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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Actes du colloque de l'ACSALF 1989, DROITS, LIBERTÉ, DÉMOCRATIE. (1991)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir des Actes du colloque de l'ACSALF 1989, DROITS, LIBERTÉ, DÉMOCRATIE. sous la direction de Jocelyne Lamoureux. Montréal: ACSALF, 1991, 308 pp. Actes du colloque international de l'ACSALF tenu dans le cadre du 57e congrès de l'ACFAS à l'UQAM en mai 1989. Les cahiers scientifiques, no 75, ACFAS, 1991. Une édition numérique réalisée avec le concours de Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'ACSALF le 20 août 2018 de diffuser tous les actes de colloque de l'ACSALF en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Droits, liberté, démocratie.
Actes du colloque annuel de l’ACSALF 1989.

Présentation

Par Jocelyne LAMOUREUX
Sociologue, UQÀM

C'est à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française et pour souligner le 41e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme que l'Association canadienne des sociologues et anthropologues de langue française (ACSALF) organisait en 1989, dans le cadre du congrès de l'Association canadienne française pour l’avancement des sciences (ACFAS), le colloque Droits-Liberté-Démocratie. L'objectif, en réunissant sociologues, anthropologues, juristes, philosophes, était d'éveiller l'intérêt pour le droit comme forme des relations sociales et interroger certaines expériences cruciales de notre temps. Dans un contexte de tensions entre les droits individuels, les droits sociaux et les droits collectifs où certains affirment que les diverses chartes des droits ne sont que des machines de guerre contre les conquêtes sociales, dans un contexte de questionnements sur l'atteinte à la démocratie que serait la politisation du judiciaire (gouvernement par les juges) et qui fait que certains sujets cruciaux du vivre ensemble (droit du fœtus, droits des femmes, légitimité de la formule Rand, statut de la langue) sont confiés à un appareil de l'État central et non aux élus, dans un contexte d'interprétations discordantes quant à la prolifération et/ou dépérissement du droit, signe d'une tenace régulation technocratique ou encore d'une perte tragique des repères, ou encore, au contraire, de la vitalité des sociétés hautement complexes qui s’autoproduisent, dans un contexte où à la fois l'imaginaire moderne de la référence aux droits perdure et où les développements techno-scientifiques interpellent comme jamais l'éthique, le juridique et l'espace démocratique, dans ce contexte donc, comment saisir certaines des significations et certains des enjeux en cause ?

On ne peut nier qu'aujourd'hui le concept des droits de la personne occupe une position centrale et dans le discours politique et dans des débats et revendications sur les rapports entre l'individu et le pouvoir et sur la dynamique des liens entre individu-communauté-société-État et marché.

Certains voient dans les discours sur les droits de la personne un succédané à la place laissée libre par les grands projets collectifs, une stratégie plus ou moins articulée de canalisation de protestations autrement plus radicales ou encore un recouvrement formel d'un système de domination et d'exploitation par une remise à l'honneur de sollicitations purement individualistes. D'autres reconnaissent dans l'institution des droits et libertés le signe de l'émergence d'un nouveau type de légitimité et d'un espace public permettant l'effervescence démocratique. Quoiqu'il en soit, on ne peut manquer de souligner à quel point la charge symbolique de l'aspiration et de la revendication des droits humains guide très souvent les débats, négociations, luttes entourant la fixation - pour un temps donné - des normes que la société se fixe sur le juste et l'injuste, l'équitable et l'inéquitable, l'acceptable et [10] l'inacceptable, à quel point l'irréductibilité de la conscience du droit à toute objectivation juridique est manifeste. On ne peut aussi que signaler à quel point l'essor des différentes formes de totalitarisme nous ont mis en demeure de réinterroger la démocratie, cette forme de société qui modèle spécifiquement l'espace social dans un mouvement incessant de transformation des normes, codes, valeurs et des architectures institutionnelles ; de réinterroger aussi la dépréciation et les condamnations véhémentes, ironiques ou scientifiques de la notion de droits de la personne.

