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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Communication participative, protection des ressources patrimoniales et développement local. (2014)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du Ricarson DORCE, Communication participative, protection des ressources patrimoniales et développement local. Mémoire de Maîtrise ès Arts en Histoire, Mémoire et Patrimoine, Université d’État d’Haïti, 2014, 138 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 15 décembre 2015 de diffuser, en accès libre à tous, ce mémoire dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Communication participative,
protection des ressources patrimoniales
et développement local

Introduction

[10]

Haïti a un patrimoine très diversifié. Il y a l’espace géographique, les forts, les cathédrales, les vestiges des anciennes habitations coloniales, les résidences des chefs d’État, les langues, les traditions orales, les croyances populaires, les mythes, les chansons populaires, les savoir-faire locaux, la peinture, la littérature, l’art culinaire, etc. Petit-Goâve, comme de nombreuses communes du pays, est détentrice d’un riche patrimoine. Ainsi, ce travail de recherche vise à articuler les concepts de la communication participative, du patrimoine et du développement local dans le contexte petit-goâvien. Pour ce faire, il s’agit de répondre à cette question fondamentale : comment la communication participative dans la protection des ressources patrimoniales locales de cette commune peut-elle contribuer à dynamiser son développement local ? 

On ne saurait traiter de la communication participative en dehors de la communication pour le développement qui a connu une évolution importante. En effet, le modèle de communication pour le développement a été revu en lien avec les paradigmes successifs du développement. Du paradigme du modernisme à celui de la participation et du développement durable, ce modèle est passé d’une communication diffusionniste à une communication participative [1]. Cette dernière contribuerait à la démocratisation de la communication et à la participation effective de la population. À propos de la communication participative, Jean-Félix Makosso souligne :

« Elle est un concentré de réalités complexes qu’il faut pourtant concilier et en tirer le meilleur parti. De façon objective, la communication participative a une dimension socio-économique parce qu’elle vise à affranchir certaines populations de la dépendance et à  jouer un rôle de levier pour le développement. Elle a aussi une dimension politique puisqu’elle est dynamique dans les pays qui lui accordent une attention, et inopérante dans ceux qui s’y désintéressent ou presque. Ensuite, [11] il y a la dimension psychologique et culturelle qui a une vraie imprégnation sur l’exécution des projets en ce qu’elle influe directement sur les rapports des acteurs et oriente l’accomplissement des tâches retenues. Enfin, la communication participative recèle une dimension scientifique et technologique parce que l’exécution de certains projets nécessite des outils ou moyens technologiques importants ainsi que des finances » [2].

La communication participative fait appel tant aux outils traditionnels que modernes. Ces outils vont du contact direct à l’usage des medias audioviusuels, des affiches, des diapositives, des vidéos, de la presse écrite et de l’Internet. Certains sont beaucoup plus anciens tels le théâtre, les réunions publiques, les contes, etc.

En Haïti, il faut distinguer les médias traditionnels, utilisés particulièrement en milieu rural, et les médias modernes. En effet, la tradition de l'oralité profondément ancrée dans la culture haïtienne pourrait expliquer la survie des médias traditionnels, alors que sous l'influence de nouvelles technologies de l'information et de la communication, de grandes mutations ont eu lieu dans le paysage médiatique haïtien. Après la chute du régime dictatorial des Duvalier, les médias, en particulier les radios communautaires, ont évolué en vue de libérer la parole citoyenne.

Le plaidoyer en faveur du développement local influe grandement sur les modèles de communication. Par ailleurs, comment cerner la notion du patrimoine en lien avec le concept de communication participative ? Certaines définitions soulignent la dimension collective du patrimoine ainsi que sa logique de transmission. D’autres saisissent le patrimoine comme un élément identitaire d’une communauté ou comme un construit social. Au-delà de tous ces points de vue, le rôle de la communauté reste et demeure fondamental.

Michel Vernières définit le patrimoine comme un ensemble de biens matériels ou immatériels dont l’une des caractéristiques est de permettre d’établir des liens entre les [12] générations [3]. Selon Jean Davallon, le patrimoine est l’élément qui assure la continuité entre ceux qui l’ont produit et ceux qui en sont les héritiers [4]. Ces deux auteurs sont dans une perspective de transmission du patrimoine. Pour l’enseignant-chercheur haïtien Samuel Regulus [5], « la question de la transmission est une réalité anthropologique de passation de valeurs, de connaissances et de savoir-faire... Chaque génération nouvelle est confrontée à une réalisation historique et sociale dont les valeurs propres, mais aussi les impositions et les contradictions, déterminent les conditions de son enculturation et de sa socialisation. Aussi doit-elle négocier son inscription dans l'histoire, c'est-à-dire la façon dont elle va porter l'héritage des générations qui l'ont précédée ».

Dans le contexte haïtien, d’autres travaux ont examiné la notion du patrimoine. D’abord, Rousseau Marie-Line [6], dans son mémoire de maitrise, a cerné le concept du patrimoine dans tous ses aspects. Ensuite, Alexis Guetchine [7] et Bien-Aimé Nirtha [8] ont étudié le patrimoine en lien avec le développement touristique. Enfin, Gustave Jean Rony [9] a montré la cohérence entre le patrimoine, le tourisme et le développement local dans le contexte gonaïvien. D’un autre point de vue, comment renforcer la participation communautaire dans la protection du patrimoine ? Quel serait l’impact de cette participation sur le développement local ?

Mettre l’accent sur le développement local, c’est une réponse à la mondialisation. C'est une façon de fonder le développement à la fois sur les solidarités et les initiatives à l'échelle de la communauté locale en vue de contrer les effets du développement libéral. [10] La valorisation des [13] ressources locales et l’engagement associatif constituent un outil puissant capable de réduire les inégalités et d’assurer le développement local.

Certains chercheurs haïtiens ont réfléchi sur le développement local. C’est le cas de l’économiste Frédéric Gérald Chéry qui a abordé le sujet de la décentralisation et du développement local en Haïti en identifiant trois domaines de réflexion portant sur les compétences collectives et individuelles existant dans la commune, les compromis autour des principaux intérêts des citoyens et, enfin, le financement nécessaire au développement local. Dans ce texte ayant pour titre Le Financement de la décentralisation et du développement local en Haïti, l’auteur met davantage l’accent sur le savoir-faire local et la qualité de gestion des autorités locales et des citoyens au sein de la commune en vue du développement local. Dans le huitième chapitre, il pose la question des compétences légales et des formes d’engagement des citoyens dans la vie économique, politique et sociale de la commune. Cette recherche aborde l’aspect économique de la politique de décentralisation et du développement local. Elle traite de la participation des citoyens(nes) à la vie politique et économique, et des conditions du lien pouvant exister entre le financement public et le financement privé au niveau de la commune. [11]

Le sociologue Yves Sainsiné met en exergue la dynamique permettant aux paysans de satisfaire leurs besoins fondamentaux tout en misant sur les ressources humaines et matérielles locales. Son approche s’inscrit dans une logique de résistance des paysans par rapport aux mauvaises pratiques traditionnelles de l’État ainsi que d’autres actions extérieures incohérentes avec leur milieu de vie [12].

Quant au sociologue Fritz Dorvilier, il se propose de rendre compte des stratégies mobilisées par les groupes de paysans organisés en vue d’une dynamique de développement communautaire à travers la valorisation des secteurs relevant de l’ordre économique, social, politique, etc. Les populations rurales s’investissent dans une dynamique associative en vue d’instituer un ordre local de mouvement social. Son travail de recherche vise à comprendre et à expliquer les nouvelles pratiques qui constituent cette forme d’engagement associatif, les rapports entre la dynamique associative et le processus de changement des représentations [14] sociales ainsi que des pratiques concrètes des paysans. L’auteur analyse la dynamique associative comme un instrument de gouvernance des consciences ou de transformation des représentations sociales non seulement des paysans-militants, mais aussi des autres habitants de ce territoire rural. Il traite de l’association comme un outil de gouvernance des pratiques des paysans, c’est-à-dire comme un mécanisme permettant la restructuration d’anciennes pratiques économiques, sociales et politiques ainsi que comme un dispositif facilitant l’invention de nouvelles pratiques porteuses de développement. [13]

Pour Nelson Sylvestre, il est un fait que, même avec la précarité très élevée des collectivités territoriales, chaque localité en Haïti a une certaine structure productive et productrice, un marché de travail, un système de régénération et de dotation de ressources naturelles et infrastructurelles, une tradition, une culture et tout ce qui met en relief une dynamique interne locale susceptible de générer une capacité à la fois inhérente et propice au développement local. Par conséquent, la lutte pour y parvenir requiert l’utilisation efficiente du potentiel économique local en adéquation efficace avec le fonctionnement effectif des institutions et des mécanismes de régulation territoriale [14]. Ainsi, l’auteur propose : l’amélioration des conditions d’existence dans la communauté par l’implémentation de projets grâce à une meilleure participation des bénéficiaires ; le renforcement des capacités des institutions locales en vue de les doter de compétences pour pérenniser leurs appuis au développement local ; l’exploration des interactions entre les dynamiques culturelles, sociales et sociétales afin que les politiques publiques soient incorporées au développement local dans leur dimension territoriale ; l’analyse prospective de l’action de développement dans les collectivités territoriales dans une perspective comparative à l’échelle nationale ; la création d’un réseau de participants(es) engagés(es) dans le développement local et l’accompagnement des diverses initiatives des collectivités territoriales et d’autres institutions de l’État dans les politiques de développement local.

Par ailleurs, ce qui fait l’originalité de notre travail, c’est la prise en compte de la communication participative dans la protection des ressources patrimoniales locales en vue du [15] développement local. Petit-Goâve, à travers son patrimoine dense, riche et varié, offre l’occasion d’opérationnaliser ce modèle.

Ce rapport affiche l’ambition d’avoir une portée autant théorique que pratique. Nous poursuivons deux objectifs fondamentaux : voir comment les ressources patrimoniales de la commune de Petit-Goâve peuvent contribuer à dynamiser son développement local ; puis montrer l’importance de la communication participative dans la protection des ressources patrimoniales locales. Ce mémoire traite de l’organisation Konbit Peyizan Dirisi, mais prend en compte les différents mouvements que la paysannerie a organisés depuis l’Indépendance jusqu'à nos jours pour faire face à la marginalisation, l’exploitation, la domination, la discrimination et la précarité. De façon précise, nous voulons cerner les impacts des initiatives de cette organisation locale dans la protection des ressources patrimoniales locales en vue du développement local ; déterminer ses stratégies communicationnelles ; étudier ses différents types de partenariats qu’elle développe dans le cadre de ses interventions et comprendre les modes de participation des paysans dans cette dynamique associative. Pour ce faire, nous avons choisi de mener une recherche de type qualitatif articulé autour d’entretiens, d’observations et nous avons adopté la théorie critique qui est, issue du matérialisme historique et dialectique, capable de nous faciliter certaines informations sur les contradictions matérielles marquant l’existence du paysan haïtien et influençant, du même coup, sa participation dans la protection des ressources patrimoniales dans la perspective du développement local.

Nous pensons que les résultats de ce rapport pourront, d’abord, servir à l’organisation Konbit Peyizan Dirisi pour redéfinir ses stratégies d’intervention. Ensuite, cela pourra bien également être utile aux institutions nationales et internationales qui appuient les initiatives paysannes. D’autres organisations et associations paysannes pourront, enfin, se servir des résultats de cette recherche en vue d’améliorer leurs actions. Toutefois, ce travail a ses limites. Dans le contexte haïtien, la littérature sur la communication participative dans la gestion des ressources patrimoniales en lien avec le développement local est quasi inexistante. En plus, il y a eu très peu de travaux de recherche réalisés sur la paysannerie à Petit-Goâve, notamment à Dirisi, sur lesquels nous aurions pu nous appuyer. Puis, nos moyens financiers ne nous ont pas permis de réaliser un long travail de terrain.

[16]

Dans le cadre de cette recherche, nous aborderons, dans un premier temps, les différents paradigmes du développement par rapport aux modèles communicationnels en vue de faire le point sur notre choix théorique et notre dispositif méthodologique. Dans un second temps, nous proposerons un corps explicatif de l’étude autour des référentiels conceptuels. Puis, nous visiterons les ressources patrimoniales d’Haïti en relation avec les mouvements paysans. Ensuite, nous présenterons les différents domaines d’intervention de l’organisation Konbit Peyizan Dirisi. Enfin, nous allons analyser les stratégies de communication participative employées dans la protection des patrimoines de Dirisi et leurs impacts sur le développement local. Nous souhaitons que ce travail constitue une voie de recherche prometteuse pour les intellectuels (les) engagés (es) en tant que scientifiques dans la pratique de la production de connaissance au service du bien commun.



[1] À propos de ce sujet, consulter : MOUMOUNI Charles, « Communication participative et appropriation du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) », Communication [en ligne], Vol. 24/1 | 2005, Consulté le 30 Novembre 2014. URL : Communication.revue.org.; DOI : 10.4000/communication.3313

[2] MAKOSSO Jean-Félix, Les enjeux de la communication participative pour le développement au Congo, L’Harmattan, Paris, 2014, p. 29-31.

[3] VERNIÈRES Michel (dir.), Patrimoines et développement. Études pluridisciplinaires, Éditions GEMDEV-KARTHALA, Paris, 2009, p.8.

[4] DAVALLON Jean, Le don du patrimoine. Une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Lavoisier, Paris, 2006, p. 93.

[5] REGULUS Samuel, Transmission de la prêtrise vodou. Devenir oungan ou manbo en Haïti, Thèse en Ethnologie et Patrimoine, Université Laval, Québec, 2012, p. 262.

[6] ROUSSEAU Marie-Line, Définition du concept de patrimoine, vu sous tous ses aspects, Maitrise en Histoire, mémoire et patrimoine, Université d’État d’Haïti, Port-au-Prince, 2011.

[7] ALEXIS Guetchine, Mise en valeur du patrimoine culturel et développement touristique de la commune de Jérémie, Maitrise en Histoire, mémoire et patrimoine, Université d’État d’Haïti, Port-au-Prince, 2012.

[8] BIEN-AIMÉ Nirtha, Politiques patrimoniales et touristiques en Haïti, Maitrise en Histoire, mémoire et patrimoine, Université d’État d’Haïti, Port-au-Prince, 2013.

[9] GUSTAVE Jean Rony, Patrimonialisation, tourisme et développement local : le cas de « Lakou Souvnans » des Gonaïves entre le regard des initiés et des non-initiés, Maitrise en Histoire, mémoire et patrimoine, Université d’État d’Haïti, Port-au-Prince, 2015.

[10] TREMBLAY Suzanne, Du concept de développement au concept de l’après développement. Trajectoires et repères théoriques,  Université du Québec, Chicoutimi, 1999,  p. 26.

[11] CHERY Frédéric Gérald, Le Financement de la décentralisation et du développement local en Haïti, Imp. Henri Deschamps, Port-au-Prince, 2009, p. 207.

[12] SAINSINE Yves, Haïti, État et Paysans. Repères pour un développement local, Imp. Media-Texte, Port-au-Prince, 2009, p. 32.

[13] DORVILIER Fritz, Gouvernance associative et développement local en Haïti, Editions de l’Université d’État d’Haïti, Port-au-Prince, 2011, p. 38.

[14] SYLVESTRE Nelson, Haïti : contexte de développement local. Réflexions critiques sur les actions de projets des Nippes, CRESFED, Port-au-Prince, 2012, p. 8.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 29 décembre 2015 8:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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