RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Cesare Cases, “La critique sociologique.” In Revue CRITÈRE, Nos 6-7, “La lecture”, pp. 216-232. Sous la direction de Jacques Dufresne. Montréal: Un groupe de professeurs du Collège Ahuntsic, Septembre 1972, 407 pp. Traduit de l’Italien par Raymond Fredette et Laurent-Michel Vacher, Collège Ahuntsic. [M. Jacques Dufresne nous a autorisé le 27 décembre 2022 la diffusion en libre accès à tous et en texte intégral, dans Les Classiques des sciences sociales, de tous les numéros de la revue CRITÈRE, dont il est le fondateur.]

[216]

Revue CRITÈRE, Nos 6-7, “La lecture”.
DOCUMENTS

LA CRITIQUE
SOCIOLOGIQUE
.” *

Cesare CASES

Critique littéraire et écrivain italien
[1920-2005]


I

On peut aborder les rapports entre la société et la littérature (ou l’art en général) de deux points de vue : soit en prenant la société comme point de départ, soit en la prenant comme point d’arrivée ; comme élément de la genèse de l’œuvre d’art, ou comme sa destination. À première vue, on pourrait penser que ceux qui sont intéressés par la première catégorie de problèmes devraient également l’être par la seconde, et vice versa ; mais ce n’est pas tout à fait exact puisque, si je peux m’exprimer ainsi, « à l’aller », le processus culmine dans l'écrivain et dans son œuvre, alors qu'« au retour », il débouche sur la société prise dans son ensemble. Il y a donc lieu de s’attendre à ce que le critique et l’historien de la littérature attachent plus d'importance au premier processus, et le sociologue au second. Cette distinction n’est cependant pas tout à fait nette, car aujourd’hui le critique littéraire peut être fortement influencé par la sociologie et adopter ses perspectives. Par exemple, au moins les deux tiers du texte de Jean-Paul Sartre Qu’est-ce que la littérature ? (1948) sont consacrés à répondre à la question : pour qui écrit-on ? Et un critique allemand, Harald Weinrich, a soutenu récemment [1] que l’histoire de la littérature n’est qu’une histoire des auteurs, alors qu'il faudrait l’intégrer à une « histoire littéraire du lecteur ».

Toutefois, ne serait-ce que pour s’orienter de quelque façon devant une terminologie passablement confuse, il [217] serait utile de distinguer, en appelant « esthétique » et « critique sociologique » les études qui partent de la société pour expliquer l’auteur et son œuvre, et « sociologie de la littérature » cette partie de la sociologie qui étudie le destin social de l’œuvre, l’influence qu’elle exerce sur le public. [2] On notera alors que, si la critique sociologique implique un jugement sur la nature essentiellement, structurellement sociale de l'art (face à des théories qui, au contraire, mettent en évidence son aspect formel ou psychologique etc., contestant ou réduisant au minimum le conditionnement social), la sociologie de la littérature, par contre, n'implique absolument pas un tel jugement. Celui qui ne partage en aucune façon les positions de la critique sociologique peut la pratiquer tout à fait normalement. Weinrich, par exemple, est un représentant connu de la critique formelle.

La sociologie de la littérature est une discipline plus jeune que la critique sociologique qui nous intéresse plus particulièrement ici. Bien sûr, le rapport avec le public est constitutif de l’œuvre littéraire ; dans le cas particulier du théâtre, il est à tel point impossible de l’ignorer qu’Aristote définit déjà le drame à partir de ses effets sur le public. Mais le « public » est ici quelque chose d’extrêmement indéterminé ; il n’apparaît que comme point de référence. Par contre, lorsque Viktor Hehn, en 1887, intitule encore un de ses essais Goethe et le public, il entend simplement par « public » les hommes de lettres contemporains de Goethe. Le public en tant qu’ensemble de groupes socialement et culturellement différenciés devant être, autant que possible, identifiés statistiquement et dont il importe de connaître les diverses réactions pour comprendre la fonction de l’œuvre d’art, est un concept qui est apparu dans les dernières décades seulement.

Au contraire, le conditionnement social de l’œuvre d'art se voit déjà souligné, en même temps que son historicité, au XVIIIe siècle. Vico et Herder distinguent des périodes favorables et des périodes défavorables à l'art selon qu’on [218] a affaire à une structure sociale primitive ou au contraire complexe. Schiller précise davantage, en parlant d’art « natif » et d’art « sentimental » ; le premier est propre aux sociétés proches de la nature, le second aux sociétés grevées par la division du travail et l’appareil d’État, pour lesquelles la nature ne peut être qu’un objet de nostalgie. Cette distinction est si fondamentale qu’elle reparaîtra toujours par la suite. Avec la Révolution française, la conscience de la relativité de l’art et de sa dépendance à l’égard de la société se généralise. Un théoricien de la Restauration, Louis de Bonald, écrit sans ambages en 1824 :

En voyant la littérature d’un peuple dont on ne connaîtrait pas l’histoire, il devrait être possible de dire ce qu’elle a été, et en lisant l’histoire d'un peuple dont on ne connaîtrait pas la littérature, il devrait également être possible de dire avec certitude quel est le caractère dominant de cette littérature[3]

Ici se révèlent déjà avec une très grande netteté les dangers inhérents à la critique sociologique : le déterminisme et le relativisme. Pour de Bonald, on peut inférer la littérature à partir de l'histoire, ou vice versa, comme on infère le terme manquant d’une proportion en appliquant la règle de trois. De là l’idée que chaque « esprit d'un peuple » (expression chère aux romantiques) devrait revêtir les formes qui lui sont appropriées, et finir par occuper, si ce n’est déjà fait, la place qui lui était assignée. Dans la conclusion de l’Histoire de la littérature italienne de De Sanctis, qui exprime le programme d’une « propédeutique à la littérature nationale moderne, dont de faibles signes commencent à nous apparaître sur le fond de grandes zones d’ombre », [4] cette croyance subsiste encore. Mais De Sanctis avait beaucoup appris de /'Esthétique de Hegel, qui n’appartient pas à la critique sociologique au sens strict. Son principe directeur, cependant, représente la synthèse des perspectives théorique et historique ; il stipule que toute forme d’art découle du temps et que, pour l'exprimer vraiment, elle doit s'organiser selon des normes internes rigoureuses, d’une façon telle que la prégnance [219] historique coïncide avec la prégnance esthétique. Seul ce principe permet de résoudre le problème de l’articulation des plans social et esthétique, apparemment hétérogènes et irréductibles l’un à l’autre. Ce philosophe idéaliste a écrit quelques-unes des plus belles pages de la critique sociologique — en ce qui concerne, par exemple, la transformation de l’épopée en roman à la suite de la constitution de la société bourgeoise.

La position hégélienne, qui prolongeait la géniale intuition de Schiller, permettait d’éviter les écueils du déterminisme et du relativisme. L’écrivain n’est pas considéré unilatéralement comme le « produit » de la société, mais plutôt comme celui qui vit dans une société déterminée et cherche à en reproduire les traits essentiels selon les principes propres de l’art ; il réussit ou il échoue selon qu’il reconnaît plus ou moins les premiers et qu’il respecte plus ou moins les seconds. D’autre part, les formes de l’art ne sont pas toutes mises sur un même plan au nom de V« esprit des peuples », puisqu’il existe précisément des instances esthétiques générales dont la conjoncture de l’époque permet de s’approcher plus ou moins. Pour Hegel comme pour Schiller, seul l’art classique accomplit intégralement de telles instances ; l’art oriental est seulement préparation, l'art moderne dissolution de l’art classique ; de plus, en général, l'art est destiné à disparaître dans la philosophie. Si arbitraire qu’il apparaisse, ce schéma permet cependant de situer des moments essentiels du développement de l’art.

Par contre, déterminisme et relativisme règnent dans la critique de la seconde moitié du XIXe siècle, influencée par le positivisme et l’évolutionnisme. Un exemple type est la théorie de Taine, pour qui la littérature dépend de trois facteurs : la race, le milieu ambiant, le moment. La société y est envisagée sur un mode tout à fait naturaliste, presque comme une espèce animale, de sorte qu’il est ensuite très difficile de passer de là à la spécificité de l’œuvre d’art. Taine, qui possédait spontanément un bon tempérament de critique, s’en était aperçu et, en pratique, dans son Histoire de la littérature anglaise, il fait succéder à la description de la vie et des mœurs de la société des portraits d'écrivains dans la meilleure tradition du psychologisme français.

[220]

De façon toute semblable, la plus ambitieuse tentative d’historiographie naturaliste et déterministe, /'Histoire littéraire des lignées et des régions allemandes (1912-1918, réécrite plus tard dans une perspective nazie) de Joseph Nadler, repose entièrement sur des considérations relatives à l’« humus » ethnique des écrivains et de leurs ancêtres ; mais quand vient le moment de considérer les auteurs eux-mêmes, on doit abandonner tout cela et faire usage de critères différents.

II

En fait, pour établir un lien entre la société et la culture, on ne peut partir d’une conception naturaliste de la société, puisqu’il existe entre nature et culture un hiatus impossible à combler. Le passage n’est possible qu’en concevant la société comme « un ensemble de rapports », parce que la littérature aussi, d’une manière différente évidemment, est un ensemble de rapports, et qu’entre ces deux ordres, on peut instituer un lien rationnel. Et c’est bien ce qui se produisait chez Hegel, où il y avait correspondance entre les formations socio-politiques (État, société civile), et les formes artistiques. Cette correspondance reçoit un fondement plus convaincant dans le marxisme, grâce à la distinction entre structure et superstructure. Les rapports qui s’établissent nécessairement entre les hommes au sein d’un mode de production donné déterminent l’existence d’une superstructure, liée à ce mode de production. Ce lien est complexe et médiatisé, parce que la superstructure possède une certaine autonomie, s’organise selon des principes qui lui sont propres ; le caractère dominant de la structure ne vaut donc qu’« en dernière instance ».

Sur une telle base, il était possible de fonder une esthétique et une critique marxistes. Mais on n’y est pas arrivé tout de suite. Marx et Engels ne s'étaient préoccupés ni de littérature ni d'art, si ce n’est en de rares occasions, qui sont cependant assez remarquables. À l’époque de la Deuxième Internationale prévaut, sous l’influence du positivisme, la tendance à considérer le marxisme comme une doctrine purement économique et sociologique, qui doit être intégrée à une éthique, une esthétique, etc., de provenance étrangère. La critique littéraire de Georges Plekhanov (1856-1918), le plus important marxiste qui se [221] soit occupé d’art et de littérature à cette époque, constitue au sens propre une véritable critique sociologique. Pour Plekhanov, il s’agit d’identifier « l’équivalent sociologique » de l'œuvre particulière, c’est-à-dire cet ensemble d’idées, de concepts, d’attitudes propres à une position de classe déterminée, qui se reflète dans l’œuvre elle-même, et qui appelle un jugement de valeur de la part du critique littéraire. Nous avons ici une position intermédiaire entre des recherches sociologiques de type génétique et des critères esthétiques semblables à ceux que nous avons rencontrés, par exemple, chez Taine. Cependant, les ressources infiniment plus grandes de la conception marxiste de la société, auxquelles viennent s’ajouter la culture et la sensibilité de Plekhanov et de son contemporain allemand Franz Mehring (1846-1919), qui adopte une position analogue, rendent malgré tout, leurs travaux intéressants. Ils ouvrent la voie à cette tendance qu’on a l'habitude d’appeler, dans la terminologie marxiste, le « sociologisme vulgaire », pour lequel tout le travail du critique se réduit à déterminer le « point de vue de classe » de l’auteur. Si Plekhanov lui-même, traitant de Tolstoï, avait (contrairement à Lénine) souligné de façon excessive les idées réactionnaires de l'écrivain, un « sociologue vulgaire » soviétique des années vingt devait aller jusqu’à considérer Tolstoï comme un « défenseur » de la classe noble à laquelle il appartenait et qu’il aurait traitée, dans ses romans, avec des ménagements particuliers. On comprend comment ce genre de critique sectaire a pu donner lieu à toutes sortes d’intimidations durant la période stalinienne. Il est également clair que, si l'on admet que Tolstoï ne pouvait « sortir de sa peau » de noble, on finit par attacher à l’appartenance de classe une valeur presque biologique, avec toutes les implications, d’une part déterministes et d’autre part relativistes, que nous avons rencontrées dans de tels cas. En fait, tous n’étaient pas disposés à admettre avec Plekhanov que le jugement sociologique devait être intégré au jugement esthétique ; pour un bon nombre, le premier était un jugement sans appel.

Toutefois, la dichotomie plekhanovienne contient déjà le germe d'un tel développement. En effet, une fois admises la primauté et l’urgence de la lutte des classes, les questions esthétiques, face à « l’équivalent sociologique », passent au second plan. C’est ainsi qu’un penseur comme [222] Gramsci, étranger à tout simplisme, ne parvient pas à échapper complètement à cette tendance. Formé à l’école de De Sanctis et de Croce, opposé donc au positivisme, il s’intéresse peu à la genèse de la superstructure en fonction de la structure. Pour lui, l’existence de la superstructure n’a pas besoin d’être, en quelque sorte, « justifiée » par rapport à la structure ; toute sa pensée reconnaît même (comme l’a montré récemment Norberto Bobbio) une primauté marquée de la première sur la seconde. Elle implique également la primauté du culturel au sein de la superstructure, puisque ce sont les « intellectuels organiques » qui doivent servir d’intermédiaire entre les masses et la direction politique, qui doivent instituer ce « consensus » sans lequel il est impossible d’obtenir et de faire accepter de façon durable les transformations de la structure. Nous sommes donc ici fort loin de la tendance à tout réduire au « point de vue de classe » et à cataloguer les écrivains en fonction de leur appartenance de classe. Ce qui importe, ce n’est pas la genèse, mais le but. De là l'intérêt de Gramsci pour les problèmes de la sociologie littéraire : pour l'accessibilité du langage et des contenus, pour la littérature destinée au peuple (y compris les romans feuilletons), pour le caractère national-populaire de la grande littérature, etc. Mais, malgré tout cela, la dichotomie plekhanovienne se retrouve intacte dans la mesure où un tel travail est, comme on l’a dit à propos de Manzoni, « un travail d’histoire de la culture, et non de critique au sens strict... ». « La recherche concernant la beauté d’une œuvre est subordonnée à la recherche des causes qui font quelle est « lue », quelle est « populaire », quelle est « recherchée », ou, au contraire, des causes qui font qu’elle n’atteint pas le peuple et ne l'intéresse pas, mettant en évidence l’absence d’unité dans la vie nationale ». [5] Il s’ensuit que l’analyse esthétique est à nouveau renvoyée aux experts, aux critiques littéraires proprement dits, alors que l’analyse sociologique s’arrête au seuil du domaine artistique. Cependant, cette recherche, à la différence du sociologisme vulgaire, ne se consacre pas à la vérification « scientifique » de « l’équivalent sociologique ». Elle étudie plutôt la fonction [223] pragmatique, éthico-politique, des formes et des contenus. Elle comporte, surtout si elle est négative, une lourde responsabilité morale qui rend toujours fascinants les propos critiques de Gramsci, depuis les chroniques théâtrales de l’Avanti ! à l’époque de sa jeunesse, jusqu'aux notes littéraires de la prison. Dans cet engagement moral, il faut voir aussi le passage de la recherche sociologique à la critique esthétique. Pour Gramsci, De Sanctis demeure le modèle de critique à proposer au marxisme, De Sanctis dont la critique « est militante et non pas froidement esthétique, est (celle) d’une période de luttes culturelles... » auxquelles sont liées « les analyses de contenu, la critique de la structure des œuvres, c’est-à-dire de la cohérence logique et de l'actualité historique des divers sentiments évoqués par l’art... ». [6]

Cependant, cette fusion est due à l’intensité de l’engagement dans la lutte culturelle ; elle n'est pas fondée sur la théorie qui, nous l’avons vu, implique chez Gramsci la séparation entre critique littéraire et recherche historique et sociologique. Les critiques italiens qui, au cours des vingt dernières années, se sont efforcés de faire de la critique marxiste, oscillent entre les deux pôles du dilemme : ils mettent l’accent tantôt sur l’historique et l’idéologique (c’est le cas, par exemple, du livre de Carlo Salinari, Mitti e coscienza del decadentismo italiano, publié en 1960), tantôt sur le littéraire, tantôt sur l’élément moraliste et militant (Carlo Muscetta), sans toutefois offrir de modèles très convaincants. Mais cela a l’avantage de ne pas créer de rupture brusque avec la tradition critique italienne. Une des rares tentatives d’interprétation sociologique cohérente, l’étude de Roberto Battaglia sur l’Arioste et la société de Ferrare, fut unanimement repoussée, avec une sévérité peut-être excessive, par les autres critiques marxistes. Par contre, la tentative de se servir de Gramsci lui-même contre la tradition critique idéaliste, au nom de son intérêt pour les problèmes de la diffusion et de la réception et pour la sociologie de la littérature, reste épisodique. Enfin, le remarquable ouvrage de Alberto Asor Rosa, Les écrivains et le peuple (1965), qui polémiquait violemment contre toute l’orientation populiste et [224] en particulier contre Gramsci et sa conception d’une littérature nationale et populaire, a provoqué une crise dont la critique d’inspiration gramscienne ne semble pas pouvoir se relever. Les positions d’Asor Rosa, opposant au populisme l’expérience des écrivains bourgeois qui vivent jusqu'au bout la crise de leur classe, ont des traits communs avec celles d’Adorno ; elles ne peuvent cependant pas constituer une alternative méthodologique, parce que Asor Rosa fait uniquement œuvre de destruction et se limite à des perspectives purement politiques.

III

La méthode marxiste qui a donné le plus de résultats durant la période de la Troisième Internationale est sans aucun doute celle que George Lukacs (1885-1971), penseur hongrois actif surtout dans le cadre de la culture allemande, a mise au point. Lukacs représente (avec le russe Mikhail Lipschitz) la rupture la plus décisive avec la critique sociologique au sens strict, bien qu'en même temps il ne s’intéresse guère aux problèmes de sociologie de la littérature. Lukacs se réclame de Marx, mais aussi de l’esthétique hégélienne et de la théorie léniniste du « reflet » qui, insatisfaisante du point de vue de la théorie de la connaissance, est cependant utile pour définir les rapports entre structure et superstructure. Certes, cette dernière est un produit de la structure, mais elle la reflète à son tour ; le moment le plus intéressant n’est pas celui de la genèse, mais celui du reflet. L'art en particulier reflète directement, selon Lukacs, les rapports entre les hommes au sein d'un mode de production déterminé, alors qu’il ne reflète tout le reste (le monde de la nature et des objets) qu'à travers la médiation des rapports humains. Cette prise de position implique deux corollaires :

