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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean-Loup Amselle, Les négociants de la savane. (1977)
Table des matières


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-Loup Amselle, Les négociants de la savane. Ouvrage publié avec le concours du Centre national de recherche scientifique. Paris: Les Éditions Anthropos, 1977, 292 pp. Collection: “Terrains et théories”, sous la direction de Claude Meillassoux. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 20 juillet 2021 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[11]

Les négociants de la Savane.
Histoire et organisation sociale des Kooroko (Mali).

Introduction

Ce travail est le résultat d’une histoire personnelle et collective longue de huit années, dont il convient de retracer à grands traits les principales étapes. Trop souvent en effet les ouvrages ethnologiques et sociologiques apparaissent comme de purs monuments scientifiques sans que soit jamais dévoilée l’implication personnelle de l’auteur dans la réalité sociale qu’il étudie, ni situé l’enracinement idéologique, social, institutionnel et matériel du chercheur au sein du milieu dans lequel il baigne. Il est évident que ce genre d’exercice comporte des limites. À vouloir aller trop loin dans la « confession », on risque de lasser le lecteur en tombant dans les banalités qui sont le lot commun de tous les ethnologues et d’être suspecté de dissimuler certains aspects peu reluisants du travail d’enquête puisque par définition le chercheur est seul maître de ses révélations.

Ceci étant, il ne nous semble pas inutile de rappeler les conditions générales dans lesquelles s’est déroulée cette recherche, ne serait-ce que pour situer ce texte dans son contexte socio-historique général et éclairer ainsi le jugement qui peut être porté sur lui.

Historique de la recherche

Lorsque je fis la connaissance de Claude Meillassoux. en 1964, il me proposa de travailler avec lui un projet de recherche sur les « Systèmes économiques africains » (Meillassoux 1964). J’avais à l’époque le choix entre [12] l’étude de plusieurs systèmes : l’esclavage, l’économie prédatrice, le monopole souverain et le système marchand. J’optais pour ce dernier système parce qu’il existait sur le sujet une documentation abondante bien que disparate et que je disposais de plusieurs mois pour la dépouiller.

Mon principal souci à l’époque était d’arriver sur le terrain muni d’un cadre conceptuel précis et doté d’un maximum d’informations sur le domaine que je voulais étudier. Je n’ai jamais cru en effet à la « virginité » scientifique qu’est censé posséder tout ethnologue débutant s’apprêtant à effectuer son travail d’enquête. Par conséquent lorsque j’ai quitté la France en 1967, j’avais l’intention d’analyser un type de problèmes bien précis : celui du commerce dominé, c’est-à-dire du commerce effectué par les Africains et portant sur des marchandises qui dès avant la colonisation faisaient l’objets d’intenses échanges. J’arrivais au Mali en octobre 1967 dans une conjoncture politique tendue. Modibo Keita, à la suite du coup d’État militaire qui s’était produit au Ghana en 1966 et craignant que le régime « socialiste » malien ne subisse le même sort, avait procédé à l’élimination du Bureau Politique de l’USRDA jugé trop mou à ses yeux. Il avait également décidé de s’appuyer sur l’aile gauche du Parti et de créer un « Comité National de Défense de la Révolution » composé de fidèles. Cette situation, on s’en doute, n’était pas éminemment favorable à la mise en route d’une enquête sur les commerçants maliens, ces derniers n’ayant jamais porté dans leur coeur le régime « socialiste » même si, comme nous le verrons, certains d’entre eux en tiraient le plus grand profit. Je décidai néanmoins de commencer à interviewer certains commerçants de Bamako. Volontairement, afin de ne pas éveiller leur méfiance, j’avais choisi d’axer mes questions sur les périodes pré-coloniale et coloniale, c’est-à-dire de les interroger sur leurs activités passées ou celles de leurs ancêtres et de remettre à plus tard les questions portant sur la situation actuelle de leurs « entreprises ».

[13]

Parallèlement à ces entretiens avec les commerçants, je procédai à des interviews de fonctionnaires du Ministère du Commerce et de diverses administrations sur les problèmes du commerce. Dans l’ensemble ces interviews se révélaient assez peu rentables soit parce que les fonctionnaires connaissaient mal la situation, soit parce que touchant des « pots de vin » des commerçants, ils répondaient avec réticence.

Au vu du peu de résultats obtenus, je décidai d’élargir le champ de mon enquête et de me rendre dans les principales villes du pays (Segu, Mopti, Sikaso et Gao) afin d’y enquêter sur la situation des commerçants. Pas plus que les marchands de Bamako, leurs confrères de province ne se montraient disposés à répondre à mes questions. De plus, à mesure que le champ de l’enquête s’élargissait, les matériaux recueillis devenaient de plus en plus disparates, ce qui étant donné la faible profondeur atteinte dans chaque cas, laissait présager de graves difficultés au moment de la synthèse. En désespoir de cause, je décidai de faire ce que j’avais voulu éviter à tout prix, c’est-à-dire de choisir une problématique ethnique ou monographique quitte à revenir plus tard à ce qui m’intéressait le plus, c’est-à-dire l’étude des commerçants maliens en tant que « classe sociale ».

Je choisis donc d’étudier de façon intensive le groupe des commerçants Kooroko dont l’existence était attestée dans la littérature et que j’avais pu repérer au cours de mon enquête sur le terrain. De plus le fait que les Kooroko aient une région d’origine (le Wasulu) de superficie relativement restreinte et qu’une large fraction de cette communauté se livrât au commerce de la cola au Mali et notamment à Bamako où je résidais, me paraissait fournir des conditions favorables à leur étude. Dans un premier temps, je concentrais donc mes efforts sur l’étude des Kooroko résidant à Bamako mais rapidement je me suis trouvé dans la même situation que celle que j’avais connue lorsque j’avais tenté d’enquêter sur L’ensemble des [14] commerçants maliens. J’avais le plus grand mal à obtenir des informations sur l’organisation du commerce de la cola, sur l’identité des gros commerçants, leur fortune, la composition de celle-ci, les liens de parenté, les alliances matrimoniales, etc. Je décidai donc de changer de lieu d’enquête et de me rendre au Wasulu, leur région d’origine, ainsi que dans plusieurs villes et bourgs du Mali Où résident actuellement des membres de cette communauté.

Avant de partir pour le Wasulu, j’avais pris soin de me munir de lettres de recommandation fournies par un informateur Kooroko de Bamako et destinées à des habitants de cette région tant Kooroko eux-mêmes que membres d’autres catégories sociales.

Ce séjour au Wasulu et dans diverses localités où des Kooroko sont installés actuellement me permit d’obtenir une masse d’information importante sur la communauté Kooroko de Bamako.

Tirant la leçon de ce premier voyage, je choisis donc de poursuivre ce continuel déplacement entre les diverses localités du Mali où résident les membres de la communauté que j’avais choisie d’étudier.

L’utilisation de cette méthode produisit un effet cumulatif et enrichit considérablement notre connaissance de la communauté Kooroko aux différentes périodes de son histoire. Les entretiens que j’avais avec des Kooroko du Wasulu me renseignaient sur ceux fixés actuellement à Bamako ou ailleurs et réciproquement. Parallèlement, les interviews effectués auprès des voisins et confrères tant actuels (autres commerçants Bamakois, etc.) que passés des Kooroko (vieux, descendants) contribuèrent à me donner d’eux une connaissance plus objective. Cependant ce qui fit changer radicalement le rythme de mon enquête, ce fut le coup d’État militaire de novembre 1968. Jusque là, j’avais certes réussi à gagner progressivement la confiance des commerçants Kooroko et à approfondir ma compréhension de la communauté. Mais la chute du régime « socialiste » de Modibo Keita et la [15] mise en place d’un régime « libéral » modifia complètement le climat de mes relations avec les commerçants Kooroko qui devinrent tout à coup beaucoup plus ouverts et détendus. Aussi est-ce pendant la dernière phase de notre séjour de novembre à juillet 1969 que mon travail fut le plus productif.

Lorsque je revins au Mali en 1970, je fus à même de recueillir les derniers éléments du puzzle et d’achever mon enquête en l’étendant à l’ensemble des commerçants de cola de Bamako.

