RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

  Veuillez utiliser cette adresse (DOI) pour citer ce document:
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.paj.lim

Collection « Méthodologie en sciences sociales »

TEXTES DE METHODOLOGIE EN SCIENCES SOCIALES
choisis et présentés par Bernard Dantier
Docteur de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales
Maître de conférences à Sciences-Po Paris.
Chargé de cours et de gestion de formations à l'Institut Supérieur de Pédagogie - Faculté d'Éducation de Paris.

Cette rubrique, évolutive, qui s’enrichira au cours du temps, propose au lecteur des textes de méthodologie
en sciences sociales, cela afin de l’aider dans une démarche de compréhension et de participation à ces sciences.

“Jean-Claude Passeron, Les limites de la généralisation sociologique ou la sociologie entre histoire et expérimentation”.
Extrait de Jean-Claude Passeron, Le raisonnement sociologique –
L’espace non-poppérien du raisonnement naturel. Paris, Nathan, 1991.

Pour télécharger le texte de 6 pages, au format désiré, cliquer sur le fichier de votre choix ci-dessous:
Fichier Word (.doc): 56 K.
Fichier Acrobat (.pdf): 80 K.
Fichier .rtf: 52 K.
Jean-Claude Passeron, Les limites de la généralisation sociologique ou la sociologie entre histoire et expérimentation”.

Au terme d’une enquête en sociologie comme en sciences sociales, après la comparaison entre les faits provenant des données recueillies dans l’expérience et les faits envisagés dans les hypothèses, comparaison correspondant à la vérification de la validité de ces hypothèses, se pose la question de la généralisation des enseignements produits par cette vérification.

En effet, le chercheur peut prétendre, pour valoriser, légitimer ou encore compléter sa démarche, que ce qu’il a constaté dans les circonstances particulières de sa recherche est ou serait constatable dans toutes autres circonstances, dans d’autres lieux et d’autres temps, à condition que les contextes et les caractéristiques des variables qui ont conditionné ses observations s’y retrouvent sans changement selon le principe énonçant « toutes choses étant égales par ailleurs ».

Or, comme le soutient dans le texte suivant le sociologue français Jean-Claude Passeron (né en 1930), ces contextes et caractéristiques dans le monde social ne sont ni constants ni entièrement connaissables, ce qui limite inévitablement les possibilités d’une généralisation des assertions sociologiques qui, par ailleurs, n’ont de sens et de pertinence qu’en restant orientées sur des particularités et des singularités spatio-temporelles, condition qui place la sociologie dans une position intermédiaire et médiatrice entre l’histoire événementielle et le raisonnement expérimental statistique.


Bernard Dantier, sociologue, 13 mai 2004.
Extrait de: Jean-Claude Passeron, Le raisonnement sociologique –
L’espace non-poppérien du raisonnement naturel. Paris, Nathan, 1991.

La généralisation d'un énoncé de corrélation ou de régularité dans un déroule-ment constitue une opération logique susceptible d'être maîtrisée par les sciences expérimentales, parce que celles-ci peuvent contrôler la variation du contexte de leurs observations par la construction active de protocoles et, par-tant, par une série finie d'énoncés qui commandent leurs concepts descriptifs. Au contraire, les conditions de l'observation historique - à savoir les conditions d'une observation qui énonce ses constats en prélevant ses «faits» dans des configurations non reproductibles, dont elle ne peut énumérer les caractéristiques pertinentes pour l'observation - excluent la généralisation inductive. Dans les sciences sociales, un constat, même raffiné et croisé, de relations entre variables livre un sens qui, stabilisé de façon univoque dans les limites de cette observation, redevient problématique dès qu'on s'éloigne de la singularité de la configuration de co-occurrences qui fait la sûreté de son indexation empirique. On est sans cesse tenté de l'oublier, du fait que rien n'est plus naturel que d'économiser l'énonciation complète du contexte et des conditions d'un constat, tant que l'énoncé de ce constat se réfère lui-même implicitement à son contexte de validité, que ce soit par les mots qui expriment son contenu concret ou par l'évidence allusive d'un environnement actuel qui désigne les «circonstances» de l'énonciation (sur le mode du «cela va sans dire»). Mais cette référence tacite, qui suffit à fonder le sens sociologique des constats statistiques tant qu'ils n'énoncent que sous condition implicite de tout le contexte de la mesure, ne suffit plus à garantir l'univocité de l'assertion dès qu'un constat de ce type subit une majoration énonciative du seul fait de se trouver articulé avec des constats opérés, fût-ce sur les « mêmes» variables, dans d'autres contextes. Si nombreuses que soient les variables contrôlées ou neutralisées par un protocole d'enquête ou une série programmée de recherches, le contexte des mesures ou des assertions qui les expriment reste lui-même incontrôlable, si l'on s'oblige à le définir comme l'ensemble des variables que son invariance momentanée neutralise en fait mais qui redeviennent pertinentes dès qu'on entend généraliser les mesures opérées sous la réserve implicite de sa constance.

Un pôle des formulations possibles de la phénoménalité historique est donc clairement occupé par le discours qui s'astreint à ne décrire des « faits » qu'en référant explicitement ses interprétations au contexte spatio-temporel des phénomènes observés. On peut y voir la forme pure du récit historique qui s'autorise assurément de désignations plus ou moins larges du contexte (aire culturelle ou période) mais qui s'interdit dans ses assertions et ses concepts descriptifs des indexations de sens extra-contextuelles (universelles).

L'autre pôle est représenté par le raisonnement expérimental, c'est-à-dire par un exercice de la comparaison (quantifiée ou non) capable d'enfermer ses inférences dans un système fermé de règles. Le raisonnement expérimental fonde ses assertions sur des corrélations constantes de traits, observées ou mesurées «toutes choses étant égales par ailleurs», ouvrant ainsi en toute rigueur une voie logique à l'universalisation de ses assertions, soit sous réserve de la constance du contexte, soit en reliant la variation de la relation aux variations d'un contexte contrôlable parce que analysable sous ses aspects pertinents. Dans les sciences sociales, le raisonnement expérimental est représenté, lorsqu'il prend forme quantifiée, par le raisonnement statistique qui, dans sa structure formelle, est indifférent à la structure d'objet sur lequel il prélève ses mesures ou ses comptages. Il est donc clair que les assertions qu'il autorise sur ses informations de base n'ont pas la même portée selon qu'il fonctionne dans des sciences pleinement expérimentales ou dans des sciences historiques. (…)

Dans un tel espace, le raisonnement sociologique tel que nous essayons de le définir vient se loger en médiateur au cœur de ces deux mouvements. (…)

[…] L'analyse épistémologique et la description méthodologique de ses raisonnements réels interdisent donc de placer la sociologie au pôle du raisonne-ment expérimental, ainsi que l'avait espéré, dans son optimisme conquérant, l'épistémologie durkheimienne. Même en prenant le terme de « chose» au sens purement méthodologique de Durkheim, lorsque, avançant qu'il fallait «traiter les faits sociaux comme des choses», il affirmait ne mettre dans la définition de la «chose» que ce qui découle du «traiter comme», il faut reconnaître que, dans la pratique des raisonnements scientifiques, les choses sociales» ne se laissent pas longtemps «traiter» ainsi, étant choses d'histoire. C'est non pas la sociologie mais le raisonnement statistique qui occupe la position, polairement opposée à celle de l'histoire historienne en ses formes classiques. En effet, si on identifie par l'analyse méthodologique ou logique un «raisonnement expérimental», en suivant les approfondissements qui vont de Stuart Mill à Popper, ce raisonnement occupe bien un pôle du raisonnement auquel aspirent effectivement les sciences sociales. C'est le raisonnement expérimental, tel qu'il s'incarne, en sa forme pure, la plus formalisable, la plus opératoire, la mieux dotée de puissance comparative, dans la démarche du raisonnement statistique, lorsque celui-ci fournit un instrument bien rodé pour analyser les interactions entre variables, afin d'énoncer comme propositions empiriquement validables des constats de corrélations. (…) Tous ces détours statistiques reposent sur les mêmes principes logiques, et ceux-ci présupposent, pour n'être pas dénaturés dans les conclusions qu'on en tire, les conditions d'application de la méthode expérimentale, en prenant ici cette méthode au sens élargi qu'utilisait Durkheim lorsqu'il affirmait qu'il y a possibilité d'expérimentation, même quand on ne peut pas agir sur les phénomènes observés, dès lors que, comme dans la méthode des variations concomitantes, on peut raisonner «toutes choses étant égales par ailleurs», c'est-à-dire sous réserve de la constance ou du contrôle du contexte.

Mais c'est là, précisément, une situation où la sociologie - pas plus qu'une autre science sociale - ne se trouve jamais complètement. Et cela, même quand la sociologie prend ses distances avec l'histoire, puisqu'elle ne peut oublier qu'elle est, comme l'histoire, sinon une discipline du récit, du moins une discipline qui ne dit quelque chose d'«intéressant» qu'en tant qu'elle apporte des connaissances sur la manière dont sont tissées les co-occurrences ou les successions de phénomènes historiques. La sociologie est comme toutes les autres sciences sociales (même les plus spécialisées, qui l'oublient encore plus facilement qu'elle au bénéfice d'un savoir autonomisé de tout contexte ou de modèles qu'elles croient trop facilement trans-historiques) une discipline historique. Une discipline est historique dès que ses énoncés ne peu-vent, lorsqu'il s'agit de les dire vrais ou faux, être désindexés des contextes dans lesquels sont prélevées les données ayant un sens pour ses assertions. Et cela, même lorsque le travail de cette discipline (au premier chef celui de la sociologie) est de les indexer par une typologie sur des contextes élargis grâce à l'agglomération de contextes construits comme parents par un raisonnement naturel. L'agglomération argumentative n'est jamais réductible à «l'agrégation statistique», à la «conjonction logique de propositions» ou au «calcul des attributs» dans une logique formelle. Il faut tirer toutes les conséquences du fait que le raisonnement sociologique se distingue du récit historique par des moments de raisonnement expérimental, mais que ces moments de pureté méthodologique alternent nécessairement dans son travail interprétatif avec d'autres moments du raisonnement naturel. Un raisonnement sociologique ne peut être de part en part ni de bout en bout un raisonnement expérimental. Le raisonnement statistique qui met en rapport des variables pour conclure, dans le langage de la probabilité, à des corrélations se fondant sur des constats empiriques est bien un raisonnement expérimental, mais il ne le reste qu'autant qu'il n'énonce rien sur le monde historique: dès qu'on met du sens dans l'énoncé de ses corrélations formelles, les phrases se chargent de contexte, dit ou non dit.

Fin de l'extrait.

Retour à la collection: Méthodologie en sociologie. Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 mars 2011 15:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref