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http://dx.doi.org/doi:10.1522/24902182

Collection « Méthodologie en sciences sociales »

TEXTES DE METHODOLOGIE EN SCIENCES SOCIALES
choisis et présentés par Bernard Dantier
Docteur de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales
Maître de conférences à Sciences-Po Paris.
Chargé de cours et de gestion de formations à l'Institut Supérieur de Pédagogie - Faculté d'Éducation de Paris.

Cette rubrique, évolutive, qui s’enrichira au cours du temps, propose au lecteur des textes de méthodologie
en sciences sociales, cela afin de l’aider dans une démarche de compréhension et de participation à ces sciences.

Entretien et psychanalyse: Sigmund Freud et la technique psychanalytique”.
Extrait de: Sigmund Freud, La technique psychanalytique,
Paris, PUF, 1953, traduction de Anne Berman, pp 1-22.

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Entretien et psychanalyse: Sigmund Freud et la technique psychanalytique.

Les théories et observations de Sigmund Freud, qui certes traitent de psychanalyse, sont éclairantes de l’ensemble des sciences sociales et humaines. Quand dans l’enquête en sciences sociales et humaines, on s’interroge sur la méthodologie de l’entretien entre un individu (« l’intervieweur ») se chargeant de faire apparaître et rendre explicite des données sur une certaine réalité humaine, et un autre individu (« l’interviewé ») sollicité pour fournir ces don-nées par ses confidences, on ne peut ignorer le rôle et la mé-thode de l’entretien en psychanalyse. Dans les textes suivants, (articles et conférences de 1906 où Freud présente et défend les points principaux de la méthode psychanalytique) on constate-ra d’abord la fonction centrale que l’entretien exerce dans la nouvelle discipline que Freud introduit. Puis on s’intéressera aux obstacles et moyens de l’entretien, ainsi qu’à ses effets (bienfaits et dangers) tels qu’ils apparaissent dans le point de vue de la démarche psychothérapeutique. On se demandera finalement en quoi l’entretien scientifique, tel qu’il est conçu et pratiqué en sociologie ou en ethnologie par exemple, se distin-gue ou non selon les cas de l’entretien thérapeutique et psycha-nalytique, et si dans ce cadre on a bien « conscience » des liens ou des non liens à établir entre l’un et l’autre.
Bernard Dantier, sociologue, 26 janvier 2007.
Extrait de:
Sigmund Freud, La technique psychanalytique,
Paris, PUF, 1953, traduction de Anne Berman, pp 1-22
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LA MÉTHODE PSYCHANALYTIQUE DE FREUD

 

La méthode particulière de psychothérapie que Freud pratique et à laquelle il a donné le nom de psychanalyse est issue du procédé dit cathartique qu'il a exposé, en collaboration avec J. Breuer, dans les Studien über Hystérie publiées en 1895. Cette thérapie cathartique avait été inventée par Breuer et d'abord utilisée par lui dix ans auparavant dans le traitement, couronné de succès, d'une hystérique. L'emploi de ce procédé lui avait permis de se faire une idée de la pathogénie des symptômes de cette malade. Sur la suggestion personnelle de Breuer, Freud reprit ce procédé et l'essaya sur un grand nombre de patients. 

Le procédé cathartique reposait sur l'élargissement du conscient qui se produit dans l'hypnose et présupposait l'aptitude du malade à être hypnotisé. Son but était de supprimer les symptômes morbides et il y parvenait en replaçant le patient dans l'état psychique où le symptôme était apparu pour la première fois. Des souvenirs, des pensées et des impulsions qui ne se trouvaient plus dans le conscient resurgissaient alors et une fois que les malades les avaient révélés, avec d'intenses manifestations émotives, à leur médecin, le symptôme se trouvait vaincu et son retour, empêché. Dans leur travail commun, les deux auteurs conclurent de la régulière répétition de cette expérience que le symptôme remplaçait les processus psychiques supprimés et non parvenus jusqu'au conscient, qu'il représentait une transformation (une « conversion ») de ces derniers. Ils expliquaient l'efficacité thérapeutique de leur traitement par la décharge de l'affect jusqu'à ce moment « étouffé » et qui était lié à l'acte psychique repoussé (« abréaction »). Toutefois le schéma simple de cette opération thérapeutique se compliquait presque toujours, du fait que ce n'était pas un unique émoi « traumatisant », mais la plupart du temps une série d'émois, difficiles à saisir d'un seul coup, qui avaient participé à la formation du symptôme. 

Le trait le plus caractéristique de la méthode cathartique, celui qui la distingue de tous les autres procédés, se découvre dans le fait que son efficacité thérapeutique ne repose pas sur un ordre suggéré par le médecin. On s'attend plutôt à voir les symptômes disparaître d'eux-mêmes, dès que l'opération qui s'appuie sur diverses hypothèses relatives au mécanisme psychique, a réussi à modifier le cours du processus psychique ayant abouti à la formation du symptôme. 

Les changements apportés par Freud au procédé cathartique établi par Breuer consistèrent tout d'abord en modifications de la technique. Elles donnèrent néanmoins des résultats nouveaux pour, en fin de compte, nécessairement aboutir à une conception modifiée, bien que non contradictoire, de la tâche thérapeutique. 