Les commerçants pendant notre absence d’une année avaient été à même de se rendre compte que nous n’avions été pour eux la source d’aucun ennui et que, par conséquent, ils pouvaient se livrer à nous sans réticence.

Techniques d’enquête

Tout au long de l’enquête, nous avons été amenés à utiliser un certain nombre de techniques qui se sont relevées à l’usage, plus ou moins productives. Tout d’abord, j’ai recouru abondamment aux entretiens semi-directifs et non-directifs effectués à l’aide d’interprètes dont j’ai été à même de contrôler progressivement la traduction dans les deux sens (français-banmana et banmana-français) à mesure que ma connaissance de la langue qui est restée malgré tout restreinte s’approfondissait. J’ai également eu la possibilité d’avoir de nombreuses conversations à bâtons rompus en français avec des informateurs et amis Kooroko, étudiants et fonctionnaires. Enfin, dans certains cas, il m’a été possible de confier des questionnaires à des enquêteurs. À ce sujet, il convient d’apporter une précision. La démarche générale qui a présidé à mon enquête est essentiellement de type qualitatif .

Je pense qu’étant donné le type de milieu social que j’ai choisi et l’angle actuel sous lequel j’ai voulu principalement l’étudier, la méthode qualitative me semble mieux [16] adaptée qu’une enquête par questionnaire que se voudrait exhaustive. En effet, comme les commerçants du monde entier, les Kooroko n’aiment pas qu’on mette le nez dans leurs affaires. Ce n’est donc, comme je l’ai déjà dit, qu’à la suite de patients travaux d’approche que l’on réussit à gagner leur confiance et à connaître les règles de fonctionnement de leurs « entreprises » ou de celles de leurs confrères. Le sociologue qui aurait la malencontreuse idée de vouloir effectuer une telle enquête à l’aide d’un questionnaire aurait toutes les chances d’essuyer un refus catégorique de la part des intéressés ou de recueillir des renseignements totalement erronés.

Cette préférence donnée à l’enquête qualitative m’a conduit à user abondamment de la méthode biographique qui me paraissait être particulièrement utile pour l’étude du groupe Kooroko. En effet, la cible principale de mon enquête étant la description du fonctionnement actuel de la communauté Kooroko, il m’a semblé indispensable pour mener à bien ce travail de replacer cette communauté dans une perspective historique. C’est dire que pour moi, il est tout-à-fait arbitraire de séparer l’analyse synchronique ou en termes de système, de l’analyse diachronique en termes d’évolution. Privilégier l’analyse synchronique, c’est oublier que le système continue de se transformer au moment même où il fait l’objet d’une observation. De sorte que si la méthode biographique m’a permis, en remontant le temps selon les lignes d’ascendance, de dégager les éléments propres à reconstituer le fonctionnement de la communauté Kooroko pendant les époques pré-coloniale et coloniale, plus que n’auraient pu le faire des questions directes portant sur ces périodes, elle m’a également donné accès à l’évolution du groupe pendant ces dernières années et m’a donné le moyen de reconstituer la carrière de quelques-unes des grandes figures du commerce de la cola à Bamako.

[17]

Problématique et résultats

À travers l’historique de notre enquête et l’inventaire des techniques utilisées, j’ai laissé percevoir quelques uns des linéaments de ma problématique. Celle-ci était étroitement dépendante à l’époque où je partis sur le terrain de la documentation dont je disposais, c’est-à-dire essentiellement de la littérature d’exploration et de conquête - notamment Binger (1892) ainsi que des travaux de Polly Hill (1966) sur les systèmes de courtage ouest-africains, de ceux d’Abner Cohen (1965 et 1966) sur le commerce de la cola et du bétail au Nigéria et de l’article de Meillassoux (1965) sur Bamako. Il faut préciser qu’à la différence de nos collègues travaillant sur les communautés rurales, je ne disposais à cette époque d’aucun ouvrage systématique sur le sujet comme par exemple celui d’A. Cohen sur les Hausa d’Ibadan (1969), ou bien l’introduction de C. Meillassoux à l’ouvrage collectif sur le commerce et les marchés en Afrique de l’Ouest (1971) auquel nous devions d’ailleurs participer, indications éparses mais néanmoins extrêmement précieuses de Marx relatives aux types de capital qui précédèrent la production capitaliste-capital marchand et capital usuraire et qui sont catégorisées dans son œuvre sous la dénomination de « formes antédiluviennes du capital ». Lorsque je partis sur le terrain, mon intention était donc d’étudier le fonctionnement de ces communautés marchandes dispersées ou structurées en réseau, dont l’existence était attestée par la littérature mais à propos desquelles il n’existait pas d’étude systématique. L’un des aspects principaux que je voulais élucider, concernait l’organisation sociale de ces communautés très souvent dénommées Jula, en Afrique de l’Ouest. Il m’apparaissait essentiel de repérer les institutions utilisées par ces communautés pour effectuer le commerce à longue distance c’est-à-dire l’échange de marchandises provenant de zones géographiques différentes.

