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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Fritz Deshommes, Salaire minimum et sous-traitance en Haïti. ” (2010)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Fritz Deshommes, Salaire minimum et sous-traitance en Haïti. Port-au-Prince, Haïti: Les Éditions de l'Université d'État d'Haïti, 2010, 120 pp. Collection: Pistes. Une édition numérique en préparation par Chinetor PAUL, bénévole, jeune diplômé en Sciences du Développement à PAODES-Université, en Haïti. [Autorisation accordée par l'auteur de diffuser ce livre en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales le 17 mai 2016.]

[13]

Salaire minimum et sous-traitance
en Haïti
.

Introduction

Le débat sur le salaire minimum s'est arrêté sur un profond malaise. Un vote du parlement dont la légitimité est contestée. Des discussions dont plusieurs protagonistes estiment qu'elles ont été escamotées. La carence de données pertinentes et convaincantes. Le sentiment que la décision finale des 125 gourdes pour la sous-traitance [1] résulte beaucoup plus de tractations politiciennes et des sempiternels rapports de forces entre oligarchie et nation que d'un compromis raisonnable.

Reprenons les faits. Tout le monde admet que les 200 gourdes de salaire minimum légal journalier constituent un minimum, un pis-aller, un pas dans la bonne direction. Tout le monde : du chef de l'État aux ouvriers en passant par les patrons, le Ministère des Affaires Sociales, les sénateurs, les députes, les pro et contre 200 gourdes.

En la circonstance, deux interrogations apparaissent :

  • Certains secteurs, dont l'assemblage, les petites et moyennes entreprises, les entreprises rurales, peuvent-ils supporter les 200 gourdes ? Ne risquent-ils pas de disparaître ? Ne court-on pas le danger de pertes massives d'emplois ?

  • En augmentant les salaires des ouvriers, n'y a-t-il pas lieu de craindre une accélération de l'inflation ? La mise à la disposition des travailleurs d'un revenu plus important n'est-elle [14] pas de nature à induire une hausse des prix qui pourrait éroder substantiellement les gains supplémentaires ?

La première interrogation a été abordée en ce qui à trait à l'assemblage. Plusieurs tentatives ont été faites pour trouver des informations éloquentes qui permettraient d'y répondre avec certitude. Quels sont les revenus du secteur ? Les charges supportées ? Les revenus engrangés ? L'adoption du salaire minimum de 200 gourdes ne ferait-elle que réduire les marges de profit dans une mesure telle que le secteur garderait toute sa rentabilité ? Ou est-elle susceptible d'en provoquer la ruine et de décourager de nouveaux investisseurs ?

Jusqu' à ce jour, la réponse n'est pas claire. Les patrons affirment péremptoirement que les 200 gourdes ne sont pas supportables mais se refusent à fournir les éléments d'appréciation. Le chef de l'État a pris fait et cause pour les employeurs mais sur la base beaucoup plus d'une crainte de perte éventuelle d'emplois que d'une conviction établie par des chiffres pertinents.

La Chambre des Députés qui est revenue sur son premier vote a pourtant reconnu que « l'analyse des 20 documents mis à la disposition de la délégation [de la Chambre des Députés] ne l'ont [sic] pas permis de valider ou de rejeter les dites objections [du Président de la République] car les états financiers analysés ne permettent pas de mesurer la rentabilité des entreprises ».

Il existe donc un besoin réel de maîtrise des données économiques et financières sur la sous-traitance dont le discours officiel fait par ailleurs le moteur de la relance de l'économie nationale.

Le présent travail se propose d'identifier, de rechercher et d'analyser toutes les données disponibles relatives à la sous-traitance dans la perspective de répondre à l'interrogation : la sous-traitance peut-elle supporter un salaire minimum de 200 gourdes tout en demeurant rentable ?

[15]

Sources d'information

Le refus des autorités et acteurs concernés à fournir les renseignements pertinents nous oblige à nous lancer dans une véritable quête de vérité. Toutes les sources possibles sont utilisées en la circonstance : entrevues personnelles de l'auteur avec des ouvriers et des patrons, articles parus sur la question dans la presse écrite, conventionnelle et électronique, reportages radiophoniques, bulletins et rapports d'organismes publics comme Banque de la République d'Haïti (BRH). Sans compter des documents émanant du secteur patronal dont :

  • Un texte intitulé « La question du salaire minimum / Emphase Sous-traitance » (Mai 2009), présenté en Power Point sur 10 pages par M. André Apaid ;

  • Une importante étude réalisée par la firme de consultation « Stratégie Management Group » de Lhermite François (Mai 2009) sous le titre : « Impact éventuel du nouveau salaire minimum sur l'avenir de l'industrie de la sous-traitance en Haïti ».

Bien entendu nous nous sommes évertués à aiguiser notre vigilance critique dans l'utilisation des données car la plupart des sources mentionnées comportent leur part de subjectivité, d'intérêts particuliers.