La méthode cathartique avait déjà renoncé à la suggestion. Freud fit un pas de plus en rejetant également l'hypnose. Il traite actuellement ses malades de la façon suivante : sans chercher à les influencer d'autre manière, il les fait s'étendre commodément sur un divan, tandis que lui-même, soustrait à leur regard, s'assied derrière eux. Il ne leur demande pas de fermer les yeux, et évite de les toucher comme d'employer tout autre procédé capable de rappeler l'hypnose. Cette sorte de séance se passe à la manière d'un entretien entre deux personnes en état de veille dont l'une se voit épargner tout effort musculaire, toute impression sensorielle, capables de détourner son attention de sa propre activité psychique. 

Quelle que soit l'habileté du médecin, le fait d'être hypnotisé, on le sait, dépend du bon vouloir du patient, et beaucoup de névrosés sont inaccessibles à l'hypnotisme, il s'ensuit donc qu'après l'abandon de l'hypnose, le procédé devenait applicable à un nombre illimité de personnes. D'autre part, cependant, cet élargissement du domaine conscient qui permettait justement au médecin d'entrer en possession de tous les matériaux psychiques : souvenirs et représentations, favorisant la transformation des symptômes et la libération des affects, ne se réalisait plus. Il s'agissait donc de remplacer l'élément manquant par quelque autre, sans quoi aucune action thérapeutique n'eût été possible. 

C'est alors que Freud trouva, dans les associations du malade, ce substitut entièrement approprié, c'est-à-dire dans les idées involontaires généralement considérées comme perturbantes et, de ce fait même, ordinairement chassées lorsqu'elles viennent troubler le cours voulu des pensées. Afin de pouvoir disposer de ces idées, Freud invite les malades à se « laisser aller », comme dans une conversation à bâtons rompus. Avant de leur demander l'historique détaillé de leur cas, il les exhorte à dire tout ce qui leur traverse l'esprit, même s'ils le trouvent inutile, inadéquat, voire même stupide. Mais il exige surtout qu'ils n'omettent pas de révéler une pensée, une idée, sous prétexte qu'ils la trouvent honteuse ou pénible. C'est en s'efforçant de grouper tout ce matériel d'idées négligées que Freud a pu faire les observations devenues les facteurs déterminants de tout l'ensemble de sa théorie. Dans le récit même de la maladie se découvrent dans la mémoire certaines lacunes : des faits réels ont été oubliés, l'ordre chronologique est brouillé, les rapports de cause à effets sont brisés, d'où des résultats inintelligibles. Il n'existe pas d'histoire de névrose sans quelque amnésie. Quand on demande au patient de combler ses lacunes de mémoire en appliquant toute son attention à cette tâche, on remarque qu'il fait usage de toutes les critiques possibles pour repousser les idées qui lui viennent à l'esprit et cela jusqu'au moment où surgissent vraiment les souvenirs et où alors il éprouve un sentiment véritablement pénible. Freud conclut de cette expérience que les amnésies résultent d'un processus qu'il a appelé refoulement et dont il attribue la cause à des sentiments de déplaisir. Les forces psychiques qui ont amené le refoulement sont, d'après lui, perceptibles dans la résistance qui s'oppose à la réapparition du souvenir. 

Le facteur de la résistance est devenu l'une des pierres angulaires de sa théorie. Il considère les idées repoussées sous toutes sortes de prétextes — pareils à ceux que nous venons de citer — comme des dérivés de structures psychiques refoulées (pensées et émois instinctuels), comme des déformations de ces dernières par suite de la résistance qui s'oppose à leur reproduction. 

Plus considérable est la résistance, plus grande est la déformation. L'importance pour la technique analytique de ces pensées fortuites repose sur leur relation avec les matériaux psychiques refoulés. En disposant d'un procédé qui permette de passer des associations au refoulé, des déformations aux matériaux déformés, on arrive, même sans le secours de l'hypnose, à rendre accessible au conscient ce qui, dans le psychisme, demeurait inconscient. 

C'est sur cette notion que Freud a fondé un art d'interpréter dont la tâche est, pour ainsi dire, d'extraire du minerai des idées fortuites le pur métal des pensées refoulées. Ce travail d'interprétation ne s'applique pas seulement aux idées du patient, mais aussi à ses rêves, qui nous ouvrent l'accès direct de la connaissance de son inconscient, de ses actes intentionnels ou dénués de but (actes symptomatiques) et des erreurs commises dans la vie de tous les jours (lapsus linguae, actes manqués, etc.). Freud n'a pas encore publié les détails de sa technique d'interprétation ou de traduction. Mais d'après ce qu'il en a déjà dit, il s'agit d'une série de règles, empiriquement établies, relatives à la manière dont il convient de reconstituer, d'après les associations, les matériaux inconscients. Freud donne aussi des indications sur la façon dont il faut interpréter les silences du patient quand les associations lui font défaut et relate les résistances typiques les plus importantes qui se manifestent au cours du traitement. Le volumineux travail intitulé La science des rêves, que Freud a publié en 1900, peut être considéré comme une initiation à la technique. 

