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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Ricarson DORCÉ, “La lodyans haïtienne et Maximilien Laroche: cheminement d’un patrimoine culturel immatériel haïtien.” In ouvrage sous la direction de Zilà Bernd, Bernard Andrès et Vinesh Y. Hookoomsing, D’Haïti aux trois Amériques. Hommage à Maxi-milien LAROCHE, pp. 105-130. Québec: Groupe de recherche sur les littératures de la Caraïbe (GRELCA), 2021, 330 pp. Collection: “Essais”, no 22. [La direction du GRELCA nous a accordé le 12 janvier 2022 son autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[105]

D’Haïti aux trois Amériques.
Hommage à Maximilien Laroche

ÉTUDES : HAÏTI

La lodyans haïtienne et
Maximilien Laroche :
cheminement d’un patrimoine
culturel immatériel haïtien
.”

Ricarson DORCÉ

Introduction

Comment rendre hommage à Maximilien Laroche ? Né au Cap-Haïtien, en Haïti, le 5 avril 1937, il a fait des études supérieures en France et a enseigné les littératures française, québécoise et francophone de la Caraïbe à la Faculté des lettres de l’Université Laval. Mort le 27 juillet 2017 à Québec, au Canada, il était un grand sage avec une forte capacité d’entrer en relation avec soi-même, tout en s’ouvrant aux autres par la recherche du dialogue. Pour se comprendre, comprendre sa culture, il s’était constamment mis en rapport avec l’Autre. Dans « Soi-même comme un autre », Paul Ricœur nous a laissé entendre que « l’Autre n’est pas seulement la contrepartie du Même, mais appartient à la constitution intime de son sens [1] ».

Maximilien Laroche s’attelait à instituer une véritable conversation entre les cultures des Amériques [2]. Il s’intéressait aux légendes haïtiennes [3] et aux folklores caraïbéens. Il a fait des recherches très remarquables dans ce champ. Il a mis en exergue les mécanismes [106] psychologiques qui empêchent le dialogue entre les îles de la Caraïbe. Une situation liée « à la rivalité internationale qui a si longtemps marqué l’histoire antillaise, engendrant un isolationnisme farouche. Rien n’encourageait alors les îles à communiquer entre elles, seules étant favorisées leurs relations avec leurs métropoles respectives [4] ».

Grand penseur de l’oraliture haïtienne, il a étudié la lodyans et prenait plaisir à évaluer le poids des mots des traditions populaires locales : « Nous mesurons mal ce poids des mots dont nous nous servons. Il ne nous apparaît qu’au fil du temps, […]. Il nous faut donc sans cesse sonder ce poids pour voir comment il se réincarne dans le réel que nous essayons d’éclairer [5] ». Pour lui, les mots nous transportent autant que nous les transportons : « Les mots font la ronde. On pourrait donc parler de la danse des mots. Cette image est jolie. Elle montre surtout que nous entraînons les mots autant qu’ils nous entraînent dans la ronde de la vie [6]. »

La lodyans fait partie de ces mots qui « nous entraînent dans la ronde de la vie ». C’est un genre de récit propre à l’oraliture haïtienne : l’essentiel est exprimé habilement en peu de mots avec un sens de l’humour très particulier [7]. Selon Maximilien Laroche, le terme « oraliture » permet d’établir la relation entre oralité et littéralité : « En fait, oralité et littéralité, loin de s’exclure, se combinent. À preuve : le théâtre ! Et si l’on peut parler d’une ressemblance de la narration orale du conte et de la représentation théâtrale, c’est dans cette combinaison de l’oralité et de la littéralité qu’il faut la chercher [8] ». Autrement dit, le néologisme « oraliture », qui fait cohabiter oralité et littérature, vise à cerner les savoirs, savoir-faire et pratiques liés aux contes, mythes, théâtres populaires, dictons, lodyans, etc.

Dans cet article, nous nous intéressons plutôt à cette pratique [107] vieille de plusieurs siècles : la lodyans. S’il est vrai qu’elle est souvent considérée comme un genre littéraire, il n’en demeure pas moins que les lodyanseurs s’exécutent à partir d’éléments issus du patrimoine culturel immatériel haïtien qui se sont transmis au fil du temps, de génération en génération. Cet article vise à analyser la lodyans dans sa dimension dialectique, à travers surtout les lunettes théoriques de Maximilien Laroche. Il comporte deux grandes parties : 1) Ce que « Bay lodians » veut dire ; 2) Justin Lhérisson, le précurseur du genre lodyans.

En guise de conclusion, nous allons voir la place que pourrait occuper ce type de patrimoine culturel immatériel dans le développement des pratiques d’enseignement des sciences.

Ce que « Bay lodians » veut dire

Dans une perspective haïtienne, la lodyans est avant tout « une forme d’entretien oral, où le locuteur use de ruses serpentines pour raconter de manière humoristique tel événement social ou tel fait politique [9] ». Bien qu’elle puisse servir à critiquer la société, il n’en demeure pas moins qu’elle représente un outil de transmission des savoirs endogènes, de valorisation de la culture locale et de renforcement des liens sociaux. Donc, elle pourrait être considérée comme une utopie sociale [10] en posant des jalons pour une société meilleure.

La lodyans fait partie des traditions orales haïtiennes. Jacques Stephen Alexis, le théoricien du réalisme merveilleux des Haïtiens [11], a beaucoup étudié nos pratiques orales. Tout en étant conscient du danger guettant les pratiques folkloriques du pays à cause d’une mondialisation débordante, il a considéré la lodyans comme une [108] pratique très vivante. Dans Florilège du romanesque haïtien, il a questionné l’essence de cette pratique :

Mais qu’est-ce donc que « l’audience » et à quoi correspond-elle ? Parbleu, c’est le narré en liberté, la confusion du temps et de l’espace, c’est l’accélération subite, le retour en arrière, le freinage en douceur pour repartir droit devant soi à toute vitesse, à toute bouline, et tomber dans l’anachronisme désinvolte qui vous dépose non au siècle dernier ou à la période coloniale, mais tout bonnement à la rue des Quatre-Escalins, dans les mornes en compagnie de juteux paysans, si ce n’est… dans la lune. Le récit se poursuit, guilleret, courant à la poursuite de sa queue, puis de sa tête, sinon de son bras ou de sa cuisse, afin de retrouver un fil d’Ariane qui s’enroule comme une couleuvre endormie, fuse vers le temps jadis, bouscule présent et avenir pour retomber dans un jus de gouaille extravagante, un pétillement grégeois de salive mirifique et un « tour » de mascaron (danse de bande carnavalesque) dont je ne vous dis que ça. Merveille de la vie sur l’âpre terre des « Tomas » d’Haïti ! Un rire énorme se balance au-dessus du récit et soudain explose, déferle en mots, en saillies, en onomatopées, en cris, en jets de salive, en jurons, en petites larmes vite écrasées, puis l’histoire continue, bête branchue, au corps étonnant de grâce, de joliesse et de monstruosité [12].

La lodyans fait partie du « réalisme merveilleux des Haïtiens » dont l’objectif, selon Jacques Stéphen Alexis, se décline comme suit :

1) chanter les beautés de la patrie haïtienne, ses grandeurs comme ses misères, avec le sens des perspectives grandioses que lui donnent les luttes de son peuple, la solidarité avec tous les hommes ; atteindre ainsi à l’humain, à l’universel et à la vérité profonde de la vie ;

2) rejeter l’art sans contenu réel et social ;

3) rechercher les vocables expressifs propres à son peuple, ceux qui correspondent à son psychisme, tout en utilisant sous une forme renouvelée, élargie les moules universels, en [109] accord bien entendu avec la personnalité de chaque créateur ;

4) avoir une claire conscience des problèmes précis, concrets, actuels et des drames réels que confrontent les masses, dans le but de toucher, de cultiver plus profondément et d’entraîner le peuple dans ses luttes [13].

L’oxymore « réalisme merveilleux des Haïtiens » se trouve dans les particularités de l’expression d’une culture populaire consciente qui résiste aux assauts du temps. Une résistance contre la férocité de l’existence. Une résistance fondée sur nos mythes, nos légendes, nos superstitions, nos croyances religieuses, nos pratiques linguistiques, etc. Selon Georges Anglade, inspiré des critiques théoriques de Jacques S. Alexis, une des caractéristiques de la lodyans est qu’elle puise dans le créole et le vodou [14]. Elle valorise en effet l’usage du créole et du vodou, deux piliers de la culture populaire haïtienne.

La lodyans doit être classée parmi les créations collectives haïtiennes les plus significatives que sont le Vodou, le créole, la commercialisation par madan sara, le compagnonnage des jardins paysans, la peinture, le marronnage, la gaguère des combats de coqs, le carnaval, etc. Et cette lodyans est le mode littéraire le plus généralisé, le plus populaire, le plus ancien aussi dans l’expression du romanesque de ce peuple profond tel qu’il s’exprime en son pays profond [15].

Pour Pradel Pompilus, la lodyans n’est autre qu’un « récit burlesque fait par un conteur professionnel à un auditoire familier [16] ». Des théoriciens de la créolité s’inscrivent dans cette logique et reconnaissent à la lodyans des spécificités propres à la culture orale haïtienne [17]. Ces penseurs ont posé des jalons pour une nouvelle [110] compréhension de la littérature antillaise dont la langue créole formerait l’épine dorsale et qui ne porterait pas atteinte aux impératifs de l’écriture contemporaine tout en tenant compte des pratiques orales traditionnelles.

Le peuple haïtien éprouve une passion démesurée pour le Dire. Aux yeux du peuple haïtien, « le Dire est à la fois un Art, une Arme et un Bonheur [18] ». Selon le professeur Maximilien Laroche, la lodyans renvoie à cette nécessité de dire notre existence :

Dans un pays […] où l’on a la passion de la politique qu’on fait surtout en parlant ; où l’on a le goût des histoires aussi bien légendaires que d’actualité et où l’on goûte particulièrement le plaisir d’en entendre et d’en raconter, entre amis, dans une atmosphère de joyeuse détente, cette passion du Dire devait trouver son expression la plus parfaite dans ce qui est pour certains un passe-temps, pour d’autres une occupation, pour quelques-uns un genre littéraire même [… [19]].

Plus loin, il a pris le soin d’établir une différence fondamentale entre « conte » et « audience ».

« Bay lodians » est une activité parallèle à celle de « tiré kont » avec cette différence capitale que les contes se narrent le soir, et les audiences se content le jour. Dans un cas, « tiré kont », il s’agit d’une activité nocturne, rituelle, alors que dans l’autre cas, « bay lodians », il s’agit d’une activité diurne, relevant de la libre fantaisie des narrateurs et des auditeurs […]. Alors que le « conte » est impersonnel, et prend un caractère quasi magique par les tabous qui l’entourent (défense de raconter des « contes » avant la tombée du jour) qu’il peut être triste ou gai, mais comporte toujours une valeur pédagogique, un enseignement, « bay lodians » est une activité strictement profane qui n’est soumise à aucun interdit, rite ou condition. On peut donner des audiences n’importe où et n’importe quand, pourvu, bien [111] entendu, que l’ardeur de la canicule ne s’y oppose pas. [… [20]].

Avec son nouveau livre, Le conteur, la nuit et le panier [21], l’essayiste et romancier martiniquais Patrick Chamoiseau s’inscrit dans cette démarche de cerner la figure énigmatique du conteur qui prend possession de la nuit pour faire danser les mots, déconstruire l’ordre social dominant et transmettre les savoirs ancestraux.

Par ailleurs, Christiane Ndiaye considère la lodyans comme une pratique narrative très populaire, mais non valorisée par les discours « légitimes ». L’auteure a ainsi développé son argumentation :

Il est bien connu que les littératures dites populaires ont longtemps été marginalisées par les institutions littéraires et qu’on les distingue encore aujourd’hui de la « vraie littérature » en les désignant par des appellations telles que « paralittérature », « littérature de masse », etc. Dans le cas des sociétés de tradition orale, cette hiérarchisation a été en quelque sorte dédoublée par le discours colonial qui crée une -fausse- équivalence entre le « populaire » et les productions culturelles d’expression orale, alors que c’est loin d’être le cas : toute la littérature orale n’est pas « populaire » ; elle s’organise en genres qui diffèrent selon les sociétés et les époques [22].

Pour cette théoricienne de l’héritage de la tradition littéraire haïtienne, il y a une nécessité aujourd’hui de valoriser l’oraliture, ce genre de productions populaires non légitimées surtout par les institutions occidentales. L’auteure propose une révision de l’histoire littéraire dominante, une révolution du champ littéraire en vue de prendre en considération l’influence des pratiques littéraires populaires sur le développement de l’imaginaire collectif.

La lodyans est parmi les activités narratives qui forgent l’identité collective haïtienne. Ce type du patrimoine culturel immatériel haïtien [112] mérite d’être sauvegardé, surtout au moment où ces pratiques « sont mises en péril par la mondialisation, les politiques uniformisantes et le manque de moyens, d’appréciation et de compréhension qui, ensemble, peuvent finir par porter atteinte aux fonctions et aux valeurs de ces éléments et entraîner le désintérêt des jeunes générations [23] ». Après l’adoption de la « Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » en 2003 par l’UNESCO, les chercheurs, les autorités gouvernementales compétentes et les acteurs de la société civile sont devenues de plus en plus conscients de l’importance de sauvegarder « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel [24] ». Ces éléments constituent le patrimoine culturel immatériel. Autrement dit, le patrimoine culturel ne se limite plus aux paysages, aux monuments, aux sites archéologiques, aux collections d’objets, donc à sa dimension matérielle. Il faut désormais également prendre en compte la dimension immatérielle du patrimoine culturel : les expressions vivantes transmises de génération en génération, comme « les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, les rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel [25] ».

Comme le prouvent les différentes manifestations de la lodyans, il y a une interdépendance ou un rapport très dynamique entre l’immatériel et le matériel. En effet, depuis 1991, le professeur Maximilien Laroche avait déjà écrit ceci dès l’introduction de son livre portant sur la double scène de la représentation : « […] de plus en plus nombreux sont ceux qui plutôt que de prendre la plume préfèrent [113] prendre le micro pour parler sur une audio-cassette, chanter ou raconter des lodyans sur un disque, ou performer leurs plus récentes créations musicales et chorégraphiques sur une vidéo-cassette [26] ». De nos jours, le rôle des outils numériques dans la mise en valeur des lodyans est plus qu’évident. La lodyans, comme pratique immatérielle, a besoin d’espaces, de lieux publics, d’outils numériques ou de supports matériels pour se manifester. Tout comme, évidemment, certains espaces publics ou numériques peuvent avoir besoin de la lodyans pour se revivifier. Donc, on ne saurait concevoir le patrimoine immatériel sans le matériel : « le matériel rencontre l’immatériel [27] ». L’expression « esprit du lieu » explique bien cette complémentarité.

Le patrimoine est esprit et matière, esprit et lieu. L’expression « esprit du lieu » énonce elle-même les deux éléments fondamentaux de cette relation : l’esprit qui renvoie à la pensée, aux humains et aux éléments immatériels, et le lieu qui évoque un site géographique, un environnement physique, soit les éléments matériels. L’esprit construit le lieu et, en même temps, le lieu investit et structure l’esprit. La relation entre la pensée et le monde matériel n’est donc pas univoque, mais dialectique, plurielle et évolutive [28].

Les composantes de la lodyans sont ancrées dans les réalités culturelles, économiques, géographiques, historiques, sociales et politiques de l’Haïti d’aujourd’hui et d’hier. Georges Anglade (1944-2010), géographe, homme politique et écrivain haïtien, fut parmi les premiers à tenter de poser les jalons théoriques de cette manière propre au peuple haïtien de raconter, de cerner le monde. Pour le fondateur du Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal, cette pratique narrative très populaire représente les entrailles de la culture haïtienne tant en milieu rural qu’en milieu urbain : genre [114] typiquement haïtien de la miniature et de la mosaïque [29]. D’abord un genre oral, la lodyans a été par la suite mobilisée dans le domaine écrit pour la première fois entre la fin du 19e et le début du 20e siècle [30]. Depuis, elle se développe en réconciliant l’oral et l’écrit, en évaluant l’expérience de la vie de tous les jours et en misant sur l’inconscient collectif. « Ce genre de la lodyans s’est donc épanoui à la confluence de l’oralité et de la littérature en connaissant mille morts annoncées et mille renaissances souhaitées, toutes les fois que tombaient les bâillons [31] ».

Pour le professeur Maximilien Laroche, Justin Lhérisson est « le devancier d’une suite d’audienciers littéraires [32] ».

Justin Lhérisson, le précurseur du genre lodyans

Alexis Michel Justin Lhérisson [33] (1873-1907) est reconnu comme le premier écrivain à s’approprier les techniques de la lodyans. Journaliste politique, avocat et historien, il fonda en 1899, après avoir créé la revue littéraire Jeune Haïti, le quotidien Le Soir à travers lequel s’est opérée la transposition de l’oral à l’écrit de la lodyans. Dans ses différentes chroniques, il a fait preuve d’une originalité certaine en mettant en scène une pratique d’écriture méditative, itérative, repliée sur elle-même, empreinte d’humour ironique et d’espièglerie. Le but de la lodyans est d’amuser la galerie, de divertir les gens tout en les éduquant, de les initier à la réflexion critique, de les surprendre, de remonter leur moral, de répandre l’enthousiasme, la colère face à la calamité et le dégoût devant les injustices sociales.

[115]

À travers ses lodyans présentant un fort intérêt ethnologique, Justin Lhérisson a fait montre de rigueur dans l’art de décrire des personnages en fonction de leur statut et de leur importance dans l’échelle sociale. La réalité paysanne et les mœurs politiques et culturelles présentes dans le milieu haïtien sont exposées avec force détails dans La Famille des Pitite-Caille et Zoune chez sa ninnaine [34]. Dans ces deux histoires, l’écriture affronte les défis de l’oralité haïtienne. Lhérisson décrit une ambiance de réunion où un lodyanseur, jouant le rôle de conteur expérimenté, livre un récit, interprète les actualités politiques, décrit un fait social.

Pour le professeur Maximilien Laroche, La Famille des Pitite-Caille est « le premier roman à prendre pour modèle la forme [de la] lodyans populaire [35] ». D’ailleurs, Justin Lhérisson l’a affirmé dès le début du récit :

Ce ne sera ni une charge ni un roman... Ce sera tout simplement une audience, à la vieille manière haïtienne. C’est un récit fait pour amuser, consoler et inciter à la réflexion : une vraie audience, comme on a l’habitude de les apprécier dans nos villages, le soir à la belle étoile, sur les lèvres d’un conteur professionnel de l’oralité [36].

Dans La Famille des Pitite-Caille, Golimin, considéré comme le lodyanseur le mieux informé de la République, raconte l’histoire d’une lignée familiale ruinée, celle des Pitite-Caille, depuis la période esclavagiste jusqu’à l’époque actuelle : le premier des descendants de cette souche familiale était un jeune esclave bien toléré par son propriétaire, père de 68 enfants naturels et un fils légitime, Eliézer. Ce dernier et Velléda, une tireuse de cartes, vivaient en concubinage avant de se marier. Ils faisaient partie des nouveaux riches de Port-au-Prince. Candidat à la députation, Eliézer engageait Boutenègre comme le chef d’orchestre de sa campagne. En peu de temps, sa notoriété a grandi [116] parce qu’il a beaucoup dépensé. « Le pèpe des coins, racoins et cointaux, c’est in pèpe lé pli exugeant… Plis lé candidat dépense, plis il est avec lui, plis il a lé courage de crier : Vive! [37] », alerte Boutenègre. Les choses ont mal tourné : brutalisé, humilié, arrêté et persécuté par les autorités, Eliézer meurt d’apoplexie. Ses deux enfants, Lucine et Etienne, qui étudiaient à Paris pour pouvoir surtout connaître les « manières distinguées », ont choisi de retourner en Haïti pour prendre possession de leur héritage, cependant ils ont également connu la décadence : Lucine se mariait avec Cabatoute, un homme infidèle, malhonnête, exploiteur qui l’a ruinée et lui a même causé la mort en lui assénant un coup de pied au ventre pendant qu’elle était en pleine ceinture ; Étienne se détruit financièrement en adoptant une vie de débauche.

Les réalités décrites dans le récit sont très pertinentes dans la compréhension de l’Haïti d’aujourd’hui. Par exemple, l’histoire d’Eliézer nous invite à réfléchir sur le cas actuel de certains individus plus ou moins fortunés qui se portent candidats à des postes politiques pour lesquels ils ne possèdent pas les qualifications requises. Sans programme politique ni idées nouvelles, ils sont candidats aux élections uniquement en raison de leur statut économique.

L’histoire de La famille des Pitite-Caille permet de faire la radiographie de la crise chronique qui sévit dans la société haïtienne. Le non-respect des principes démocratiques est au cœur du champ politique. Les droits civils et politiques sont bafoués. C’est l’arbitraire qui bat son plein. C’est le règne de l’intolérance. Maximilien Laroche parle de « mardigratures [38] ». Il présente ainsi le roman de Justin Lhérisson :

[…] le roman de Lhérisson, s’il nous raconte en détail les péripéties de la vie d’Eliézer Pitite-Caille, s’il nous fait voir comment, parti de rien, ce personnage roublard, astucieux, ambitieux et sans scrupule fit fortune, se hissa jusqu’à une situation sociale et économique fort avantageuse puis connut l’échec, le malheur et la ruine quand il voulut tâter de la politique ; s’il s’attarde à ce personnage, il ne nous le propose [117] pas en modèle, ne nous fait pas voir les choses avec ses yeux. Ce serait plutôt une distance à l’égard de ce personnage que l’auteur voudrait nous faire prendre. Il le fait en soulignant notamment le ridicule et l’outrance de ses propos ou de ses attitudes [39].

Les lodyans de Justin Lhérisson sont enrichies de moquerie, de caricature et de drame. Jacques Stéphen Alexis situe le romancier dans le courant du réalisme critique :

Justin Lhérisson est parfois situé dans le courant du réalisme critique. C’est passablement vrai, mais ce réalisme critique-là est enrubanné d’une liesse populaire, de flonflons de goguette, d’un fou rire qui déferle sur la politique, les travers, les vices, la richesse, la grandeur, la misère, la bêtise, la sexualité, la douleur, la démarche humaine, le derrière qui roule, la bouche qui s’empiffre, l’ennui des exploiteurs et la redoutable insouciance des exploités. Justin Lhérison chante la comédie de l’existence, la stupidité de tout, le sérieux de la petite vétille, l’amer délice de vivre [40].

En mars 2017, lors de la conférence annuelle de la Ligue pour l’avancement du conte en Nouvelle-Angleterre, nous avons assisté à la performance de Charlot Lucien [41], un lodyanseur haïtien. Les influences de Justin Lhérisson et de Maurice Sixto [42] sur ce dernier sont très évidentes. Il se disait fier de consacrer une grande partie de sa vie à cet art propre au peuple haïtien de raconter. Pour lui, il s’agit d’un héritage fondamental qui l’a amené progressivement vers d’autres éléments [118] importants du patrimoine oral ou immatériel haïtien. La lodyans l’a rendu d’autant plus sensible à la sauvegarde de la tradition haïtienne. Il a parlé du plaisir qu’il éprouve dans son travail de transmission de ce type de patrimoine immatériel aux autres. Nous avons été agréablement surpris de la réaction positive et sincère des spectateurs à sa performance, notamment après qu’il a raconté l’histoire intitulée « Avis de recherche d’un étudiant inconnu », qu’on peut écouter sur son dernier CD, Diogène Nèg Mawon. Il a bien su mettre en commun des récits traditionnels haïtiens et son propre vécu d’immigrant assujetti à d’autres expériences d’intégration sociale et culturelle [43].

En décembre 2016, nous étions chez feu Maximilien Laroche [44] à Québec, écrivain et spécialiste de littérature haïtienne, à l’époque professeur retraité de l’Université Laval. Lors de nos discussions autour d’un café, le spécialiste de l’oraliture haïtienne a admis que « l’influence de Lhérisson ne se borne pas aux seuls créateurs de lodyans, ce genre nouveau propre à la culture haïtienne. Dans Gouverneurs de la rosée, un récit de type diglottique, Jacques Roumain a rénové le style de Lhérisson, ne serait-ce que dans la manière de franciser le créole haïtien ». Un style d’écriture qui, selon le professeur Maximilien Laroche, allait, par la suite, influencer les écrivains antillais de la créolité et beaucoup d’autres auteurs contemporains haïtiens. Avec ce style remodelé, Jacques Roumain a permis à la lodyans de connaître un succès international :

[…] si l’on s’accorde à faire commencer la littérature haïtienne avec la proclamation de l’indépendance (1804) dont le texte a été rédigé en français, on peut dire que c’est avec les audiences de Justin Lhérisson : La Famille des Pitite-Caille (1905) et Zoune chez sa ninnaine (1906) que le texte franco-haïtien a acquis un statut que le succès international de Gouverneurs de la rosée (1944) est venu couronner […] [45].

[119]

L’influence de Justin Lhérisson sur sa génération et celle d’aujourd’hui s’est exercée directement ou indirectement. Lhérisson a pu mettre en exergue les coutumes, les traditions locales, les devinettes, les jeux ancestraux, les troubadours, les chants, les mythes, les légendes, le système d’organisation économico-politique, la caricature sociale, etc. Certes, ce genre nouveau de récit était déjà à l’œuvre dans le patrimoine oral haïtien, mais le lodyanseur avait le mérite d’assurer le passage à l’écrit des habiletés langagières orales présentes dans l’ossature des contes populaires en Haïti. La construction des habiletés langagières a aussi ses propres normes sociales dans le contexte haïtien. L’habitus linguistique [46] détermine la position sociale des individus en fonction d’une certaine compétence linguistique socialement et techniquement valorisée.

Le concept d’habitus de Pierre Bourdieu permet de comprendre le langage des personnages représentés dans les lodyans de Lhérisson, d’assurer la connexion entre la façon dont ils ont été socialisés et leur comportement. En effet, l’habitus est caractérisé par le vécu ou l’itinéraire social de l’individu, conditionnant ses réalisations, ses manières de parler, de se souvenir, de réfléchir, de percevoir et d’entreprendre. Il met au jour toute une conception du monde social. Il est capable d’orienter les nouvelles actions de l’individu en fonction de la réalité sociale dans laquelle il évolue. Il peut également rapprocher les façons - très particulières aux gens faisant partie d’une même classe sociale - de s’exprimer, de scruter, de comprendre et d’intervenir. Autrement dit, suivant la perspective bourdieusienne, les pratiques des individus résultent de leur socialisation ou reflètent les structures objectives liées au contexte social dans lequel ils grandissent, en transformant leurs actions, leur langage et leurs représentations. L’habitus est créateur d’un ensemble de pratiques nouvelles. C’est « quelque chose de puissamment générateur [47] ». Bourdieu le considère [120] comme des « structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes[48] ». Par conséquent, « c’est un système de dispositions ouvert qui va être constamment soumis à des expériences et, du même coup, transformé par ces expériences [49] », a résumé Pierre Bourdieu dans un dialogue avec Roger Chartier.

Dans les lodyans de Lhérisson, l’habitus linguistique fait ressortir un habitus de classe, donc des différences évidentes entre deux classes sociales en fonction bien sûr de leur capital économique, politique, social, culturel, symbolique ou autres.

Principe générateur et unificateur de toutes les pratiques linguistiques, l’habitus linguistique — par exemple le rapport particulièrement tendu à la tension objective qui est au principe de l’hypercorrection petite-bourgeoise — est une dimension de l’habitus de classe, c’est-à-dire une expression de la position (synchroniquement et diachroniquement définie) dans la structure sociale (ce qui explique que les dispositions linguistiques présentent une relation d’affinité immédiatement visible avec les dispositions en matière de fécondité ou de goût). Le sens de la valeur de ses propres produits linguistiques (éprouvé par exemple sous la forme du rapport malheureux à un accent dévalué) est une des dimensions fondamentales du sens de la position de classe : le rapport originaire au marché linguistique et la découverte du prix attribué à ses productions linguistiques sont sans doute, avec la découverte du prix accordé au corps propre, une des médiations à travers lesquelles se détermine la représentation pratique de la personne sociale, self image qui commande les conduites de sociabilité (« timidité », « aisance », « assurance », etc.) et, plus généralement, toute la manière de se tenir dans le monde social [50].

Le concept d’habitus de classe fait allusion aux processus qui façonnent les modes d’existence. Le capital économique ou le capital [121] culturel joue un rôle prépondérant dans ces processus et détermine la place des gens au sein de la structure sociale.

La force de l’habitus tient au poids des premières expériences, auxquelles s’agrègent ensuite les suivantes qui sont cadrées par elles, rendant les habitudes prises et les schèmes incorporés difficiles à extirper. Si l’on peut définir un habitus de classe (ou de fraction de classe, selon le poids relatif du capital culturel et du capital économique), qui sous-tend les affinités électives généralement fondées sur des pratiques et un goût commun […], l’ordre des expériences et l’histoire familiale particulière singularisent chaque trajectoire [51].

Tout au long du récit, le créole est abondamment utilisé par des personnages des classes populaires, ou quand il est question de description d’une scène de foule. Par exemple, Velléda, l’ancienne tireuse de cartes, s’exprime dans un français dont elle a parfois du mal à prononcer quelques mots. Justin Lhérisson, lui-même, a mis en évidence le capital scolaire qui est lié à la maîtrise parfaite du français, « la langue légitime » : « L’ancienne tireuse de cartes […] parlait français par routine ; et sans quelques défauts de prononciation, on eût cru qu’elle avait fait d’excellentes études. Elle disait, par exemple, mercir, je vous remercir, avec le plus bel aplomb ! Ses spirituels invités lui pardonnèrent tout, excepté ce mercir et ce ‘‘je vous remercir’’, dont elle ne pouvait se corriger, malgré les violentes remontrances de son mari qui, lui, parce qu’il avait une grande facilité d’élocution, se croyait un phénix [52]»

Quant à Boutenègre, il adore se mettre en scène dans un créole mobilisant quelques mots français, reflétant sa condition sociale : « Di moment qu’il m’a palé, j’ai pas hésité ine minouite. jé réclameu de lui la lettre de récommande et à cause di soleil, jé suis monté bonne hère à Tigeau pour nous entende [53]» Ce langage inintelligible n’est ni français ni créole. Même en abordant des sujets très sensibles, il n’a pas [122] ménagé la susceptibilité de l’auditoire ou du lecteur. « Mon chè, la polutique haitienne, c’est un grignin-dent. On n’est jamais tout-à-fait ennemi ni tout à fait zanmis. Tout dépend de la sitiration. Aujourd’hui on se foute des coutt manchettes, dinmain on est comme Cocotte ac Figaro [54] », argumente Boutenègre à la suite d’agitations et de conflits internes à la campagne électorale d’Eliézer Pitite-Caille. Il faut prendre garde, poursuit le chef de campagne, de ne pas afficher un comportement dédaigneux à l’égard du peuple : « Si on vous offri un grog, tafia ou brigade, dans un pott ou dans un coui- il faut bouère ou gouter sans repugnance. Né réfisez janmais ; la masse susceptible ; si li couè que vous le meuprisez, adio vatt la casserole ! Li fini avec ou[55]. »

Eliézer Pitite-Caille, le candidat à la députation, n’a pas non plus laissé les lecteurs indifférents. L’extravagance de son langage est le reflet de sa manière d’être socialisé. Le lodyanseur, Justin Lhérisson, a bien décrit cette posture à l’intérieur du récit :

Dans les discussions élevées, Pitite-caille avait un ton particulier, un glossaire spécial. Il était superbe d’audace et d’inouïsme. Il appuyait toujours ses opinions de l’autorité de quelques auteurs dont il ne citait que rarement les noms ; et parfois, même pour embarrasser ses adversaires, il leur demandait à brûle-pourpoint de consulter des livres et des auteurs qui n’étaient que le produit de sa folâtre imagination [56].

Autrement dit, dans le récit, le rapport hégémonique entre Eliézer et Boutenègre n’est pas seulement défini en fonction du rang économique ou de la position sociale, mais il est également lié à une insécurité linguistique. Boutenègre, étranger à sa propre situation, s’adresse à Eliézer dans une langue qu’il ne maîtrise pas en vue de faire montre de sa compétence sur le marché linguistique. Ce marché permet d’analyser les moyens de pouvoir qui sont constamment mis en œuvre entre des locuteurs socialement déterminés à occuper une position dans un milieu socialement hiérarchisé. Au sein de ce marché est exercée une violence symbolique sur les gens au bas de la hiérarchie, qui ne détiennent pas la langue dite légitime. Les échanges linguistiques [123] reproduisent les rapports de classe. Donc, ils constituent un élément de distinction sociale.

Le marché linguistique donne lieu à l’insécurité linguistique [57], qui se manifeste tant dans l’articulation que dans le domaine lexical ou syntaxique. Il s’organise en champ. Ce dernier est un espace social déterminé par des enjeux très particuliers et, du coup, régi par des principes de fonctionnement spécifiques. Pierre Bourdieu le conçoit ainsi :

[…] un réseau, ou une configuration de relations objectives entre des positions. Ces positions sont définies objectivement dans leur existence et dans les déterminations qu’elles imposent à leurs occupants, agents ou institutions, par leur situation (situs) actuelle et potentielle dans la structure de la distribution des différentes espèces de pouvoir (ou de capital) dont la possession commande l’accès aux profits spécifiques qui sont en jeu dans le champ, et du même coup par leurs relations objectives aux autres positions (domination, subordination, homologies, etc.) [58]

Chaque champ a ses dispositifs, ses possibilités et ses propres règlements. Chaque champ est relativement autonome. Le marché linguistique est un champ qui permet de comprendre que « la domination d’une classe sur une autre est aussi celle de la domination de la langue de cette classe sur cette autre [59] ».

Dans l’essai Ce que parler veut dire [60], Pierre Bourdieu a mis en exergue les mécanismes de pouvoir et les règles sociales qui sont à l’œuvre dans les conversations ou les structures langagières. L’activité langagière n’est jamais un banal échange. La fonction du langage est capitale. Le langage joue surtout un rôle symbolique dans la compréhension du réel et caractérise la posture sociale des gens. Les [124] actes langagiers sont des actes sociaux.

Les outils théoriques et conceptuels de Pierre Bourdieu peuvent permettre d’étudier rigoureusement la portée langagière de l’œuvre de Justin Lhérisson : les proverbes, les dictons, les formules populaires, etc. Justin Lhérisson a peint des personnages agissant dans un environnement concret en fonction de leur propre langage, traduisant leur vision de la réalité sociale. Tout en se basant sur les mythes populaires, il met en évidence un conteur employant un métissage de français et de créole caractérisant les modes de langage des personnages. Ces types de langage employés par les différents personnages constituent des dispositifs de caricature de leur comportement, de leur caractère, de leur style de vie et de leur origine sociale. Par le biais de ces techniques, le lodyanseur ne visait pas à célébrer un mariage sans amour entre des formules françaises toutes faites et des expressions créoles, mais il voulait plutôt faciliter toute une organisation esthétique dont le but est de narrer efficacement à l’haïtienne une lodyans mettant en vedette des personnages suivant leur habitus. Chaque habitus est la résultante de notre origine sociale, de notre classe sociale, de notre socialisation dans un espace familial, politique et culturel donné. Notre style de vie, notre façon de marcher, de nous habiller ou de prononcer les mots sont déterminés par un habitus très particulier.