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Un autre point me paraissait également digne d’être mis en lumière : celui du type de groupe social formé par ces différentes communautés. En d’autres termes, ces communautés constituaient-elles une classe sociale marchande ? Si oui, comment cette classe s’était-elle reproduite depuis la période précoloniale et en particulier comment avait-elle réalisé son accumulation aux différentes périodes de son histoire ? Tels étaient les cadres généraux à l’intérieur desquels se déployait ma problématique. Bien entendu, celle-ci n’est pas restée statique tout au long des différentes périodes de réalisation de ce travail. C’est pourquoi, il est bien difficile de dissocier celle-ci des résultats qui sont présentés dans le texte qui suit. Bien souvent en effet des intuitions ou des hypothèses que j’ai émises à un moment donné, n’ont trouvé leur pleine confirmation qu’au moment de l’obtention des premiers résultats de l’enquête proprement dite, ce que rétrospectivement peut donner une impression de précocité dans la façon d’appréhender certains problèmes.

L’existence de ce continuel va-et-vient entre la problématique et les résultats de ce travail m’amène à présenter maintenant ce qui me paraît être le principal acquis de cette recherche,

Ces résultats sont à replacer à l’intérieur des différentes périodes à travers lesquelles nous avons envisagé l’évolution de la communauté Kooroko, puisque aussi bien ma perspective comme je l’ai déjà indiqué est essentiellement historique. Pour ce qui me concerne la période précoloniale et plus précisément la période pré-samorienne, j’ai essayé de montrer que dans une région comme le Wasulu qui se trouvait à l’écart des grandes routes commerciales de l’époque, le commerce jouait néanmoins un rôle non négligeable quoique secondaire dans la reproduction de la société.

De ces caractéristiques découlent selon moi deux autres phénomènes : d’une part, l’assignation de la fonction commerciale à une catégorie sociale spécialisée en [19] l’occurrence les Kooroko, d’autre part la position subordonnée de cette communauté au sein de la hiérarchie sociale de cette région.

Mon étude tend également à montrer qu’il existait avant la colonisation un grand nombre de monnaies incluant non seulement celles dont l’usage est bien connu (ex : les cauris) mais comprenant également des marchandises proprement dites comme les barres de sel.

Cet élargissement de la notion de monnaie non- capitaliste tient au fait que je considère la (les) monnaie (s) non comme un objet matériel, mais comme une somme de fonctions et que j’estime que l’existence de la monnaie — dans ce sens — n’est pas contradictoire avec la pratique du troc. L’existence de ces fonctions monétaires dissimulées sous l’enveloppe matérielle de certaines marchandises permet de rendre compte de la rationalité économique du commerce précolonial qui reposait entièrement sur la notion de profit.

J’ai essayé à cet égard de dégager les principales sources du profit commercial précolonial. Celui-ci semble-t-il essentiellement trois origines : 1 ) un processus productif qui consistait à ajouter, par le transport, de la valeur aux marchandises transférées d’une région à l’autre puisque à cette époque, le marchand était en même temps le transporteur de ses propres marchandises ; 2) un processus spéculatif qui se traduisait par la recherche d’une situation de monopole circonscrite dans le temps et localisée dans l’espace et qui dépendait largement de l’information reçue sur les cours ; 3) un processus prédateur qui était fondé sur l’« échange inégal », c’est-à-dire, l’achat de marchandises au-dessous de leur valeur et leur revente à un taux supérieur notamment par le biais du truquage des poids et des mesures.