On pourrait conclure de ces remarques à propos de la technique psychanalytique que son créateur s'est donné beaucoup de mal pour rien et qu'il a eu tort d'abandonner le procédé bien moins compliqué de l'hypnotisme. Mais, d'une part, la technique psychanalytique, quand on la possède bien, est d'une pratique bien plus facile que sa description pourrait le faire croire et, d'autre part, aucune autre voie ne nous mènerait au but visé, de sorte que ce chemin difficile reste, malgré tout, le plus court. Nous reprochons à l'hypnotisme de dissimuler les résistances et, par là, d'interdire au médecin tout aperçu du jeu des forces psychiques. L'hypnose ne détruit pas les résistances et ne fournit ainsi que des renseignements incomplets et des succès passagers. 

La tâche que s'efforce de réaliser la méthode psychanalytique peut se formuler de manières différentes quoique équivalentes dans le fond. On dit par exemple que le traitement doit tendre à supprimer les amnésies. Quand toutes les lacunes de la mémoire ont été comblées, toutes les mystérieuses réactions du psychisme expliquées, la continuation comme la récidive d'une névrose deviennent impossibles. On peut dire également que tous les refoulements doivent être levés ; l'état psychique devient alors le même que lorsque toutes les amnésies ont été supprimées. Suivant une autre formule à plus grande portée, le problème consiste à rendre l'inconscient accessible au conscient, ce qui se réalise en surmontant les résistances. Mais il faut se rappeler que cet état idéal ne s'observe même pas chez les normaux et, ensuite, qu'on se trouve rarement en mesure de pousser le traitement jusqu'à un point approchant cet état. De même que la santé et la maladie ne diffèrent pas qualitativement, mais se délimitent progressivement d'une façon empiriquement déterminée, de même le but à atteindre dans le traitement sera toujours la guérison pratique du malade, la récupération de ses facultés d'agir et de jouir de l'existence. Dans un traitement inachevé, ou n'ayant donné qu'un succès incomplet, l'on obtient, malgré tout, une amélioration notable de l'état psychique général, alors que les symptômes, moins graves maintenant pour le patient, peuvent continuer à exister sans pour autant marquer ce dernier du sceau de la maladie. 

Le procédé thérapeutique reste le même, à quelques insignifiantes modifications près, pour toutes les diverses formations symptomatiques de l'hystérie et toutes les formes de la névrose obsessionnelle. Toutefois il ne saurait être question d'une application illimitée de cette méthode. La nature même de celle-ci implique des indications et des contre-indications suivant les personnes à traiter et le tableau clinique. Les cas chroniques de psychonévroses avec symptômes peu violents et peu dangereux, sont les plus accessibles à la psychanalyse, et d'abord toutes les formes de névrose obsessionnelle, de pensées et d'actes obsédants et les cas d'hystérie dans lesquels les phobies et les aboulies jouent le rôle principal, ensuite les manifestations somatiques de l'hystérie, à l'exception des cas où, comme dans l'anorexie, une rapide intervention s'impose pour supprimer le symptôme. Dans les cas aigus d'hystérie, il faut attendre que s'instaure une période plus calme. Là où prédomine un épuisement nerveux, il est bon d'écarter un procédé qui exige lui-même des efforts, dont les progrès sont lents et qui, pendant un certain temps, ne peut tenir compte de la persistance des symptômes. 

Certaines conditions règlent le choix des personnes susceptibles de tirer grand profit de la psychanalyse. En premier lieu, le sujet doit être capable de redevenir psychiquement normal ; dans les périodes de confusion ou de dépression mélancolique, rien ne peut être entrepris, même lorsqu'il s'agit de cas d'hystérie. En outre, une certaine dose d'intelligence naturelle, un certain développement moral sont exigibles. S'il avait affaire à des personnes peu intéressantes, le médecin ne tarderait pas à se détacher du patient et, de ce fait, ne parviendrait plus à pénétrer profondément dans le psychisme de celui-ci. Des malformations du caractère très enracinées, les marques d'une constitution vraiment dégénérée, se traduisent dans l'analyse par des résistances presque insurmontables. À cet égard, la constitution du patient impose des limites à la curabilité par la psychothérapie. Les conditions sont défavorables aussi quand le malade approche de la cinquantaine, car alors la masse des matériaux psychiques ne peut plus être étudiée à fond, la durée de la cure est trop prolongée et la capacité de faire rétrograder le processus psychique est en voie d'affaiblissement. 

En dépit de toutes ces limitations, le nombre des personnes capables de profiter d'un traitement psychanalytique est immense et l'extension, grâce à ce procédé, de nos possi­bilités thérapeutiques est devenue, de l'avis de Freud, fort considérable. Pour que le traitement puisse être efficace, Freud exige que sa durée soit de six mois à trois ans ; il nous apprend pourtant que, par suite de diverses circonstances faciles à deviner, il n'a généralement pu, jusqu'à ce jour, essayer son traitement que sur des gens très gravement atteints, malades depuis de longues années, devenus tout à fait incapables de s'adapter à la vie et qui, déçus par tous les genres de traitements, avaient recours, en désespoir de cause, à ce procédé nouveau et très discuté. Dans les cas plus légers, il est possible que la durée du traitement puisse être raccourcie et qu'un avantage extraordinaire en puisse être acquis pour l'avenir, dans le domaine de la prophylaxie.

 

DE LA PSYCHOTHÉRAPIE

 

Voici bientôt huit ans, j'ai pu, sur l'invitation de votre regretté président, le Pr von Reder, traiter devant vous de la question de l'hystérie. Peu auparavant, en 1895, j'avais publié en collaboration avec le Dr Josef Breuer, les Etudes sur l'hystérie dans lesquelles, en nous appuyant sur les découvertes dues à ce chercheur, nous avons tenté d'établir un nouveau traitement des névroses. Les efforts que nous ont coûtés ces Etudes ont été, j'ose le dire avec satisfaction, couronnés de succès. Les opinions qui s'y trouvent exprimées sont aujourd'hui généralement connues et comprises, par exemple celles relatives à l'effet des traumatismes psychiques qui provoquent une rétention des affects et le fait de concevoir les symptômes hystériques comme résultant d'un émoi transposé du domaine psychique au domaine somatique, conceptions auxquelles nous avons donné le nom d' « abréaction » et de « conversion ». Il n'est personne aujourd'hui, tout au moins dans les pays de langue allemande, qui ne tienne compte, dans une certaine mesure, de ces idées nouvelles, aucun praticien qui ne se serve, au moins en partie, de cette théorie. Et pourtant, ces conceptions et les termes qui les traduisent avaient, dans leur nouveauté, semblé assez étranges ! 

Je n'en puis dire autant de notre procédé thérapeutique qui a été exposé à nos collègues en même temps que notre théorie. Nous continuons à lutter pour imposer cette méthode, fait que plusieurs motifs expliquent. À l'époque, la technique du traitement n'était pas encore au point. Je n'étais pas en mesure de donner aux médecins, lecteurs de l'ouvrage, des directives capables de leur permettre l'application complète de cette méthode de traitement. Mais d'autres motifs d'un ordre plus général ont certainement agi aussi. Aujourd'hui encore, bien des médecins considèrent que la psychothérapie est le produit d'un mysticisme moderne, qu'elle semble, lorsqu'on la compare aux remèdes physico-chimiques appliqués en se fondant sur les connaissances physiologiques, quelque chose de foncièrement antiscientifique et qu'elle est indigne d'intéresser les chercheurs sérieux. Donc, permettez-moi de défendre devant vous la cause de la psychothérapie et de vous montrer, ce qui, dans sa condamnation, peut être considéré comme injuste ou erroné. 

Et, tout d'abord, laissez-moi vous rappeler que la psychothérapie n'est nullement une méthode curative nouvelle. Bien au contraire, c'est la forme la plus ancienne de la thérapeutique médicale. Le livre si instructif de Löwenfeld, intitulé Lehrbuch der gesamten Psychothérapie (Leçons de psychothérapie générale) nous apprend quelles furent les méthodes médicales primitives et anciennes. La plupart d'entre elles font partie du domaine de la psychothérapie ; on commençait par mettre le malade en état de « foi expectante », comme nous continuons encore aujourd'hui à le faire dans le même but. Bien que les médecins aient découvert d'autres remèdes, les efforts psychothérapiques de toutes les sortes n'ont jamais complètement disparu de la médecine. 

En second lieu, j'attire votre attention sur le fait que, nous autres médecins, ne pouvons nous passer de la psychothérapie pour la simple raison que l'autre intéressé — le patient — n'a, lui, nullement l'intention d'y renoncer. Vous savez tout ce que nous a appris, à ce sujet l'école de Nancy (Liébault et Bernheim). 

Sans que nous l'ayons cherché, un facteur lié à la disposition psychique du patient, surgit pour influer sur tout le processus thérapeutique déclenché par le médecin ; en général, ce facteur favorise la guérison, mais quelquefois il a un effet inhibant. Nous avons appris à donner à ce phénomène le nom de « suggestion » et, comme Mœbius nous l'a enseigné, les résultats incertains et que nous déplorons, obtenus dans tant de nos traitements thérapeutiques sont attribuables à l'action perturbante de ce trop puissant facteur. Nous, médecins, et vous comme les autres faisons continuellement usage, sans le vouloir et sans même nous en rendre compte, de la psychothérapie ; mais il est nuisible de laisser ainsi au cours de votre traitement le malade disposer de l'action de ce facteur psychique qui, de cette façon, devient incontrôlable et ne peut être ni dosé, ni intensifié. N'est-il pas souhaitable alors que le médecin puisse contrôler ce facteur, qu'il en dispose pour atteindre le but visé, qu'il le règle et le renforce ? C'est cela et rien d'autre que lui propose une psychothérapie scientifique. 

En troisième lieu, je vous rappelle une expérience bien connue qui nous montre que certaines maladies, et les psycho-névroses en particulier, sont bien plus accessibles aux influences psychiques qu'à toute autre médication. Selon un dicton qui n'est certes pas moderne puisqu'on le doit aux anciens praticiens, ces malades ne seraient pas guérissables par les médicaments, mais par le médecin, c'est-à-dire par la personnalité de celui-ci, dans la mesure où, à travers elle, il exerce son influence. Vous approuvez, je le sais, l'opinion énoncée par le professeur d'esthétique Vischer dans sa parodie de Faust : 

Ich weiss, das Physikalische Wirkt öfters aufs Moralische (« Je sais bien que le physique Agit souvent sur le moral. »). 

