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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

INTERVENTIONS CRITIQUES en économie politique, no 1, 1978
Pourquoi cette revue ?


Une édition électronique réalisée à partir du texte de la revue INTERVENTIONS CRITIQUES en économie politique, no 1, 1978, 156 pp. Montréal: département de science économique, Université du Québec à Montréal. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

INTERVENTIONS

Pourquoi cette revue ?


1. Opportunité d’une telle revue

Alors même que l’économie capitaliste mondiale, avec ses millions de chômeurs et son inflation, connaît sa plus grande crise depuis les années trente, jamais les économistes et les politiciens n’auront été autant désemparés devant les mesures à prendre. Malgré la crise monétaire, la “crise de l’énergie’’, l’échec ou plutôt l’imposture des mesures de contrôle “anti-inflation” (anti-salaires en réalité) en Grande Bretagne, aux États-Unis, au Canada, le plan Barre en France,... et malgré la “crise fiscale” de la plupart des États capitalistes et l’inévitable échec des conférences Nord-Sud, non seulement s’obstine-t-on à refuser de reconnaître le caractère structurel et généralisé du phénomène, mais encore n’y a-t-il d’autres solutions proposées que des recettes traditionnelles sorties des tiroirs. On ne peut guère apporter de solution à un problème qui, pour beaucoup, n’a jamais existé.

[10]

Le vide de la science économique officielle est d’autant plus visible que sur la base d’une distinction ronflante entre micro et macro, elle a pu donner le nom de science à une vague métaphysique du “laissez-faire” au niveau micro, et à un bricolage du plus terre-à-terre au niveau macro. À la micro, on laisse le soin de faire l’homélie du bonheur, de l’harmonie et du progrès ; à la macro, le soin de montrer que ceux-ci existent, à coup de statistiques, de modèles ou d’autres formalisations dont l’articulation relève davantage de l’analyse combinatoire que d’une quelconque rationalité.

Mais qu’est-ce que le chômage, l'inflation dans tout cela ? Ce ne peut être que des anomalies, des catastrophes, des accidents que le mauvais sort nous a envoyés. D’ailleurs les “réunions au sommet” des spécialistes ne sont pas sans nous rappeler ces longues processions pour implorer la clémence d’un dieu qui nous aurait envoyé la peste, la guerre et le choléra.

Les Keynésiens, alors que tout allait “bien” au dire des indicateurs économiques, nous avaient bercés dans l’illusion que les interventions des gouvernements, liées à la compétence des spécialistes pouvaient éliminer les crises à tout jamais. À cet optimiste maintenant révolu a succédé un pessimisme qui, dans sa compréhension naturaliste, ne peut expliquer la situation qu’en termes de catastrophes et qui, dans son ignorance suffisante, l’a caractérisée vite d’un mot nébuleux : la stagflation.

Malgré tout, un large courant critique se développe jusqu’au sein même du “collège invisible” qui tend à réactualiser l’intérêt pour les théories ricardiennes, c’est-à-dire pour les théories qu’on avait pu qualifier, au nom du progrès scientifique, de dépassées. On peut aussi noter, suprême horreur, que même Marx, l’être honni de la pensée bourgeoise, se trouve à être décortiqué, dépecé et vidé de sa substance pour voir s’il n’aurait pas écrit quelque chose d’intéressant. Et, on voit ces pontifs néo-classiques que sont les Samuelson, Morishima, Bronfenbrenner et autres, venir nous dire que, “somme toute, Marx n’est pas si mal que cela”, voire que c’était un “néoclassique qui s’ignorait”.

[11]

Jamais comme aujourd’hui, le vide dans lequel nous ont laissés l'apologie et l’empirisme, n’aura été aussi frappant !

C’est dans ce contexte de crise théorique et pratique de la pensée bourgeoise que l’opportunité de créer une revue d’économie politique nous apparaît comme une urgence.

Nécessité, on ne peut plus claire, dès lors que l’on considère l’importance du point de vue critique autant chez les économistes que vis-à-vis de ceux-ci. Pour nous, il est on ne peut plus évident que le but de cette revue, est de renouer de manière vivante et actuelle, avec la critique de l’économie politique et la méthode vis-à-vis de celle-ci, telles qu’elles ont pu être entreprises par Marx tout au long de son œuvre.

Pour beaucoup, le marxisme apparaît bien souvent comme une alternative périmée au paradigme néo-classique. Le mépris à l’égard de la critique de l’économie politique, le rejet d’une approche théorique, le profond anti-communisme hérité de Duplessis et le carriérisme sont autant d’éléments qui ont pu justifier et justifient encore pour certains de ne saisir les problèmes que sous l’angle d’une théorie figée, apologétique et obscurantiste. Or, la critique de l’économie politique ne se réfère pas à des recettes toutes faites. Notre projet ne s’envisage que dans le cadre d’un débat le plus large et le plus ouvert possible, où se confrontent le plus grand nombre d’orientations progressistes et critiques.