Ces caractéristiques rendent compte de la faiblesse des profits retirés du commerce essentiellement intrarégional que les Kooroko effectuaient avant Samori. Elles expliquent d’autre part leur enrichissement subit à l’occasion [20] des guerres de la fin du 19ème siècle (Samori, Tieba et Ba Bemba) qui furent à l’origine d’un afflux considérable d’esclaves et qui leur permirent de sortir pour la première fois de leur région d’origine. Les débuts de la période coloniale marquent une rupture pour la communauté Kooroko qui voit s’appauvrir sa région d’origine et qui est contrainte, pour continuer à vivre de son activité commerciale traditionnelle d’émigrer dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Par contre, la période qui suit, celle qui s’étend de 1939 à 1960, offre des possibilités très favorables à l’exercice du commerce. Elle permet à certains membres du groupe Kooroko de s’établir à l’extérieur de leur région d’origine, et d’accumuler des fortunes relativement importantes dans le commerce de la cola.

Cette accumulation est due selon moi à toute une série de facteurs dont il convient de mentionner les plus importants : développement des cultures commerciales et notamment celle de l’arachide au Sénégal et au Mali (Soudan à l’époque), introduction de moyens de transport et de communications modernes : chemin de fer, camions, utilisation de lettres, voire du téléphone.

J’ai essayé de mettre en relation ces nouvelles conditions d’exercice du commerce avec l’installation d’un réseau de correspondants disposés tout au long du circuit de distribution. Ce type d’organisation commerciale que je propose d’appeler réseau marchand assume une multiplicité de fonctions liées aux caractéristiques particulières dans lesquelles s’effectuent les opérations commerciales concédées aux Africains et portant essentiellement sur des marchandises autochtones.

Ces fonctions concernent essentiellement l’hébergement des marchands itinérants, le stockage des marchandises, le courtage, la transmission de l’information sur les cours, le contrôle des jeunes qui convoient les marchandises et effectuent les transactions et enfin, les opérations bancaires effectuées par les commerçants.

[21]

L’analyse sociologique de ces réseaux révèle que ceux-ci sont surtout composés de parents et d’alliés mais aussi de membres recrutés sur la base d’une relation de voisinage, d’une origine géographique commune ou d’une même appartenance religieuse.

L’analyse de l’histoire récente du commerce de la cola à Bamako à laquelle je me livre ensuite, permet d’éclairer sous un jour différent le fonctionnement et l’évolution de la communauté Kooroko. La situation présente nous paraît être caractérisée par un net déclin de ce type de commerce. Il faut sans doute attribuer cette régression à des raisons conjoncturelles qui concernent l’histoire du Mali depuis l’indépendance auxquelles viennent s’ajouter des causes structurelles qui tiennent au fait que la distribution de la cola est effectuée exclusivement dans le cadre d’un capitalisme autochtone dominé, lui- même lié à des sociétés dépendantes au sein desquelles cette marchandises est produite et consommée. Ces conditions économiques précaires laissent présager une prochaine disparition de la communauté Kooroko dans la mesure où ses membres sont de plus en plus nombreux à abandonner le commerce de la cola pour d’autres types de commerce, voire pour la fonction publique, et que dans ce cas là ils cessent de s’intermarier, menaçant ainsi la reproduction de leur groupe.

J’élargis ensuite le cadre de mon analyse par la prise en considération de l’idéologie des marchands Kooroko. Celle-ci, qu’elle soit d’ordre politique ou religieuse est en effet commune à l’ensemble des commerçants bamakois et même maliens que nous pouvons ainsi appréhender comme classe sociale. J’insiste à cet égard sur le fait que l’idéologie et notamment l’idéologie religieuse est l’objet de stratégies et de manipulations de la part des commerçants bamakois et maliens qui ont pu ainsi se poser et s’opposer à la classe bureaucratique. Les luttes de classes qui se sont déroulées ces dernières années sur les plans [22] religieux et politiques se sont d’ailleurs soldées par la défaite des marchands maliens en tant que classe, même si individuellement quelques commerçants ont réussi à accumuler du capital en s’alliant à la bourgeoisie d’État.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 30 mai 2022 10:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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