RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Manuel Castells, La question urbaine. (1981)
Postface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Manuel Castells, La question urbaine. Paris: François Maspero, 1981, 526 pp. Collection: Petite bibliothèque Maspero, no 12. Une édition numérique réalisée avec le concours de Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac-St-Jean, Québec. [Autorisation de l'auteur accordée le 12 avril 2021.]

[483]

La question urbaine

Postface

Ce livre, écrit en 1970-1971, se voulait un outil de travail. De travail théorique, de travail de recherche scientifique. Et aussi, à travers des médiations nombreuses, de travail politique. Mais, produit dans des circonstances historiques données, il avait (et il a) par rapport à sa visée, des limites très sérieuses et des erreurs théoriques. Malgré une certaine conscience des problèmes implicites au travail accompli, sa publication cherchait à communiquer une réflexion afin de dépasser certaines de ces difficultés dans une pratique collective. C’est pourquoi, nous disions que « ce texte ne fait que communiquer certaines expériences de travail visant à produire une dynamique de recherche plutôt qu’à établir une démonstration irréalisable dans l’actuelle conjoncture théorique ». En partie, ces objectifs ont commencé à être atteints dans la mesure où les critiques et suggestions exprimées font partie d’un large courant de pensée, de recherche et de pratique sur les « problèmes urbains », courant qui s’est développé dans plusieurs pays pendant ces dernières années. Mais, en même temps, il a subi, comme tant d’autres ouvrages, un certain processus de fétichisation qui a cristallisé en principes théoriques ce qui n’était que des balbutiements émergeant d’une phase de travail centrée avant tout sur la critique des idéologies de l’urbain et sur la reconnaissance du terrain historique. Plus encore, les progrès accomplis par la recherche marxiste urbaine nous permettent aujourd’hui de rectifier certaines conceptions confuses ou, tout simplement, inutiles qui ont été développées dans ce livre. Une telle rectification ne doit pas prendre la forme scholastique d’une ré-écriture du texte.

Ce livre est ce qu’il est et il doit rester un produit historiquement [484] daté. Mais puisqu’on a l’occasion de revoir et compléter une nouvelle édition, il peut être utile de donner au lecteur quelques points de repère sur l’état actuel (1975) des questions débattues, tout en laissant le texte, pour l’essentiel, sous sa forme originale. Ces rectifications se traduisent dans de nouveaux travaux théoriques que nous-mêmes, parmi de nombreux autres camarades de travail, avons effectué après la publication du livre. Nous essaierons donc aussi de donner un bref aperçu de ces analyses et quelques références des nouvelles recherches dans le domaine.

1. Quelques rectifications et précisions théoriques.

Avec la perspective que donne non pas le temps mais la pratique, peut-être les difficultés les plus sérieuses de ce livre proviennent d’un saut trop rapide d’une critique théorique à un système théorique extrêmement formalisé. En particulier, la construction théorique en termes de système urbain, avec des éléments et des sous-éléments n’a été qu’une grille de classification, et non pas un outil de production de connaissances au sens fort du terme. Non pas que ce soit « faux » que de parler de système urbain ou que les éléments définis ne soient pas les « bons ». En réalité, une telle construction s’est révélée assez commode pour organiser nos informations tout au long de nos enquêtes [1].

Le problème est moins celui de sa justesse que celui de son utilité. En réalité, le « système urbain », avec ses éléments et ses relations, est une construction formelle dont l’essentiel, c’est-à-dire le dynamisme de ses articulations, est produit par des lois de développement historique et d’organisation sociale dont cette « théorie de l’urbain » ne rend pas compte. Le plus important, du point de vue de la phase actuelle du travail théorique, n’est donc pas de définir des éléments et de formaliser leur structure, mais de détecter les lois historiques à l’œuvre, dans les contradictions et pratiques dites urbaines. Il est prématuré à l’heure actuelle d’essayer d’atteindre le niveau de formalisation structurelle proposée car les lois historiques déterminent les formes de la structure plutôt que l’inverse.

De ce point de vue, notre travail a été influencé par une certaine interprétation d’Althusser (plutôt que par les travaux [485] d’Althusser lui-même) visant à construire un ensemble théorique codé et formalisé avant d’aller vers la recherche concrète, ce qui conduit nécessairement à une juxtaposition de formalisme et d’empirisme et s’achève donc dans une impasse. Ce qui est en jeu est en fait le style même du travail théorique, la démarche épistémologique en question. Il faut opter entre, d’un côte, l’idée d’une « grande théorie » (même marxiste) qu’on vérifie ensuite dans l’empirisme, et, d’un autre côté, la proposition d’un travail théorique qui produit des concepts et leurs relations historiques à l’intérieur d’un processus de découverte des lois de sociétés données dans leurs modes spécifiques d’existence. Il ne s’agit pas seulement de « faire des recherches empiriques ». Il s’agit plutôt du fait que la « théorie » n’est pas produite en dehors d’un processus de connaissance concrète. Telle est l’expérience du matérialisme historique et telle est la leçon que nous aurions dû prendre en considération de façon plus rigoureuse. Certes, il y a des médiations et des moments théoriques où il faut s’arrêter sur la discussion de certains concepts. Mais il ne faut jamais perdre le cordon ombilical entre ces élaborations et les lois historiques de la pratique sociale. Plus concrètement, la traduction des problèmes urbains en termes de reproduction de la force de travail et leur formalisation au moyen du système urbain n’est utile que dans la mesure où elle est un pas pour exprimer les formes d’articulation entre les classes, la production, la consommation, l’État et l’urbain. Le point fondamental n’est donc pas celui d’une transformation du langage (qui peut devenir, à la limite, pur symbole d’appartenance à une famille intellectuelle), mais celui du contenu historique des relations ainsi formalisées. Ceci dit, il faut rejeter avec la plus grande énergie les attaques de ceux qui critiquent un « jargon » pour lui en opposer un autre (fonctionnaliste, par exemple) ou pour le remplacer par le « langage courant », c’est-à-dire par un code idéologique qui leur convient structurellement. La rupture épistémologique entre la perception quotidienne et les concepts théoriques est plus nécessaire que jamais dans le domaine urbain si fortement organisé par l’idéologie. La question est d’effectuer cette rupture et cette production de concepts dans un procès de travail théorique et non pas simplement dans une combinatoire formelle qui ne peut être qu’une opération technique subséquente et secondaire. Or, pour le moment, le système urbain, tel qu’il est défini dans ce livre, n’est pas un concept mais un outil formel. Il sera ce qu’on en fera en fonction de recherches concrètes produisant à la fois des connaissances historiques et des moyens conceptuels de [486] ces connaissances. Et il ne doit être utilisé que s’il aide dans le développement de ces recherches.

Un deuxième problème qui a soulevé bon nombre de confusions et de malentendus a été le déplacement terminologique effectué et, en particulier, la définition de l’urbain en termes de reproduction collective de la force de travail et de la ville en termes d’unité de ce processus de reproduction. Pourquoi une ville serait-elle seulement cela ? réplique-t-on. Dans une ville, il y a aussi des usines, des bureaux, des activités de toutes sortes. Et par ailleurs, le procès d’accumulation du capital, la réalisation de la marchandise, la gestion de la société se font, pour l’essentiel, dans des villes et façonnent de manière décisive les problèmes urbains.

Bien sûr !

Le malentendu provient de la difficulté du renversement épistémologique que nous devons opérer. Car il s’agit de :

- Montrer que l’ensemble des problèmes dits « urbains » sont saisis à travers des catégories d’une certaine idéologie (l’idéologie urbaine) qui, à la fois, empêche leur compréhension et réalise les intérêts sociaux des classes dominantes.

- Reconnaître que l’importance grandissante de cette problématique idéologique ne provient pas d’une pure manipulation mais du fait qu’elle organise symboliquement, d’une certaine façon, les problèmes expérimentés par les gens dans leur pratique quotidienne. Il s’agit donc d’identifier ces problèmes en termes empiriques, de les traiter théoriquement au moyen d’un outillage adéquat et d’expliquer, enfin, les racines sociales du développement de l’idéologie de l’urbain. Le moment fondamental de l’analyse est cependant l’analyse concrète de ces « problèmes nouveaux » ou de la place nouvelle de ces problèmes anciens dans la phase actuelle du mode de production capitaliste.

- C’est en ce sens que nous disons que l’essentiel des problèmes que l’on considère urbains sont en fait liés aux processus de « consommation collective », ou ce que les marxistes appellent de l’organisation des moyens collectifs de reproduction de la force de travail. C’est-à-dire des moyens de consommation objectivement socialisés et qui, pour des raisons historiques spécifiques, sont essentiellement dépendants pour leur production, distribution et gestion, de l’intervention de l’État. Ceci n’est pas une définition arbitraire. C’est une hypothèse de travail qui peut être vérifiée par l’analyse concrète des sociétés capitalistes avancées, ce à quoi nous nous attachons.

Ceci dit, la confusion créée par notre « définition de [487] l’urbain » (qui n’en est pas une) est telle qu’il faut, à la fois, une précision et une longue explication.

Une précision : une ville concrète (ou une agglomération, ou une unité spatiale donnée) n’est pas seulement une unité de consommation. Elle est, bien sur, composée d’une très grande diversité de pratiques et de fonctions. Elle exprime, en fait, la société dans son ensemble, quoique à travers la forme historique spécifique qu’elle représente. Donc, quiconque voudrait étudier une ville (ou une série de villes) devrait étudier aussi bien le capital, la production, la distribution, la politique, l’idéologie, etc. Plus encore, on ne peut pas comprendre le processus de consommation sans le lier à l’accumulation du capital et aux rapports politiques entre les classes. Le problème reste de savoir quelle est la spécificité de ce processus de reproduction de la force de travail et quels sont les rapports entre reproduction collective de la force de travail et problématique urbaine.

Et c’est ici qu’une assez longue explication semble nécessaire pour rectifier des effets théoriques néfastes produits par une certaine lecture de notre travail. Voyons, pas à pas, comment se pose le problème de la redéfinition théorique du « champ urbain » par rapport aux objectifs énoncés.

Dans la recherche urbaine, nous sommes prisonniers de notions (et par conséquent d’un certain découpage du réel) qui correspond aux termes du langage courant, dominés le plus souvent, en ce qui nous concerne, par l’idéologie de l’urbain. Dès lors, à partir du moment où l’on essaie de partir d’autres fondements théoriques, il nous faut aussi employer un langage autre, formé de concepts non rivés à un champ spécifique de l’expérience, mais communs à la science sociale en général. C’est ce que nous essayons de faire en ce moment, en entreprenant l’analyse de la consommation collective à partir du mode de production et en parcourant successivement les problèmes théoriques soulevés dans l’étude de l’infrastructure du mode de production capitaliste, puis dans la supra-structure. En bonne logique, une telle démarche se suffit à elle-même. Le seul problème, et c’est l’essentiel, est de relier ce développement conceptuel à des pratiques historiques concrètes de manière à établir des lois sociales rendant compte des phénomènes observés, dépassant les constructions purement formelles. Mais du point de vue du vocabulaire scientifique, nous pourrions nous passer dès à présent, des notions couramment utilisées, des termes de la pratique sociale (« langage », donc idéologie), tels que « urbain », « ville », « région », « espace », etc. De ce point de vue, le problème de la définition (ou redéfinition) de l’urbain ne [488] se pose même pas. Des termes comme « urbain », chargés d’un contenu idéologique précis (et non seulement parce qu’ils sont idéologiques) sont entièrement étrangers à notre démarche. Ceci dit, le travail théorique ne se déroule pas dans le vide social ; il doit s’articuler à l’état des connaissances-méconnaissances sur les pratiques observées, il doit tenir compte de la conjoncture et constituer une véritable tactique d’investigation. Ainsi, plus un domaine du social est investi, constitué par l’idéologie dominante et plus on doit, à la fois, se distancer en ce qui concerne la production des outils conceptuels pour son analyse et établir des passerelles entre la conceptualisation théorique et la saisie idéologique de ces pratiques. Autrement, c’est un processus schizophrénique qui s’instaure, rendant incommunicable l’expérience des masses et le travail scientifique.

Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de changer un terme par un autre en le rapprochant d’un langage qui nous est plus familier ou plus sympathique (en termes d’affinité idéologique). Il s’agit d’assurer, parallèlement, le développement de certains concepts (donc, non pas des « mots » mais des outils de travail théorique renvoyant toujours nécessairement à une certaine place dans un certain champ théorique) et l’intelligibilité de ces concepts par rapport à l’expérience vécue, en montrant la communauté d’objet réel de référence entre tel concept et telle notion idéologique. Bien sûr, une telle correspondance ne peut exister terme à terme : telle notion résumera en fait tout un processus ; telle autre sera un pur artefact idéologique sans aucune correspondance directe avec une pratique réelle. Toutefois, nous partons de l’hypothèse que certains domaines construits (délimités) idéologiquement reposent sur une certaine unité, spécificité, de l’expérience pratique. C’est en se basant sur cette homogénéité de la pratique vécue qu’une idéologie peut prendre des racines sociales, en déplaçant l’expérience vécue vers un champ d’interprétation suscité par l’idéologie dominante. C’est dire que l’idéologie de l’urbain repose sur une certaine spécificité de l’urbain comme domaine d’expérience, mais que cet « urbain » n’étant compréhensible que dans les fantasmes d’une certaine idéologie, il faut, à la fois, mettre en lumière la réalité ainsi connotée et rendre compte de sa spécificité.

Commençons donc par l'espace. Voilà quelque chose de bien matériel, élément indispensable de toute activité humaine. Et pourtant, cette même évidence lui enlève toute spécificité et l’empêche d’être utilisé directement comme une catégorie dans l’analyse des rapports sociaux.

[489]

En effet, l’espace comme le temps, ce sont des grandeurs physiques qui ne nous disent rien, en tant que telles, sur le rapport social exprimé ou sur leur rôle dans la détermination de la médiation de la pratique sociale. Une « sociologie de l’espace » ne peut être qu’une analyse de certaines pratiques sociales données sur un certain espace, donc sur une conjoncture historique. De même qu’en parlant du XIXe siècle (expression d’ailleurs discutable), on ne fait pas allusion à un découpage chronologique, mais à un certain état des formations sociales, de même en parlant de la France, ou de l’Auvergne, du quartier de Ménilmontant, du Matto Grosso ou du quartier de Watts, on fait référence à une certaine situation sociale, à une certaine conjoncture. Bien sûr, il y a le « site », les conditions « géographiques », mais elles n’intéressent l’analyse qu’en tant que support d’une certaine trame des rapports sociaux, les caractéristiques spatiales produisant des effets sociaux extrêmement divergeants suivant les situations historiques. Donc, du point de vue social, il n’y a pas d'espace (grandeur physique mais entité abstraite en tant que pratique), mais un espace-temps historiquement défini, un espace construit, travaillé, pratiqué par les rapports sociaux. N’infléchit-il pas, à son tour, lesdits rapports sociaux ? N’y a-t-il pas une détermination spatiale du social ? Oui. Mais non pas en tant qu’ « espace », mais en tant qu’une certaine efficacité de l’activité sociale exprimée dans une certaine forme spatiale. Un espace « montagnard » ne détermine pas un mode de vie : les souffrances du milieu physique sont médiatisées, travaillées, transformées par les conditions sociales. En fait, il n’y a pas à choisir entre le « naturel » et le « culturel » dans la détermination sociale, car les deux termes sont unifiés indissolublement dans la seule réalité matérielle du point de vue social : la pratique historique. D’ailleurs, toutes les « théories de l’espace » qui ont été produites sont des théories de la société ou spécifications de ces théories. (Cf. sur ce point les analyses détaillées réalisées dans le chapitre III, 1.) L’espace, socialement parlant, de même que le temps, est une conjoncture, c’est-à-dire l’articulation de pratiques historiques concrètes.

Il s’ensuit quelque chose de fondamental pour notre analyse : la signification sociale des différentes formes et types d’espace, le découpage significatif de l’espace, les unités spatiales, n’ont pas de sens en dehors du découpage de la structure sociale en termes scientifiques, donc en termes de mode de production et de formations sociales. C’est-à-dire que chaque mode de production, et à la limite chaque stade d’un mode de production, implique un découpage [490] autre de l’espace, non pas seulement en ternies théoriques, mais en termes des rapports réels instaurés entre les différents espaces. Disons, très généralement, que la spécificité de ces types d’espace correspondra, pour l’essentiel, à l’instance non seulement déterminante mais dominante d’un mode de production dans le cas du capitalisme : l’économique. D’autre part, tout espace sera construit conjoncturellement, donc en termes de formation sociale, donc en termes d’articulation de modes de production, de telle façon que la dominance s’exprimera sur un fond de formes historiquement cristallisées de l’espace.

Que veut dire un découpage, sous la dominance du mode de production capitaliste, en termes de découpage économique ? Cela veut dire une organisation de l’espace spécifique pour chacun des éléments du procès de production immédiat d’une part (force de travail et reproduction de la force de travail ; moyens de production et reproduction des moyens de production) ; d’autre part, une organisation de l’espace spécifique à la gestion au procès de travail ; enfin, l’espace du procès de circulation du capital.

Nous posons le fait que, au moins en ce qui concerne le stade monopoliste du mode de production capitaliste, les deux derniers processus, concernant la gestion et la circulation du capital, se caractérisent par leur délocalisation, leur mouvance à l’échelle mondiale. Il s’agit de l’élimination tendancielle de l’espace en tant que source de spécificité. Alors que le temps, par contre, devient de plus en plus central au processus, le fractionnant en opérations spécifiques suivant la vitesse différentielle de réalisation. Ceci reste, naturellement, à démontrer. Les conséquences de ces affirmations sont considérables pour toute nouvelle « théorie de l’espace » et il faudra, en son temps, entreprendre la fouille systématique de ces pistes de recherche.

La spécificité spatiale des processus de reproduction de la force de travail et des processus de reproduction des moyens de production introduisent beaucoup plus directement notre problématique.

Nous pensons, en effet, que les moyens de production ne s'organisent pas sur le plan spatial au niveau d’une entreprise dans une économie aussi complexe que celle du capitalisme avancé. Le milieu d’interdépendances techniques, les ressources communes, les « économies externe » comme disent les marginalistes, se réalisent à une échelle beaucoup plus large. À l’échelle d’une agglomération, alors ? Pas toujours. Car si certaines agglomérations (les aires métropolitaines en particulier) possèdent une spécificité au niveau de l’organisation de l’appareil [491] de production (à l’intérieur, bien sûr, d’une interdépendance généralisée), d’autres unités résidentielles (agglomérations) ne sont qu’un rouage entièrement hétéronome du procès de production et de distribution. L’organisation de l’espace en unités spécifiques et articulées, suivant les agencements et les rythmes des moyens de production, nous parait renvoyer aux distinctions de la pratique en termes de régions. En effet, si nous considérons, par exemple, la question régionale, exprimée en termes de déséquilibres économiques à l’intérieur d’un même pays, la réalité connotée de façon immédiate est ce que la tradition marxiste traite comme effets du développement inégal du capitalisme, c’est-à-dire développement inégal des forces productives et spécificité dans l’organisation des moyens de production suivant un rythme différentiel lié aux intérêts du capital. Développement inégal des secteurs économiques, mise en valeur inégale des ressources naturelles, concentration des moyens de production dans les conditions les plus favorables, création de milieux productifs ou « unités de production complexes », voilà les bases économiques de ce qu’on appelle les régions et les disparités régionales [2].

L’organisation spatiale de la reproduction de la force de travail, elle, semble par contre déboucher sur des réalités géographico-sociales bien connues : à savoir, les agglomérations, au sens statistique banal du terme. Qu’est-ce qu’une « agglomération » ? Une unité productive ? Pas du tout, dans la mesure où les unités de production se placent à une autre échelle (au minimum, régionale). Une unité institutionnelle ? Absolument pas, puisqu’on connaît le non-recoupement presque systématique entre les unités urbaines « réelles » et le découpage administratif de l’espace. Une unité idéologique, en termes de mode de vie propre à une « ville » ou à une forme spatiale ? Ceci est dénué de sens à partir du moment où ton refuse l’hypothèse culturaliste de la production des idéologies par le cadre spatial. Il n’y a pas une « bourgeoisie parisienne », sauf en termes de détails semi-folkloriques. Il y a un capital international et une classe dominante française (dans la mesure où il y a la spécificité d’un appareil d’État) ; il y a des spécificités idéologiques régionales [492] (et non pas citadines) dans les termes de la spécificité spatiale de l’organisation des moyens de production. Mais il n’y a pas de spécificité culturelle de la ville comme forme spatiale ni de telle ou telle forme particulière de l’espace résidentiel. (Je renvoie au chapitre II, 3, « Les milieux sociaux résidentiels ») pour une discussion sur ce point).

Alors, qu’est-ce qu’on appelle une unité urbaine ? Ou plus généralement, une agglomération ? Ce terme de la pratique sociale et administrative désigne plutôt — on en conviendra aisément — une certaine unité résidentielle, un ensemble d’habitations avec les « services » correspondants. Une unité urbaine n’est pas une unité en termes de production. Par contre, elle présente une certaine spécificité en termes de résidence, en termes de « quotidienneté ». Elle est, en somme, l’espace quotidien d’une fraction délimitée de la force de travail. Ce n’est pas très différent de la définition courante parmi les géographes et économistes, d’une agglomération à partir de la carte des migrations alternantes. Or, qu’est-ce que cela représente du point de vue du découpage en termes de mode de production ? Eh bien, il s’agit du processus de reproduction de la force de travail : voilà l’exacte désignation en termes d’économie marxiste, de ce qu’on appelle la « vie quotidienne ». À condition bien sûr de le comprendre dans les termes explicités, à savoir, en y articulant la reproduction des rapports sociaux et en le rythmant selon la dialectique de la lutte de classes.

Il faut cependant différencier deux grands types de processus de reproduction de la force de travail : la consommation collective et la consommation individuelle. Lequel des deux structure l’espace ? Autour duquel s’organisent les agglomérations ? Il va de soi que les deux processus sont articulés dans la pratique, par conséquent celui qui dominera l’ensemble du processus structurera l’autre dans sa logique. Or, l’organisation d’un processus sera d’autant plus concentrée et centralisée, et donc structurante, que le degré de socialisation objective du processus est avancé, que la concentration de moyens de consommation et leur interdépendance sont plus grandes, que l’unité de gestion du processus est plus poussée. C’est au niveau de la consommation collective que ces traits sont les plus évidents, et c’est donc autour de ce processus que l’ensemble de la consommation-reproduction de la force de travail-reproduction des rapports sociaux se structure.

Nous pouvons donc retraduire en termes de reproduction collective (objectivement socialisée) de la force de travail, [493] la plupart des réalités connotées par la notion d'urbain et analyser les unités urbaines et les processus s’y rattachant en tant qu’unités de reproduction collective de la force de travail, dans le mode de production capitaliste.

D’ailleurs une allusion intuitive aux problèmes qu’on considère « urbains » dans la pratique suffit pour observer le recoupement (que l’on réfléchisse au sens structurel dans le mode de production de questions comme le logement, les équipements collectifs, les transports, etc.).

Mais alors, qu’est-ce qu’une ville ? Dans son sens actuel, elle ne peut être qu’une connotation générique des unités urbaines, des différentes sortes d’unités.

Que faire alors de la différence entre villes et campagnes, entre rural et urbain ? Les villages ne sont-ils pas, eux aussi, des unités de reproduction de la force de travail ?

Effectivement et en ce sens, il faut remplacer la dichotomie rurale/urbaine par une diversité discontinue de formes spatiales et par une pluralité différenciée d’unités de reproduction de la force de travail, la place occupée par l’unité dans ce processus et, surtout, la filière spécifique de force de travail qu’il s’agit de produire.

Au niveau des formes spatiales, il n’y a que « la ville » et le « village » à établir comme différence, mais plutôt une très grande diversité de formes (« village », « bourg », « ville moyenne », « capitale régionale », « grande agglomération », « métropole », « mégalopole » et autres termes utilisés par les géographes) qui renvoient à une différenciation des formes spatiales et donc à une pluralité d’unités « spatiales », d’unités de consommation collective, irréductible à une pure dichotomie en termes de rural/urbain. (Voir sur ce sujet les travaux de Bernard Kayser, et de son équipe, sur le rapport entre espace rural et espace urbain). Pourquoi « la ville moyenne » serait plus proche du village que de la métropole ? Ou l’inverse ? C’est tout simplement, autre chose. Mais cet autre chose n’est pas à établir en termes impressionnistes, typologiques, descriptifs, mais en termes de place spécifique au sein du processus de consommation collective.

Mais alors, n’y aurait-il plus de séparation entre « villes » et « campagnes" » ? Est-ce « l’urbanisation généralisée » ? En réalité, cette problématique n’a pas de sens (autre qu’idéologique) en tant que telle, posée dans les termes où on la pose le plus souvent. Car elle présuppose déjà la distinction et même la contradiction entre rural et urbain, opposition et contradiction qui n’a que peu de sens dans le capitalisme. Les espaces de production et de consommation dans la phase monopoliste du capitalisme [494] sont fortement interpénétrés, imbriqués, suivant l’organisation et le développement inégal des moyens de production et des moyens de consommation et ne se figeant pas en tant qu’espaces définis seulement dans un des pôles de la division sociale ou technique du travail. Quand on parle « d’urbanisation des campagnes » (à travers le tourisme en particulier) ou de « ruralisation des villes » (l’extension des banlieues résidentielles pavillonnaires), on a là des symptômes d’une inadéquation de la problématique qui se font explicites même à l’intérieur de l’idéologie. Ceci dit, une telle imbrication ne signifie pas la fin des contradictions sociales exprimées à travers et par médiation des formes spatiales, mais uniquement la non-réductibilité à une opposition dichotomique entre villes et campagnes comme contradiction principale.

On peut expliquer, par contre, la persistance de cette problématique et la diffusion de ce thème que Marx et Engels avaient repris dans l’Idéologie allemande. En effet, la contradiction entre « villes et campagnes » exprimait, dans l’analyse de Marx et Engels, la contradiction sociale entre les producteurs • directs travaillant la terre et les gérants du produit dont l’existence était fondée sur l’appropriation du surplus agricole. Historiquement, il y a eu possibilité de « villes », c’est-à-dire de concentrations résidentielles ne vivant pas d’un produit agricole directement obtenu par le travail de la terre sur place, à partir du moment où il y a eu surplus agricole et appropriation de ce surplus par une classe de non travailleurs. Ainsi, tant que la base essentielle de l’économie a été l’économie agraire, le travail des paysans, sous différentes formes de rapports sociaux, les « villes » ont été la forme spatiale et l’organisation sociale exprimant à la fois la gestion-domination de la classe exploiteuse et le lieu de résidence (et de consommation) de cette classe et de ses appareils et services, alors que les « campagnes » étaient le monde où vivaient et travaillaient la « masse fondamentale » (cf. Mao Tsé-toung, Sur le concept de « masse fondamentale ») des exploités. La contradiction entre villes et campagnes, s’identifiant presque complètement à la séparation entre travail manuel et travail intellectuel et en exprimant la bipolarité de la contradiction principale entre exploiteurs et exploités, avait donc un sens profond. Par contre, à partir du moment où il y a déplacement de la contradiction principale, avec la dominance du mode de production capitaliste, la contradiction villes-campagnes perd l’univocité de son sens. Car il n’y a pas de contradiction entre paysans-travailleurs et prolétariat urbain, alors même qu’une identité d’intérêts sociaux se [495] fait entre capital industriel et capital agricole dans une économie rurale de plus en plus dominée par le capital monopolistique. Les contradictions dites villes-campagnes deviennent alors des contradictions secondaires entre secteurs productifs, entre fractions de capital. Il s’agit là de la dialectique du développement inégal que nous avons esquissée sous la rubrique des « problèmes régionaux >, mais il n’y a plus de bipolarité contradictoire univoque, comme c’était le cas dans une situation esclavagiste, despotique-asiatique ou féodale ou, encore, comme c’était le cas dans l’opposition entre les seigneuries féodales et les cités bourgeoises de la transition au capitalisme. Bien sûr, il y a des spécificités, aussi bien économiques qu’idéologiques dans la situation du paysan parcellaire et du travailleur agricole, par rapport à d’autres classes et couches exploitées. Mais de telles spécificités sont traitées dans une trame plus large des rapports sociaux en même temps que les formes spatiales de l’activité humaine se diversifient, de telle façon que la dichotomie rural/urbain, même traduite dans les termes classiques de l’opposition entre villes et campagnes, n’est qu’un support matériel de l’idéologie culturaliste réactionnaire de l’évolution de la c société traditionnelle » à la « société moderne ».

Ceci a une conséquence immédiate sur notre démarche, à savoir que la « traduction théorique » de la problématique urbaine en termes de consommation collective et que le traitement des « unités spatiales » en tant qu’unités e reproduction de la force de travail, n’ont de sens qu’historique et que donc une telle analyse est spécifique du mode de production capitaliste et ne peut être appliquée aux « villes » d’autres modes de production. (C’est ainsi, par exemple, que l’autonomie politico-administrative des villes de la Renaissance, liée à la montée de la bourgeoisie marchande en opposition aux seigneurs féodaux, est à la base de la spécificité des « Cités » européennes, dont le souvenir est à la base, encore aujourd’hui, du type-idéal de ville.)

Plus encore, il est très douteux que la problématique urbaine connote les mêmes dimensions de la structure sociale dans des sociétés placées dans une situation différente et même opposée, dans la chaîne articulée de formations sociales qui constituent le système impérialiste mondial. C’est le cas, en particulier, des sociétés dépendantes, où les « problèmes urbains » renvoient le plus souvent à la problématique dite de la « marginalité », c’est-à-dire de ta non-exigence, du point de vue du capital, de reproduction d’une bonne partie de la population qui est structurellement en dehors de la force de travail et dont le rôle n’est [496] même plus requis en tant qu’armée de réserve [3]. Une transposition directe de nos analyses sur le capitalisme avancé à de telles situations, au lieu d’utiliser un style de raisonnement analogue, peut avoir des effets intellectuels tout à fait paralysants.

Ceci dit, dans les sociétés capitalistes avancées, que faire, dira-t-on, de tant de thèmes « urbains » qui n’ont pas trait directement à la reproduction de la force de travail ? Est-ce que, par exemple, nous devons laisser de côté des thèmes aussi importants que la place occupée par la croissance urbaine dans l’investissement du capital et la spéculation financière ? Est-ce que l’occupation des centres urbains par les gratte-ciels des sièges sociaux n’est pas un thème urbain ?

Plusieurs précisions sont nécessaires à cet égard :

1. Il ne faut pas confondre la spécificité sociale d’un processus (celui de reproduction de la force de travail) et des unités qui en découlent avec la production sociale de ce processus et de ces unités, de leur structure interne, de leur développement et de leur crise. Ainsi, quand on parle du rôle joue par le capital de par la rente foncière dans « l’urbain », il ne s’agit pas d’en écarter le sujet parce qu’il n’a pas trait directement à la reproduction de la force de travail, mais plutôt de le traiter en tant que se réalisant dans ce processus de reproduction. De même, la production du « centre urbain » est affaire de capital et de l’appareil politique, mais nous ignorons ce qu’est ce « centre urbain » tant que nous ne l’avons pas décodé théoriquement. Donc, c’est en sachant quelle est la place structurelle du produit visé que nous pourrons comprendre la forme spécifique de réalisation des intérêts du capital dans sa production.

2. L’analyse des composantes spatiales n’est pas, par elle-même, une analyse des processus de reproduction de la force de travail, n’est pas une analyse urbaine e4, par conséquent (car c’est cela l’important), elle ne répond pas aux règles particulières découvertes dans le domaine de l’urbain. Mais elle l’est très souvent à cause du découpage de l’espace en unités spécifiques à partir du processus de reproduction de la force de travail. Le « centre urbain » [497] est urbain parce que la forme spatiale et les rapports sociaux qui s’y expriment sont un élément du fonctionnement et au changement des unités de reproduction collective de la force de travail, des unités « urbaines ».

3. Le point fondamental est celui-ci : le fait que le processus de reproduction de la force de travail ait une certaine spécificité, à la base de l’autonomie relative de « l’urbain » et des « unités urbaines », ne veut pas dire qu’il soit indépendant de l’ensemble de la structure sociale. Plus encore, il est structuré lui-même (comme tout processus social), par une combinaison spécifique, organisée par la contradiction principale entre les classes, des éléments fondamentaux de la structure sociale. C’est cette structuration interne du processus de reproduction collective de la force de travail que nous appelons « structure urbaine ». Elle est composée de l’articulation spécifique des instances économiques, politiques et idéologiques des modes de production dans la formation sociale, à l’intérieur du processus de reproduction collective de la force de travail. Ceci, qui a l’air d’être horriblement compliqué et abstrait, est pourtant le mode de raisonnement couramment utilisé par les marxistes dans d’autres régions de la structure sociale : la difficulté provient plutôt du dépaysement causé par le brouillard de l’idéologie de l’urbain.

En effet, tout le monde s’accorde à « situer » structurellement une usine au niveau de l’économique et plus précisément dans le processus de reproduction des moyens de production. Et pourtant, une usine n’est pas « que ça ». Mais elle est d’abord ça. En son intérieur se réalisent des processus de reproduction de rapports sociaux idéologiques, s’exercent des rapports de domination politiques, ont lieu aussi, en un certain sens, des processus concourant à la reproduction de la force de travail (par exemple, les mesures de sécurité dans le travail...). Toutefois, cet ensemble de processus se réalise à l’intérieur d’un procès de production immédiat et l’articulation des éléments de la structure sociale ici est spécifique, en ce sens qu’elle répond à des règles modernes, différentes, par exemple, de celles qui articulent la structure sociale a l’intérieur de l’appareil d’État. (Le lecteur voudra bien se détacher de l’immédiateté empiriste de l’analyse en termes « d’usine » dans l’exemple utilisé et généraliser le raisonnement au procès de production dans son ensemble.)

Ainsi, la même structuration interne de l’ensemble de la structure sociale au niveau des villes se réalise de façon spécifique par le processus de consommation collective. Il n’est donc pas indifférent de savoir quel est le processus qui spécifie cette structuration car les pratiques historiques [498] enracinées dans un tel processus en porteront la marque.

Il convient, en outre, de rappeler qu’il ne s’agit pas là de pures « combinaisons formelles » d’éléments structurels, mais d’articulations historiquement déterminées, spécifiant sous une forme propre, la contradiction entre capital et travail (donc, la lutte de classes) et les contradictions qui en découlent.

À quoi sert tout cela ? Et comment le justifie-t-on ?

Cela sert à développer une recherche scientifique sur les problèmes connotes (et donc à orienter la pratique sociale correspondante) et ne se justifie que par la fécondité des résultats de recherche acquis à partir de ces nouvelles bases.

Ainsi, par exemple, si l’on part d’une analyse culturaliste de l’urbain, on s’efforcera d’établir et de comparer des « styles de vie » différents suivant les formes d’espace et d’en déceler les liens de causalité sous-jacents. Si l’on part de la contradiction entre « ville » et « campagne », on établira les caractéristiques de ces deux termes et on montrera ensuite l’effet propre de ces caractéristiques géographiques et économiques sur les rapports sociaux qui en découlent. Si l’on en reste à une analyse de la production de l’espace, on choisira tel ou tel processus économique ou politique et l’on montrera le résultat auquel ils aboutissent en ce qui concerne la forme spatiale (de l’agrément du cadre à la fonctionnalité de la disposition des volumes bâtis).

Si l’on part de l’analyse que nous avons effectuée, on se centrera avant tout sur l’analyse des moyens collectifs de consommation, en étudiant celle-ci de façon différentielle suivant les filières de la force de travail qu’il faut reproduire et les contradictions de classe qui s’y expriment de manière spécifique.

