Traité de Paix, et l’on admet maintenant presque comme une vérité première qu'en élaborant le prochain Traité, il faudra tenir compte des avertissements du prophète. Les conséquences de tout cela sont à nos portes.

On voit mal pourquoi serait dénié a quiconque, le droit d'entrer en lice et de rendre coup pour coup, sous prétexte que le premier assaut a été donné voici un quart de siècle. « Les Conséquences Economiques de la Paix » sont généralement considérées comme un livre classique, et la première vertu des classiques, c'est que leur sujet reste toujours actuel. Les imperfections du présent ouvrage ne sauraient donc être imputées qu'à l'auteur seul, et non au sujet qu'il a traité.

D'autre part, dans une entreprise aussi hasardeuse, le critique se doit d'éviter, autant que faire se peut, le risque de déformer ou de trahir les textes, en les choisissant arbitrairement ou en les séparant de leur contexte. Il m'a donc paru nécessaire de citer assez abondamment Mr. Keynes, ainsi que mes autres sources, afin que nul soupçon de mauvaise foi ni de manque de sincérité n'entache l'exposé de ma thèse. Et là, j'ai le ferme espoir d'avoir réussi ; peut-être trouvera-t-on par la suite que je frappe fort, mais je ne porte pas de coups bas. Cependant tant de citations alourdissent inévitablement l'ouvrage en lui donnant des dimensions plus académiques qu'il n'eût peut-être été souhaitable, et l'on me reprochera sans doute d'avoir, sur ce point, poussé trop loin le scrupule.

A cela je répondrai que le soin que j'y ai mis devait être proportionné à l'importance qu'ont prise, de nos jours, les idées de Mr. Keynes : ce n'est pas d'un point qu'il s'agit, mais assurément de quelque chose de plus ample. Les idées, si elles ne se liguent avec les sentiments, les intérêts ou les superstitions, entrent pour bien peu dans le tourbillon des affaires humaines, et il n'est jamais facile de démêler quel est leur apport réel aux forces de l'histoire. Si les idées de Mr. Keynes ont remporté pareil succès, c'est qu'elles n'ont pas été un accident ; et on ne perdrait sans doute pas sa peine en recherchant les Causes Historiques de Mr. Keynes.

Cependant, même si l'on convient (avec Mr. Keynes) que ce sont bien les idées qui, en définitive, mènent le monde, on pourra encore se demander jusqu'où celles d'un seul individu pourront étendre leur influence; quand les nations s'effondrent, quand les empires s'écroulent, l'historien incline vers une interprétation plus large des événements. Mais Mr. Keynes appartient à la catégorie des hommes qui peuvent servir de symbole aux opinions et aux tendances politiques de leur époque ; et l'auteur des Conséquences Economiques de M. Churchill serait assurément le dernier à nier que certaines personnalités puissantes jouent un rôle dans l'orientation des événements, ou à soutenir que cette influence soit moins réelle de la part de l'écrivain que de l'homme d'Etat. Il a fort bien dit que « les hommes pratiques qui se croient entièrement affranchis de toute influence intellectuelle sont généralement les esclaves de quelque économiste défunts. Mais il arrive que cette emprise soit tout aussi étroite lorsque l'économiste est vivant, et bien vivant.

Ce qu'on va lire n'est donc pas récrimination, mais réhabilitation ; car, selon les propres paroles de Mr. Keynes, c'est « une histoire qui a plus d’importance pour le monde que les mobiles et la réputation des individus qui y ont pris part[2] ».

Juillet 1944


[1] La Reconstruction de l'Allemagne, dans The nation and Athenaeum, 7 janvier 1928, p. 532.

[2] A Revision of the treaty, 1922, p.149, n. 1, Nouvelles considérations sur les conséquences économiques de la paix, Paris, 1922, p. 156n n. 1.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 16 novembre 2007 11:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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