2. L’approche globale dans la revue

Au départ, la revue refuse de limiter son champ d’intérêt à la vision bornée et sectaire dans laquelle les économistes “modernes” veulent consigner l’économie. L’approche critique en économie ne peut pas s’abstraire de la réalité sociale et historique de la société dans laquelle s’inscrivent les rapports économiques. S’il y a une autonomie relative du champ économique, il n’y a pas indépendance de celui-ci qui permettrait de déterminer des lois et des principes universels et éternels. L’économie étant l’enjeu central des luttes sociales, elle ne peut [12] pas être découverte par la “neutralité” scientifique des Samuelson et Tremblay qui n’auraient qu’à transmettre et dévoiler froidement la “vérité” de prétendues mécanismes homéostatiques et tendances à l’équilibre général à une population profane...alors que celle-ci est obligée de lutter sans relâche contre un système dont les contradictions ne cessent de s’accroître !

Savoir qu’il faut manger pour vivre, que les consommateurs ont des besoins à satisfaire, que les biens économiques sont rares, ne nous apprend rien sur le fonctionnement, la source (base) et le caractère historique transitoire du système capitaliste, rien non plus sur les forces sociales qui déterminent les besoins, provoquent l’insatisfaction (la demande), définissent et produisent les biens économiques et la rareté : pour qui ? pourquoi ? comment ? aux dépens de qui ? dans quelles conditions peut-on remettre en cause les raisons d’être même de l’économie de marché et de la “loi de la jungle”.

Tous les stades de la production ont des déterminations communes que la pensée f ixe comme des déterminations universelles ; mais les prétendues conditions universelles de toute production ne sont rien d’autre que ces moments abstraits qui n’appréhendent aucun stade historique réel de la production." (Karl Marx. “Introduction à la critique de l’économie politique”)

La perspective sociale et historique dans laquelle on situe l’économie politique implique une rupture avec la conception impérialiste, fonctionnaliste et métaphysique de la science. La compartimentation des domaines scientifiques a servi à justifier et permettre la vision économiste bien définie de la société, basée sur les critères d’efficacité particuliers et privés de la bourgeoisie, en rejetant au nom de la pureté scientifique ce qui ne correspondait pas au champ restreint de “L’Économique” : les contradictions et les luttes sociales et politiques, et ce qui était “idéologique”, i.e. ce qui partait d’un point de vue socialement critique et historique.

Décloisonner et rattacher l’économie politique au social implique nécessairement que la revue soit ouverte aux apports philosophique, sociologique, historique, anthropologique et autres. Il faut favoriser une communication très large et transgresser les frontières formelles : [13] refaire l’unité des sciences sociales. De même, quant au contenu des articles, la démarche critique implique de rompre avec les dichotomies métaphysiques abstrait/concret, théorique/pratique, logique/empirisme, etc. Donc, pas de théorisations de la théorie pour la théorie, ni compilations pratico-pratiques aveugles.

3. Le champ d’intervention


L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique par les armes." Karl Marx.

Assurément une revue en économie politique se situe dans le champ théorique et, comme telle, pourrait se limiter à ce niveau. Mais quel en serait l’intérêt alors ? À quoi servirait de mieux saisir le fonctionnement des économies capitalistes si, sans perspectives concrètes, nous tombons dans le fatalisme et le sentiment d’impuissance qui servent aussi bien la reproduction du système que l’optimisme béat et passif ? Au-delà de la critique du système, il faut faire la critique de la critique : chercher la voie du changement-remplacement du système, s’inscrire directement dans les débats politiques actuels, offrir des perspectives de luttes dans une société concrète : le Québec.

L’abstentionnisme, le cynisme ou le conformisme des intellectuels servent bien l’ordre établi. Ainsi, c’est à l’université que se “reproduisent” les “intellectuels organiques” (selon la formule d’Antonio Gramsci) et les idéologues du capital, qui continueront de diffuser ou d’appliquer le discours dominant et d’aliéner et de fourvoyer les forces sociales en lutte, les laissant sans autre alternative que le système de pensée existant et incontesté. On doit tenter d’avorter cette reproduction idéologique dans l’œuf, à l’école. Il faut donc en démystifier l’apparence cohérente théorique, faire éclater la “fausse science”, forcer les intellectuels à sortir du confort de leur tour d’ivoire. Nous devons montrer comment le pragmatisme et la discontinuité du libéralisme formel des néo-classiques et des universités déforment plusieurs esprits critiques ou les font dévier en [14] les rendant éclectiques, en les démembrant. Ceux-ci sont alors incapables de focaliser, d’organiser et de concentrer leurs critiques dans un pôle qui déchirerait la “sécurité scientifique’’ et l’illusion savante du camouflage intellectuel de l’idéologie dominante, ce qui encouragerait et corroborerait la critique quotidienne et empirique des luttes ouvrières et populaires qui ont besoin de leur propre science contre les illusions et les récupérations du discours officiel.