Bien sûr diverses controverses entourent la problématique des droits et libertés et de la démocratie et interrogent profondément les choix sociétaux. En vrac en voici quelques-unes. Le "droit d'avoir des droits" n'est-il pas aspiré dans une logique inflationniste interminable qui rendrait nos sociétés ingouvernables ? Le discours sur les droits humains ne jugule-t-il pas dans des paramètres plus fictifs que réel (quand les faits s'obstinent à contredire le droit) les volontés de mieux-être des exclu-e-s, marginalisé-e-s et laissé-e-s pour compte ? Les gouvernements ne cherchent-ils pas avec leurs chartes à hausser le niveau formel des valeurs d'égalité, de liberté en leur conférant une portée individuelle en dehors du domaine socio-économique ? Est-il vrai que la logique des chartes n'est tributaire que d'une interprétation irrémédiablement individualiste des droits ? Dans un autre ordre d'idées, la voie de la constitutionnalisation des droits au moyen des chartes ne crée-t-elle pas des déséquilibres dangereux pour la démocratie entre le politique et le judiciaire, des restrictions à l'espace public ? L'essor des droits nouveaux signale-t-il une perversion des principes des droits de la personne et ne risque-t-il pas de miner l'édifice démocratique ? Est-il possible d'intégrer les droits économiques, sociaux et culturels sans enfler l'État ?

C’est pour s'interroger et débattre de ces sujets-clé que nous conviions, en mai 1989, des sociologues, juristes, anthropologues, philosophes, journalistes et public au colloque Droits-Liberté-Démocratie. C'est pour reprendre la réflexion que nous publions aujourd'hui les Actes de ce colloque. La grande majorité des analyses présentées a pu être réunie ici. Nous proposons un itinéraire de lecture très proche de la structure des ateliers thématiques balisant les débats. On y retrouve une première grande partie explorant certaines des questions théoriques et une seconde section plongeant, elle, au coeur de pratiques spécifiques.

Les Actes du colloque Droits-Liberté-Démocratie s'ouvre sur un texte de Guy Rocher visant à expliciter les raisons du silence de la sociologie contemporaine sur le "juridique comme noyau de la culture", l'analyse du droit ayant pourtant été à l'origine de la sociologie, chez les grands précurseurs et fondateurs : Montesquieu, Marx, Weber, Durkheim, Gurvitch. Le droit, produit social, est déroutant sans doute en raison des ambiguïtés et contradictions qu'il représente quant à la nature du droit, à ses orientations idéologiques divergentes et aux rapports entre le droit, la société et le changement social. Or [11] les sociologues et anthropologues ont trop identifié le droit à ses seules fonctions répressives, à une sociologie du "contrôle social". Pour Guy Rocher les sciences sociales doivent revenir à l'analyse du droit et des droits afin d'y faire éclore des perspectives analytiques précieusement heuristiques notamment sur les droits de la personne, tout à la fois conquête fondamentale et mystification et sur la démocratie qui n'arrive plus à accorder sa quête de liberté pour chacun et d'égalité pour tous.

I. DE QUELQUES QUESTIONS
HISTORIQUES ET THÉORIQUES


Cette incursion particulière souhaitée par Guy Rocher dans les rapports entre société et droit est entreprise dans les Actes sous différents angles.

Un peu d'histoire

En premier lieu, Jean-Guy Belley nous guide dans une intrusion au coeur de l'histoire de la pensée juridique afin de saisir la genèse conceptuelle des droits sociaux, clarifiant les liens entre l'idée de droit social et la conception des rapports entre l'individu, la société et l'État. Cette introduction à l'analyse des querelles doctrinales du début du siècle éclaire la rationalité juridique de l'État-providence et son questionnement actuel.

René Sève contribue à son tour à retracer le mouvement intellectuel qui a abouti au consensus sur ce qu'il nomme les droits de l'homme. Il analyse comment les plus lucides des positivistes ont senti l'urgence de compléter le point de vue de la théorie du droit par celui de la philosophie politique, comment le scepticisme éthique, le libéralisme politique et le positivisme juridique se sont complétés.

Plongeant au coeur de la problématique philosophique et politique de la modernité, Roberto Miguelez explore quant à lui la problématique de la raison en nous initiant au paradoxe fondamental qu'engendre dans ses premières formulations la conception libérale du sujet où la réalisation de l'individualisme passe par la "juridisation" du sujet. En saisissant les diverses conceptions de la raison, de l'individualisme démocratique à la Rousseau, aux conceptions sociologiques du XIXe siècle, au marxisme, Roberto Miguelez aide à comprendre l'actuelle critique conservatrice du rationalisme.

Les théories de la justice sociale

Toujours dans la veine des questions de fond trois auteurs, Paul Dumouchel, Dorval Brunelle et Louise Marcil-Lacoste abordent la cruciale question de la justice sociale. Dans Égalité et justice : les paramètres d'une [12] dissociation, Louise Marcil-Lacoste souligne avec justesse à quel point la thématique contemporaine de l'égalité cherche encore un arsenal de théories cohérentes et fécondes sur l'égalité afin de donner son contenu d'espoir à la requête des inégaux. Pour elle s'installe plutôt une dissociation graduelle entre l'égalité et la justice. Passant en revue quelques-uns des grands débats théoriques sur le sujet portés par Hayek, Rawls Perelman, Louise Marcil-Lacoste s'interroge sur les assises axiologiques et épistémologiques permettant d'envisager un dépassement de la situation actuelle.

Approfondissant un de ces débats en cours, Paul Dumouchel analyse la notion d’ordre spontané chez Hayek en rapport avec la justice sociale. L'auteur critique la notion hayekienne d'ordre spontané conduisant ce dernier à ne pas admettre la notion de justice sociale qu'il nomme sloppy thinking et à la combattre au nom de la liberté.

Dorval Brunelle se penche lui aussi sur les embûches théoriques et pratiques du concept de "justice sociale" en examinant les rapports entre droit, vérité et besoin, trois principes conflictuels autour desquels s'articule le discours de D. Miller (Social Justice, 1976) dont il s'inspire. Analysant ensuite les rapports de trois grandes Commission d'enquêtes canadiennes (Armstrong- 1886, Rowell-Sirois-1937, Macdonald-1982), l'auteur montre les aléas qu'une politique de justice sociale peut rencontrer sur son chemin (chemin tendant actuellement vers un quatrième principe, celui du risque où les contraintes de l'ordre du marché semblent déterminer les nouvelles règles du jeu).

La société civile,
terrain de prédilection de la démocratie


Jacques Donzelot et Yvon Thériault nous amènent ensuite à faire une réflexion sur une autre problématique contemporaine importante en rapport avec la démocratie cette fois-ci, la société civile.

J. Yvon Thériault se propose de démontrer la centralité du difficile rapport entre la question de la reconnaissance du sujet et de l'appartenance à des communautés, entre la permanence de la communauté et l'exigence démocratique. Il scrute le concept de "société civile", sa double origine coïncidant avec le moment historique de la philosophie politique et le moment sociologique ainsi que sur les tentatives récentes de reconceptualisation de la société civile.

Jacques Donzelot dans L'État animateur, réfléchit quand à lui sur la fonction qu'a remplie le concept de "société civile" dans la pensée et la pratique politique en France depuis une trentaine d'années cherchant à répondre à la question : en quoi la société civile constitue-t-elle ou non une chance pour la démocratie ? La contribution essentielle de cet auteur est d’analyser les lignes maîtresses de la nouvelle citoyenneté issue de la pensée de la gauche [13] moderniste - les concepts de "négociation" et "d'implication contractuelle" et d'expliciter de façon critique les conditions d'un nouvel esprit public, d'une nouvelle civilité comme art de vivre ensemble, comme nouvelle forme de lien social, "l'urbanité démocratique", permettant que les individus soient tout à la fois reliés et séparés.

Le dernier texte de ce bloc théorique des Actes est produit par l'anthropologue Yvan Simonis. Il s'agit d'une réflexion sur le paradoxe du rapport entre démocratie et armée. C'est en se référant aux travaux récents d'historiens de la "révolution militaire" (armées de métier entretenues par les États dont les budgets sont alimentés par la fiscalité des citoyens) que l'auteur invite à réfléchir sur les paradoxes d'une citoyenneté issue de la caserne, convaincu "que l'évolution des droits des citoyens est étroitement associée à l'expansion du port d'armes (...)". Paradoxalement, la militarisation de l'État a favorisé le contrôle et la discipline sociale autant que la démocratisation : "Le jeu triangulaire entre société civile, État et force armée de l'État qui s'est progressivement mis en place au cours de l'histoire est le canevas de la démocratie". La stratégie démocratique consisterait, dès lors, à ne pas refuser à l'État sa force armée tout en lui imposant l'idée qu'il ne peut pas gérer militairement la société civile.

II. PRATIQUES ET DÉBATS

Dans la seconde partie des Actes du colloque Droits-Liberté- Démocratie nous allons plonger au coeur de problématiques "vivantes” mettant en cause les débats, conflits, mouvements travaillant les sociétés contemporaines.

En introduction à ces articles, Claude Julien, dans un texte essentiel, La démocratie à l'épreuve de l'économie, souligne à quel point nos démocraties souffrent d'un très grave déficit d'éthique car elles ne savent comment résoudre l'obstacle principal à l'émergence de certains droits, les freins puissants au progrès de la démocratie, soit les "conflits d'intérêts, privilèges à défendre, plus brutalement des richesses à accroître ou à protéger". Pour l'auteur, il s'agirait là du plus virulent cancer rongeant la démocratie. En appelant à inventer une nouvelle éthique des droits, ce dernier récuse l'économisme dominant qui sacrifie des pans entiers de l'ambition démocratique et il affirme non pas le droit d'être libre, de penser librement mais le devoir de s'exprimer, de s'associer pour combattre pour la démocratie.

[14]

Insertion de nouveaux mouvements sociaux
à l'enseigne du droit et des stratégies judiciaires


Afin de saisir certains des enjeux et significations de "l'appel de droits" auquel on assiste aujourd’hui, Robert Vandycke nous entraîne dans une réflexion sur l'institutionnalisation de droits nouveaux et sur le rôle des mouvements sociaux dans la configuration du récent contexte juridico-politique des chartes. Selon l'auteur, les chartes des droits offrent peu de prise à la stratégie de consécration de droits nouveaux par le judiciaire puisque l'offre de garantie constitutionnelle ne s'applique qu'à une certaine catégorie de droits et libertés classiques et puisque l'idéologie de la Cour suprême, organe non représentatif qui crée de plus en plus des normes juridiques, l'a conduite à interpréter de façon conservatrice les chartes. En fait la codification des libertés pourrait être synonyme de rigidification et conduire les demandes sociales dans des voies institutionnelles étroites.

Plongeant au coeur d'un mouvement social extrêmement important, le mouvement des femmes, Diane Lamoureux analyse quant à elle l'œuvre législative de la récente vague féministe, évaluant le recours à la loi comme moyen politique de transformation des rapports sociaux de sexe. Elle s'attache à critiquer dans un premier temps les théories classiques de la citoyenneté afin de démontrer en quoi l'accès des femmes à la citoyenneté déroge au modèle abusivement nommé universel et explique pourquoi la conquête de droits égaux par les femmes a si fort construit le féminisme contemporain. S’inspirant de Françoise Collin, Diane Lamoureux souligne d'autre part que le féminisme ne peut être réduit à un mouvement pour des droits car c'est fondamentalement la notion de la liberté qui l'active, la notion d'autonomie personnelle et collective. Elle souligne donc en conclusion certains problèmes soulevés par le recours à la loi entre autre la cruciale question de la tension entre la revendication de la loi et la construction de l'autonomie des femmes.

Problèmes de droit et de démocratie posés
par les développements techno-scientifiques


Dans un autre ordre de problèmes, les transformations rapides des modalités et des rapports de reproduction sous l'impulsion des biotechnologies de procréation posent de très nombreux problèmes théoriques et pratiques de droit et de démocratie. Dans le même sens, l'informatisation massive de nos sociétés, occasion d'une intensification des contrôles et des encadrements des citoyennes et citoyens, fait ressurgir les enjeux juridiques et politiques de la problématique informatique et libertés. Trois auteurs, Laurence Gavarini, André Vitalis et René Laperrière se questionnent sur la démocratie et les développements techno-scientifiques compte tenue de la place toujours plus grande accordée aux experts, aux sages, aux commissions, conseils et comités dans les choix et orientations des sociétés. Dans La démocratie assistée par [15] des sages, André Vitalis et René Laperrière soulignent que la prise de conscience dans les années 70 des dangers pour les libertés de certains développement techno-scientifiques a amené la création d'institutions de contrôle originales. Elles incarnent une nouveauté par rapport au modèle institutionnel classique de démocratie basé sur le triptyque législatif/exécutif/judiciaire. Ces commissions de sages sont-elles une contribution à la démocratie ? René Laperrière et André Vitalis, en prenant en exemples les expériences canadienne et française dans le champ du contrôle de l’informatisation, soulignent les acquis et insuffisances de ces initiatives. Ils concluent que la démocratie a tout intérêt à reconnaître au pouvoir des sages une plus grande indépendance et légitimité face aux pouvoirs privés et étatiques.

Laurence Gavarini développe de son côté une réflexion critique acérée sur le simulacre de démocratie entourant le processus d'élaboration du projet de loi français : "Les sciences de la vie et les Droits de l'Homme". Elle s'interroge sur les mécanismes complexes qui ont permis que des faits scientifiques et techniques aient force de loi avant même d'être soumis aux débats et aux votes du parlement. Elle fustige "l'expertise" qui relayée par la théâtralisation médiatique et la promiscuité de décideurs politiques, loin d'éclairer sur les enjeux et significations du secteur-phare des biotechnologies appliquées à la procréation humaine (industrialisation et contractualisation), a contribué plutôt à une opération de légitimation des pratiques scientifiques et médicales. Des leçons sont tirées de ce renfermement de l'espace de la démocratie en matière de contrôle de la science et des techniques.

Questions nationales, linguistiques et ethniques :
enjeux de droit et dimensions politiques


Le prochain bloc de communications rédigées autant par des sociologues, anthropologues, écrivains et juristes traite sous divers aspects des rapports paradoxaux entre questions nationales et droits. Deux anthropologues, Pierre Beaucage et Bernard Bernier présentent d'abord leurs réflexions. Pierre Beaucage dans Les Indiens d'Amérique latine : quelle sorte de droits propose d'étudier la question des droits autochtones dans le cadre de la conquête européenne. Vont alors s'affronter des visions, pratiques et règles contrastées. En effet, le sujet de droit dans les sociétés autochtones n'est pas l'individu bourgeois, libre et séparé mais bien la communauté. C'est cette dynamique que l'auteur analyse à partir de la mise au travail et de la propriété de la terre. Refusant la place marginale que le pouvoir dominant leur réserve, les Indiens s’organisent depuis une vingtaine d'années pour revendiquer la réaffirmation des droits ancestraux (à la terre, à la langue, à une religion, à une médecine) et l'affirmation du droit à la modernité (alphabétisation, crédits bancaires et développements techniques à partir de leur propre souveraineté).

[16]

Autre culture nationale que celle du Japon, que Bernard Bernier analyse en nous montrant comment le pouvoir dominant réussit à restreindre les droits individuels au moyen d'une conception limitative de la citoyenneté japonaise : comment il use "de la culture nationale à des fins d’exclusion ou à des fins de restrictions de droits démocratiques". L’auteur montre comment le pouvoir a résisté aux idéologies "étrangères” (marxisme, socialisme ou libéralisme) et créé une dynamique nationaliste restrictive et sous certains égards extrémiste.