Dans la perspective bourdieusienne, il faut toujours prendre en compte le statut économique, la compétence sociale et linguistique du locuteur, car le champ linguistique est fait de rapports de force très discrets. La maîtrise de la langue légitime est un marqueur fort du niveau social.

Dans une situation de bilinguisme, on observe que le locuteur change de langue d’une façon qui n’a rien d’aléatoire. J’ai pu observer aussi bien en Algérie que dans un village béarnais que les gens changent de langage selon le sujet abordé, mais aussi selon le marché, selon la structure de la relation entre les interlocuteurs, la propension à adopter la langue dominante croissant avec la position de celui auquel on s’adresse dans la hiérarchie anticipée des compétences linguistiques : à quelqu’un qu’on estime important, on s’efforce de s’adresser dans le français le meilleur possible; la langue dominante domine d’autant plus que les dominants dominent plus [125] complètement le marché particulier [61].

Justin Lhérisson, à travers ses lodyans, assumait une autonomie identitaire. Il s’inscrivait dans une dynamique de consolidation d’une liberté et d’affirmation d’une certaine authenticité. Il sait bien décrire les personnages de l’époque en fonction de leur origine sociale, leur comportement, leur niveau d’éducation, leur humeur et leur parler populaire. Décrire, c’est rendre compte de la nature complexe d’un milieu social, d’une époque, d’un personnage. Reflets d’un contexte social, culturel et politique bien particulier, les lodyans de Lhérisson sont toujours en quête du réel et de l’actualité. La famille des Pitite-Caille décrit la dynamique de la politique haïtienne, alors que Zoune chez sa ninnaine traite de la question paysanne. Ces deux lodyans renseignent, de façon très critique, sur les épreuves ponctuant l’histoire d’un peuple anciennement colonisé. Elles réactivent nos déboires, notre détresse et nos espérances afin que la société haïtienne privilégie le bien commun. Elles rappellent que le peuple haïtien ne doit jamais être étranger à sa propre histoire. Elles exposent les traditions politiques, sociales et culturelles de la société haïtienne. Elles mettent en évidence, de façon tragicomique, certaines réalités auxquelles Haïti a fait face tout au long de son évolution. Elles présentent les difficiles conditions matérielles d’existence de la population, tout en mettant l’accent sur l’humour ou le rire haïtien [62].

L’Haïtien, avait déjà écrit l’écrivain Jean Price-Mars, est « un peuple qui chante et qui souffre, qui peine et qui rit, un peuple qui rit, qui danse […]. Il chante l’effort musculaire et le repos après la tâche, l’optimisme indéracinable et l’obscure intuition que ni l’injustice, ni la souffrance ne sont éternelles et qu’au surplus rien n’est désespérant [… [63]] ». Pour Georges Anglade, « le rire haïtien, c’est regarder le monde avec les yeux de la lodyans [64] ». Maximilien Laroche parle [126] plutôt de « trésor de sensibilité et de tendresse qui se traduit par cette joie de vivre, ce rire et cet optimisme toujours présents même sous les passions et les souffrances [65] ». Pour lui, l’Haïtien est cet éternel inconnu :

Si je voulais caractériser sa « philosophie », je dirais que c’est un art de vivre en équilibre sur la corde raide, du sourire et des yeux bandés au bord du gouffre. Un art de vivre qui est aussi une « politique » de dosage subtil, plus instinctif que raisonné, du sérieux et du laisser-faire souriant. Qui est sérieux ? Qui ne l’est pas ? Quand faut-il l’être ? Quand faut-il ne pas l’être ? Cela n’est jamais connu d’avance ni fixé une fois pour toutes et dépend du jour, de l’humeur et du temps. C’est en somme la philosophie du qui-vive sous la nonchalance. Tout est sérieux, même ce qui semble ne pas l’être. La parole la plus anodine peut attirer sur vous des catastrophes. Pourtant les choses les plus sérieuses ne sont pas toujours prises comme telles. L’imprévu est la règle. Un imprévu qu’il faut soigneusement prévoir, auquel du moins il faut toujours s’attendre sans quoi cela peut coûter cher, très cher... la vie même. Il faut savoir être sérieux en riant et ne rien prendre au tragique alors que tout est tragique. Est-ce une oscillation périodique entre « le sentiment tragique de la vie » et la conscience de son absurdité ou une option délibérée pour l’éclectisme dans le comportement ? Qui pourrait le dire ? (…) En définitive, cette philosophie est non pas la conciliation (qui serait une atténuation) des extrêmes, mais plutôt la somme d’une expérience nationale et de dispositions personnelles. On peut relever pour une part l’influence du climat, de la situation économique et sociale, et en général de « la vie » dans ce pays qui apprend à tenir pour dérisoires les besoins essentiels, en obligeant à se contenter de l’accessoire et même à s’habituer à des privations et au dénuement, qui accoutume aux aléas, aux revirements imprévisibles, à l’instabilité, à la précarité. Bien sûr, il y a aussi notre tempérament et plus précisément cette volonté de prendre la vie par le bon côté [66].

Suivant le point de vue de Maximilien Laroche, l’Haïtien est à la [127] fois un être rationnel et passionnel, pragmatique et idéaliste, fonceur et précautionneux, loyal et malin, plaisant et ennuyeux, humble et suffisant, souple et récalcitrant, positif et pessimiste, etc.

Conclusion

Maximilien Laroche est parmi les premiers à avoir expliqué le poids fondamental du Dire dans la société haïtienne. Et la lodyans s’inscrit dans cette dynamique :

À toute heure du jour, il est possible de rencontrer sous une galerie, au coin d’une rue, appuyés à un lampadaire, assis sur un banc de square ou réunis sous le parasol protecteur d’un arbre, des groupes de gens d’âges variés, devisant joyeusement. Mais c’est le plus souvent l’après-midi, quand l’ardeur de la canicule est tombée, dans les premières heures de la soirée, après le travail, que se réunissent ces groupes. On y parle de tout. Ce sont des clubs sans lois ni règlements. On n’y vient que pour son plaisir, pour le plaisir de raconter des histoires, d’en entendre, de se récréer, car bien entendu ce sont d’ordinaire des histoires plaisantes qui se content là. Les faits sont revus, corrigés, métamorphosés et présentés sous un jour « hénaurme » et en fin de compte tout cela prend bien plus l’allure d’un conte que d’un récit de faits véridiques, et même on ne s’y fait pas faute de médire ou de calomnier. La politique, les potins journaliers, les histoires gaillardes, tout y passe [67].

Pour le spécialiste en littérature comparée, la lodyans a une dimension institutionnelle vu qu’elle est mise en application dans toutes les régions du pays. Dans le temps, elle avait même une portée officielle, car le chef de l’État la pratiquait en échangeant au palais national, chaque dimanche, avec les membres des différentes communautés. On ne saurait cerner la production écrite en Haïti en dehors de cette oraliture « qui comprend l’ensemble des productions narratives, lyriques et gnomiques que le peuple haïtien a accumulées [128] sous une forme orale et dans sa langue vernaculaire [68] ».

Par ailleurs, pour enrichir la démarche de Maximilien Laroche et d’autres penseurs sur la question de la lodyans, nous sommes d’avis que cet élément du patrimoine culturel immatériel haïtien peut contribuer au rapprochement du milieu universitaire haïtien avec le reste de la société. Nous pouvons le mobiliser dans des activités de vulgarisation des connaissances scientifiques. Nous entendons par là toute action qui permette le partage des connaissances scientifiques et techniques avec le grand public.

Vu qu’il est difficile d’articuler la « langue » des chercheurs et la « langue » des non-initiés, les techniques des tireurs de lodyans peuvent jouer un grand rôle dans le processus de reconstitution du discours de vulgarisation scientifique ou de transmission des savoirs scientifiques. Ce processus doit prendre en compte les traditions, les récits populaires, les représentations mythologiques, etc. Le tireur de lodyans a la capacité d’harmoniser sa causerie en fonction du public, suivant le contexte. Il sait quand il faut animer et aussi quand il doit se taire pour laisser parler le silence. Il intervient dans une ambiance où la communication verbale fait corps avec le langage du corps en vue de mieux influencer le public cible. Il invite toujours le public à se plier à un exercice d’assimilation en donnant des précisions plus ou moins certaines « de noms, de lieux, de dates ». Ainsi, « chaque lecteur est invité à faire partie de la distribution, le “casting” comme on dit maintenant, en entrant dans la lodyans (…) », précise Georges Anglade [69].

La lodyans peut servir à diffuser le savoir local, à mettre en valeur l’identité collective et à renforcer la cohésion sociale. En ce sens, il serait intéressant de citer les travaux de Josiane Hudicourt-Barnes [70] sur le rôle de la lodyans dans l’enseignement des sciences. Son article montre l’importance de la culture au sens large dans l’apprentissage [129] des connaissances scientifiques. Ses arguments sont basés sur des enquêtes scientifiques autour des pratiques de lodyans dans les espaces de transmission et de circulation des savoirs scientifiques. Spécialiste des sciences de l’éducation, l’auteure a prouvé que les jeunes Haïtiens peuvent apprendre aisément les sciences. Elle a mis en évidence la capacité des jeunes apprenants haïtiens dans le champ scientifique grâce aux techniques de lodyans qui constituent un élément fondamental de la culture haïtienne. Pour elle, il n’y a aucun doute : la lodyans est un outil qui peut aider les enfants haïtiens à apprendre mieux la science. Il existe un lien fondamental entre la culture et les activités scientifiques ou pédagogiques. Donc, il faut toujours tenir compte de l’influence de la culture dans les activités scientifiques et pédagogiques.

Tout compte fait, la lodyans propose des actions devant l’état de choses existant. Elle met en évidence l’urgence de décrire la réalité sociale. Elle a donc une portée ethnographique. D’ailleurs, c’est, selon l’analyse de Rozevel Jean-Baptiste [71], l’un des objectifs des lodyans de Maurice Sixto. Il présente ce dernier comme un ethnographe, c’est-à-dire un scientifique qui fait des recherches sur les mœurs, les coutumes et les traditions locales.

Considérée comme l’une des trouvailles collaboratives les plus innovantes faisant partie du patrimoine culturel immatériel haïtien, la lodyans mérite d’être sauvegardée au bénéfice des générations futures. Nous souhaitons également que nos réflexions basées notamment sur les perspectives de Maximilien Laroche contribuent à faire mieux connaître, à travers le monde, cette richesse culturelle de la société haïtienne.

[130]



[1] Ricoeur, Paul. Soi-même comme un autre. Paris, Seuil, 1990, p. 380.

[2] Laroche, Maximilien. Dialectique de l’américanisation, Québec, GRELCA, Université Laval, 1993.

[3] Laroche, Maximilien. Mythologie haïtienne, Québec, GRELCA, Université Laval, 2002.

[4] Wolfe, Linda. La Cuisine Antillaise, Collections Time-Life, La Cuisine à travers le monde, 1972, p. 23-24, cité par Laroche, Maximilien dans Le poids des mots, Québec, GRELCA, 2013, p. 38.

[5] Laroche, Maximilien. Le poids des mots, Québec, GRELCA, 2013, p. 200.

[6] Ibid., p. 217.

[7] Anglade, Georges. Le Rire haïtien, Coconut Creek FL, Educa Vision Inc., 2006.

[8] Laroche, Maximilien. La double scène de la représentation : Oraliture et littérature dans la Caraïbe. Québec, GRELCA, Université Laval, 1991, p. 17.

[9] Shelton, Marie-Denise. Image de la société dans le roman haïtien, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 170.

[10] L’utopie est l’un des concepts capables de nous permettre de cerner la pratique culturelle lodyans dans sa complexité. Elle est gardienne « d’une humanité future ». Voir Angenot, Marc, L’antimilitarisme : Idéologie et Utopie. Québec, Presses de l’Université Laval, 2003.

[11] Alexis, Jacques Stéphen. « Du réalisme merveilleux des Haïtiens », Présence Africaine, nos 8-9-10, 1956, p. 245-271.

[12] Alexis, Jacques Stéphen. « Florilège du romanesque haïtien », Étincelles (Montréal), no 8 et 9, mai-juin 1984 (1959), p. 13-21.

[13] Ibid.

[14] Anglade, Georges. «  Le dernier codicille d’Alexis. Sur le parcours de Jacques Stéphen Alexis dans la théorie littéraire. Du réalisme merveilleux des Haïtiens à la lodyans haïtienne. Notes pour une pratique », Présence Africaine, vol. 175-176-177, no 1, 2007, p. 546-573.

[15] Voir l’Avant-propos : Anglade, Georges, Les Blancs de Mémoire. Montréal, Boréal, 1999.

[16] Pompilus, Pradel. Histoire de la littérature haïtienne illustrée par les textes. Tome II, Port-au-Prince, Éditions Caraïbes, 1975, p. 565.

[17] Bernabé, Jean, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant. Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989.

[18] Laroche, Maximilien. « Portrait de l’Haïtien », dans L’Haïtien, Montréal, Les Éditions de Sainte-Marie, 1968, p. 41.

[19] Ibid., p. 33.

[20] Laroche, Maximilien. L’image comme écho. Montréal, Nouvelle Optique, 1978, p. 21-22.

[21] Chamoiseau, Patrick. Le conteur, la nuit et le panier, Paris, Édition du seuil, 2021.

[22] Ndiaye, Christiane. Comprendre l’énigme littéraire de Dany Laferrière, Port-au-Prince, Édition de l’UEH, 2010, p. 39.

[23] Voir ce kit d’information de l’UNESCO :

[https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000141247_fre].

[24] Voir l’alinéa 1 de l’article 2 de la Convention autour de la définition retenue par l’UNESCO du patrimoine culturel immatériel :

[http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=17716&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html].

[25] Voir l’alinéa 2 de l’article 2 de la Convention :

[https://ich.unesco.org/fr/convention/].

[27] Devanthéry, Ariane. « Recensement, inventaire et collections : quand le matériel rencontre l’immatériel », dans Patrimoines Collections cantonales vaudoises, no 3

[28] Turgeon, Laurier. « Introduction. Du matériel à l’immatériel. Nouveaux défis, nouveaux enjeux », Ethnologie française, vol. 40, no 3, 2010, p. 389-399.

[29] Voir Anglade, Georges. « Fiction et subversion dans la lodyans », dans Leurs jupons dépassent : Lodyans. Montréal, Lanctôt Éditeur, 2004, p. 129-131.

[30] Anglade, Georges. « Les lodyanseurs du soir, il y a 100 ans, le passage à l’écrit », dans Écrire en pays assiégé. Amsterdam, New York, Rodopi, 2004, p. 61-87.

[31] Voir Anglade, Georges. « Fiction et subversion dans la lodyans », dans Leurs jupons dépassent. Lodyans, Ibid., p. 129-131.

[32] Laroche, Maximilien. Le poids des mots, op. cit., p. 185.

[33] Justin Lhérisson était aussi poète. Il a composé les paroles de l’hymne national d’Haïti, La Dessalinienne (1903).

[34] Les deux principales lodyans de Justin Lhérisson sont La Famille des Pitite-Caille, Port-au-Prince, Imprimerie Auguste A. Héraux, 1905 et Zoune chez sa ninnaine. Paris, Éditions Caribéennes, 1978 (1906).

[35] Laroche, Maximilien. La double scène de la représentation : Oraliture et littérature dans la Caraïbe, op. cit., p. 39.

[36] Lhérisson, Justin. La Famille des Pitite-Caille, Port-au-Prince, Imprimerie Auguste A. Héraux, 1905.

[37] Ibid.

[38] Laroche, Maximilien. La double scène de la représentation : Oraliture et littérature dans la Caraïbe, op. cit., p. 64.

[39] Laroche, Maximilien. « Le héros ambigu et le personnage contradictoire », dans Voix et images du pays, IV, Montréal, Les Presses de l’Université du Québec, 1971, p. 28.

[40] Voir Alexis, Jacques Stéphen, « Florilège du romanesque haïtien », Étincelles (Montréal), no 8 et 9, mai-juin 1984 (1959), p. 13-21.

[41] Charlot Lucien était l’invité spécial de League for the Advancement of New England Storytelling (LANES) dans le cadre d’une conférence annuelle sur le conte qui a eu lieu entre le 24 et le 26 mars 2017 à Plymouth, Massachusetts.

[42] Né aux Gonaïves (Haïti) en 1919, Maurice Alfredo Sixto était journaliste, animateur de radio, interprète, professeur, etc. Lodyanseur, ses principales œuvres -produites principalement en créole pendant son séjour en Afrique- mettent en scène la réalité haïtienne. Devenu aveugle, il a laissé le secteur d’enseignement en Afrique pour s’installer aux USA. Il a reçu plusieurs prix pendant sa carrière. Il est mort le 12 mai 1984.

[43] Visiter ce lien pour plus de détails concernant ce lodyanseur :

[https://www.youtube.com/watch?v=K5YgQ0sdHhE].

[44] Avec le grand sourire aux lèvres, il nous a dit, à l’époque, que sa retraite ne l’empêche pas de continuer à promouvoir la littérature haïtienne en publiant et en encourageant les étudiants ou autres chercheurs à faire des recherches approfondies non seulement sur la littérature haïtienne, mais également sur le patrimoine littéraire de la caraïbe à travers un groupe de recherche sur les littératures de la Caraïbe (GRELCA) qu’il a mis en place en vue de vulgariser la littérature antillaise.

[46] Voir les principales réflexions de Pierre Bourdieu sur les usages de la langue : Bourdieu, Pierre, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982 ; Bourdieu, Pierre, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001.

[47] Bourdieu, Pierre. Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit, 2002, p. 134.

[48] Bourdieu, Pierre. Le Sens pratique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980, p. 88.

[49] Bourdieu, Pierre, et Roger Chartier. Le sociologue et l’historien, Paris, Agone & Raisons d’agir, 2010, p. 79.

[50] Bourdieu, Pierre. « L’économie des échanges linguistiques », dans Pierre Encrevé (dir.), Langue française, n°34, 1977, Linguistique et sociolinguistique, p. 17-34.

[51] Sapiro, Gisèle (dir.). Dictionnaire international Bourdieu, Paris, CNRS Éditions, 2020, p. 388-389.

[52] Lhérisson, Justin. La Famille des Pitite-Caille, Port-au-Prince, Imprimerie Auguste A. Héraux, 1905.

[53] Ibid.

[54] Ibid.

[55] Ibid.

[56] Ibid.

[57] Francard, Michel. « Insécurité linguistique », dans Marie-Louise Moreau (éd.), Sociolinguistique, Concepts de base, Liège, Mardaga, 1997, p. 172.

[58] Bourdieu, Pierre, et Loïc J. D. Wacquant. Réponses : pour une anthropologie réflexive, Paris, Édition du Seuil, 1992, p. 72-73.

[59] Chudzińska, Yasmine. « Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques », dans Mots, n°7, octobre 1983, Cadrage des sujets et dérive des mots dans l’enchaînement de l’énoncé, p. 155-161.

[60] Bourdieu, Pierre. Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982.

[61] Bourdieu, Pierre. « L’économie des échanges linguistiques », dans Langue française, no 1, 1977, p. 17-34.

[62] Anglade, Georges. Le Rire haïtien. Coconut Creek FL : Educa Vision inc., 2006.

[63] Prince-Mars, Jean. Ainsi parla l’Oncle, Montréal, Leméac, 1973 (1928), p. 68.

[64] Anglade, Georges. « Le dernier codicille d’Alexis. Sur le parcours de Jacques Stéphen Alexis dans la théorie littéraire. Du réalisme merveilleux des Haïtiens à la lodyans haïtienne. Notes pour une pratique », Présence Africaine, vol. 175-176-177, no 1, 2007, p. 546-573.

[65] Laroche, Maximilien. « Portrait de l’Haïtien », dans L’Haïtien, op. cit., p. 49.

[66] Ibid., p. 81.

[67] Ibid., p. 33.

[68] Laroche, Maximilien. La littérature haïtienne : Identité, langue, réalité, op. cit., p. 10.

[69] Anglade, Georges. « Fiction et subversion dans la lodyans », dans Leurs jupons dépassent. Montréal, Lanctôt, 2004, p. 129-131.

[70] Hudicourt-Barnes, Josiane. « The Use of Argumentation in Haitian Creole Science Classrooms ». Harvard Education Review, April 2003, vol. 73, no 1, 2003, p. 73-93.

[71] Jean-Baptiste, Rozevel. Maurice Sixto : On pwojè etnografik, New-York, Éditions JB, 2020.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 17 janvier 2022 19:39
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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