C’est pourquoi une intervention majeure de la revue sera de critiquer l’enseignement de l’économie et des autres sciences sociales au Québec, offrir aux étudiants des alternatives et des critiques face aux cours et professeurs qui les endoctrinent, tout en proclamant bien haut la neutralité scientifique.

Concrètement dans la société québécoise, la libération nationale constitue l’enjeu conscient le plus crucial dans la période actuelle. Et les intellectuels de tout poil ne peuvent se contenter de compter les points dans la lutte. 1) L’hégémonie politique du PQ et l’appui explicite (FTQ), “critique” ou implicite des bureaucraties syndicales au gouvernement du PQ, 2) la contradiction entre les intérêts des travailleuses et travailleurs “vs.” la paix sociale du PQ (cf. la supercherie de “l‘entente” sur la Wayagamack). et 3) l’absence d’un pôle-débats d’intellectuels critiques (et non défaitistes) sur la question nationale québécoise et sur les rapports entre cette libération à faire et les intérêts des travailleurs-euses ; voilà trois facteurs essentiels qui ont démobilisé les travailleuses et travailleurs et les intellectuels critiques progressistes, voire, amené la résignation de certains face à “un Québec impossible” (sic) ou l’absence totale de perspectives au colloque “Un an après : bilan du gouvernement du Parti Québécois” (nov. ‘77).

La revue devra donc stimuler les contributions critiques diverses, les discussions et les débats sur ce thème et sur celui des impérialismes canadiens et américains au Québec. Conscients que plusieurs étudiants et autres inconnus ont des idées, études ou travaux intéressants et utiles, mais qu’ils ne peuvent diffuser, nous vous invitons tous à faire parvenir vos analyses.

[15]

Évidemment, tous les sujets touchant à la critique de l’économie politique sont les bienvenus, qu’ils s’attaquent à l'oppression et à l’exploitation des femmes, à la nature de l’État, à l’impérialisme en général, au sursis du capitalisme tardif, à la rentabilisation des services sociaux, à l’écologie politique, etc.

De telles pratiques ne signifient nullement que l’analyse scientifique et la théorie n’ont pas de place dans la revue ou doivent être dissoutes et perdues dans des analyses et des luttes pratico-pratiques localistes ou désordonnées (parce que sans théorie ni stratégie). Mais, sans tomber dans l’ouvriérisme, les intellectuel(le)s critiques doivent non seulement partir du concret et revenir au concret dans leur analyses, mais aussi rompre leur isolement et leur individualisme dans leur pratique : sortir de leurs habitudes et comportements qui ont été une cause déterminante du mépris vis-à-vis de la critique de l’économie politique par le monde en lutte et du peu d’interventions valables des intellectuelle)s dans les dernières années (y inclus le milieu étudiant). Notre pratique limite assymptomatiquement notre conscience et notre objectivité dans les sciences sociales.

Telle doit être le champ d’intervention de la revue et de ceux qui y participent.

4. L’équipe à l’origine de la revue et votre participation souhaitable

Aucun grand nom, aucun “bonze”, rien que des quidams étudiants ou enseignants. Plusieurs ont participé ou participent à des luttes concrètes dans des milieux divers. La plupart viennent de la science économique. Certains n’ont pas terminé leur “bac”, d’autres complètent leur maîtrise, mais tous sont critiques et marxistes. Tous rejettent le sectarisme et l’obscurantisme autant des exégèses dogmatiques de Marx que des apologies académiques néo-classiques.

Si l’équipe rédactionnelle de la revue s’est constituée dans le cadre d’un regroupement disons-le spontané de huit personnes, autour d’une plateforme, on ne peut en rester là dès lors que le but même de la revue est de susciter [16] un débat le plus large possible. Nous ne pensons pas être les seuls, à être “tannés” d’une certaine hypocrisie qui prévaut dans les sciences sociales. La lutte actuelle des étudiants de l’UQÀM en est un exemple vivant. Il nous faut non seulement élargir le plus possible cette équipe mais encore rompre certaines disproportions présentes. Ainsi n’y a-t-il qu’une seule femme, un seul non économiste, une seule personne qui n’est pas de Montréal...

C’est pourquoi toutes celles et ceux qui sont intéressés par ce qui précède et qui veulent travailler sans division traditionnelle des tâches, i.e. écrire les articles, contribuer financièrement (même modestement), participer aux tâches techniques et éditorialistes et administratives à la fois et travailler en équipe, toutes celles- et ceux-là sont cordialement invités à faire partie de notre équipe de rédaction.

Enfin, si vous avez des suggestions, des articles, des critiques de livres ou des commentaires sur l’actualité, n’hésitez pas à nous les faire parvenir.

Sylvie Bouchard (U. de M.)
Jean Charest (HEC)
Christian Deblock (U. de M.)
Pierre Paquette (U. de M.)
Alain Côté (U. de M.)
Michel Camus (U. de M.)
Ronald Cameron (U. de S.)
Daniel Boutaud (U. de M.)
Vincent Van Schendel (UQAM)


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 9 novembre 2021 8:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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