1. L’art n’est pas mécaniquement dépendant du « point de vue de classe ». Il est reflet, et reflet d’autant plus valable qu'il se tiendra moins en surface et qu’il saisira davantage l’essence de la réalité reflétée. Comme cette essence est le processus de développement de la société, l’art véritable est par conséquent « progressif ». Bien sûr, les origines de classe et les préjugés politiques de l'artiste peuvent avoir une influence, mais s’il est un artiste véritable, il les surmontera dans son acte de création et [225] l'œuvre contredira les idées de l'homme, comme ce fut le cas pour le monarchiste qu’était Balzac (« triomphe du réalisme »). Ainsi se trouve réfuté le déterminisme de la critique sociologique.

2. L’art appartient à la superstructure, et donc il disparaît en règle générale avec la structure. Mais dans les œuvres les plus grandes, le reflet d’une phase donnée du développement historique et social peut être exprimé d’une manière tellement « classique », c’est-à-dire prégnante et convaincante, que la mémoire collective de l’humanité se complaît à évoquer à travers elles son propre passé. Ainsi s’explique l’apparente contradiction entre le caractère historiquement conditionné de l'art et sa pérennité, contradiction qui demeure un mystère pour le relativisme sociologique, contraint de postuler, à l’encontre de ses propres prémisses, des valeurs artistiques indépendantes de la dynamique sociale.

Pour Lukacs, la grande littérature est donc essentiellement la littérature réaliste ; la tâche du critique est d’évaluer les œuvres particulières par rapport au processus historique et social quelles reflètent ; il doit examiner jusqu’à quel point elles en saisissent la substance et parviennent à la représenter, non pas abstraitement par des réflexions et des discussions, mais selon les modes propres de l’art, grâce aux actions des personnages, grâce à l’aptitude à rendre concrètement visibles dans leurs comportements les forces et les tendances immanentes à la société. Là où fait défaut cette synthèse entre l'individuel et l’universel (dans ce domaine intermédiaire qui n’est autre que celui du « particulier »), ou bien les hommes deviennent des schèmes exsangues qui ne font que représenter des idées abstraites, ou bien ils sont réduits à l’état de choses, décrits jusque dans leurs aspects et leurs attitudes les plus extérieurs, complètement étrangers aux mouvement les plus profonds de la vie humaine. Ainsi le réalisme s’oppose aussi bien au symbolisme qu’au naturalisme.

Dans sa vaste activité d'essayiste et dans son ouvrage sur le Roman historique, Lukacs a fourni sur ces bases une contribution fondamentale à l’étude de diverses littératures nationales (allemande, française, russe, hongroise) des trois derniers siècles. Deux tendances historiques s’en [226] dégagent. D’une part, on assiste à une remarquable floraison du réalisme à l’époque où la bourgeoisie remplit une fonction progressive (c’est-à-dire jusqu’en 1848, et jusqu’en 1905 en Russie). D’autre part, quand la bourgeoisie perd cette fonction, la perspective du devenir historique, indispensable pour concevoir et représenter de façon adéquate le monde contemporain, disparaît à son tour : la littérature se replie alors sur des positions antiréalistes ; la décadence littéraire découle de la décadence de la classe bourgeoise. Mais Lukacs n’envisage pas cette évolution d’une manière déterministe : des écrivains bourgeois se situant à contre-courant (comme Thomas Mann) et ne renonçant pas à un horizon positif, si vague soit-il, peuvent retrouver les qualités du grand réalisme. En outre, l’avènement des régimes socialistes devrait permettre au « réalisme socialiste » de s’affirmer.

Le puissant édifice lukacsien présente un certain nombre de failles. Tout aussi étrangère à la décadence, n’existe-t-il pas, à côté du réalisme, une littérature irréaliste, purement fantastique ? Faut-il considérer comme réaliste la poésie lyrique en général ? Lukacs est en mesure de répondre à ces questions avec des arguments assez convaincants : il s’efforce d’appliquer ses catégories même aux faits qui y paraissent réfractaires. Quoi qu’il en soit, il y a indiscutablement une hiérarchie parmi les intérêts de Lukacs : il s’est occupé presqu’exclusivement de littérature réaliste de type narratif ou dramatique. Il y a aussi la grande question de l’art moderne, de ce qu’on a appelé « l'avant- garde ». Lukacs peut l'écarter, mais il ne peut contester qu’elle ait produit des œuvres remarquables (du moins admet-il la grandeur de Kafka), malgré le manque de « perspective » et, par conséquent, malgré l’incompréhension du développement historique, tandis que le réalisme socialiste, lui, ne semble pas donner beaucoup de fruits. En face de ces faits, l’aspect normatif des théories de Lukacs est clairement mis en relief. Certes, le critique ne doit pas se limiter à la constatation de ce qui existe, il doit également stimuler, guider ; mais quand le fossé entre les faits et les exigences du critique prend de telles proportions, il doit y avoir quelque chose qui ne va pas dans la position théorique elle-même.

Et d'abord, la « perspective » est-elle vraiment nécessaire ? On le sait, elle présuppose la présence de forces objectives [227] qui font avancer la société. De telles forces existent, certes ; mais il en existe également d'autres, antithétiques, qui peuvent légitimement faire désespérer de l’avenir de l'humanité. On peut aussi insister sur les aspects négatifs de toute l’histoire antérieure, la concevoir comme un drame d’oppressions et d’horreurs, et penser que l'humanité ne pourra se réaliser que dans une mutation soudaine de l'histoire en utopie. De ce point de vue, l’art n’apparaît plus comme le reflet de la société dans son devenir, mais plutôt comme la négation du présent au nom de l’utopie qu’il contient en puissance. Pour nous exprimer comme Franco Fortini qui s’est fait, en Italie, l'interprète autorisé de cette conception, « la transformation intégrale des rapports entre les hommes, dans l’ordre de l’histoire et de la praxis, apparaît comme l’accomplissement d’une intention secrète des œuvres poétique ». [7]

IV

Des penseurs marxistes, ou inspirés par le marxisme, et ne partageant pas la confiance de Lukacs dans le développement lent et nécessaire de la société vers le communisme, ont adopté ce point de vue dans leur réflexion sur l’art. Walter Benjamin (1892-1940), parti d'une position religieuse et métaphysique, s’est fait le défenseur le plus convaincant de l’art en tant que négation du monde et anticipation de l’utopie, en tant que « continuelle attente d’un miracle ». Après sa conversion au communisme, W. Benjamin se lie d’amitié avec Berthold Brecht qui, de manière analogue, oppose au monde brutal et inhumain de la société divisée en classes la vision d’une société libérée. De tels points de vue déterminent une hiérarchie opposée à celle de Lukacs : la poésie lyrique est le siège naturel, au moyen de la parole, de l'épiphanie de l’utopie, suivie par la poésie dramatique (où le monde, postulant quelque chose qui le transcende, s’autodétruit), alors que la littérature narrative, elle, s’attarde trop sur le monde réel pour ne pas être finalement obligée de l’accepter.

Une mise en rapport directe où se court-circuitent ces deux extrêmes que sont l’utopie et la société existante [228] permet sans doute de rendre compte de la puissance de concentration caractéristique de la poésie lyrique ; elle échoue cependant devant les problèmes de l’enracinement dans la situation historique à cause d’une tendance à réduire toute l’histoire à un unique ensemble négatif dont on exclut toute idée de progrès par étapes. Un tel point de vue ne permet donc pas de distinguer et de nuancer le jugement par rapport au moment historico-social ni (comme le fait Lukacs, par exemple, dans son étude sur le Roman historique) de retracer un long processus. Pour W. Benjamin, en particulier dans ses premiers essais, les œuvres littéraires semblent être le théâtre d'un drame éternel, ou mieux, d’un drame saisi du point de vue d’un « observateur planétaire » et auquel seule la réalisation de l’utopie mettrait fin. Et au fond, ce qui intéresse le plus W. Benjamin, c’est la littérature d’avant-garde (de Baudelaire à Kafka et à Brecht), précisément parce que le contraste entre l’horreur du présent et l’espérance utopique y est si évident ; à tel point qu’on a pu dire de son ouvrage sur Les origines du drame allemand qu’il s’agissait en réalité d'une transposition de la thématique contemporaine à l’époque baroque. L’attachement de W. Benjamin au présent se révèle aussi dans son intérêt pour l’art « techniquement reproductible » : à l’art issu d’en haut, il en oppose un autre, anonyme, issu d’en bas ; cet art s’est toujours servi de la reproduction technique (par exemple la céramique) et, aujourd'hui, grâce au développement considérable de la technologie, il envahit la scène avec la photographie, le film, etc. Le marxiste W. Benjamin considère cette démocratisation de l'art comme un progrès substantiel, bien que cela soit en contradiction flagrante avec la justification qu’il donne des œuvres d’avant-garde, c’est-à-dire « la nécessité de renoncer à un public dont les besoins ne pouvaient plus être satisfaits d'une façon conciliable avec l’honnêteté intellectuelle » des auteurs. [8] Quoi qu’il en soit, ses essais stimulants sur l’art techniquement reproductible ont fourni une importante contribution à la sociologie de la littérature.

[229]

Une idée de W. Benjamin que les autres penseurs de l’« Institut de recherche sociale » (auquel il a collaboré quelque temps) n’accepteront pas, c’est ce rôle accordé aux techniques de reproduction artistique ; Theodor W. Adorno, Max Horkheimer et Herbert Marcuse insistent au contraire sur le caractère à la fois négatif et anticipateur de l'art et, par là, sur l’art d'avant-garde. Il est symptomatique de voir que, dans les Leçons de sociologie, destinées à présenter les idées du groupe, le chapitre « Sociologie de l’art et de la musique » est en fait exclusivement consacré à l'apologie de l’art d’avant-garde et à l'élucidation de la contradiction apparente entre son solipsisme et sa fonction sociale. Comme l’écrit Horkheimer dans un de ses essais, [9] « en gardant confiance en l’individu face à l’infamie de ce qui existe, ces œuvres inhospitalières (les poèmes de Trakl, le Guernica de Picasso, la musique de Schoenberg) révèlent avec les madones de Raphaël et la musique de Mozart une affinité plus profonde que ne pourrait le faire un simple rabâchage de ces harmonies aujourd’hui, à une époque où toute expression de bonheur n’est plus que le masque de la folie et le triste visage de cet ultime et dernier symbole auquel se rattache encore l'espérance ». Ici encore cependant, comme chez W. Benjamin, la forme qui, de tout temps et donc indépendamment du cas particulier de l’art d’avant-garde, correspond le mieux à cette définition de l’art, est la poésie lyrique. Elle semble tout à fait asociale dans la mesure où, comme l'affirme Adorno, [10] « elle évoque l’image d’une vie libérée des contraintes de la praxis dominante, de l’utilité, du poids d’un souci aveugle de sa propre conservation ». Toutefois, cette exigence « est en elle-même sociale », parce qu’« elle implique la protestation contre une situation sociale que chacun expérimente comme hostile, étrangère, froide, opprimante ». « La distance entre la poésie et l’existence brute devient la mesure de ce qu’il y a de raté et de mauvais dans cette dernière. En protestant contre un tel état de fait, la poésie exprime le rêve d’un monde dans lequel les choses se passeraient autrement ». À partir de ces prémisses, Adorno, qui dans ce groupe a manifesté le [230] plus d’intérêts littéraires, a interprété avec finesse de nombreuses œuvres, en particulier d'avant-garde.

Le sociologue français (d’origine roumaine) Lucien Goldmann représente une étonnante résurgence de la critique sociologique de type génétique. Pour lui, toute classe sociale possède sa propre « vision du monde ». « Nous voyons ainsi, en France, sous Louis XIV, au moins cinq classes qui s’expriment sur le plan philosophique et littéraire : à savoir les grands seigneurs, la noblesse de cour, les gens de robe, le tiers-état aisé, le petit peuple d'artisans et de paysans ». [11] Par exemple, Molière refléterait le point de vue de la noblesse de cour, La Fontaine celui du petit peuple, Pascal et Racine celui des gens de robe qui, étant d’extraction bourgeoise mais liés à la monarchie, se trouvent dans une position contradictoire et développent la « vision tragique ». Malgré un appareil théorique très ingénieux, de telles positions ne paraissent pas très éloignées de celles de Plekhanov ; de fait, la vaste monographie que Goldman consacre à la « vision tragique » chez Pascal et Racine contient des données sociologiques fort intéressantes ; cependant, elle n’est guère convaincante lorsqu’elle traite des deux écrivains en tant que tels. Tout aussi discutables sont les considérations de Goldmann sur l’évolution du roman, explicable sur la base d’un rapport d’« homologie » selon lequel le roman du XIXe siècle, dominé par l’individu, correspondrait à un capitalisme fondé sur l’économie de marché, tandis que la disparition de l’individu et sa subordination aux choses correspondraient au capitalisme monopolistique actuel. Cette théorie pourra servir à justifier une tendance littéraire à la mode, le soi-disant nouveau roman, * mais elle n’est pas convaincante en elle-même ; c’est même le contraire qui est vrai : dans le roman du XIXe siècle, l’individu entretient toujours un rapport organique avec la société tandis qu’il s’en sépare dans le roman contemporain, où il devient un absolu.

[231]

V

Pour conclure, nous pouvons dire que la critique sociologique a donné ses meilleurs fruits en se dépassant elle-même dans la critique marxiste ou d’influence marxiste. Bien sûr, l'application des méthodes qui en ont résulté n’est pas sans limites : alors que la tendance lukacsienne échoue en face de la littérature contemporaine, celle de W. Benjamin et d’Adorno risque de tout ramener au présent, ou de projeter le présent dans le passé. Pour l’instant, une synthèse qui concilierait les deux tendances semble impossible : la célèbre Histoire sociale de l’art et de la littérature d’Arnold Hauser (1953) demeure très éclectique. Si la méthode de Lukacs permet une plus grande précision historique, celle de W. Benjamin et d’Adorno, de son côté, est davantage ouverte à la vérification formelle. Prenant le chemin inverse, un linguiste comme Erich Auerbach, qui a un intérêt marqué (sans toutefois être influencé par le marxisme) pour le développement socio-historique, a fourni dans Mimesis (1946) un remarquable exemple de recherche historique à l’occasion d’une série d’exemples d’analyse stylistique. Et dans son livre La langue littéraire et le public dans la basse antiquité latine et au Moyen Age, Auerbach s’est également tourné vers le problème de la réception des œuvres, qui relève de la sociologie littéraire. Celle-ci, de son côté, continue de côtoyer le domaine de la critique d’inspiration marxiste sans pouvoir en faire partie de façon constitutive (malgré Gramsci, Benjamin et Sartre) dans la mesure où elle prétendrait alors conférer au stade de la « commande » et de la « consommation » (dont l’analyse est naturellement en elle-même légitime et importante) un rôle déterminant par rapport à la structure de l’œuvre. Ce rôle, la critique marxiste n’est pas disposée à l'admettre, si ce n’est en ce qui concerne la production commerciale, ou en tout cas non artistique. Marx a été très explicite sur ce point : dans un texte sur les théories de la plus-value, il oppose Milton, qui « a produit Le Paradis perdu pour la même raison qu’un ver à soie produit de la soie », c’est-à-dire parce que c’était « une activité de sa nature », au « prolétaire de la littérature », qui produit sur commande.

Le banc d’essai de la critique d’inspiration marxiste sera donc avant tout sa capacité de trouver des médiations sans [232] cesse plus riches entre l’identification des contenus et l’analyse de la forme, surtout à une époque où l’on assiste à une offensive massive de la critique formelle. Elle se distinguera d’ailleurs toujours de façon très nette de celle-ci sur un point essentiel. Le « slogan » souvent répété aujourd’hui selon lequel la littérature « est constitué exclusivement de langage » lui paraîtra toujours un jeu de mots d’un goût douteux, ou dans le meilleur des cas, une vérité trop proche de la lapalissade pour servir à quoi que ce soit. La question n’intéresse pas seulement la littérature car, à partir de ce slogan, on tend à reconstruire une unité de surface, si l'on peut dire, avec les autres secteurs de la culture et de la vie, dans la mesure où ils seraient tous dominés par une tendance à l’auto-organisation formelle. À cette unité de surface, la critique d’inspiration marxiste continue d'opposer une unité de profondeur. Elle admet avec Hegel que « l’aspect décisif de l’art, comme toute œuvre humaine, c’est le contenu ». [12]

Traduit par
Raymond Fredette
et Laurent-Michel Vacher,

Collège Ahuntsic.



* Ce texte est extrait du recueil : I metodi attuali della critica in Italia, Turin, ERI, 1970, pp. 23-37.

[1] « Fur eine Literaturgeschichte des Lesers », in Merkur, a. XXI, novembre 1967.

[2] Robert Escarpit dans Sociologie de la littérature, Paris, 1959, adopte une subdivision qui distingue « la production, la circulation et la consommation » du livre. Eu égard à cette définition la nôtre est certes réductive en ce qu’elle n’admettrait que les deux dernières.

[3] Cité d'après H.N. Fügen, Die Hauptrichtungen der Literaturso- ziologie, Bonn, 1964, p. 10.

[4] Storia délia letteratura italiana (édité par Nicolo Gallo), Turin, 1958, vol. II, p. 975.

[5] Letteratura e vita nazionale, Turin, 1950, pp. 77-78 (note).

[6] Op. cit., p. 7.

[7] Verifica dei poteri, Milan, 1965, p. 171.

[8] Cité d’après « Istituto per la recerca sociale di Francoforte », Lezioni di sociologia, traduction italienne, Turin, 1966, p. 120.

[9] Op. cit., p. 121.

[10] Noten zur Literatur, vol. I, Francfort sur le Main, 1958, p. 78.

[11] Cf. Sciences humaines et philosophie, Paris, Gonthier, 1963, p. 113 ; cité d’après Scienze humane e filosofia, traduction italienne, Milan, 1961, p. 124. URL.

* En français dans le texte.

[12] Esthétique, traduction italienne, Milan, 1963, p. 805 (souligné par l’auteur).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 7 septembre 2024 6:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref