Éditorial
HOMMAGE À JEAN LADRIÈRE
Suis-je le mieux placé, parmi les membres du CAPP, pour ouvrir ce numéro consacré entièrement à Jean Ladrière, professeur de philosophie à l’Université catholique de Louvain, qui nous a quittés il y a un peu plus d’un an ? Je ne compte pas, en tout cas, parmi ceux qui ont eu la chance de suivre son enseignement, à la différence de plusieurs d’entre nous parmi les membres du CAPP. Être enseigné par lui, ce fut pour chaque étudiant un privilège. Comme le montre l’entretien entre Philippe Van Parijs et Jean Ladrière, celui-ci disposait d’une rare faculté d’écoute et de présence, tout entier en « personne » pourrait-on dire, à l’égard de chaque étudiant. Ce n’était pas un mandarin, alors que son prestige et sa notoriété, qui ont largement dépassé nos frontières, auraient pu l’y autoriser. C’est notamment dans le domaine de la philosophie des sciences que sa réputation s’est affirmée. Les relations entre la raison, l’éthique et la foi la sienne était celle d’un chrétien constituent une autre facette d’un parcours philosophique, solidement articulé aussi bien que diversifié, comme l’évoque Marie-Françoise Meurisse dans son article L’éthique déstabilisée par la science. Dans ce domaine, la lecture du livre La Foi chrétienne et le Destin de la raison a été pour moi des plus fécondes [1]. Davantage lecteur qu’auditeur de Jean Ladrière et le restant car c’est le privilège des livres de survivre à leur auteur j’éprouve qu’il existe un « style » propre à son écriture : net et clair, sans épanchement et avare d’émotion, intrinsèquement rationnel en somme. Un peu à la manière de Paul Ricoeur, dont par ailleurs tant de résonances philosophiques le rapprochent. À commencer par leur embarquement dans le courant personnaliste, durant les années de jeunesse. Après la guerre, Jean Ladrière a pris une part active dans les groupes Esprit de Belgique [2], aux côtés d’Ernest Glinne, Xavier Mabille, Pierre Mertens, François Perin, Jean Van Lierde, et… Guy Spitaels, pour n’en citer que quelques uns parmi tant d’autres. Sur un registre personnel, j’ai été marqué par la lecture d’un article, publié dans les années 80 dans la Revue Politique, sous le titre Le rôle du chrétien en politique. Je me souviens de cette formule : « le sens du politique est dans l’éthique et le sens de l’éthique pour un chrétien faut-il le préciser ? est dans la foi ». C’est pourquoi, je ne boude pas mon plaisir de voir enfin publiée aujourd’hui la conférence que prononça Jean Ladrière en décembre 2003, sur le thème Pluralisme et philosophies de la personne. Ce plaisir est d’autant plus grand que cela se passait chez moi, au 4 rue Capitaine J.-M. de Vismes à Louvain-la-Neuve, siège social du CAPP. Près de quarante personnes avaient pris place tant bien que mal dans mon modeste séjour. J’avais conduit notre invité vers le fauteuil disposé pour lui, à sa juste place, bien en vue de tous. Mais il avait marqué un mouvement de recul, exprimant sa gêne d’être ainsi placé à l’avant-plan, sous les feux de la scène. C’était bien lui, Jean Ladrière, un grand philosophe mais resté modeste et réservé, un homme comme vous et moi.
Vincent Triest
Secrétaire général du CAPP
[1] Jean Ladrière, La Foi chrétienne et le Destin de la raison, Éd. du Cerf Collection Cogitation Fidei , Paris, 2004.
[2] Lire Emmanuel Mounier en Belgique 70 ans d’Esprit, publié par Wolu-Culture Secteur Lettres, Bruxelles, 2002.
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