Par exemple, les deux derniers documents mentionnés nous ont été d'une grande utilité. Ils contiennent de précieuses indications sur les critères de rémunération, la masse salariale, les coûts variables, les coûts fixes, les revenus, les bénéfices, la productivité, etc. du secteur de l'assemblage. Le hic est qu'ils ont été produits ou commandités par l'ADIH et ses membres en pleine bataille contre les 200 gourdes de salaire minimum. On peut assumer valablement que les informations fournies directement ou indirectement ont été « monitorées » dans la perspective de cette bataille. Il est opportun de rappeler à ce sujet que :

  • Les patrons de l'assemblage, à qui revenait la charge de la preuve que les 200 gourdes ne sont pas soutenables, [16] ont catégoriquement refusé de soumettre les documents adéquats ;

  • L'analyse des états financiers consultés à la DGI par des députés révèle des incohérences suffisamment graves pour que le député Stevens Benoit crie au scandale et conclue simplement que les données sont fausses [2] ;

  • Il est de notoriété publique que les industriels et commerçants haïtiens pratiquent une double ou triple comptabilité [3] ;

Par contre, même quand les conclusions de l'étude du « SMG » accréditent la thèse des patrons de la sous-traitance, ces derniers ne s'en sont pas servis pour convaincre l'opinion publique. Pourtant, ils ont acheté des pages entières de journaux de la place pour diffuser des informations sur la République Dominicaine. Se pourrait-il que l'étude du MSG pourrait révéler des informations qui ne leur conviennent pas, en dépit de ses conclusions ?

Nous avons donc utilisé cette étude en connaissance de cause, de manière critique.

La même prudence s'applique aux entrevues, soit personnelles, soit radiophoniques, réalisées avec des patrons et des ouvriers.

Chaque fois qu'il est possible, nous faisons appel à des sources indépendantes pour réduire autant que possibles les biais. Il est vrai que les rapports de l'IHSI et de la BRH contiennent très peu de renseignements spécifiques sur le secteur.

Aurons-nous ainsi atteint la vérité dans son expression dernière ? Certainement pas. Il se peut que beaucoup d'éléments nous échappent encore. Il se peut que nos conclusions soient erronées. Mais nous aurons au moins fait reculer les limites de l'opacité. A charge par ceux qui disposent d'informations plus exactes de les fournir. Nous serons ainsi mieux armés pour aborder la problématique du salaire minimum en Haïti.

[17]

Organisation du travail

Le travail est organisé en 5 chapitres :

  • Dans le premier intitulé : « Critères et modalités de rémunération dans l'Assemblage », nous nous évertuerons à clarifier les critères de rémunération, identifier la logique qui sous-tend les décisions y relatives ainsi que les principaux acteurs ;

  • Nous aurons ainsi déblayé le terrain pour déterminer la masse salariale "actuellement" supportée par le secteur (salaire minimum de 70 gourdes) [4] et estimer ce qu'elle pourrait être dans la perspective d'un salaire minimum de 200 gourdes. C'est l'objet du deuxième chapitre intitulé : « Emplois, protection sociale et masse salariale dans la sous-traitance » ;

  • Ce sont les chapitres trois et quatre qui abordent véritablement l'interrogation principale annoncée : « La Sous-traitance peut-elle supporter un salaire minimum de 200 gourdes ? ». Dans cette perspective, seront estimées les charges totales, y compris les coûts fixes et les coûts variables. D'un autre coté, les montants des revenus seront puisés à diverses sources. Ce qui permettra d'estimer les revenus nets d'exploitation et d'avoir des idées plus claires sur la rentabilité du secteur dans l'hypothèse d'un salaire minimum de 200 gourdes ;

  • Nous chercherons également à présenter le secteur dans ses composantes fondamentales, ses acteurs principaux, ses représentants attitrés, à comprendre le comportement, les peurs, les réticences, les protestations, les frustrations des uns et des autres. À ce propos, il nous semble opportun d'attirer l'attention sur les profondes différences de niveau, de capacité mais surtout de productivité et d'efficacité entre les entreprises de sous-traitance. Se pourrait-il que [18] tout le secteur se soit identifié avec les entreprises à très faible productivité pour en faire les plus représentatives ? D'où la justification du chapitre cinq intitulé : « Le bon grain, l'ivraie et les autres ».


[1] Dans tout le texte, "sous-traitance" et "assemblage" et "industrie d'assemblage" sont équivalents.

[2] Benoit découvre le pot aux roses. Le Nouvelliste du 16 juillet 2009.

[3] Fritz Deshommes, "Banquiers et Hommes d'Affaires d'Haïti, vus par eux-mêmes », in Vie chère et politique économique en Haïti (1992).

[4] Actuellement c'est-à-dire, au moment des débats et avant la mise en vigueur du nouveau barème.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 17 décembre 2016 10:35
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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