Au Québec

Jean Dorion dans Droits des peuples et droits individuels : le cas du Québec rappelle que la paix linguistique au Québec passe par la sécurisation de la majorité francophone menacée selon lui d'abord et avant tout, par le "bilinguisme de nos propres institutions" qu'aggrave ensuite la prédominance de l'anglais sur le continent nord-américain. C'est en redressant cette situation qualifiée d'"anormale" que les Québécois pourront vivre dans leur langue, chez eux. C'est ce qu'a fait la loi 101 et que menacent, à son avis, les entreprises du gouvernement fédéral et des groupes qui entendent faire passer la "Charte des droits et libertés" avant le concept de "société distincte", les droits des individus avant les droits de la collectivité.

William Tetley va plutôt privilégier l'approche juridique du problème de la coexistence des différents groupes culturels dans la fédération canadienne. Après avoir analysé les lois canadiennes et québécoises en matière de politique linguistique et montré que ces lois auraient progressivement renforcé la protection des langues au Canada, l'auteur conclut que la solution des frictions entre les groupes linguistiques repose, avant tout, sur la reconnaissance mutuelle, la générosité des uns et des autres et un certain pragmatisme.

Abordant le sujet de l'intégration des travailleurs et travailleuses allophones à la société québécoise, l'écrivain Marco Micone examine les mécanismes et l'idéologie à la base de l'intégration. De la "convergence culturelle" du Parti québécois au "multiculturalisme" de l'époque Trudeau, l'auteur montre comment le Québec à dû renoncer à son image d'homogénéité et d’immuabilité pour réaliser qu'il est devenu une société progressivement pluriculturelle ; c'est ce que manifesterait le développement du "concept d'interculturalisme, fondé sur l'échange entre les cultures et la transformation de chacune d'entre elles." A partir de la place réservée à l'immigrant sur le marché du travail, l'auteur énonce les écueils à éviter afin de résister à la tentation assimilatrice et favoriser l'interaction culturelle.

En terminant ce bloc de communications, Clotilde Pelletier, à titre d'intervenante culturelle auprès des policiers (sessions de sensibilisation aux réalités interculturelles), fait part de ses réflexions sur la problématique du respect des droits de la personne dans le quotidien des policiers et sur le [17] paradoxe de l'application de la loi et du maintien de l'ordre. L'expérience quotidienne des policiers en matière de rapports interculturels ou plus globalement dans le contexte de la pratique du respect des droits des individus lui fait conclure que pour se rapprocher de la société civile, les policiers "ont à développer un nouveau professionnalisme, à acquérir de nouvelles compétences culturelles." Or, cette évolution de la culture policière présuppose "d'abord la reconnaissance du métier, de l'expérience et des compétences des policiers et ensuite la définition d'un code d’éthique fondé essentiellement sur cette notion de compétence plutôt que sur la notion de contrôle."

Culture et citoyenneté/
transesthétisme et transpolitique


Les Actes du colloque Droits-Liberté-Démocratie abordent en terminant la question spécifiquement de la culture dans deux articles. Le premier article de l'anthropologue David Howes nous propose de cerner les liens entre culture et constitution dans son texte Pour une interprétation esthétique des constitutions canadienne et américaine. Les constitutions américaine et canadienne recèleraient les mêmes "représentations collectives" (au sens de Durkheim) que l'on trouvera ultérieurement dans les œuvres des peintres Rockwell et Colville. En analysant certaines caractéristiques (traitement de l'espace, ombre et lumière, mise en scène, rapport entre les personnages) de plusieurs tableaux, David Howes montre que se retrouve, dans chacune, cet esprit propre à chaque groupe social correspondant.

Jean Baudrillard poursuit quant à lui dans un texte Transpolitique, Transsexuel et Transesthétique sa réflexion sur la modernité et la période contemporaine. Selon l'auteur les révolutions sexuelle, politique et artistique ont bien eu lieu mais non telles qu'imaginées. Elles n'auraient pas mené à une transmutation de toutes les valeurs - "mais à une dispersion et involution de la valeur dont une des conséquences serait l'impossibilité de ressaisir le principe d'une détermination esthétique, politique ou sexuelle des choses." Pour Jean Baudrillard, le schéma même du fractal, de la fragmentation, de l'incertitude serait le schéma actuel de notre culture.

Jocelyne Lamoureux Sociologie
Université du Québec à Montréal

[18]


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 15 janvier 2021 14:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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