Si de telles hypothèses sont justifiées, une analyse concrète des processus de consommation collective doit éclairer, au bout du chemin, l’essentiel des problèmes qu’on appelle « urbains » dans le langage courant. Telle est la seule démonstration possible (en termes d’efficacité sociale) de la validité de notre point de départ, au-delà des raisonnements logiques et du recours à l’autorité morale des auteurs classiques.

Ainsi, par exemple, quels sont les problèmes concrets à travers lesquels s’est exprimée l’importance grandissante de l’urbain depuis vingt ans ?

1) La concentration urbaine croissante, c’est-à-dire la concentration de la population dans des agglomérations de plus en plus gigantesques, avec tout ce qui en découle.

2) L’intervention massive de l’État dans la production et [499] la distribution des équipements collectifs et dans l’aménagement urbain.

3) Le développement des « luttes urbaines », nouvelles formes de conflits sociaux.

4) Le développement vertigineux des discours sur l’urbain, de la « prise de conscience sur ces problèmes » et de leur mise en premier plan par les appareils institutionnels officiels.


Une analyse de ces phénomènes historiques en termes de consommation collective tendrait à signaler la correspondance et la causalité entre ces « réalités » et des tendances structurelles fondamentales du capitalisme monopoliste d’État :

1) Socialisation objective de la reproduction de la force de travail et concentration des moyens de consommation à la suite de la concentration et la centralisation des moyens de production et de leur gestion.

3) Intervention nécessaire et permanente de l’appareil d’État pour pallier la rentabilité différentielle des secteurs de production des moyens de consommation et assurer le fonctionnement d’un processus de plus en plus complexe et interdépendant.

3) Revendication des classes dominées concernant de plus en plus le « salaire indirect » dans la mesure où celui-ci prend une place accrue dans leur processus de reproduction simple et élargie.

4) Traitement de cet ensemble de problèmes nouveaux par l'idéologie dominante, en les déplaçant, en les naturalisant, en les spatialisant : développement de l’idéologie de l’urbain qui s’universalise sous la forme de l’idéologie de l’environnement.


Il va de soi que ces quelques rapprochements ne peuvent pas jouer le rôle d’une démonstration. Ils nous servent, pourtant, pour indiquer la façon dont nous entendons remettre sur ses pieds la problématique urbaine aujourd’hui dominée par l’idéalisme culturaliste ou par l’empirisme spatial.

Hic Rhodus, hic salta !, comme dirait l’autre...

Une dernière rectification théorique, assez importante, concernant les analyses exposées dans ce livre, est celle qui se réfère à l’étude des mouvements sociaux urbains.

Le grand danger de la perspective que nous développons dans les dernières pages de La Question urbaine est celui du subjectivisme dans l’analyse des pratiques qu’on aurait accouplé à un certain structuralisme dans l’analyse du système urbain. En effet, comme l’écrit Jordi Borja dans un [500] des meilleurs textes sur ces thèmes [4] : « L’analyse du phénomène urbain souffre, dans ses formulations théoriques, d’une difficulté particulière pour expliquer à la fois la structure urbaine et les mouvements urbains... La rupture, de souche idéaliste, entre les structures et les pratiques paralyse l’analyse dialectique et développe une dichotomie analytique entre une théorie de la reproduction (« la ville du capital ») et une théorie du changement de type historiciste (la ville transformée par les « mouvements sociaux urbains »). L’analyse dialectique conçoit toute structure comme une réalité contradictoire et en changement continu. Ces contradictions objectives suscitent des conflits sociaux qui apparaissent en tant qu'agents immédiats du changement. Il n’y a pas des structures qui ne soient pas autre chose qu’un ensemble de relations sociales contradictoires et conflictuelles, plus ou moins cristallisées, mais toujours en processus de changement. Et il n’y a pas des mouvements urbains, dans lesquels participent toutes les classes sociales à des degrés différents, qui ne se situent pas à l’intérieur des structures, en les exprimant et en les modifiant de façon constante. j> On ne saurait mieux dire.

Or, de ce point de vue, si les analyses de ce livre ne nous semblent pas pouvoir être taxées de structuralistes (car elles rappellent sans cesse que les structures n’existent que dans les pratiques et que la « structure urbaine » n’est qu’une construction théorique dont l’analyse passe nécessairement par l’étude de la politique urbaine), par contre, elles se prêtent à des déviations subjectivistes en ce qui concerne les mouvements sociaux urbains. De manière plus précise, notre grille d’analyse sur les mouvements urbains, telle que présentée dans le livre, ne prend en considération que les caractéristiques internes du mouvement et leur impact sur la structure sociale. En fait, l’étude des mouvements urbains ne peut se faire qu’en observant l’interaction entre les intérêts structurels et les agents sociaux qui constituent le mouvement et les intérêts et les agents sociaux qui s’y opposent. Ce qui veut dire que la grille d’analyse des mouvements urbains doit considérer au moins quatre plans en constante interaction :

a) L’enjeu du mouvement, défini par le contenu structurel du problème traité.

[501]

b) La structure interne du mouvement et les intérêts et acteurs qui y sont présents.

c) Les intérêts structurels opposés au mouvement, l’expression organisationnelle de ces intérêts, les pratiques concrètes de cette opposition.

d) Les effets du mouvement sur la structure urbaine et sur les rapports politiques et idéologiques.

Nos travaux sur ces thèmes depuis trois ans ont mis en pratique cette méthodologie avec des résultats assez encourageants [5].

D’autre part, il faut délimiter plus clairement la différence entre l’étude des luttes urbaines (en tant que pratique historique) et la découverte de mouvements sociaux urbains (en tant que pratique historique transformatrice). Nous étudions les premières pour y découvrir les éléments .susceptibles de développer des mouvements sociaux, c’est-à-dire des systèmes de pratiques susceptibles de transformer la logique structurellement dominante. Et l’une de nos hypothèses centrales, qui doit être rappelée une nouvelle fois, est qu’il n’y a pas de transformation qualitative de la structure urbaine qui ne soit pas produite par une articulation des mouvements urbains à d’autres mouvements, en particulier (dans nos sociétés) au mouvement ouvrier et à la lutte politique de classe. En ce sens, nous n’affirmons pas que les mouvements urbains soient les seules sources de changement urbain [6]. Plutôt nous disons que les mouvements de masse (dont les mouvements urbains) produisent des transformations qualitatives, au sens large du terme, dans l’organisation urbaine à travers un changement, ponctuel ou global, de la corrélation des forces parmi les classes. Et cela passe, nécessairement, par une modification, locale ou globale, du rapport de forces politique, généralement traduit dans la composition et l’orientation des institutions politiques.

*

Les trois resctifications-précisions que nous faisons n’épuisent pas, loin de là, les problèmes posés par rapport aux questions traitées dans ce livre. Mais il ne s’agit pas [502] pour nous de tout revoir ; seulement d’indiquer les principaux points qui ont pu prêter à confusion et de commenter l’évolution actuelle, non pas seulement de nos travaux, mais du courant, bien plus large, de recherche marxiste qui se développe sur les problèmes urbains.

Toutefois, le point essentiel n’est pas de revenir sans cesse sur les délimitations conceptuelles nécessaires pour entreprendre le travail, mais de prouver le mouvement en marchant. En faisant des progrès dans l’analyse spécifique des problèmes qu’on appelle urbains dans le capitalisme avancé ; c’est-à-dire dans l’étude des nouvelles contradictions liées aux processus de consommation collective et à l’organisation capitaliste du territoire. S’il n’est pas question d’entreprendre ici — dans les annotations à une étape antérieure de notre travail — une telle étude, nous voudrions signaler la direction de nos réflexions en ce sens, afin de mieux articuler ce livre, tel qu’il est, au développement des travaux qui s’en inspirent.

2. Sur la théorie de la consommation collective dans le capitalisme avancé et son rapport aux contradictions politiques

Peut-être la source des principaux problèmes théoriques rencontrés pour un développement des thèses exposées dans La Question urbaine, est le fait que la démarche générale de ce livre se place à contre-courant. C’est-à-dire, au lieu de partir des bases théoriques propres (celles du marxisme) et de définir ses propres cibles (la logique sociale sous-jacente aux moyens de consommation et/ou à l’organisation sociale de l’espace), il parcourt la problématique urbaine, en se dégageant progressivement de l’idéologie implicite, à travers un mouvement qui combine la critique, la recherche concrète et la proposition, toute balbutiante, de nouveaux concepts. On ne pouvait pas procéder autrement, car tout champ théorique nouveau émerge des contradictions qui se développent à partir d’un carcan ancien.

Mais une fois développé l’essentiel de la critique, il faut renverser la démarche intellectuelle. Il faut partir d’une définition nouvelle, théorique et historique, des problèmes et procéder à l’enquête. En réalité, l’un des plus grands problèmes rencontres par le développement d’une recherche marxiste appliquée à notre époque est que les intellectuels marxistes emploient trop de temps à essayer de justifier le fait d’être marxistes. Il est bien plus important de s’atteler aux tâches de recherche, d’élaboration et d’enquête qui [503] nous attendent. Le fruit de notre travail est le développement d’une pratique scientifique et d’une pratique politique de masse. La force de nos analyses doit venir de leur capacité explicative et non pas de leur habileté polémique. C’est pourquoi La Question urbaine est seulement un préalable à la recherche, un défrichage du terrain obscurci par l’idéalisme sociologique. À partir de là, une nouvelle démarche doit se développer (et se développe, en fait) de façon autonome, en posant ses propres questions.

Voilà pourquoi, dans ce texte qui veut articuler un livre déjà écrit, à un mouvement qui lui est ultérieur, nous voudrions avancer quelques idées sur l’analyse matérialiste des processus de consommation, et en particulier de consommation collective dans le capitalisme avancé, car ils nous semblent à la base des enjeux, reconnus-méconnus par la problématique urbaine [7].

*

2.1. Classes sociales et processus de consommation.

Par consommation, nous entendons le processus social d'appropriation du produit par « les hommes », c’est-à-dire les classes sociales. Mais le produit se décompose en reproduction des moyens de production, reproduction de la force de travail et surtravail. Ce surtravail se décompose en : reproduction élargie des moyens de production (ou consommation productive, dans les termes de Marx), reproduction élargie de la force de travail (ou « consommation individuelle » pour Marx), et en ce que Marx lui- même appelle, d’un terme imprécis, la « consommation individuelle de luxe », entendant par là la consommation des individus dépassant le niveau de reproduction simple et élargie suivant des besoins historiquement définis. Il faudrait par ailleurs préciser que dans la reproduction simple et élargie des moyens de production et de la force de travail, on doit inclure tous les « frais » sociaux découlant de la supra-structure institutionnelle (appareils d’État en particulier) nécessaire à la dite reproduction.

Si tel est le processus de consommation du point de vue du mode de production, en considérant l’économique proprement dit, il y a spécificité des biens de consommation [504] en tant que constituant un des deux grands secteurs (le secteur II dans l’exposé du Capital) dans lesquels on peut diviser la production. Ceci entraîne un certain nombre de règles propres.

Du point de vue des classes sociales, la consommation est à la fois une expression et un moyen, c’est-à-dire une pratique sociale, qui se réalise suivant un certain contenu (idéologique) et qui concrétise au niveau des rapports de distribution les oppositions et les luttes déterminées par les rapports de production.

Comme tout processus social, la consommation est déterminée par les règles générales du mode de production, par la matrice sociale où elle s’inscrit. Mais cette détermination se produit à différents niveaux et avec des effets spécifiques si l’on tient compte de la diversité de significations sociales de la consommation : appropriation du produit, pour les classes sociales ; reproduction de la force de travail, en ce qui concerne le procès de production ; reproduction de rapports sociaux en ce qui concerne le mode de production dans son ensemble.

Par ailleurs, la réalisation matérielle du processus de consommation implique la mise en relation des produits (ou biens à consommer) et des agents-consommateurs, suivant une détermination sociale, relativement autonome. La liaison de ces deux déterminations et celle directe du processus de consommation sont à la base des règles (ou mode de consommation) sous-jacentes aux pratiques sociales dans ce domaine.

Ces pratiques consommatrices doivent être saisies aux trois niveaux signalés, c’est-à-dire, en tant que processus de reproduction de la force de travail, en tant qu’expression des rapports de classe au niveau des rapports de distribution et en tant que reproduction des rapports sociaux inhérente au mode de production. Toute analyse unilatérale de l’un de ces 3 plans amène à des déviations qu’on peut qualifier, successivement d’« économisme », de « politisme » et d’« idéologisme ».

Pour avancer dans cette perspective, il convient de mettre en lumière quelques éléments de l’évolution historique de la consommation dans le capitalisme, en essayant d’exercer ainsi les outils conceptuels que nous essayons de forger, d’une manière un peu plus précise.

2.2. La transformation du processus de consommation dans le capitalisme avancé.

On sait que le mode de production capitaliste, à l’heure actuelle, se caractérise par quelques traits fondamentaux :

[505]

1) Accroissement sans précédent de la masse de plus-value mais, en même temps, rôle central de la lutte contre la baisse tendancielle du taux de profit, dérivée de l’augmentation de plus en plus accélérée de la composition organique du capital.

2) Développement accéléré, quoique inégal et contradictoire, des forces productives.

3) Développement inégal et contradictoire, mais toujours ascendant de la lutte de classes.

À travers ces trois traits fondamentaux, on décèle non pas un capitalisme stagnant, mais un capitalisme qui se développe de façon contradictoire, accéléré et ininterrompue, en traversant des nouvelles phases à l’intérieur du stade monopoliste, en se développant de façon extensive (à l’échelle mondiale), à la fois par rapport à lui-même (de façon à ce que les phases les plus avancées pénètrent et dissolvent les rapports de production des phases capitalistes moins avancées) et par rapport à d’autres modes de production (pré-capitalistes ou archéo-capitalistes). Une telle évolution n’implique pas l’éternité historique du mode de production capitaliste, car au fur et à mesure de ce développement gigantesque, ces contradictions s’approfondissent, se globalisent, deviennent interdépendantes à l’échelle mondiale et débouchent sur une crise généralisée. Mais cela veut dire qu’on doit s’écarter de toute vision mécaniste de l’écroulement d’un mode de production par la seule dynamique de ses crises internes. Les contradictions ainsi suscitées posent toujours les termes d’une alternative historique, mais l’aspect principal de la contradiction résulte toujours d’un processus historique déterminé — dépendant de la lutte de classes et de son expression politique.

Cette analyse des tendances expansives contradictoires du mode de production capitaliste des deux dernières décennies, nous permet de mieux situer le rôle joué par le processus de consommation.

En effet, les trois grandes tendances signalées déterminent trois effets spécifiques à la base des transformations dans le secteur de la consommation :

1) Le capital monopoliste, à la recherche de débouchés d’investissement, occupe et transforme des nouveaux secteurs de l’économie, jusqu’alors moins avancés du fait d’un taux de profit inférieur. Tel est, en particulier, le cas de la production de moyens de consommation, de l’agriculture a l’électro-ménager. Il est clair que cette transformation résulte de l’intérêt du capital investi plutôt qu’elle ne suit la demande sociale, d’où le besoin de publicité, le développement [506] du crédit et d’autres systèmes d’orientation de la demande pour l’ajuster à l’offre.

2) Le développement de la lutte de classes, la puissance croissante du mouvement ouvrier, en transformant le rapport de forces entre les classes, ouvre des brèches dans la logique dominante suivant la ligne de résistance la plus faible, infléchissant ainsi les rapports de distribution plutôt que les rapports de production. Il y a donc exigence historique d’élévation du niveau de consommation par les classes populaires, exigence à laquelle le système peut répondre sans voir sa logique s’effondrer, même s’il aura fallu des grandes batailles (1936 en France, par exemple ; 1960 en Italie, 1959-61 en Belgique, etc.) pour le contraindre. D’autant plus que, d’une certaine manière, cette exigence populaire peut être utilisée par le capital en quête de nouveaux secteurs, à condition d’orienter étroitement le type de moyens de consommation à produire : on devine là la constitution d’un nouvel enjeu contradictoire entre les intérêts du capital et ceux de l’ensemble des classes populaires (et pas seulement du prolétariat).

3) Le développement et la socialisation croissante des forces productives, à la fois exigent et permettent le développement de la masse des moyens de consommation et du rôle stratégique qu’ils jouent dans l’économie. En effet, plus la production est à grande échelle et interdépendante, plus la reproduction de la force de travail est, a la fois, complexe et importante.

Complexe : parce qu’il faut assurer l’ajustement d’une masse énorme de travailleurs à des exigences et à des plannings de plus en plus précis et peu remplaçables.

Importante : parce que dans un procès de production dépendant d’un profit normalisé sur le long terme et à l’échelle mondiale, l’important est le fonctionnement sans à-coups, donc le fonctionnement régulier de l’élément le moins prévisible et contrôlable : la force de travail. Etant donné la masse sans cesse croissante de « travail cristallisé » que le travail vivant doit mettre en valeur, plus la composition organique du capital augmente et plus la fraction restante de travail vivant devient stratégiquement centrale.

Par ailleurs, le développement des forces productives, avec l’augmentation de la productivité qu’il représente, permet l’accroissement du niveau de consommation dans les pays et les secteurs avancés à l’intérieur du développement inégal du mode de production capitaliste à l’échelle mondiale (faut-il rappeler que 2/3 de l’espèce humaine restent au-dessous du niveau de reproduction biologique ?).

À partir de ces tendances de base, on peut comprendre [507] les transformations qui se sont produites dans le processus de consommation :

- D’une part, la pénétration du capital monopoliste a provoqué la destruction des rapports archéo-capitalistes particulièrement importants dans la production de moyens de consommation destinés aux classes populaires et dans le secteur de la distribution.

De l’agriculture du grand capital aux super-marchés, en passant par la mécanisation, parfois utile, du travail ménager, on assiste à ce qui est saisi par l’expérience sous le terme de « consommation de masse ». Il est clair que ce ne sont pas les objets les plus « utiles » (en termes de valeur d’usage) qui sont ainsi produits mais ceux qui sont les plus rentables. Mais en même temps, la critique passéiste de la « société de consommation » tend à regretter la « qualité perdue » sans se soucier du fait que la dite qualité a toujours été réservée à une élite. Aucune critique sérieuse de la consommation ne peut être faite sans la rapporter à des pratiques de classe historiquement déterminées, sans quoi il ne s’agit que de variations autour de l’éternelle tragédie d’un Homme abstrait aux prises avec les puissances du Mal.

D’autre part, le processus de consommation acquiert une place décisive dans la reproduction du mode de production dans son ensemble dans sa phase actuelle :

Au niveau de l'économique, il est essentiel d’une part à la reproduction de la force de travail, et, d’autre part, au mode de réalisation de la plus-value. Il devient essentiel pour la force de travail qualifiée et nécessaire au fonctionnement sans à-coups de la masse interdépendante de la force de travail sous-qualifiée. Du point de vue de la réalisation de la plus-value, si le rapport entre secteur I et secteur II a toujours été la base des crises de surproduction dans le capitalisme, plus la masse de moyens de production (Secteur I) s’accroît exponentiellement et plus l’équilibre des secteurs devient sensible aux moindres variations de la réalisation dans le Secteur 11.

Au niveau du politique, la consommation prend une place de plus en plus importante dans le processus de revendication-intégration, dans la mesure où la tactique de « participation conflictuelle » liée au néo-capitalisme renvoie le conflit au plan des rapports de distribution. Mais cela veut dire aussi que toute faille dans le mécanisme intégrateur qu’est la consommation élargit des bases d’opposition au système dans la mesure où le fondement des revendications à ce niveau est reconnu comme légitime et pratiqué par l’ensemble des classes, fractions et couches.

Au niveau idéologique, la consommation est, il est vrai, [508] expression de pratique de classe et de niveau dans la hiérarchie de la stratification sociale. Mais elle est aussi consommation marchande de signes, cette valeur d’échange du signe ayant étendu encore la sphère de la production capitaliste, qui non seulement a pénétré la production des moyens de consommation, mais aussi celle de la symbolique qui leur est liée et se développe suivant une logique relativement autonome. Il est important, donc, de reconnaître cette dimension de la consommation et de lui assigner une place dans l’analyse, sans pour autant en faire l’axe privilégié de l’expansion du mode de production lui attribuant ainsi le rôle exorbitant de condensateur des nouvelles contradictions de classe (comme tend à faire l’idéologie sémiologique).

Par ailleurs, la spécificité de la phase du capitalisme monopoliste d'État s’exprime à travers les phénomènes suivants :

1) Les monopoles organisent et rationalisent l’ensemble de la consommation dans tous les domaines. C’est ainsi que l’autonomie relative de ce processus par rapport à la logique monopolistique dominante est abolie et que l’on pourra parler de véritables cadences de la consommation. Ce qui s’exprime au niveau du vécu par une oppression croissante dans la vie quotidienne et l’imposition d’un rythme entièrement hétéronome dans l’activité hors travail.

2) L’appareil d’État intervient de façon massive, systématique, permanente et structurellement nécessaire dans le processus de consommation, et ceci sous différentes formes :

a) Aide directe aux monopoles capitalistes, afin de faciliter leur prise en charge de certains secteurs (exemple : fiscalité visant les petits commerçants et favorisant les chaînes de distribution).

b) « Combler les trous » laissés par la logique du grand capital dans certains secteurs de consommation. C’est ainsi que nous assisterons à la prise en charge par l’État de vastes secteurs de production de moyens essentiels à la reproduction de la force de travail : santé-éducation, logement, équipements collectifs, etc. C’est ici que la « problématique urbaine » plonge ses racines.

c) Puisque l’État prend en charge une partie considérable, et objectivement socialisée, du processus de consommation, puisqu’il intervient dans l’aide directe aux grands groupes économiques qui y dominent, puisque la consommation devient un rouage central aux niveaux économique, politique et idéologique, alors même qu’aucune régulation centralisée du processus n’est mise en place dans l’économique, [509] l’État devient le véritable aménageur du processus de consommation dans son ensemble : ceci est a la base de la dite « politique urbaine ».

2.3. Consommation collective.

Nous avons rappelé la distinction classique de Marx entre consommation collective (concourant à la reproduction des moyens de production), consommation individuelle (concourant à la reproduction de la force de travail) et consommation de luxe (consommation individuelle excédant les besoins historiquement déterminés de reproduction de la force de travail).

La « consommation productive » n’est pas prise en compte par le langage courant dans le « processus de consommation ». Aussi, même si du point de vue théorique elle est bel et bien consommation (« appropriation sociale du produit »), nous l’excluons momentanément de notre champ d’analyse afin de simplifier le travail, déjà fort complexe.

Par ailleurs, la distinction entre « consommation de luxe » et « pas de luxe » nous semble fort discutable, renvoyant de fait à une théorie naturaliste des besoins quelles que soient les précautions de style. Donc, nous la mettrons entre parenthèses en attendant d’avoir poussé l’analyse plus en profondeur.

Par contre, l’analyse de Marx nous semble omettre une différence fondamentale aujourd’hui dans le processus de consommation, différence, il est vrai, dont l’importance est beaucoup plus grande aujourd’hui que dans le stade concurrentiel du capitalisme, analysé par Marx.

C’est la distinction entre consommation individuelle et consommation collective, entendant par cette dernière la consommation dont le traitement économique et social, tout en restant capitaliste, ne se fait pas à travers le marché mais à travers l’appareil d’État. Les « biens collectifs » disent les économistes marginalistes, sont ceux qui n’ont pas de prix de marché. C’est un constat. Mais la distinction entre consommation individuelle et collective a été contestée en général à cause des critères employés dans la caractérisation de cette dernière, fondés sur un prétendu caractère « naturel » de certains biens (par exemple, leur indivisibilité : tels l’air, l’eau, etc.). Or, il suffit de penser au processus de privatisation des ressources naturelles pour se rendre compte que rien ne peut échapper au grand capital ; à l’intérieur d’une logique capitaliste dominante, tout, absolument tout, peut devenir marchandise.

Tout sauf les biens dont le processus de production rapporte [510] un taux de profit inférieur au taux moyen. Tout, sauf ceux des biens ou services dont l’État doit avoir le monopole pour assurer l’intérêt de la classe capitaliste dans son ensemble (école, police, par exemple, et encore suivant les situations historiques).

Cette consommation collective est donc celle concernant les biens dont la production n’est pas assurée par le capital non à cause d’une quelconque qualité intrinsèque, mais conformément aux intérêts spécifiques et généraux du capital : c’est ainsi qu’un même produit (le logement, par exemple) sera traité a la fois par le marché et par l’État, et sera donc alternativement produit de consommation individuelle ou collective, suivant des critères qui seront par ailleurs historiquement mouvants. Nous nous écartons ainsi de l’empirisme qui consiste à identifier un processus social donné (la consommation collective) et un produit matériel (le logement comme valeur d’usage). D’autre part, ces « biens de consommation collectifs » seraient ceux qui sont nécessaires à la reproduction de la force de travail et/ou à la reproduction des rapports sociaux, sans quoi ils ne seraient pas produits malgré leur manque d’intérêt pour la production de profit.

Enfin et surtout cette production de la consommation collective (à taux de profit faible ou nul) joue un rôle fondamental dans la lutte du capital contre la baisse tendancielle du taux de profit. En effet, en dévalorisant une partie du capital social par des investissements sans profit, l’État contribue à rehausser d’autant le taux de profit du secteur privé, malgré la baisse tendancielle du taux de profit rapporté au capital social dans son ensemble. Donc, même si ce mécanisme n’est pas la principale arme du capital pour contrecarrer la B.T.T.P. (baisse tendancielle du taux de profit), l’intensification de l’exploitation et son développement à l’échelle mondiale en constituant l’arme essentielle, il reste que l’intervention de l’État en matière de consommation est un des principaux rouages du capitalisme monopolistique, et pas seulement pour la reproduction du capital.

Si telle est la détermination du processus de consommation collective, il faudra distinguer entre la production des moyens de consommation et le processus de consommation lui-même, bien que le second dépende du premier et en porte la marque. Cela dit, si du point de vue de la causalité historique telle est la démarche, du point de vue de l’ordre de pensée, il nous fait théoriser le processus de consommation en lui-même, car il est impossible de savoir quels sont les effets spécifiques d’une cause sur un effet dont on ignore les contours.

[511]

Pour cola nous tiendrons compte de trois points fondamentaux :

1) La consommation collective concerne, pour l’essentiel. le processus de reproduction de la force de travail et le processus de reproduction des rapports sociaux mais en tant qu'articulé à la reproduction de la force de travail (par conséquent obéissant à des rythmes spécifiques), (die reproduction peut être simple ou élargie. La reproduction élargie, devra toujours être définie selon une spécification historique, et constituera un des points forts de l’analyse et l’un de ceux qui présentent le plus de difficulté.

2) Comme tout processus social, la consommation collective se compose d'éléments qui ne peuvent être définis que dans leurs rapports. D’ailleurs, elle n’est rien d’autre que les rapports, historiquement déterminés entre ces éléments. Quels sont-ils ? Les mêmes que ceux du procès de production. Force de travail, Moyens de production, non-travail, mais organisés suivant une logique différente. Dans l’organisation structurelle des contradictions spécifiques à ce processus réside le secret ultime de la consommation collective. (Cette phrase sibylline cherche à peine à cacher l’étal embryonnaire et provisoire de nos recherches sur ce point de l’analyse.)

3) Tout processus de consommation définit des unités de réalisation de ce processus. Ces unités, articulant des moyens collectifs de consommation, constituent la base matérielle des unités urbaines. C’est pourquoi la problématique urbaine se rattache assez directement aux rapports entre classes sociales et processus de consommation.

2.4. La politisation de l’urbain dans le capitalisme monopoliste d’État :
quelques tendances historiques
.


La politisation des « problèmes urbains » dans le capitalisme monopolistique d’État, directement déterminée par la transformation des contradictions de classe dans la nouvelle phase du M.P.C. en termes de pratique politique, entraîne des effets spécifiques au niveau des rapports de pouvoir.

Ainsi, tout d’abord, du point de vue de la transformation des processus urbains (c’est-à-dire de ceux concernant la consommation collective) nous assistons à l’émergence de toute une série de traits structurels qui sont à la base de nouveaux conflits sociaux et politiques, à savoir :

— L’importance croissante de la prévisibilité du comportement de la force de travail dans un procès de production complexe et interdépendant, exige une attention grandissante au traitement collectif des processus de sa reproduction. [512] Cette tendance est renforcée par les exigences croissantes des masses de travailleurs élargissant progressivement leurs revendications du domaine salarial à celui des conditions d’ensemble de leur reproduction. Ces deux traits sont à la base des mouvements de revendication urbaine, dans un sens, et des mouvements d'intégration et de participation dans l’autre sens...

— L’existence de véritables cadences de la consommation dans la vie quotidienne, de par la socialisation objective du processus unie à sa subordination aux intérêts du capital, est à la base :

• D’une part, de révoltes de plus en plus violentes et ponctuelles, très souvent entièrement spontanées, qui jaillissent en concentrant de façon collective l’agressivité individuelle qui est devenue la règle dans les conditions d’existence imposées par les grandes unités de reproduction de la force de travail.

• D’autre part, d’une exigence croissante de régulation du système urbain suivant la logique de la classe dominante. Cette exigence prépare le terrain au développement de la pratique et de l’idéologie de la planification urbaine.

— L’intervention permanente et de plus en plus large de l’appareil d’État dans le domaine des processus et unités de consommation en fait le véritable aménageur de la vie quotidienne. Cette intervention de l’appareil d’État, que nous nommons planification urbaine au sens large, entraîne une politisation presque immédiate de toute la problématique urbaine, puisque le gérant et l’interlocuteur des revendications et des exigences sociales tend à être, en dernière instance, l’appareil politique des classes dominantes. Cela dit, la politisation ainsi instaurée n’est pas obligatoirement source de conflit ou de changement, car elle peut aussi bien être mécanisme d’intégration et de participation : tout dépend de l’articulation des contradictions et des pratiques ou, si l’on veut, de la dialectique entre appareil d’État et mouvements sociaux urbains.

— La généralisation et la globalisation de la problématique urbaine est à la base du développement vertigineux de l’idéologie de l’urbain qui attribue au « cadre de vie » la capacité de produire ou transformer les rapports sociaux. Une telle tendance contribue au renforcement du rôle stratégique de l'urbanisme, comme idéologie politique et comme pratique professionnelle. Prenant appui dans la socialisation objective du processus de consommation, dans l’exigence structurelle de l’intervention de l’État et dans la spatialisation idéologique des nouvelles contradictions, l’urbanisme (et donc, l’urbaniste) devient une discipline au sens fort du terme, c’est-à-dire la capacité politique [513] d’imposer un certain modèle de rapports sociaux sous couvert d’un aménagement de l’espace. Voilà qui explique le déclenchement d'utopies critiques qui prennent le contre-pied de l’idéologie de l’urbanisme officiel en lui opposant un « urbanisme autre », « humain », mais qui reste sur le terrain déplacé où les conflits de classe ont été transformés en conflits d’espace.

Si au lieu d’observer le processus de politisation de l’urbain du point de vue des transformations structurelles de la consommation collective, nous l’observons maintenant à partir des nouvelles formes de lutte politique et des caractéristiques tendancielles de la scène politique dans le capitalisme avancé, nous pouvons signaler aussi quelques points fondamentaux :

Du point de vue de la classe dominante (le grand capital), s’il est vrai que la problématique urbaine est entièrement expression de l’idéologie dominante, qui la diffuse et la globalise de plus en plus, son développement est en même temps lié à l’éclosion de nouvelles contradictions structurelles au niveau de la consommation collective, manifestée, par exemple, par le débat politique et les revendications économiques visant de plus en plus les « équipements collectifs ». De telle façon qu’il y a contradiction croissante entre la diffusion de l’idéologie de l’urbain par la classe dominante et les effets politiques visés au fur et à mesure que s’approfondissent les contradictions économiques qu’elle connote.

Du point de vue des nouvelles tendances de révolte petite-bourgeoise, axées essentiellement sur une contre-culture, celle-ci s’adapte parfaitement tant aux bases économiques qu’aux expressions idéologiques de la problématique urbaine. En effet, elles mettent plus en question le modèle de consommation et « la vie quotidienne » que les rapports de production et la domination politique. Leur opposition est fondée sur une critique humaniste du « cadre de vie » totalitaire et global qui s’accommode fort bien des registres naturalistes de l’idéologie de l’environnement, en prenant comme point d’appui l’utopie communautaire du passé ou de l’avenir plutôt qu’une certaine place contradictoire dans la structure des rapports de classe. Dans un certain sens, on peut dire que la révolte culturelle petite bourgeoise fournit la principale masse militante aux mouvements basés sur l’idéologie urbaine. Un tout autre problème est celui de savoir à quelles conditions ils deviennent une composante des mouvements sociaux urbains, mettant en cause le pouvoir de classe.

— Du point de vue des tendances d’opposition réformiste, expression des intérêts immédiats des classes dominées [514] tout en les déliant de leurs intérêts historiques, revendiquant donc et modifiant les rapports de distribution et de gestion sans changer les rapports de production, les « problèmes urbains » apparaissent comme le domaine privilégié de la réforme. En effet, ils sont profondément ressentis ; ils apparaissent comme un élément conditionnant au premier abord les conditions de vie des travailleurs ; ils concernent l’ensemble des classes sociales à des degrés divers ; ils se réfèrent à la consommation, donc ne mettent pas en cause directement les rapports de production ou de domination politique ; enfin, et surtout, l’occupation de certaines positions à différents niveaux de l’appareil d’État permet de détenir certains appareils de régulation et d’intervention dans ce domaine. On peut donc s’attendre à un développement sans précédent des tendances réformistes d’un « municipalisme social » essayant de faire des expériences socialisantes dans ce terrain. Déjà au Japon la « réforme urbaine » est à la base d’importantes victoires politiques de la gauche parlementaire, en particulier la conquête des municipalités de toutes les grandes villes.

— Du point de vue de l’opposition politique révolutionnaire (celle visant la destruction de l’appareil d’État bourgeois et la création de conditions politiques permettant de commencer la transition au socialisme), la place des contradictions urbaines, et des luttes qui en découlent, dans la stratégie d’ensemble, dépend du jugement porté sur la conjoncture de la lutte de classes et sur les caractéristiques des organisations économiques et politiques des classes dominées.

En effet, si l’on juge que les partis révolutionnaires existent, qu’ils sont solidement implantés dans les masses et que, donc, la classe ouvrière est organisée pour l’essentiel, la clef du problème est alors d’unir des vastes masses autour d’un programme politique anti-monopoliste, c’est-à-dire de construire le bloc historique des classes dominées sous l’hégémonie du prolétariat. Les problèmes urbains jouent alors un rôle privilégié dans la construction de l’alliance de classes sur des bases revendicatives (et non seulement politiques) du fait de leur pluriclassisme et de leur caractère de contradiction secondaire, mais directement aux prises avec l’appareil d’État.

Par contre, si l’on part de l’idée que l’autonomie prolétarienne est encore à construire, politiquement, idéologiquement, organisationnellement, alors les enjeux urbains sont relativement secondaires par rapport à la lutte ouvrière et aux conflits directement politiques.

Si l’on pense maintenant à l’importance des tendances [515] politiques qui convergent dans un intérêt accru pour la question urbaine (la classe dominante, la révolte petite bourgeoise, le réformisme, la tactique révolutionnaire en phase d’alliance de classes), on pourra s’expliquer l’importance croissante de cette problématique : non seulement elle exprime certaines tendances structurelles nouvelles au niveau de l’économique, mais encore, la dynamique spécifiquement politique de la plupart des grands courants sur la scène politique du capitalisme avancé les amène à en faire un enjeu privilégié dans leur stratégie. Ce qui explique la portée et l’ambiguïté de la question urbaine, qui est à la fois un terrain piégé de l’idéologie et une source de conflits politiques, au sens précis que nous venons d’établir.

3. Sur les nouvelles tendances dans la recherche urbaine.

La transformation la plus importante qui s’est opérée dans le champ intellectuel traité par La Question urbaine depuis sa rédaction est, sans aucun doute, le développement accéléré d’un courant de recherche empirique qui pose les questions adéquates et essaie à la fois de les traiter de façon rigoureuse et de les lier à la pratique sociale et politique. Loin de nous l’idée, exprimée par quelques commentateurs mal informés, que ce livre est à la base du courant qui s’est développé. Non seulement parce qu’une telle affirmation serait absurdement prétentieuse mais parce qu’elle est entièrement fausse. C’est plutôt le contraire. Ce livre fait partie d’un courant d’ensemble qui s’est développé, de façon inégale, dans plusieurs pays à un moment historique donné parce qu’il correspondait à un besoin de comprendre des nouvelles contradictions sociales dites urbaines et qui étaient à l’ordre du jour de la pratique des classes dominées et des classes dominantes. À cause d’une conjonction particulièrement favorable de conditions politiques, intellectuelles et institutionnelles, ce courant de recherche a atteint en France des proportions extrêmement significatives, devenant même hégémoniques à l’intérieur du monde académique et dans les organismes de recherche, du fait de la qualité et de l’intérêt des études réalisées. Mais, sous des formes différentes et variées, un courant semblable s’est développé en Italie, en Espagne, en Amérique latine et, plus récemment, en Angleterre et aux États-Unis. En parlant d’un tel courant, nous ne voulons pas dire qu’il y ait une unité théorique ou même qu’il s’agisse dans tous les cas d’une recherche marxiste, même si la théorie marxiste est le point de repère le plus courant.

[516]

Mais, dans la diversité, il s’agit de recherches qui posent des questions semblables, relatives aux rapports entre les classes, le pouvoir et les problèmes urbains, et qui essaient d’avancer dans leur traitement à travers des analyses concrètes de situations concrètes. Certes, des problèmes énormes apparaissent dans le développement de ces recherches et beaucoup d’entre elles sont hésitantes, mal construites, extrêmement biaisées du point de vue idéologique. N’importe ! L’essentiel est le retournement de perspective qu’elles opèrent. Progressivement, au fil de la pratique, elles affineront leurs méthodes, deviendront plus patientes, plus rigoureuses, plus articulées aux problèmes qui se posent dans la pratique sociale. S’il faut éviter tout triomphalisme, car nous sommes encore (et pour cause !) dans la préhistoire des sciences sociales, il faut savoir que des progrès substantiels ont été accomplis et qu’une recherche pertinente, systématique et cumulative est en train de se frayer un chemin dans le champ des pratiques sociales connotées par La Question urbaine.

C’est pourquoi ce livre serait aujourd’hui démodé sans une référence, même sommaire, à quelques exemples du travail de recherche accompli pendant ces dernières années [8]. Car c’est ce courant qu’il s’agit maintenant d’enrichir et d’améliorer dans un débat aussi animé et ouvert que possible.

Tout d’abord, des progrès très significatifs ont été faits dans le domaine du fonctionnement du capital dans la production et distribution des biens et services urbains. Nous signalerons, en particulier, les travaux de Topalov sur la promotion immobilière [9] et sur la propriété foncière [10], ceux d’Ascher sur la production du cadre bâti [11] et sur le [517] logement [12], celui de Duclos sur le rôle du capital dans la rénovation urbaine [13], celui de Preteceille sur la production des grands ensembles [14], celui de Théret et Dechervois d’une part, et d’Alain Lipietz d’autre part, sur la rente foncière [15], celui de 'Pottier sur le financement public de l’urbanisation [16], etc.

D’une manière générale, le Centre de sociologie urbaine (Paris) a réalisé toute une série de monographies touchant à l’analyse du capital dans le domaine urbain. Mais peut-être les progrès les plus importants concernent l’analyse des politiques urbaines des classes dominantes à travers une observation directe de l’intervention de l’État dans les services urbains et dans l’organisation de l’espace. A cet égard doivent être remarqués les travaux de Lojkine sur Paris et sur Lyon [17], ceux de Cottereau sur Paris [18], celui de Godard sur la rénovation urbaine à Paris [19], celui de Rendu et Preteceille sur la planification urbaine [20], celui de Suzanne Magri sur les politiques de logement [21], celui de l’équipe du C.E.R.A.T. à Grenoble sur l’institution communale [22], celui de Castells et Godard sur les rapports entre l’État et les grandes entreprises par rapport a l’urbain, [518] ceux d’Amiot [23] et de Ion [24] sur la politique des équipements culturels, ainsi que les recherches, malheureusement non publiées, d’Henri Coing sur les politiques urbaines dans plusieurs villes et les travaux de François d’Arcy d’une part, et de Mesnard d’autre part, sur les rapports entre le droit, la politique et l’urbanisme.

Des recherches ont commencé sur les mouvements sociaux urbains aussi bien au Centre d’étude des mouvements sociaux [25] qu’au Centre de sociologie urbaine [26] et qu’au groupe de chercheurs urbains de Rennes [27]. Bien que certains travaux sur ce sujet aient été déjà publiés [28], c’est un des terrains, extrêmement significatif, où la nouvelle recherche urbaine doit encore développer une véritable analyse, dépassant les commentaires lyriques ou la polémique politique.

En marge de ce courant, et sans partager ni sa problématique ni ses orientations, des travaux nouveaux, importants, ont été produits en France, en particulier une théorie générale de l’espace élaborée par Henri Lefebvre [29][30] à la suite de sa lecture personnelle des classiques marxistes par rapport à la ville [31]. Un courant assez original se développe dans une orientation para-psychanalytique, dans les travaux du groupe constitué autour du C.E.R.F.I. [32]. Les [519] travaux d’Alain Medam [33] essaient de faire le pont entre ce courant « subjectiviste » et la tradition marxiste. D’autres recherches récentes remarquées en sociologie urbaine ont été celles de Raymond Ledrut [34], de Jean-Claude Thoenig [35], de Jean Reiny et Liliane Voyé [36]. Dans l’ensemble de ces travaux deux manques apparaissent de façon de plus en plus évidente :

Des travaux sérieux sur le rôle de l’idéologie dans les contradictions urbaines, ainsi que sur l’idéologie de l’urbain elle-même. En particulier, l’analyse matérialiste de l’architecture ne semble pas se développer au même rythme, malgré l’utile enquête de Raymonde Moulin [37] et certains travaux, peu ou pas publiés, qui commencent à cerner la question [38].

Une réflexion systématique, fondée sur l’analyse de l’évolution historique, sur le rapport entre contradictions urbaines et moyens de consommation collective, en particulier en étudiant l’interaction entre l’État et les mouvements urbains. Etant donné que cela nous semble être à la base de l’ensemble des problèmes évoqués, c’est à cette tâche de recherche que nous consacrons l’essentiel de nos efforts depuis un certain temps, avec des résultats extrêmement lents, car les difficultés y sont considérables [39].

Nous avons dit que des tendances de recherche proches des travaux que nous venons d’évoquer (par leurs thèmes et par leurs orientations) se développent dans plusieurs pays. Il peut être utile au lecteur d’avoir quelques points [520] de repère par rapport à ces tendances, sans pour autant être exhaustifs ni systématiques dans nos références qui pourraient être bien plus nombreuses.

Sans doute le pays le plus avancé dans ces orientations de recherche est l’Italie. Et avec les moyens institutionnels dont on dispose en France, les chercheurs italiens auraient produit des travaux bien plus avancés, car les conditions pratiques (essentiellement politiques) de cette réflexion y sont excellentes. Il faut en particulier se référer aux économistes, sociologues, urbanistes, militants, réunis autour de la revue Citta-Classe, qui fait le lien entre la théorie et la pratique, stimulant la discussion dans les syndicats et dans les comités de quartier : Paolo Ceccarelli, Francesco Indovina, Maurizio Marcelloni, Bernardo Secchi, etc. sont parmi les chercheurs-praticiens qui ont le plus fait progresser la recherche marxiste urbaine en Italie [40]. Proches de ce courant sont des sociologues qui ont développé des analyses des mouvements urbains, tels Andreina Daolio [41] et Giuliano Délia Pergola [42]. Dans d’autres zones de la gauche italienne, il faut situer des travaux importants comme ceux d’Enzo Mingione [43], de Mario Boffi et collaborateurs [44], de Marcella Délia Done [45] et, surtout, de Franco Ferrarotti [46].

En Espagne, les conditions particulières de répression intellectuelle ont rendu assez difficile l’expression publique des recherches urbaines très importantes qui sont en train de s’y développer, en particulier à Barcelone. Citons surtout les travaux de Jordi Borja et du Centro d’Estudis Urbans de Barcelone ; les travaux du groupe E.U.R. de Madrid ; les enquêtes de Manuel Campo (Barcelone) sur les mouvements urbains ; les thèses non publiées de J. Olives sur les mouvements urbains à Barcelone et de Maria-José Olive [521] sur la production des grands ensembles à Barcelone. Dans une perspective différente, l’enquête de Mario Gavivia (Madrid) sur le tourisme en Espagne.

En Amérique latine, le groupe du C.I.D.U. au Chili, était devenu une expérience exemplaire de l'articulation entre travail de masse, travail d’enquête et travail théorique. Sa revue, Eure était, jusqu’au n° 8 (Septembre 1973) le point de rencontre d’un nouveau courant critique et analytique dans la recherche urbaine en Amérique latine. La répression terroriste de la Junte chilienne a dispersé le groupe et « réorganisé » le C.I.D.U. Eure a « changé d’orientation », en attendant d’être publiée dans un autre pays d’Amérique latine et de retrouver son rôle de stimulant intellectuel de la réforme urbaine. Des groupes de travail se consolident ou se développent ici et là (Sao Paulo, Quito, Costa Rica, Mexico, Buenos-Aires) sans qu’ils puissent encore établir le rapport exemplaire entre théorie et pratique qui caractérisait le C.I.D.U. Des centres comme le C.E.U.R. de Buenos-Aires ou le C.E.N.D.E.S. de Caracas essaient de construire un programme de recherches qui pose les questions de fond dans la situation spécifique de l’Amérique latine.

Des chercheurs comme Rosemond Cheetham (à l’Universidad Metropolitana, Mexico) ; Lucio Kowarich et Paul Singer (C.E.B.R.A.P., Sao Paulo) ; Emilio Pradilla (Bogota) ; Martha Steinghart (El Colegio de Mexico) ; Alejandro Rofman, José Luis Coraggio, Jorge E. Hardoy, Oscar Moreno (C.E.U.R.-Buenos-Aires) ; et, surtout, Anibal Quijano (Lima) — et bien d’autres... ! — essaient, dans des conditions difficiles, de penser d’une façon nouvelle les questions urbaines et régionales, en articulant l’analyse de l’espace aux rapports de classe, à l’exploitation économique et à la domination politique.

Même dans la tradition anglo-saxonne, longtemps imperméable non seulement à la théorie marxiste, mais à une quelconque analyse en termes de classe, il y a un développement rapide d’une nouvelle tendance qui, sans se dire marxiste dans la plupart des cas, place le problème du pouvoir et de son rapport à l’économie au centre de sa réflexion sur l’espace et l’urbain. C’est le cas en Angleterre pour des chercheurs comme Tom Davis (Londres), Michael Harloe (C.E.S., Londres), Ray Pahl (Kent), Chris Pickvance (Manchester), etc. La Conférence des sociologues urbains de Grande-Bretagne, réunie à York en janvier 1975, fut dominée par des débats et des recherches qui étaient extrêmement proches (du point de vue de la problématique) de ceux qui se sont développés en France dans les dernières années.

[522]

Aux États-Unis, si des travaux marxistes exemplaires sur les problèmes urbains, tels ceux de David Harvey [47] sont encore une exception, un courant de recherche extrêmement vigoureux se développe sur les problèmes urbains parmi l’Union of Radical Political Economists [48].

