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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de André Bernard, “Les revendications traditionnelles du Québec.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Alain G. Gagnon et Daniel Turp, Révérendum, 26 octobre 1992. Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales, pp. 11-18. Montréal: Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1992, 225 pp. [Autorisation de M. Alain G.Gagnon accordée le 20 décembre 2018.]

[11]

Référendum, 26 octobre 1992.
Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales.
Première partie : Les demandes traditionnelles du Québec

Les revendications traditionnelles
du Québec.


André Bernard

André Bernard est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il a publié plusieurs livres sur la politique canadienne et québécoise, dont Politique et gestion des finances publiques : Québec et Canada (1992).


La résolution adoptée par le congrès extraordinaire du Parti libéral du Québec tenu le samedi 29 août 1992, affirme que « le projet d’entente constitutionnelle provisoire négocié entre le Premier Ministre du Québec et ses partenaires canadiens, bien qu’en deçà du programme du Parti, représente un progrès réel, progrès qui va dans le sens des revendications traditionnelles du Québec... ».

Ces revendications traditionnelles du Québec ont été résumées, il y a quelques années, dans un document officiel publié par le gouvernement du Québec et intitulé Les positions traditionnelles du Québec sur le partage des pouvoirs (1900-1976). Ce document, mis à jour en 1991 (titre un peu différent, période allant de 1936 à 1990), s’appuie surtout sur les déclarations des premiers ministres du Québec à l’occasion des conférences fédérales-provinciales. Il montre que ces porte-parole du gouvernement du Québec ont réclamé, sans relâche, l’abandon, par les autorités fédérales, des politiques et programmes qui pouvaient être assumés légalement par les provinces en vertu des articles 92, 93, 94, 95 et 109 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 (appelé, depuis 1982, Loi constitutionnelle de 1867).

Puisque les premiers ministres du Québec ont systématiquement réclamé le « retrait » du gouvernement fédéral des domaines relevant de l’autorité des provinces, on ne peut pas dire que le projet d’entente constitutionnelle du 28 août 1992 va vraiment dans le sens des revendications traditionnelles du Québec. C’est, du moins, ce que laisse comprendre la comparaison entre cette entente et le texte des revendications les plus anciennes (antérieures à 1976), compilées dans le document intitulé Les positions traditionnelles du Québec sur le partage des pouvoirs.

[12]

Positions traditionnelles
quant au partage des pouvoirs


Après avoir cité le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau qui soulignait, à la Conférence fédérale-provinciale de 1927, que « les provinces ont continuellement à combattre pour sauvegarder les droits qui leur appartiennent », ce document (version de 1976) rappelle la position du premier ministre Maurice Duplessis lors de la Conférence constitutionnelle fédérale-provinciale de septembre 1950. À cette occasion, le chef du gouvernement du Québec avait réclamé que soient précisés les pouvoirs des autorités provinciales de manière à mettre un terme aux interprétations concurrentes des articles de la Constitution consacrés au partage des compétences législatives. Il avait en outre demandé l’exclusivité législative des provinces dans quelques domaines sur lesquels la Constitution accordait au parlement fédéral une compétence « prépondérante » (cas de l’agriculture) ou une compétence « parallèle » (pêcheries et mariage, par exemple).

Cette prise de position du premier ministre Maurice Duplessis a été réitérée par la suite et elle a été suivie, après 1960, des revendications similaires du premier ministre Jean Lesage, puis, après 1966, de celles du premier ministre Daniel Johnson.

Ce dernier, lors de la conférence sur la « Confédération de demain », tenue à Toronto en novembre 1967, a affirmé ceci (ainsi que le rapporte le document déjà cité, qui s’appuie sur le compte rendu de la conférence) :

Plus précisément, que veut le Québec ? Comme point d’appui d’une nation, il veut être maître de ses décisions en ce qui a trait à la croissance humaine de ses citoyens (c’est-à-dire à l’éducation, à la sécurité sociale et à la santé sous toutes leurs formes), à leur affirmation économique (c'est-à-dire au pouvoir de mettre sur pied les instruments économiques et financiers qu’ils croient nécessaires), à leur épanouissement culturel (c’est-à-dire non seulement aux arts et aux lettres, mais aussi à la langue française) et au rayonnement de la communauté québécoise (c’est-à-dire aux relations avec certains pays et organismes internationaux).

Les revendications, formulées par le premier ministre Daniel Johnson, furent précisées à l’occasion de la Conférence fédérale-provinciale de février 1968, notamment dans un document intitulé Le Gouvernement du Québec et la Constitution (texte abondamment cité dans Les positions traditionnelles du Québec en matière constitutionnelle, 1936-1990). Elles furent également reprises, dans l’ensemble, par le premier ministre [13] Jean-Jacques Bertrand, à l’occasion des conférences constitutionnelles de novembre 1968, de février 1969 et de février 1970.

Entre 1970 et 1976, enfin, le premier ministre Robert Bourassa a dû formuler à nouveau les exigences de ses prédécesseurs. Ainsi, simple exemple, lors de la Conférence des premiers ministres de novembre 1971, rappelant le paragraphe 8 de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui attribue aux provinces la compétence exclusive sur les institutions municipales, il a déclaré ceci :

Qu’il s’agisse d'habitation, de loisirs, d’équipement, de services publics locaux, d’urbanisme ou d’aménagement du territoire, c’est à nous [les autorités provinciales] qu'incombe la responsabilité constitutionnelle d’intervenir. Le rôle du gouvernement fédéral doit être limité à des activités de financement. Il nous appartient dès lors d’assurer la coordination nécessaire de l'activité des organismes publics ayant une juridiction sur le territoire (déclaration citée dans le document Les positions traditionnelles du Québec sur le partage des pouvoirs).

Peu auparavant, en mai 1971, le gouvernement du premier ministre Robert Bourassa avait adopté un document intitulé Pour une politique québécoise des communications dans lequel était déclaré que c’est au Québec « qu’il incombe en premier lieu d’élaborer une politique globale des communications indissociable du développement de son système d’éducation, de sa culture et de tout ce qui est propre au Québec » (texte cité dans Les positions traditionnelles du Québec sur le partage des pouvoirs). Cette réclamation du Québec n’a pas été abandonnée par la suite.

Il en va de même de la revendication d’exclusivité législative en matière de culture. Déjà connue bien avant, cette revendication a, en particulier, pris une importance considérable au cours du deuxième mandat du premier ministre Robert Bourassa, notamment au cours des négociations constitutionnelles interprovinciales de 1975-1976 (le document québécois proposait l’exclusivité législative provinciale sur les arts, les lettres et le patrimoine culturel, ainsi que le rapportent le document Les positions traditionnelles du Québec sur le partage des pouvoirs et le document Les positions traditionnelles du Québec en matière constitutionnelle).

Entre 1970 et 1976, des membres du gouvernement du premier ministre Robert Bourassa, lors des conférences fédérales-provinciales, ont réclamé également d’autres compétences exclusives : une compétence exclusive en matière de politique sociale, comprenant la formation [14] professionnelle, la sécurité du revenu, la main-d’œuvre, les centres de main-d’œuvre, les services sociaux y compris ceux qui sont reliés à l’administration de la justice, les services de santé, y compris les mesures de financement telles l’assurance-hospitalisation et l’assurance-maladie, l’habitation et les loisirs (exigences de Claude Castonguay, ministre des Affaires sociales, par exemple, lors de la Conférence fédérale-provinciale des ministres du Bien-être social, en janvier 1971) et une compétence du même ordre dans le domaine des politiques destinées à protéger l’environnement (exigence formulée, par exemple, lors de la Conférence constitutionnelle de février 1971).

Par ailleurs, les autorités provinciales du Québec, depuis plus de 50 ans, ont réclamé sans cesse que le gouvernement fédéral renonce à son pouvoir de dépenser dans les domaines relevant de la compétence législative provinciale.

Elles ont en outre cherché à endiguer l'extension des interventions de la Cour suprême du Canada, rappelant, à juste titre, que le paragraphe 14 de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 attribue à chaque province une compétence exclusive sur « l’administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l’organisation de tribunaux provinciaux, de juridiction tant civile que criminelle, y compris la procédure en matière civile dans ces tribunaux ».

En définitive, bien avant 1976 (année de la victoire électorale du Parti québécois), les porte-parole du Québec, y compris Robert Bourassa et ses ministres, avaient réclamé, pour le Québec ou pour l’ensemble des provinces, des compétences exclusives dans une quantité de domaines, domaines qui, en vertu d’une lecture rapide de la Loi constitutionnelle de 1867, n’auraient pas dû être « envahis » par le gouvernement fédéral ou qui, en vertu de la logique, auraient dû relever en exclusivité des provinces (exemple : mariage, divorce, pêcheries intérieures, etc.).

L’entente du 28 août 1992
quant au partage des pouvoirs


De ces nombreux domaines, l’entente n’en mentionne que quelques-uns. Cette entente du 28 août 1992 traite du partage des pouvoirs dans les domaines suivants : immigration, assurance-chômage, soutien du revenu, programmes de création d’emplois, formation et perfectionnement de la main-d’œuvre, culture, forêts, mines, tourisme, logement, loisirs, affaires municipales et urbaines, développement régional, télécommunications.

Sauf les télécommunications (en vertu d’arrêts des tribunaux) et l’assurance-chômage (en vertu de la modification constitutionnelle de 1940), [15] tous ces domaines pourraient être considérés de compétence provinciale exclusive, si les articles de la Loi constitutionnelle de 1867 étaient interprétés de façon favorable, ou du moins (cas de l'immigration) de compétence « partagée ». Ainsi, le paragraphe 8 de l’article 92 proclame la compétence exclusive des provinces sur « les institutions municipales dans la province » ; le paragraphe 7 dicte que les provinces ont une compétence exclusive sur « l’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité... » et le paragraphe 16 étend cette compétence à « toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province » (ce qui couvre des quantités de questions, notamment les questions culturelles et les loisirs, si l’on en juge selon l’interprétation québécoise traditionnelle). De même, l’article 93 précise : « Dans chaque province et pour chaque province, la législature (de la province) pourra, en exclusivité, légiférer sur l’éducation... » L’article 95 dit ceci : « La législature de chaque province pourra faire des lois relatives à l’agriculture et à l’immigration dans cette province... (mais) une loi de la législature d’une province sur l’agriculture ou l'immigration n’y aura d’effet qu'aussi longtemps qu’elle ne sera pas incompatible avec l’une quelconque des lois du Parlement du Canada ». L’article 109 accorde aux provinces la compétence sur les terres et les mines, alors que le paragraphe 5 de l’article 92 leur accorde la compétence exclusive sur « l’administration et la vente des terres publiques appartenant à la province, et des bois et forêts qui s’y trouvent ».

Il n’y a pas dévolution de pouvoirs législatifs aux provinces dans l’entente du 28 août 1992 : il y a, au contraire, consécration des « empiétements » effectués par les autorités fédérales.

Parmi les domaines touchés par l’entente du 28 août 1992, il en est d’ailleurs quelques-uns sur lesquels la compétence fédérale exclusive est affirmée : assurance-chômage, soutien du revenu, programmes de création d’emplois, télécommunications (dans ce dernier cas, des ententes « pourraient » être envisagées). Ce n’est pas du tout ce que les autorités québécoises ont réclamé à maintes reprises.

Dans d’autres domaines, l’entente laisse espérer un retrait partiel du gouvernement fédéral : formation et perfectionnement de la main-d’œuvre, développement régional. Mais, dans la mesure où l’entente ne laisse qu’un espoir de retrait, les exigences traditionnelles du Québec ne sont pas satisfaites.

