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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Numéros 6-7 de la revue CRITÈRE, “La lecture” (1972)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du texte de la revue CRITÈRE, nos 6-7, septembre 1972, “La lecture”, 407 pp. Montréal: Un groupe de professeurs du Collège Ahuntsic. Une édition numérique réalisée avec le concours de Mme Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 27 décembre 2022.]

[5]

Revue CRITÈRE, Nos 6-7, “La lecture”.

Avant-propos

[6]
[7]

La lecture

Ce ne sont pas des hommes que j’ai dessinés, ce n'est pas une histoire que j’ai racontée ; ce ne sont que des images, rien que des images.

Frantz Kafka

Seulement des images ?... Alors que faire devant une image, avec une image ? Un élément décoratif pour un salon ? un objet d’études historiques, sociologiques ou esthétiques ? un prétexte à conversations humanistes ? une invitation à la réflexion ou à la rêverie ? ou peut-être encore une occasion d'observations ophtalmologiques ?

Qui dira si le respect de l'image est plus authentique que celui du regard, ou inversement ? L’œil ou le dessin ? Lequel privilégier, puisque l'un et l’autre sont complémentaires dans l’acte de la perception ?

Que l’acte de la lecture soit multiple, ceci ressort avec évidence de toute visite à une quelconque librairie. L'effort croissant de créativité dans la présentation et la mise en pages des textes illustre, à l'origine même, cette prise de conscience actuelle de l'interdépendance du « lisible » et du « visible », de même que, sur le plan pédagogique, les recherches sur le conditionnement physique, physiologique et psychologique de l’acte de lecture.

Sur le plan plus strictement littéraire, nul doute que se manifeste, entre autres depuis les travaux de Gaston Bachelard, un désir de plus en plus pressant de distinguer les attitudes du « lecteur » et du « critique », de préciser si les lectures « naïve » et « savante » sont consécutives ou parallèles, si le texte appelle une lecture ou une étude, sans compter qu’ici le champ de la lecture est illimité, du journal [8] et de la bande dessinée au théâtre de participation ou au poème le plus hermétique.

D’un autre côté, les développements récents de l’épistémologie et de la linguistique ne sont pas sans avoir bouleversé les études littéraires en plus d'avoir rendu plus consciente la pluralité des grilles de lecture projetées sur les textes littéraires. Aux anciennes dichotomies fond-forme, message-style, se sont substituées de nouvelles approches des œuvres.

Le phénomène de la lecture étant à ce point polyvalent, il nous a paru souhaitable, à l’occasion de ce numéro, de laisser la parole à nos collaborateurs et de privilégier plutôt la multiplicité des regards. L’éventail très large des attitudes et des comportements face au texte écrit éclairera, nous l’espérons, les avenues de la recherche actuelle et permettra au lecteur de se situer lui-même tout en poursuivant ses propres réflexions.

Platon ou Guillaume d’Occam, Montaigne ou Roland Barthes ? Peut-être qu’en définitive cela importe peu puisque Homère, Lucrèce, Prévost, Proust, Eluard, Michaux, Beckett revivent sans cesse grâce à la perpétuelle jeunesse de tout vrai lecteur.

Roger Sylvestre.



[9]

Notes sur le visible et le lisible

O traces humaines à bout de bras, ô sons originaux, monuments de l’enfance de l’art, quasi imperceptibles modifications physiques, CARACTÉRES, objets mystérieux perceptibles par deux sens seulement et cependant plus réels, plus sympathiques que des signes, — je veux vous rapprocher de la substance et vous éloigner de la qualité.

Francis Ponge,
« La promenade dans nos serres ».


Fixons tout d’abord le point de vue ou l’angle sous lequel la lecture sera envisagée. À travers la multiplicité et la diversité des imprimés [1] (livres, revues, catalogues, journaux, dictionnaires, encyclopédies) qui s’offrent quotidiennement à notre regard en présentant un type particulier de lecture et qui nous invitent au décodage et au déchiffrement, au-delà d’un certain contexte culturel de remise en question du livre qui se fait d’ailleurs au moyen du livre (la défense inconditionnelle et l’illustration du « vu » au moyen du « lu »), la lecture, toute lecture, repose sur un certain nombre de conventions ou de données de base qui conditionnent le regard qui s’étend sur la page.

Nous ne prétendons pas dans le cadre de ce texte faire état de toutes ces données ; nous voudrions plutôt insister sur quelques-unes et montrer que des voies nouvelles sont là aussi possibles.