Des travaux d’économie marxiste urbaine, en particulier ceux de David Gordon [49] et de William Tabb [50] commencent à être influents. Dans la sociologie urbaine et des communautés, des travaux comme ceux de Robert Alford [51] sont significativement célébrés par la nouvelle génération de sociologues et les livres les plus commentés de ces dernières années en matière de politique urbaine ont été ceux de Frances F. Piven et Richard Cloward [52] qui développent une analyse de classe des programmes urbains dans les grandes villes américaines. S’il est vrai qu’une telle tendance est loin d’être aussi hégémonique aux États-Unis qu’elle l’est en France, elle fait sentir son impact sur l’ensemble des chercheurs et beaucoup d’entre eux, parmi les plus influents, commencent à briser le carcan empiriste sous le double effet des nouveaux stimulants intellectuels et de la crise de légitimité de l’American way of life.

Cette avalanche de références sur des recherches urbaines n’est pas une mise à jour bibliographique de La Question urbaine. Car de nombreux noms et des titres, très significatifs du point de vue de la recherche urbaine en général, y manquent. Nos citations visent tout simplement [523] à fondre les propos qui étaient à la base de ce livre au moment de sa rédaction, dans un mouvement intellectuel beaucoup plus large, beaucoup plus collectif, où le rapport théorie-pratique devient le problème essentiel, sur la base de l’expérience accumulée et en fonction d’objectifs qui, maintenant commencent à se profiler de façon plus claire.

Car ce dont il s’agit est de rendre désuet ce livre à partir de son dépassement dans la pratique.

Madison, Wisconsin, juin 1975.



[1]  Cf. par exemple, les résultats de recherche exposés dans Manuel CASTELLS et Francis GODARD, Monopolville, l’entreprise, l’État, l’urbain, Mouton, Paris, 1974.

[2]  Il existe, bien sûr, une spécificité historique et culturelle des régions en tant que survivance, d’un autre découpage, politique ou idéologique de l’espace, dans d’autres modes de production. Le régionalisme ne s’exprime cependant comme mouvement social qu’à partir de l’articulation de ces survivances aux contradictions fondées sur l’économique.

[3]  Voir, sur ces thèmes, M. CASTELLS, Planificacion, participation y cambio social en America Latina, Ediciones Siap, Planteos, Buenos Aires, 1975. Ainsi que les textes rassemblés dans : M. CASTELLS (sous la direction de), Imperia-lismo y Urbanizacion en America Latina, Ed. Gustavo Gilli, Barcelona, 1973 ; M. CASTELLS (SOUS la direction de), Estructura de clases y politica urbana en America Latina, Ediciones Siap, Buenos Aires, vol. 1, 1974 ; vol. 2, 1976.

[4]  Jordi BORJA, Estructura Urbana y Movimientos Urbanos, Cuadernos de Analisis Urbanos, Departamento di Geografia, Universidad Autonoma de Barcelona, 1974.

[5] Cf. M. CASTELLS, E. CHERKI, F. GODARD, D. MEHL, Sociologie des mouvements sociaux urbains. Enquête sur la région parisienne, vol. 1, Mouton, Paris, 1976.

[6]  Ch. Pickvance, « On the Study of Urban Social Movtements », The Sociological Review, vol. 23, n° 1, Feb. 1975.

[7]  Une première série d’hypothèses ont été exposées dans M. CAS- tells, « Collective Consumption and Urban Contradictions in Advanced Capitalism », in L. Lindberg (editor), Politics and the Future of Industrial Society, Mc Kay, 1976 ; ce texte a été aussi publié en italien par II Mulino, Bologna, n° 1, 1974, en une version préliminaire.

[8]  Il est clair qu’il ne s’agit pas de donner une bibliographie même sommaire qui compléterait celle existant dans le livre et qui va, plus ou moins, jusqu’en 1970. Notre propos ici est plus limité et plus précis ; il s’agit de donner des exemples d’un nouveau type de recherches qui n’existaient guère en 1970 et qui représentent une transformation fondamentale de l’analyse des contradictions urbaines par les sciences sociales. Ce faisant, nous pensons accroître la visibilité de ces recherches et faciliter la communication entre des travaux suffisamment proches pour se renforcer mutuellement dans le procès en cours.

[9]  Christian TOPALOV, Les promoteurs immobiliers, Mouton, Paris, 1974.

[10]  Christian TOPALOV, Capital et propriété foncière, Centre de Sociologie Urbaine, Paris, 1973.

[11]  François ASCHER et Chantal LUCAS, Analyse des conditions de production du cadre bâti, 3 volumes, U.E.R.-Urbanisation, Grenoble,

[12]  François ASCHER et Daniel LEVY, « Logement et Construction », Economie et Politique, mai 1973 ; François ASCHER et Chantal LUCAS, « L’industrie du bâtiment : des forces productives à libérer  », Economie et Politique, mars 1974.

[13]  Denis DUCLOS, Propriété foncière et processus d’urbanisation, C.S.U., Paris 1973.

[14]  Edmond PRETECEILLE, La production des grands ensembles, Mouton, Paris, 1973.

[15]  Brunot THERET et Miguel DECHERVOIS, Contribution à l’étude de la rente foncière capitaliste, Mouton, Paris 1975. Alain LIPIETZ, Le tribut foncier urbain, Maspero, Paris, 1974.

[16]  Claude POTTIER, La logique du financement public de l’urbanisation, Mouton, Paris, 1975.

[17]  Jean LOJKINE, La politique urbaine dans la région parisienne, 1945-1972, Mouton, Paris, 1973 ; Jean LOJKINE, La politique urbaine dans la région lyonnaise, 1945-1972, Mouton, Paris, 1974 ; il faut aussi signaler des contributions théoriques plus générales, très importantes de Jean Lojkine sur les thèmes de l’urbanisation : « Contribution à une théorie marxiste de l’urbanisation capitaliste », Cahiers Internationaux de Sociologie, 1, 1973 ; et « Urban Policies and Urban Social Movements », in Michael HARLOE (editor), Captive Cities, John Wiley, London, 1976.

[18]  Voir ses articles sur la planification urbaine à Paris et sur le mouvement municipal parisien dans les numéros spéciaux « Politique urbaine » de Sociologie du Travail, 4, 1969 et 4, 1970.

[19]  Francis COUARD et autres, La rénovation urbaine à Paris. Structure urbaine et logique de classe, .Mouton, Paris, 1973.

[20]  Fin cours au Centre de sociologie urbaine en 1974-1975.

[21]  Sylvie BIAREZ et autres. Institution communale et pouvoir politique. Les cas de Roanne, Mouton, Paris, 1974.

[22]  M CASTEI.LS et F'. GODARD, Monopolville, Mouton, Paris 1974.

[23]  Michel AMIOT et autres. Politique municipale et équipements culturels, ministère de l’Equipement, Paris, 1972.

[24]  Jacques ION et autres, Les équipements socio-culturels et la ville, ministère de l’Equipement, Paris, 1973.

[25]  Manuel CASTELLS, Eddy CHERKI, Francis GODARD, Dominique MEHL, Sociologie des mouvements sociaux urbains. Enquête sur la région parisienne. Vol. 1 : Crise du logement et mouvements sociaux. Mouton, Paris, 1976 ; une enquête est en cours sur les mouvements sociaux liés aux transports urbains ; une enquête a aussi été réalisée sur les luttes urbaines en Europe, en 1974-1975.

[26]  En particulier, des travaux de Michel Freyssenet.

[27]  Armel HUET et autres, Le rôle idéologique et politique des comités de quartier, ministère de l’Equipement, Paris, 1973.

[28]  M. CASTELLS, Luttes urbaines, Maspero, Paris, 1973 ; plusieurs articles sur les mouvements sociaux urbains ont été publiés dans la revue Espaces et Sociétés (aux éditions Anthropos, Paris) ; textes de : Eddy CHERKI, François PINGEOT, Michel ROBERT, Franz VANDERS-CHUEREN, Françoise LENTIN, Ricardo GARCIA-ZALDIVAR, François BONNIER, José OLIVES, etc. Cette revue Espaces et Sociétés est sans doute la source la plus utile pour connaître les tendances les plus intéressantes de la recherche urbaine en France.

[29]  Henri LEFEBVRE, La production de l’espace, Anthropos, Paris, 1974.

[30]           

[31]  Henri LEFEBVRE, La pensée marxiste et la ville, Castermann, Paris, 1972.

[32]  En particulier, Les équipements collectifs, numéro spécial de Recherches, C.E.R.F.I., Paris, 1973.

[33]  Alain MEDAM, La Ville-censure, Anthropos, Paris, 1972 ; et, surtout, sa thèse en cours de publication, Les sens de la ville.

[34]  Raymond LEDRUT, Les images de la ville, Anthropos, Paris, 1973.

[35]  Jean-Claude THOENIG, L’ère des technocrates, Dunod, Paris, 1974.

[36]  Jean REMY et Liliane VOYE, La Ville et l’urbanisation, Duculot, Braxelles, 1974.

[37]  Raymonde MOULIN et autres. Les architectes, Calmann-Lévy, Paris, 1973.

[38]  Les travaux les plus intéressants sont, sans doute, ceux de Mantredo Tafuri. Voir aussi les travaux de Katherine Burlen, de Bernard Dubord, Henri Raymond, de Marion Segaud. Une discussion très féconde est introduite par les deux articles de Manfredo TAFURI et de Diana AGREST sur les gratte-ciel de New York dans le numéro spécial sur les U.S.A de L’Architecture d’aujourd’hui, mars-avril 1975.

[39]  Nous essayons, en ce moment, de développer une analyse comparative entre la France, les États-Unis et l’Italie, afin de cerner les effets différentiels des formes d’intervention de l’État et du niveau atteint par la lutte de classes sur l’organisation des services urbains et leur rapport au processus de consommation.

[40]  On peut suivre les travaux de ce groupe dans la revue Archivio di Studi Urbani e Regionali, ainsi que dans le journal politique Citta-classe. Une bonne collection de travaux répondant, en général, à cette organisation a été publiée par Francesco INDOVINA (SOUS la direction de), Lo Spreco Edilizio, Marsilio, Padova, 1973.

[41]  Andreina DAOLIO (sous la direction de), Le lotte per la casa in Italia, Feltrinelli, Milano, 1974.

[42]  Giuliano DELLA PERGOLA, Diritta alla citta e lotte urbane, Feltrinelli, Milano 1974.

[43]  Voir en particulier son excellente synthèse théorique « Sociological approach to regional and urban development : some theoretical and methodological issues » in M. HARLOE (editor) Captive Cities, John Wiley, London, 1976.

[44]  M. BOFFI, S. COFINI, A. GIASANTI, E. MINGIONE, Citta e conflitto sociale, Feltrinelli, Milano, 1972.

[45]  Marcella DELLA DONNE, La questione edilizia, De Donato, Bari, 1973.

[46]  Franco FERRAROTTI, Roma, da capitale a periferia, Laterza, Bari, 1971 ; Franco FERRAROTTI, Vita dei Baraccati, Roma, 1974.

[47] David HARVEY, Social Justice and the City, Edward Arnold Press, London, 1973 ; « Class-Monopoly Rent, Finance Capital and the Urban Revolution », Regional Studies, vol. 8, 1974 ; The political economy of the urbanization in advanced capitalist countries : the case of the U.S., Center for Metropolitan Studies, Johns Hopkins University, Baltimore, 1975 ; et, surtout, son prochain livre sur le rapport entre accumulation capitaliste et organisation du territoire, à partir de l’analyse du rôle économique du cadre bâti.

[48] Ils ont réuni une conférence sur le thème de l’analyse marxiste de la ville à New York, en février 1975. Les contributions à ce colloque, très intéressantes en général, doivent faire l’objet d’une publication collective en 1976. Il faut signaler parmi ces travaux ceux de John Mollenpkoff et de Richard Hill.

[49] David GORDON (editor) Problems in Political Economy : an urban perspective, Heath, Lexington, 1971.

[50] William TABB, The Political Economy of the Black Ghetto, New York, 1970.

[51] Robert R. ALFORD, Health Care Politics, Universitv of Chicago Press, 1975 et Robert R. ALFORD et Roger FRIEDLAND, Political Participation, University of Wisconsin, Madison roneo (doit être publié en 1976).

[52] Frances F. PIVEN, Richard A. CLOWARD, Regulating the Poor, Vintage, New York, 1971 ; Richard A CLOWARD and Frances F. PIVEN, The Politics of Turmoil, Panthéon Books, New York 1974.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 18 juin 2024 9:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref