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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Pierre Paquette, “Participation syndicale et changement social.” In revue INTERVENTIONS ÉCONOMIQUES pour une alternative sociale, no 24, automne 1992, pp. 119-126. Un numéro intitulé: “Emploi et concertation.” Montréal: département de science économique, Université du Québec à Montréal, 1992, 170 pp. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[119]

Interventions économiques
pour une alternative sociale
No 24
DOSSIER

Participation syndicale
dans l’entreprise et
changement social
.” *

Pierre PAQUETTE

L'entente intervenue entre le Syndicat des employés des Aciers Atlas (CSN) et cette entreprise a suscité autant d’intérêt que de questionnements chez les observatrices et observateurs du monde syndical et économique.

Pour certaines et certains, comme Jean-Marc Piotte, il s'agirait pratiquement d'une trahison parce que dans l'entente, le Syndicat renonce à exercer son droit de grève lors du renouvellement de la convention collective dans trois ans. Pour d'autres, entre autres pour le ministre de l'Industrie et du Commerce et de la Technologie, Gérald Tremblay, celle-ci constituerait un indice précurseur d'un possible « contrat social » entre les différents acteurs sociaux (patronat, syndicats, l'État, etc.).

La réalité est beaucoup plus modeste.

S'il est indéniable que l'entente conclue chez Atlas constitue une expérience intéressante et une extension du champ de la négociation collective, elle n'en demeure pas moins un contrat économique au même titre qu'une convention collective traditionnelle. C'est davantage sur le plan des attitudes que le cas d'Atlas est révélateur. Il montre que, aussi bien au niveau syndical que patronal, certaines pratiques se renouvellent.

[120]

Le contenu de l'entente chez Atlas

Il est important de replacer les principaux éléments de cet accord dans le contexte d’un investissement de plusieurs centaines de millions de dollars (entre 400 et 500 millions de dollars) qui devra s'étaler sur la durée de l'entente (6 ans).

On retrouve au cœur de celle-ci le maintien et le développement de l'emploi dans une région, celle de Sorel-Tracy, qui subit sérieusement les effets de la récession et du traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Ainsi, elle garantit pratiquement un plancher d'emplois égal au nombre de postes actuels (411), assurant de ce fait la sécurité d'emploi, pour toute la durée de cette entente, aux travailleurs qui occupent ces postes. Également, la partie patronale s'engage à créer des emplois et à privilégier l'embauche de la main-d'œuvre régionale.

De plus, l'accord comprend de nouveaux droits et obligations pour le Syndicat en matière d'organisation du travail et de formation professionnelle. Le Syndicat voit ainsi sa participation ancrée dans le processus de développement de l'entreprise. En particulier, le règlement intervenu reconnaît un droit de regard syndical quant aux conditions de réalisation de l'investissement annoncé. Finalement, cette entente apporte des améliorations aux conditions de travail et inclut des mécanismes de progression des salaires et d'indexation au coût de la vie.

Portant sur une durée de six ans, elle prévoit par conséquent l'engagement du Syndicat à ne pas faire la grève, et celui de l'employeur, à ne pas recourir aux lock-out lors du prochain renouvellement de la convention collective, prévu pour 1993.

S'agit-il de l'abandon d'un droit ou plutôt de son utilisation d'une façon différente ? D'une part, faire la grève est un droit fondamental et inaliénable qui inclut la possibilité de ne pas la faire pour obtenir des améliorations aux conditions de travail et aux droits des travailleuses et des travailleurs. Le plus important, c'est que la volonté démocratique des membres soit respectée.

D'autre part, cet engagement syndical et patronal est conditionnel au respect de l'entente par l’autre partie, en particulier au respect de l'échéancier des investissements dans le cas de l'employeur.

L’entente intervenue aux Aciers Atlas n'a pas la prétention, du point de vue de la CSN, d'être un modèle exportable à n'importe quelle condition dans d'autres entreprises pour les travailleuses et [121] les travailleurs, elle constitue tout de même un moment privilégié d'expérimentation et d'apprentissage de la stratégie syndicale que les derniers congrès de la CSN ont commencé à élaborer.

Le renouvellement
de la stratégie syndicale


Au moment où éclate la récession de 1982-1983, les sociétés occidentales n'avaient pas connu une telle baisse de l'activité économique depuis la grande dépression des années 1930. Celle-ci provoqua un important désarroi dans les stratégies de l'ensemble des acteurs sociaux et de l'État. Avec le recul il est maintenant évident du temps qu'aussi bien les gouvernements, les patrons que le monde syndical avaient sous-estimé la profondeur et la nature de la crise de restructuration qui s'était aggravée avec cette récession qui, dans les faits, s'était amorcée autour de 1975, premier ralentissement à portée mondiale depuis la fin de la deuxième guerre.

Les syndicats et la crise

Le mouvement syndical se trouva en porte-à-faux. Analysant un ralentissement classique, il réclama des mesures de relance traditionnelles de la demande. Ces mesures (ex : corvée Habitation, etc.), bien qu'à court terme nécessaires et légitimes, ne pouvaient répondre adéquatement aux causes de cette longue crise. De plus, bénéficiant d’un contexte de chômage élevé, développant une idéologie qui prenait ses racines dans le libéralisme pré-keynésien, le patronat et dans une certaine mesure l'État adoptèrent une stratégie cohérente. Celle-ci s'axait autour de la dénonciation des salaires et des charges sociales excessives et prônait le retour à une forme de capitalisme sauvage par la déréglementation, la privatisation, le désengagement et l’anti-syndicalisme primaire.

Cette stratégie, qui s’est « grosso modo » maintenue jusqu’à aujourd'hui, n'a pas permis de retrouver une croissance harmonieuse mais a favorisé l'enrichissement de certains au détriment du plus grand nombre. Cohérente, cette stratégie patronale et étatique s’est avérée un cul-de-sac aussi bien au niveau social qu’économique. Une société ne peut construire une base économique saine sans une cohésion sociale forte. Et, celle-ci reste encore à trouver 15 ans après le début de l'application de la solution néo-libérale.

[122]

Face à cela, le mouvement syndical a cherché à tâtons, avec des essais et des erreurs, une stratégie alternative à celle des années 1960 et 1970, caractérisée par une démarche de revendications excluant toute logique de propositions.

Contrairement à ce que pensent bien des militantes et militants syndicaux, il y a selon moi, une distinction importante entre une revendication et une proposition, et ce, bien que celles-ci soient intimement reliées. Une revendication, c'est d'exiger quelque chose que l’on considère comme un dû ; par exemple, la protection du pouvoir d'achat. Une proposition c’est une solution originale à un problème qui est souvent partagé par différents groupes ; par exemple, la survie ou le développement de l'entreprise.

Dans ce sens, dans le cadre d'un syndicalisme de propositions, le partage des gains de productivité par la négociation collective, tout en demeurant nécessaire, se révèle insuffisant si l'on ne discute pas en même temps de la manière de les faire naître.

Or, jusqu'à présent, la négociation collective s’est plus souvent qu’autrement intéressée à la rémunération et à la codification des tâches. Celle-ci a peu touché aux choix d'organisation du travail à la base et à la gestion de l’entreprise, en particulier ses choix stratégiques d’investissement.

Il faut pourtant souligner que la négociation collective traditionnelle a toujours influencé l'organisation du travail et la gestion de l'entreprise ; cependant, il ne s'agissait là que d'une conséquence de cette gestion, largement dominée par la réaction patronale aux pertes ou aux gains obtenus par les personnes syndiquées.

Comprenant que la longue crise que nous vivons depuis maintenant plus de 15 ans s'enracine d'abord dans l'entreprise, le mouvement syndical s’est mis à chercher des solutions pour y répondre.

À la recherche de solutions nouvelles

Il faut reconnaître que la mise sur pied du Fonds de solidarité de la FTQ fut, à cet égard, un premier pas qui, contestable par certains aspects, n'en demeure pas moins une manifestation de la volonté de contrôle des travailleuses et des travailleurs de leur environnement économique.