En premier lieu, tentons d’approcher le « physique » de la lecture.

[10]

Le texte lu est le lieu d’un parcours visuel sur le tracé de la page ; le parcours est jalonné de bornes, généralement noires, qui permettent aux yeux de suivre la course écrite selon un déroulement linéaire, de gauche à droite (en « circuit fermé »), non pas selon une figure rectiligne sans fin déroulée de gauche vers la droite, mais sans cesse brisé, interrompu, les brisures successives forment « à la longue » un étagement vertical ou un bloc plus ou moins aéré et ajouré. L’impression ou plutôt la pression du regard sur le texte est, elle, sans trace et tache, même si les bornes sont sans cesse balayées par le mouvement des yeux.

Le texte lu est donc visible tout en étant aussi « volume » : bloc, masse ou colonne, le texte que contient le livre est encadré par la fenêtre rectangulaire de la page, fenêtre sans ouverture toutefois puisque la perspective blanche de la page ne débouche que sur elle-même.

Lignes noires entrecoupées de minces espaces blancs, successivement, de haut en bas et dont l’ensemble prend la forme d’un bloc lui-même entouré de corridors blancs, fenêtre ponctuée de signes noirs alignés horizontalement, tel est donc le « physique » de la lecture aperçue ici, on le voit, dans ses caractéristiques plastiques (peinture géométrique faite d’horizontales, en noir sur blanc, diptyque parfait dans le cas du livre ouvert, taches noires sur le blanc de la page, taches et traces à la fois), tactiles (le livre est volume, le texte est texture, tissu de sens), architecturales (le livre pour se tenir debout et se situer dans l’espace doit être couché).

La lecture peut donc être envisagée comme un lieu de réconciliation et de synthèse. En effet la surface lisse de la page contient la profondeur du texte, la linéarisation du discours compose, par accumulation, le « volume » ; la visibilité du texte en noir sur blanc, son évidence, dissimule l’opacité du sens ; la minceur des feuilles de papier masque l’épaisseur et la densité du sens ; l’œil qui survole le texte se réconcilie avec la main qui tourne les pages ; finalement le livre fermé et immobile appelle le mouvement de la main qui met en branle le processus de la lecture.

À la limite, chaque type de lecture possède son « physique ». Pages aux lignes pleines ou pages aux lignes brisées, [11] pages disposant les mots en colonnes minces comme dans les dictionnaires ou les annuaires téléphoniques, guides bleus ou pages jaunes, de la Lettre-Océan d’Apollinaire au catalogue d’Eaton en passant par telle œuvre de fiction, la lecture s’exerce à travers certaines catégories qui ont la propriété commune d’exiger du lecteur une seule condition : celle de la même participation au code commun des signes, de la langue et de la culture.

Les types de lecture sont nombreux et diversifiés ; il est certain que le lecteur que nous observons dans le métro ne lit pas de la même façon que le lecteur de bibliothèque ou que le critique qui entreprend la « relecture » d’un roman. Le vocabulaire utilisé pour nommer les différents types de lecture signale des niveaux ou des degrés d’intensité de la lecture : lecture superficielle, lecture en survol, lecture en diagonale, lecture d’écrémage sélective, ce sont des types, parfois des techniques, qui dénotent un caractère partiel de la lecture qui peut aussi être intégrale et se faire en « profondeur », sans oublier la relecture « qui n’est tolérée que chez certaines catégories marginales de lecteurs (les enfants, les vieillards et les professeurs) » ! [2]

Dans tous les cas, l’acte de lecture se déroule à l’intérieur du même circuit : d’une part un codage linguistique et d’autre part une entreprise de décodage, de déchiffrement, de compréhension, de traduction et d’interprétation.

Y a-t-il quelque prétention à mentionner les affres du lecteur en face de l’objet nommé livre et vers lequel s’avance une main peut-être tremblante ! Qui osera affirmer que ses dons naturels de lecteur lui font défaut au moment où il lit ? Et pourtant un lecteur pourrait bien noter dans son carnet de lecteur : « Toujours cette angoisse au moment de lire ». [3] Comment, de plus, mettre à jour les opérations complexes qui s’effectuent dans le processus de la lecture, à partir des opérations mécaniques agissant au moment de la perception jusqu’à l’interprétation en passant, mais en passant seulement, par [12] les rêveries ou les songes qui naissent et meurent dans les marges, lieux du silence et du repos « en marge » de la course de la parole et de l’écriture ?

Que nous réserve l’avenir de la lecture ? Il est certainement utopique de penser qu’un jour les données de base de la lecture pourront être modifiées : la lecture linéaire de gauche à droite, de haut en bas donnant à la page l’aspect d’un bloc rectangulaire correspond à une habitude qui a des racines tellement lointaines chez le lecteur occidental qu'il semble difficile de la transformer. Est-ce à dire que la linéarisation de l’écriture est parfaitement adaptée à nos structures mentales ? Il est permis d’affirmer à la suite des remarques de Koestler, Moles et McLuhan [4] que la « dimension multipolaire » est plus adaptée à nos facultés mentales que la dimension linéaire. Si tel est le cas, il faut s’attendre à voir naître des structures de mise en pages qui, tout en étant plus complexes, seraient plus conformes à la « dimension multipolaire » qui semble caractériser nos structures mentales.

Deux types de structures de mise en pages peuvent modifier le schéma traditionnel de la lecture. Le premier type de structure, la structure « foisonnante » [5], a été jusqu’à maintenant réservé au domaine de la poésie depuis surtout Mallarmé, suivi par Apollinaire, sans oublier toutefois les tentatives d’un fou littéraire, Nicolas Cirier (1792-1869) [6], dont la profusion et le foisonnement typographiques sont remarquables.

La principale caractéristique de cette structure foisonnante est de proposer au lecteur plusieurs trajets de lecture qui parcourent la page dans toutes les directions à la fois, la page devenant alors une sorte de mosaïque ou de réseau maillé et le livre un objet vraiment mobile, pouvant pivoter sur lui-même. Le deuxième type de structure, la structure « programmée », concerne moins la mise en [13] pages que l’ordre de succession des pages et la continuité de la lecture. Il s'agit dans cette structure programmée de prévoir les différents besoins du lecteur éventuel et d’ordonner en conséquence les pages du livre ; plusieurs séquences de lecture seraient ainsi proposées au début du livre, chaque lecteur choisissant celle qui est adaptée à ses besoins et désirs. Des livres traitant de pédagogie [7] et quelques autres [8] nous fournissent à l’heure actuelle des exemples de ce que pourrait devenir un type de lecture de l’avenir.

Pierre Longtin,

Directeur de l'Enseignement des Arts et Lettres
et des Communications graphiques.
Collège Ahuntsic.

BIBLIOGRAPHIE

Roland Barthes, S/Z. Collection « Tel Quel ». Paris, Seuil, 1970, pp. 9 à 22.

Maurice Blanchot, L'espace littéraire. Paris, Gallimard, 1955, chapitre VI — L'œuvre et la communication, pp. 197 à 217.

Michel Butor, Essais sur le roman. Collection Idées. Paris, NRF, chapitre sur la page et le livre comme objet, pp. 125 à 157.

François Richaudeau, La lisibilité. Centre d’Etudes et de Promotion de la lecture et Editions Denoël, 1969.

Nicole Robine, La lecture, dans le Littéraire et le Social. Eléments pour une Sociologie de la littérature, sous la direction de Robert Escarpit, Collection Science de l’homme, Paris, Flammarion, 1970, pp. 221 à 244.

[14]



[1] « Le terme « imprimé » recouvre tous les divers procédés d’impression, quels qu’ils soient » (UNESCO, 1964). Le littéraire et le social, sous la direction de Robert Escarpit, collection Science de l’homme, Flammarion, 1970, p. 273.

[2] Roland Barthes, S/Z. Collection « Tel Quel ». Paris, Seuil, 1970, p. 22.

[3] Maurice Blanchot, L'espace littéraire. Paris, Gallimard, 1955, p. 199.

[4] Arthur Koestler, Le cheval dans la locomotive. Paris, Calmann-Lévy, 1968. Abraham Moles, La création scientifique. Genève, René Kister, 1957. Marshall McLuhan, Pour comprendre les média. Mame et Editions du Seuil, 1968.

[5] François Richaudeau, La lisibilité. Paris, Centre d’Etudes et de Promotion de la lecture et Editions Denoël, 1969, pp. 208 à 215.

[6] Raymond Queneau, Bâtons chiffres et lettres. Paris, Collection Idées, NRF, 1965, pp. 286-291.

[7] R. F. Mager, Comment définir des objectifs pédagogiques. Paris, Gauthier — Villars, 1971.

[8] Michel Butor, Essais sur le roman. Paris, Collection Idées, NRF, chapitre Recherches sur la technique du roman, les structures mobiles, p. 124.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 9 septembre 2024 10:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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