Ne serait-il pas plus indiqué et plus efficace d'agir sur le moral d'un sujet par des moyens moraux, c'est-à-dire psychiques ? 

Il existe beaucoup de façons et de moyens de pratiquer la psychothérapie et tous ceux qui aboutissent à la guérison sont bons. Les paroles de réconfort dont nous sommes si prodigues : « Ne vous frappez pas. Vous ne tarderez pas à aller mieux. » correspondent à l'un de ces procédés psychothérapiques ; mais voilà, maintenant que nous avons appris à mieux connaître les névroses, nous ne sommes plus obligés de nous en tenir à ces paroles réconfortantes. Nous avons développé la technique de la suggestion hypnotique et de la psychothérapie par la diversion, par la pratique et par le recours à des affects appropriés. Je ne rejette aucune de ces méthodes et en ferais usage si quelque occasion favorable s'en présentait. C'est pour des motifs purement subjectifs que je me suis réellement consacré à une seule forme de traitement, celle que Breuer a appelée « cathartique » et que je préfère, pour ma part, qualifier d'« analytique ». Du fait de ma participation à l'élaboration de cette thérapie, je me trouve en face de l'obligation personnelle de me vouer à son étude plus poussée et au développement de sa technique. Et je puis dire que la méthode analytique de psychothérapie est celle qui pénètre le plus profondément, qui a la plus grande portée, celle par qui les malades peuvent le mieux être transformés. En laissant un instant de côté le point de vue thérapique, j'ajoute encore qu'elle est de toutes les méthodes, la plus intéressante, la seule capable de nous renseigner sur l'origine des manifestations morbides et les rapports existant entre elles. Elle nous ouvre des perspectives sur le mécanisme des maladies psychiques et est seule en mesure de nous conduire au-delà de ses propres limites et de nous ouvrir la voie menant à d'autres actions thérapiques. 

Permettez-moi maintenant de rectifier certaines erreurs commises à propos de procédé psychothérapique cathartique ou analytique et de vous donner quelques explications à ce sujet.

 

a) J'ai remarqué que l'on confondait très fréquemment cette méthode avec le procédé hypnotique par suggestion. Le fait m'a frappé parce qu'il arrive relativement souvent que des collègues, qui ne me témoignent ordinairement pas leur confiance, m'adressent des malades — des malades réfractaires naturellement — en me demandant de les hypnotiser. Or j'ai cessé depuis huit ans environ de faire usage, en thérapeutique, de l'hypnose (sauf pour quelques expériences particulières), de sorte que je renvoie ordinairement ces patients en leur conseillant de s'adresser à un adepte de l'hypnose. C'est qu'en réalité le plus grand contraste existe entre la technique analytique et la méthode par suggestion, le même contraste que celui formulé par le grand Léonard de Vinci relativement aux beaux-arts : per via di porre et per via di levare, La peinture, dit-il, travaille per via di porre car elle applique une substance — des parcelles de couleur — sur une toile blanche. La sculpture, elle, procède per via di levare en enlevant à la pierre brute tout ce qui recouvre la surface de la statue qu'elle contient. La technique par suggestion procède de même per via di porre, sans se préoccuper de l'origine, de la force, et de la signification des symptômes morbides. Au lieu de cela, elle leur applique quelque chose, la suggestion, et attend de ce procédé qu'il soit assez puissant pour entraver les manifestations pathogènes. D'autre part, la méthode analytique ne cherche ni à ajouter ni à introduire un élément nouveau, mais, au contraire, à enlever, à extirper quelque chose ; pour ce faire, elle se préoccupe de la genèse des symptômes morbides et des liens de l'idée pathogène qu'elle veut supprimer. C'est en utilisant ce mode d'investigation que la thérapie analytique a si notablement accru nos connaissances. J'ai très vite renoncé à la technique par suggestion et, avec elle, à l'hypnose, parce que je désespérais de rendre les effets de la suggestion assez efficaces et assez durables pour amener une guérison définitive. Dans tous les cas graves, j'ai vu la suggestion qu'on leur appliquait être réduite à zéro et le même trouble ou quelque autre, resurgir. En outre, j'ai un autre reproche encore à formuler à l'encontre de cette méthode, c'est qu'elle nous interdit toute prise de connaissance du jeu des forces psychiques ; elle ne nous permet pas, par exemple, de reconnaître la résistance qui fait que le malade s'accroche à sa maladie et, par là, lutte contre son rétablissement ; pourtant, c'est le phénomène de la résistance qui, seul, nous permet de comprendre le comportement du patient.

 

b) Une erreur me semble être fort répandue parmi mes collègues. Ils croient que rechercher l'origine des symptômes, supprimer les manifestations morbides grâce à cette méthode d'investigation est chose aisée et allant de soi. Ce qui m'a suggéré cette conclusion est le fait que, parmi les nombreux médecins qui montrent un certain intérêt pour ma thérapeutique et qui émettent à son propos des jugements péremptoires, aucun ne s'est jamais informé de la façon réelle dont je procédais. Ce silence ne peut avoir qu'une cause : leur conviction de l'inutilité des questions, la chose étant parfaitement évidente. Je m'étonne également quelquefois d'apprendre que, dans tel ou tel service hospitalier, un jeune médecin a reçu de son chef la mission d'entreprendre la « psychanalyse » de quelque hysté­rique. Je suis persuadé qu'on ne lui permettrait de procéder à l'examen d'une tumeur extirpée qu'après s'être assuré de sa connaissance de la technique histologique. Parfois aussi l'on me raconte que tel confrère a donné rendez-vous à un malade en vue d'un traitement psychanalytique. Or je suis certain que ce collègue ignore tout de ce genre de traitement. Il faut donc qu'il s'attende à ce que le malade lui fasse présent de ses secrets ou bien à ce qu'il puisse trouver sa guérison dans la confession ou la confiance. Je ne m'étonnerais pas d'apprendre qu'en pareil cas le malade voie son état s'aggraver et non pas s'améliorer. Ce n'est point chose facile, en effet, que de jouer de l'instrument psychique. En pareille occasion je ne puis m'empêcher de penser à un célèbre névrosé qui, il est vrai, n'a jamais été soigné par un médecin et n'a existé que dans l'imagination d'un poète, je veux parler d'Hamlet, prince de Danemark. Le roi charge deux courtisans, Rosenkranz et Guldenstern, de suivre le prince, de le questionner et de lui arracher le secret de sa mélancolie ; il les repousse. Alors on apporte sur la scène des flageolets. Hamlet s'empare d'un de ces instruments et demande à l'un de ses bourreaux d'en jouer, ce qui, dit-il, est aussi facile que de mentir. Le courtisan refuse en alléguant qu'il ne sait pas se servir d'un flageolet et comme il s'obstine dans son refus, Hamlet s'écrie : Sangdieu ! croyez-vous qu'il soit plus facile de jouer de moi que d'une flûte ? Prenez-moi pour l'instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi.

 

c) Certaines de mes remarques vous auront permis de deviner que de nombreuses particularités du traitement analytique l'empêchent d'être une forme idéale de thérapie. Tuto, cito, jucunde, les recherches, les essais n'impliquent pas forcé­ment la rapidité des résultats et la résistance dont nous venons de parler fait prévoir divers désagréments. Certes, le traitement psychanalytique coûte au malade comme au médecin de grands efforts. Du premier, il exige une sincérité totale, un sacrifice de temps et partant d'argent, du second, beaucoup de temps aussi. De plus, le médecin ne peut se servir de cette technique qu'après l'avoir fort longuement étudiée et pratiquée. Je trouve pour ma part tout à fait naturel d'avoir recours à des méthodes curatives moins difficiles tant qu'on peut espérer en tirer quelque avantage. C'est là, après tout, le seul point à considérer : si le procédé pénible et lent donne de meilleurs résultats que le procédé rapide et facile, c'est le premier qu'il faut, malgré tout, choisir. Songez au traitement du lupus par la méthode de Finsen. N'est-il pas plus malaisé, plus coûteux que les procédés de cautérisation et de grattage jadis couramment utilisés. Et pourtant il constitue un grand progrès puisqu'il donne de meilleurs résultats et guérit radicalement le lupus. Je ne pousserai pas jusqu'au bout la comparaison, mais je dirai que la méthode psychanalytique a le droit de revendiquer la même prérogative. À dire vrai, je n'ai pu jusqu'à ce jour établir et essayer mon procédé thérapeutique que sur des malades très sérieusement atteints, sur des cas à peu près désespérés. Je ne pus d'abord disposer que de patients ayant déjà tout essayé sans résultats et ayant passé des années dans des maisons de santé. Le nombre restreint des cas traités ne me permet pas de vous dire comment réagiraient des malades moins gravement atteints, les cas épisodiques dont la guérison peut être provoquée par les moyens les plus variés ou même survenir spontanément. La psychanalyse a été créée en étudiant les malades incapables de s'adapter à l'existence et à leur intention. C'est pour elle un grand triomphe que de voir un grand nombre de ces malheureux retrouver une possibilité de vivre. Devant ces succès, on constate que les efforts réalisés n'ont pas été vains. Ne nous dissimulons pas à nous-mêmes un fait que nous nions souvent en face du malade, à savoir qu'une névrose grave ne le cède en rien, au point de vue de son action néfaste sur le sujet atteint, à n'importe quelle forme de cachexie ou de maladie grave et redoutée.

 

d) Par suite de toutes les limitations auxquelles mon activité s'est pratiquement trouvée soumise, je ne puis qu'à peine formuler les indications et les contre-indications de ce traitement. J'en éclairerai cependant quelques points.

 

1. La maladie d'un patient ne doit pas nous dissimuler la valeur véritable de ce dernier. Il faut refuser les malades qui ne possèdent pas un degré suffisant d'éducation et dont le caractère n'est pas assez sûr. N'oublions pas que bien des normaux ne valent rien non plus. Nous ne sommes que trop portés à mettre au compte de la maladie, chez les gens de cette sorte, tout ce qui les rend inaptes à la vie, pour peu que nous rencontrions en eux les plus légers indices de névrose. À mon avis, une névrose ne marque nullement celui qu'elle affecte du sceau de la dégénérescence, encore que cette dernière puisse assez sou­vent se trouver associée aux troubles névrotiques. Mais la psychothérapie analytique n'est pas un procédé de traitement de la dégénérescence névropathique, c'est au contraire là qu'elle se voit arrêtée. Elle n'est pas non plus utilisable par les personnes qui ne se sentent pas attirées vers elle par leur souffrance et ne font qu'obéir aux ordres de leurs proches. Mais considérons d'un autre point de vue encore la qualité qui fait que la psychanalyse est ou n'est pas indiquée, je veux parler de l’éducabilité. 

2. Si l'on veut agir à coup sûr, il convient de limiter son choix à des personnes dont l'état est normal puisque dans le procédé psychanalytique, c'est en partant de l'état normal qu'on arrive à contrôler l'état pathologique. Les psychoses, les états confusionnels, les mélancolies profondes — je dirais presque toxiques — ne ressortissent pas à la psychanalyse, du moins telle qu'on la pratique jusqu'ici. Il ne serait pas du tout impossible que ces contre-indications cessassent d'exister si 1 on modifiait la méthode de façon adéquate et qu'ainsi puisse être constituée une psychothérapie des psychoses. 

3. L'âge des malades entre en ligne de compte lorsqu'on veut établir leur aptitude à être traités par la psychanalyse. En effet, les personnes ayant atteint ou dépassé la cinquantaine ne disposent plus de la plasticité des processus psychiques sur laquelle s'appuie la thérapeutique — les vieilles gens ne sont plus éducables — et, en outre, la quantité de matériaux à défricher augmente indéfiniment la durée du traitement. L'âge minimum est une question individuelle ; les jeunes, dès avant l'adolescence, sont souvent très facilement influençables. 

4. La psychanalyse est contre-indiquée s'il s'agit de la suppression rapide de certains symptômes alarmants, tel, par exemple, celui de l'anorexie hystérique. 

Vous n'allez pas manquer de penser que le champ d'application de la psychothérapie analytique est vraiment très restreint, puisque je ne vous ai jusqu'à présent parlé que de ses contre-indications. Il y a cependant bien assez de types et de cas morbides pour lesquels ce traitement pourra être tenté, ainsi, par exemple, toutes les formes chroniques de l'hystérie avec manifestations résiduelles, tout le vaste domaine des états obsessionnels et des aboulies, etc. 

Il nous est agréable de constater que c'est justement aux personnes de la plus grande valeur, aux personnalités les plus évoluées, que la psychanalyse peut le plus efficacement venir en aide. On peut d'ailleurs affirmer que, dans les cas où la psychothérapie analytique n'apporte qu'un faible secours, toute autre méthode aurait à coup sûr échoué totalement. 

e) Vous allez certainement me demander à quels risques s'expose éventuellement le malade qui se fait psychanalyser. Je puis vous répondre que si vous consentez à juger ce procédé avec un esprit d'équité égal à celui dont vous faites preuve à l'égard des autres méthodes thérapeutiques, vous serez d'accord avec moi pour trouver qu'une cure analytique, conduite avec compréhension, ne fait courir aucun risque au malade. Peut-être le profane, habitué à imputer au traitement tout qui arrive au cours d'une maladie, en jugera-t-il différemment. Il n'y a pas si longtemps encore, nos établissements d'hydrothérapie étaient victimes du même préjugé. Il arrive qu'un sujet à qui l'on a conseillé un séjour dans l'une de ces maisons hésite à s'y rendre parce qu'il a appris qu'une personne nerveuse qu'il connaît y est devenue folle. Vous imaginez bien qu'il s'agissait là de cas de paralysie générale pouvant encore, à ce stade précoce, être traités dans un établissement hydrothérapique, mais qui y avaient subi leur évolution fatale aboutissant à des troubles mentaux manifestes ; pour le public, l'eau était la responsable et la génératrice de cette malheureuse transformation. Dès qu'il s'agit d'innovations, les médecins eux-mêmes ne sont pas à l'abri de semblables erreurs de jugement. Je me souviens d'avoir un jour tenté d'entreprendre la psychothérapie d'une femme qui avait passé la plus grande partie de sa vie dans un état alternant de manie et de mélancolie. Je pris ce cas en main à la fin d'une période de mélancolie. Pendant deux semaines tout parut aller bien ; la troisième semaine, nous nous trouvâmes déjà au début d'une période maniaque, ce qui était certainement imputable à quelque modification spontanée des symptômes, puisque aucune psychothérapie ne serait capable d'agir en l'espace de deux semaines. Toutefois l'éminent médecin (aujourd'hui disparu) qui avait vu la malade avec moi, ne put s'empêcher de dire que cette « aggravation » était sans doute imputable à la psychothérapie. Je suis parfaitement convaincu qu'en d'autres circonstances, il eût montré plus d'esprit critique. 

f) Pour en terminer, je me dis qu'il ne convient pas de retenir aussi longtemps votre attention fixée sur la psycho-thérapie psychanalytique sans vous avoir montré en quoi consiste le traitement et sur quoi il se fonde. Cependant, obligé d'être bref, je ne puis qu'effleurer ce sujet. Cette thérapeutique se fonde sur l'idée que les représentations inconscientes — ou mieux, l'inconscience de certains processus psychiques — sont les causes immédiates des symptômes morbides. Nous partageons cette conviction avec l'école française (Janet) qui, par une schématisation trop rigoureuse, ramène le symptôme hystérique à l'idée fixe inconsciente. Ne craignez pas ici de nous voir tomber dans la philosophie la plus absconse. Notre inconscient n'est pas tout à fait identique à celui des philosophes et d'ailleurs la plupart de ceux-ci ne veulent pas entendre parler d'un « psychisme inconscient ». Malgré cela, placez-vous à notre point de vue et vous verrez que la traduction de cet inconscient en conscient dans le psychisme du patient doit avoir pour résultat de ramener ce dernier à la normale et de supprimer la contrainte à laquelle est soumise sa vie psychique. En effet, la volonté consciente s'étend partout où des processus psychiques conscients se produisent et toute contrainte psychique a ses racines dans l'inconscient. Vous n'avez jamais à craindre non plus que la secousse causée par le jaillissement de l'inconscient dans le conscient puisse nuire au malade, car il vous est facile de vous convaincre théoriquement que l'effet somatique et affectif d'un émoi pulsionnel devenu conscient n'est jamais aussi considérable que celui qui peut être provoqué par l'émoi inconscient. Ce n'est qu'en faisant usage de nos énergies psychiques les plus élevées, toujours liées à l'état de conscience, que nous pouvons maîtriser nos pulsions. 

Vous pouvez aussi, pour comprendre la méthode psychanalytique, la considérer d'un autre point de vue. La découverte de l'inconscient, la traduction de ce dernier, se réalisent malgré la résistance continue qu'oppose le patient. L'apparition de l'inconscient s'associe à un sentiment de « déplaisir », d'où opposition de la part de l'analysé. Il faut alors que vous pénétriez au cœur du conflit psychique. Si vous amenez le malade à accepter, du fait d'une meilleure compréhension, ce qu'il avait jusqu'alors rejeté (refoulé) par suite d'une régulation automatique du déplaisir, vous aurez réalisé une bonne part de travail éducatif. Comment ne pas parler d'éducation quand, par exemple, l'on parvient à décider quelqu'un qui n'aime pas se lever tôt à le faire quand même. Le traitement psychanalytique peut, grosso modo, être considéré comme une sorte de rééducation qui enseigne à vaincre les résistances intérieures. Mais, chez les nerveux cette sorte de rééducation ne s'impose nulle part autant qu'en ce qui concerne l'élément psychique de leur sexualité. Nulle part ailleurs, la civilisation, l'éducation, n'ont causé d'aussi grands dommages et c'est justement là aussi, l'expérience vous le montrera, qu'on découvre l'étiologie des névroses sur lesquelles on peut agir ; l'autre facteur étiologique, l'élément constitutionnel, est fixe et immuable. Mais il ressort de tout cela que le médecin se voit soumis à une importante obligation. Il ne lui suffit pas de posséder un caractère intègre — « la moralité va de soi », comme a accoutumé de dire le héros du roman de Vischer, intitulé Auch Einer — il faut encore qu'il ait maîtrisé, en son propre psychisme, ce mélange de grivoiserie et de pruderie au travers duquel tant de gens considèrent, hélas, les problèmes sexuels. 

Une autre remarque encore trouvera peut-être ici sa place. L'importance que j'attribue, dans l'apparition des psycho-névroses, au rôle de la sexualité est, je le sais, généralement connue, mais je sais aussi que le public n'a que faire de réserves et de déterminations très précises ; il ne dispose dans sa mémoire que d'une place fort restreinte, ne conserve d'une proposition que le noyau brut et s'en crée une version poussée à l'extrême et facile à retenir. Peut-être même certains médecins ont-ils pensé que j'attribuais, en premier lieu, les névroses à la privation sexuelle. Ils ont même fait de cette idée l'essentiel de ma théorie. Certes la frustration sexuelle est fréquente dans les conditions d'existence de notre société. D'ailleurs si l'hypothèse que l'on me prête se trouvait justifiée, pourquoi ferions-nous un pénible détour par la cure psychique et ne conseillerons-nous pas tout simplement à nos malades, en guise de remède, de satisfaire leurs besoins sexuels ? Je ne sais ce qui me retiendrait d'énoncer cette idée si elle était exacte, mais les choses ne se présentent pas ainsi. Le besoin sexuel, la frustration, ne constituent que l'un des facteurs qui interviennent dans le mécanisme des névroses. S'il était le seul, ce ne serait point la maladie mais la débauche qui apparaîtrait. Un autre facteur, non moins essentiel et qu'on oublie trop volontiers, c'est l'aversion dont témoigne le névrosé pour la sexualité, son incapacité d'aimer, ce trait psychique que j'ai appelé « refoulement ». La maladie névrotique ne résulte que d'un conflit entre ces deux tendances et c'est pourquoi il ne serait que fort rarement sage de conseiller à des psychonévrosés de se livrer activement à leurs pulsions sexuelles. 

Laissez-moi conclure par un sage conseil. Nous espérons que votre intérêt pour la psychothérapie, une fois débarrassé de tout préjugé hostile, nous aidera à obtenir d'heureux résultats, même dans le traitement de psychonévroses graves.

Fin de l'extrait.


Revenir à l'auteur: Jacques Brazeau, sociologue, Univeristé de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 mars 2011 14:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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