Éditorial
CONSTRUIRE UN MONDE PLUS HUMAIN À LA CROISÉE DES CHEMINS
Un adage manianga (tribu du Bas-Congo en République Démocratique du Congo), définit ainsi le principe de bienveillance dans le cadre de la solidarité communautaire : « Ki muntu songa mu bu mbote kua nkua yaku ». Ce qui veut dire : « Montre ton humanité à travers ta bienveillance envers ton prochain. ». Ce « nkua yaku », prochain ou autrui, c’est toute personne qui est avec toi dans un face à face proche ou lointain ; c’est toute personne, qui qu’elle soit, qui rencontre ta trajectoire historique, qui croise ton chemin de vie. En lui démontrant ton humanité, par un acte de bienveillance à son égard, tu l’invites à s’associer à toi, d’une manière ou d’une autre, dans la réalisation de l’oeuvre commune : construire et entretenir, à la croisée des chemins, un monde toujours plus humain.
Le sens réel de cet adage trouve un écho dans la vie et l’oeuvre d’Emmanuel Lévinas, ce penseur français d’origine juive, né en Lituanie et baigné dans la culture russe. Sa pensée, au carrefour de la phénoménologie et de la philosophie existentielle, invite toute personne à « s’approcher du proche et du lointain à l’infini » pour assumer sa responsabilité devant le visage qui l’interpelle.
Cette double invitation, africaine et lévinassienne, renvoie à une invitation plus fondamentale, adressée aujourd’hui à l’homme de notre monde moderne. C’est l’invitation de travailler à la construction d’un monde pluraliste, un monde plus humain et plus solidaire, à la croisée de divers chemins culturels. La participation réelle à ce travail passe par la démonstration pratique par chacun de son humanité. C’est là qu’il faut saisir la réelle portée éthique de la responsabilité pour autrui qu’impliquent à la fois l’éthique d’E. Lévinas et l’éthique africaine.
Mais la construction d’un tel monde suppose, dans le contexte mondial actuel, de reconsidérer l’humanisme moderne à l’aune de l’interpellation du visage de l’autre, dans une perspective philosophique nouvelle, celle que définit notamment le personnalisme pluraliste. Car cette philosophie implique de « revivifier » le personnalisme, tel que pensé par E. Mounier, en l’ouvrant à l’apport des différentes sciences humaines et des pensées venant d’autres horizons, celui d’un Carl Rogers, par exemple. Se tenir à la croisée des chemins, c’est s’engager à assumer le paradoxe de l’humain et construire un monde de solidarité sur base d’une fraternité bien comprise. Voilà les pistes qu’explore ce numéro double de Perso, dans un éclairage lévinassien, mais nourri à la pluralité d’autres visions qui le rejoignent.
Aaron Mundaya
vice-président du CAPP
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