Y a-t-il encore une sociologie ?

Avant-propos

Lorsque Robert Leroux m'a proposé de venir à Paris m’interroger sur mon parcours intellectuel, je n'ai guère hésité. D'abord parce que je connaissais sa passion pour l'histoire de la sociologie et la qualité de ses écrits en la matière. Ensuite, parce que j'y vis une occasion d’évoquer sur le ton de la conversation des questions que je n'avais pas eu jusqu'à ce jour le loisir de poser, car elles n'avaient pas leur place dans les publications de caractère scientifique auxquelles je m’étais jusqu'ici presque toujours cantonné. En troisième lieu, parce que j'avais retenu l'idée de Paul Lazarsfeld selon laquelle les témoignages des acteurs d'une discipline scientifique représentent un document important pour l'histoire de cette discipline. Lui-même avait illustré ce principe sur son propre cas par un texte de quelques dizaines de pages. Enfin, parce que, comme il le dit dans sa préface, nous sommes immédiatement tombés d'accord, Robert Leroux et moi-même, pour nous en [14] tenir à une évocation de mon parcours institutionnel et surtout intellectuel. Ces entretiens ne sont donc nullement des mémoires dialogués. À l'exception de quelques données d'ordre biographique, on ne trouvera rien qui sorte de ce cadre.

La table des matières reproduit la grille qu'avait élaborée Robert Leroux et qui l'a guidé dans la formulation de ses questions. Si ces entretiens revêtent quelque intérêt, ils le doivent avant tout à la qualité de cette grille et de ces questions. Elles témoignent d'une grande familiarité non seulement avec mes écrits, mais aussi avec l'histoire de la sociologie et avec les débats de la sociologie contemporaine. Robert Leroux doit sans doute en partie cette familiarité et aussi la précieuse distanciation qui apparaissent immédiatement dans ses questions au fait que, Québécois enseignant dans une grande université du Canada bilingue, il peut facilement, de sa fenêtre, porter son regard à la fois du côté de la sociologie européenne et particulièrement française et de la sociologie américaine. Grâce à la profondeur de son information et à la pertinence de ses questions, le lecteur pourra trouver ici, à travers l'évocation des sociologues classiques et modernes que proposent ces conversations à bâtons rompus, une invitation à la sociologie et peut- être une invitation à une autre sociologie.

Comme Robert Leroux, je voudrais pour finir remercier chaleureusement Annie Devinant. Elle nous a apporté une contribution irremplaçable dans la mise au point du manuscrit, dont elle a impitoyablement traqué les impropriétés et les obscurités, et dans la préparation des annexes qui accompagnent ces entretiens.

Raymond Boudon
Vauville en pays d’Auge, le 31 août 2002