Quelques domaines (qui sont déjà de compétence provinciale exclusive, selon l’interprétation courante) seraient déclarés de compétence provinciale exclusive, mais le gouvernement fédéral conserverait le pouvoir [16] de faire des « dépenses » ou de définir des « objectifs nationaux » dans ces domaines : culture, forêts, mines, tourisme, logement, loisirs, affaires municipales et urbaines. Ce n’est pas là ce que les autorités québécoises ont exigé depuis des décennies.

Quant à l’immigration, elle ferait l’objet d’ententes négociées. Ce n’est pas là ce que les porte-parole du Québec ont réclamé sans relâche depuis plus de 20 ans.

Certes, le pouvoir fédéral de dépenser dans tous les domaines, y compris les domaines de compétence provinciale exclusive, pourrait peut-être paraître un peu plus circonscrit que jadis, si l’entente était suivie d’effet. Mais la disposition constitutionnelle qui a été envisagée ne concerne que les nouveaux programmes cofinancés et elle ne prévoit de compensation en cas de non-participation d’une province que si cette province « met en œuvre un programme ou une initiative compatible avec les objectifs nationaux ». Cette façon de concevoir l’avenir ne répond assurément pas aux demandes « traditionnelles » du Québec en la matière, bien qu’elle soit analogue à la formule acceptée par les autorités québécoises en 1987 dans l’Accord du lac Meech.

L’entente, par ailleurs, touche d’autres questions que le partage des pouvoirs. Ces autres questions ne sont pas résolues à l’avantage du Québec. Comment penser que les dispositions relatives à la Chambre des communes avantagent vraiment le Québec ? Comment penser que le Québec sera mieux servi par une députation proportionnellement inférieure à celle qu’il avait jadis, en 1867 par exemple ? Comment penser que le Sénat, tel qu’envisagé dans l’entente, puisse servir le Québec mieux que le Sénat du passé, le Québec n’y étant représenté que par 6 sénateurs sur 62 alors qu’en 1867, il l’était par 24 sénateurs sur 72 ? Où trouve-t-on, dans la section relative à la Cour suprême, une indication que le rôle de ce tribunal sera réduit et étroitement encadré, comme l’ont réclamé tant de fois les porte-parole du Québec ? Qu’en est-il, en outre, de la signification à donner aux autres clauses de l’entente ?

L’entente, enfin, ne traite nullement de certains domaines que les porte-parole du Québec, dans le passé, ont voulu voir reconnus dans la liste des domaines de compétence exclusive du Québec (par exemple, l’environnement, la santé).

En somme, l’entente du 28 août 1992 ne peut guère paraître comme un progrès allant dans le sens des revendications traditionnelles du Québec.

On peut s’étonner, en conséquence, de l’affirmation faite à ce propos dans la résolution adoptée le 29 août 1992 par le Parti libéral du Québec.

[17]

Mais, à la décharge des congressistes, le texte de l’entente n’avait guère circulé !

Par ailleurs, il faut bien le reconnaître, une certaine proportion de l’électorat du Parti libéral du Québec est recrutée dans des catégories de personnes qui préfèrent confier leurs destinées aux autorités fédérales du Canada, qui leur paraissent davantage représentatives du « pays » auquel elles s’identifient. Puisque le Québec vit en démocratie, ces personnes ont parfaitement le droit de défendre leurs opinions et leurs intérêts : elles l’avaient fait sans succès au congrès libéral de 1991 ; elles ont eu le dernier mot au congrès du 29 août 1992.

Ces personnes, parmi lesquelles figurent les plus riches, constituent une force importante. Et, comme l’a dit Robert Bourassa lors de l’une de ses allocutions du 29 août 1992, les « rapports de forces » s’imposent en politique.

Le rapport de forces qui s’est imposé en août 1992 présage-t-il du sort réservé aux personnes qui, au Québec, aimeraient que les autorités québécoises obtiennent quelques-uns des pouvoirs exercés au Québec par les autorités fédérales du Canada ?

[18]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 14 septembre 2021 17:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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