[123]

À la CSN, c'est autour du droit de participer à toutes les décisions qui touchent les travailleuses et les travailleurs que la stratégie syndicale se renouvelle. Celle-ci a trouvé sa forme la plus achevée lors du congrès de 1990, alors que les personnes déléguées adoptaient une dizaine de résolutions dans le cadre d'un bloc intitulé « Changer nos lieux de travail ».

C'est ainsi que la CSN s'est donnée comme priorité l'accès à l'information et au droit d'expression dans l'entreprise pour accroître le contrôle syndical sur la finalité du travail ainsi que sur l'organisation du travail. C'est donc prioritairement à partir de l'entreprise et de l'établissement que les organisations syndicales tentent de fonder un projet de transformation sociale dans l'intérêt des couches salariées. C'est de là qu'elles tirent leur légitimité.

Ceci n'exclut d'aucune manière l'action syndicale sur le plan plus proprement social. Au contraire, c'est cette action sur le plan social qui est répercutée dans l'entreprise ou l'établissement. Cette priorité manifeste toutefois la reconnaissance pour le mouvement syndical que sa capacité d'influence dans la société est étroitement liée à sa capacité d'influer sur la vie de l'entreprise ou l'établissement.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que c'est souvent à partir du champ social que cette volonté d'influencer la vie de l’entreprise s'est manifestée. L'expérience du Comité de relance de l'emploi et de l'économie de l'Est de Montréal (CREEM) puis celle du Comité de relance de l'emploi et de l'économie du Sud-ouest de Montréal (CREESOM) l'illustrent bien. Il faut se rappeler que ces deux comités, qui visaient la relance de l’emploi dans deux quartiers de Montréal, sont nés de l'incapacité des syndicats de grandes entreprises de ces quartiers à obliger leurs employeurs respectifs à discuter avec eux de la survie et du développement de leurs entreprises, même dans le cadre d'un Comité d’adaptation de la main-d'œuvre (CAMO).

Rappelons qu'un CAMO est mis sur pied à la demande conjointe de l'employeur et du syndicat pour trouver des solutions à des problèmes de survie d'une entreprise. Il est très largement financé par les deux paliers de gouvernement. Son mandat peut être très large, mais malheureusement lorsqu’on ne peut que constater la fermeture d'une entreprise, il peut également se limiter à un comité de reclassement des personnes licenciées.

[124]

La réconciliation de l'économique et du social

Dans le cas de l'Est et du Sud-ouest, la pression syndicale et populaire a obligé les gouvernements à mettre sur pied ces comités de relance à partir des budgets prévus à ce programme, d'où leur première dénomination de « super camo », c'est-à-dire de CAMO régional. Aussi bien le CREEM que le CREESOM se sont attaqués à la recherche de solutions aux problèmes des entreprises et des populations de ces quartiers. Dans ce sens, il s'agit là de deux expériences visant à réconcilier l'économique et le social ainsi qu'à accroître le contrôle des communautés et des personnes salariées sur le développement de leurs quartiers ou de leurs entreprises.

À ma connaissance, d'autres expériences du même type se développent un peu partout à travers le Québec, la dernière en date étant celle du ralliement gaspésien et madelinot de mai 1991, qui a démontré que cette volonté de prendre ses affaires en mains constitue une tendance lourde.

L'étape que nous vivons présentement constitue une tentative pour se doter d'une culture collective d'entreprise, ce qui n'a rien à voir avec la notion de culture d’entreprise dans le sens d'une spécificité culturelle propre à chaque entreprise. La culture à laquelle je fais référence vise à ce que les acteurs sociaux parlent le même langage, se réfèrent à des représentations et des concepts qui leur sont communs, sans qu'il soit besoin de les préciser. C'est sûrement le plus grand mérite du Forum pour l'emploi que de contribuer à créer cette culture.

C’est donc dans ce contexte qu'une nouvelle stratégie syndicale, encore balbutiante mais déjà active sur le terrain, s'élabore. Elle vise à offrir aux personnes salariées et à leurs organisations des espaces pour quelles puissent se réapproprier leur situation de travail, leurs lieux de travail, en élargissant le champ du négociable au sein de l'entreprise et dans la société.

Les dangers de cette nouvelle stratégie

Tout changement dans les orientations, dans les stratégies et les pratiques d'un mouvement social comme le syndicalisme s'accompagne de dangers et de remises en cause dont il nous faut être conscients. Non pas pour refuser l'obstacle qu’ils peuvent représenter, mais plutôt pour y trouver des réponses réfléchies et efficaces.

[125]

À première vue, on peut identifier deux types de dangers et donc d'enjeux.

Le premier danger, c'est la déstabilisation du syndicalisme lui-même. D'une part, les nouvelles stratégies syndicales, tout en maintenant les valeurs fondamentales qui sont à son origine (démocratie, participation, solidarité), constituent une rupture avec un certain nombre de références traditionnelles de la culture syndicale. On n’a qu'à penser à la place que tient la revendication dans le syndicalisme de propositions pour en percevoir l’importance. De plus l'ordre de priorité des revendications est lui-même en changement dans la négociation collective.

D'autre part, et cela constitue un défi plus important, cette stratégie peut entraîner la désagrégation de collectifs anciens de personnes salariées. Il est vrai toutefois que ceux-ci sont parfois déjà en voie de désagrégation. Mais si des efforts conscients ne sont pas faits, cela peut se traduire par des effets de divisions au sein de ce qu'on peut appeler « la classe ouvrière » et par une marginalisation d'une couche importante de celle-ci. En d'autres termes, il faudra empêcher que cette stratégie de participation et de changement social dans l'entreprise n'aboutisse à un nouveau corporatisme. C'est, sans aucun doute, au niveau de l'organisation de nouveaux syndicats dans les secteurs les plus fragiles, et en faisant de la place aux groupes les plus menacés (jeunes, femmes, travailleuses et travailleurs âgés, immigrantes et immigrants) que le syndicalisme peut éviter cet écueil et développer un projet social conforme à sa nature.

Le second danger a trait à ce que certaines et certains ont appelé « le taylorisme flexible » c'est-à-dire à la possibilité que les structures fondamentales de l'entreprise et de la société restent inchangées. Que ce soit là la volonté patronale, il n’y a pas de doute. On a qu'à penser aux différentes modes de la « participation gadget » (cercle de qualité, participation au profit, etc.), aux décalages entre le discours et la réalité, etc., pour s'en convaincre.

Il faut dire ici que les divisions syndicales, la faiblesse des ressources techniques de chaque organisation posent des obstacles supplémentaires. Ceci dit, le danger d'un « nouveau taylorisme » renvoie le mouvement syndical à la nécessité de forger son propre projet de démocratisation, ancré dans la réalité du travail et de la gestion de l'entreprise.

C'est pourquoi les organisations syndicales doivent faire plus que d'obtenir le droit de négocier les conditions de l'expression [126] des personnes salariées pour éviter d'être exclues de la gestion sociale dans l'entreprise. C'est un pas dans la bonne direction mais cela demeure défensif et incomplet.

Il faut faire en sorte que l'expression des personnes salariées soit un des moyens d'une nouvelle forme de mobilisation collective des travailleuses et des travailleurs, en tenant compte de la diversité de leur situation professionnelle et culturelle.

C'est ainsi que la promotion et le contrôle, si possible, des formes de participation des personnes salariées peuvent être une occasion de « recomposer » des collectifs de personnes salariées actuellement passablement « amochés ». Il ne faut jamais oublier que c'est à travers une critique radicale du « taylorisme » qu'est née la revendication du droit d'expression des personnes salariées. Il s’agit là d'un potentiel et d'une chance pour un second souffle du mouvement syndical, particulièrement au Québec.



* Secrétaire général de la CSN.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 17 février 2022 7:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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