RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

CULTURES ET GUÉRISONS. Éric de Rosny — L’intégrale. TOME I. (2022)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir d'EXTRAITS du livre sous la direction de Anne-Nelly Perret-Clermont, Jean-Daniel Morerod et Jérémie Blanc, CULTURES ET GUÉRISONS. Éric de Rosny — L’intégrale. TOME I. Neuchâtel, Suisse: Les Éditions ALPHIL, 2022, 1264 pp. Coffret de 3 tomes. [Madame Anne-Nelly Perret-Clermont nous a accordé, le 4 avril 2023, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ces extraits du livre CULTURES ET GUÉRISONS dans Les Classiques des sciences sociales.]

[27]

Introduction

Anne-Nelly Perret-Clermont,
Jean-Daniel Morerod et Jérémie Blanc

Puis, il fallut continuer seuls…

La première impression : c’était un homme élégant. Silhouette imposante de qui se tient droit. Voix nette et claire, inattendue chez un homme âgé. Éric de Rosny était presque une star. Pour l’une des dernières conférences qu’il donna à Neuchâtel, il fallut changer deux fois d’amphithéâtre. Pas de traces d’infatuation, malgré le succès, un succès évident auprès des étudiants et étudiantes qui découvraient sa disponibilité et sa capacité de réfléchir devant eux, à mesure, aux questions posées.

C’était un homme libre : il était chez lui chez les Jésuites, il était chez lui chez les vingt-sept « Vieux Sages » de Douala, qui l’avaient fait entrer dans la confrérie des hommes-souche. Il était chez lui dans la brousse et la forêt, chez lui dans les villes, la tentaculaire Douala, ville de l’économie, encore plus qu’à Yaoundé, la ville des mystères du pouvoir et des écoles. C’est à Douala qu’il vit, qu’il est initié, devenant un nganga (guérisseur) et, à la fin de sa vie, se voit conférer le titre de Beyoum ba bato (Homme-souche). Ce sont ses échappées, pour reprendre une expression qu’il affectionnait. Éric de Rosny était l’homme de toutes les insertions dans les réseaux intellectuels ou médicaux.

Partout où il se trouvait, il recevait des dignités qui montraient la confiance dont il jouissait à la fois comme nganga et comme provincial. Cela n’était pas allé de soi de se faire accepter par les initiés de Douala [28] et garder par la Compagnie de Jésus ! Mais il savait ne pas abuser de son influence : il n’exerça pas comme nganga, il observait, réfléchissait et écrivait, mais enrichissait sa pratique de prêtre d’une connaissance approfondie des références des personnes qui venaient le consulter. Sa foi le conduisait. L’homme libre était discrètement protégé par Les yeux de ma chèvre [1] et sa gloire de livre culte des années 1980. C’est une référence dont il était visiblement content et qu’il citait souvent.

Un médiéviste [2] pourrait trouver bien des parallèles possibles entre la sorcellerie des XVe-xviiie siècles et les schémas africains, et les psychologues se sont empressés d’approfondir le concept d’« espace thérapeutique » [3]. Mais l’essentiel n’était pas là. Son mode de penser nous attirait profondément, comme son dévoilement des mystères de l’Afrique, l’une des clés de notre époque. Avec ses observations, ses réflexions, son immense œuvre écrite, il nous apparaissait comme un important pont vers l’Afrique, en commençant par le Cameroun.
Des phrases que nous n’étions pas certains d’avoir entendues nous désignaient comme les héritiers de ses articles. Puis nous reçûmes son mot officialisant cette passation. Il n’y avait plus besoin de fantasmer sur notre statut. Nous pûmes même discuter quelquefois avec l’auteur. Puis, il fallut continuer seuls.


Histoire de rencontres

Le projet de ce livre est le fruit de plus de vingt ans de rencontres entre Éric de Rosny et les éditeurs. Ce long cheminement leur a permis d’approfondir le dialogue scientifique et de développer une profonde amitié. Invité régulièrement à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Neuchâtel, Éric de Rosny a passionné ses interlocuteurs et interlocutrices : les psychologues qui s’interrogent sur ces espaces matériels [29] et symboliques qui permettent l’éducation, la thérapie, la transmission d’héritages culturels multiples ; les ethnologues qui trouvent en lui à la fois un initié à la société douala et un collègue ; les historiens qui étudient les procès de sorcellerie en Europe au Moyen Âge, et les sociologues intéressés par les questions de migration d’Afrique vers l’Europe. Un public plus large s’est également approché, désireux de l’entendre parler du Cameroun et de l’Afrique, de sa rencontre en profondeur avec une tradition qui n’a rien à voir avec l’héritage grec de la philosophie occidentale, et qui soulève des questions existentielles autour de la santé, la vie, la mort, l’angoisse, les relations familiales, la religion et la gestion sociale de la violence. Par les écrits qu’il nous a laissés, on peut suivre ce jésuite, enseignant au lycée, qui s’est fait anthropologue pour comprendre ses élèves en partageant leur vie quotidienne, à la croisée des chemins entre le monde rural et le développement urbain soudain et massif, entre les pratiques de la tradition locale et les institutions de la colonisation puis de la modernité globalisée.

Mais Éric de Rosny ne veut pas seulement observer. Il se sait engagé. Ses anciens élèves sont entretemps devenus dirigeants, cadres, médecins, juristes, professeurs d’université. Éric de Rosny travaille alors avec eux des questions fondamentales pour la société contemporaine : les conditions de complémentarité des médecines officielles et traditionnelles ; l’enracinement (ou déracinement) culturel des religions ; la mémoire des savoirs ethnobotaniques ; l’accès aux récits, mythes et rites des ancêtres ; mais aussi l’emprise croissante du phénomène de la sorcellerie que les migrants emportent dans leurs bagages non seulement du village à la ville mais aussi jusqu’en Europe ; les réformes nécessaires du droit pour protéger les tradipraticiens des procès de sorcellerie ; ou encore les conditions d’une individuation profonde des personnes (à ne pas confondre avec l’individualisme) qui leur permet d’accéder à la gestion de l’angoisse et à la prise de responsabilité au sein d’une société en profonde transformation et donc secouée par des forces contradictoires. L’Université de Neuchâtel lui a conféré le titre de docteur honoris causa en 2010, reconnaissant sa grande passion vouée à la compréhension de l’Afrique occidentale, à ses savoirs traditionnels et à son évolution contemporaine, mais aussi la contribution majeure d’Éric de Rosny à la recherche en sciences humaines et sociales.

[30]

Le recueil cultures et Guérisons

Le présent ouvrage rassemble pratiquement tous ses articles et contributions à des livres collectifs [4] jusqu’ici uniquement publiés de façon dispersée dans de multiples lieux en Afrique, en France ou ailleurs encore. Ces textes brefs, et très agréables à lire, complètent utilement ses ouvrages. Avec un grand sens de la narration, à travers des tableaux à l’écriture ciselée, Éric de Rosny s’efforce de faire voir – presque sentir – ce qu’il découvre, en ne cachant pas la difficulté des rencontres et les multiples questions qui se posent à lui en tant qu’anthropologue et jésuite. Ce livre se fait l’écho de la densité de l’expérience humaine lorsque, face aux angoisses et aux épreuves de la vie, la personne cherche à comprendre autant sa propre tradition que celle des autres.

Éric de Rosny est connu des milieux scientifiques et du grand public, notamment depuis la publication de son livre Les yeux de ma chèvre. Sur les pas des maîtres de la nuit en pays douala (Cameroun) chez Plon, en 1981. Il y raconte la confiance que lui a faite Din, un grand Nganga du Cameroun qui lui a transmis, par une véritable initiation selon la grande tradition douala, son art à la fois de devin, juge, religieux, guérisseur et anti-sorcier. Éric de Rosny a écrit plusieurs autres livres (voir la bibliographie p. 1227), dans lesquels il raconte notamment comment il a initié, à son tour, Bernard Nkongo à l’art du nganga. Il y décrit aussi les responsabilités et activités qu’il a déployées depuis son initiation dans la société camerounaise.

Les textes recueillis ici forment un ensemble qui vient enrichir cette œuvre déjà accessible : ils ont été écrits au fil des ans et constituent une forme de journal de bord des avancées de l’auteur dans sa découverte de son pays d’adoption, à travers ses engagements dans les projets qu’il partage avec ses partenaires africains. On y découvre aussi pourquoi il tient tant à transmettre ce qu’il recueille, non seulement aux Camerounais qui l’accueillent et envers qui il se sent redevable, mais aussi à d’autres milieux : son espoir est de contribuer à construire, entre les cultures et les religions, des ponts qui soient au service de l’épanouissement humain grâce notamment à une meilleure gestion de l’angoisse, cette cause profonde de la circulation de la violence. Il est convaincu qu’il y faut un double [31] mouvement : celui d’un respect très profond de l’intimité de la personne et celui, tout aussi important, de la reconnaissance des rites, traditions, mémoires et traumatismes de la collectivité. Il observe les rites et mythes, en tant que ressources structurantes qui se transforment et s’adaptent pour donner sens aux événements, circonstances et nécessités. La mémoire mais aussi l’inconscient y ont leurs racines et nourrissent les modes d’agir dans les rapides et tempétueuses transformations sociétales contemporaines.

Éric de Rosny accordait une grande importance à la vision, entraîné par l’initiation aux Exercices spirituels de contemplation qu’il a reçue des Jésuites, selon les indications d’Ignace de Loyola. Aussi a-t-il trouvé chez les Douala une culture sœur investissant les éléments visuels, considérés comme porteurs de significations et indispensables à la vie et à la guérison. Dans son effort de documentation de pratiques qui risquaient de s’éteindre, notre auteur a constitué une grande collection de photographies et de films, en sachant s’adjoindre le concours de réalisateurs professionnels (voir l’annexe p. 1241). À côté des effets des couleurs, bruits, rythmes, musiques, senteurs et saveurs (notamment des plantes en décoction que l’on fait boire aux malades), Rosny évoque une multitude d’autres éléments encore. Il saisit des scènes qui sont mises en mouvement par la danse et la transe, et partage des expériences sensorielles qui saisissent le corps et éveillent à des émotions très fortes. Dans Cultures et Guérisons, à travers les illustrations [5], nous avons tenté de donner place aux couleurs mais nous n’avons bien évidemment pas pu imprégner les pages des fragrances végétales et animales, ni les faire danser au son des tambours et des musiques ! Cependant, en s’appuyant sur les évocations d’Éric de Rosny, chaque lecteur et lectrice pourra, par un ajustement de l’imagination (comme l’enseignait Ignace de Loyola), se rendre présent aux scènes décrites et laisser cette convocation des sens gagner tout son être pour lui faire ressentir quelque chose de cette réalité vivante et puissante, transformatrice.

Éric de Rosny nous a désignés, quelques semaines avant son décès, comme héritiers de ses textes. Ni jésuites, ni anthropologues, ni français, ni camerounais, ni collègues de terrain, ni membres de sa famille, sans expérience sérieuse de l’Afrique… qu’est-ce ce qui nous a amenés à recevoir la charge de la préparation de ce recueil (dont, admettons-le, nous [32] lui avions soufflé l’idée) ? Notre relative extériorité sans doute, mais surtout l’amitié et la confiance qui se sont forgées le long du chemin d’une écoute réciproque et d’un dialogue de plus de vingt ans. Nos univers de référence étaient différents [6]. Mais ce n’était pas un obstacle. Nos problématiques se sont d’emblée fait écho. Donnons-en ici quelques exemples. Éric de Rosny avait contribué à la reconnaissance officielle des tradipraticiens dans plusieurs pays d’Afrique, les mettant à l’abri d’accusations fréquentes de pratique illégale de la médecine ou de sorcellerie. En Suisse, les années 1990-2000 connaissaient des débats très animés sur la place de la psychologie, et en particulier des psychothérapies, entre médecine officielle, mouvements religieux revendiquant des guérisons, et des pratiques de soin populaires souvent secrètes. Il en advint, peu à peu, une reconnaissance officielle des médecines complémentaires [7] et de la pratique des psychologues et psychothérapeutes.

Les étudiants et étudiantes aimaient entendre Éric de Rosny explorer l’ancrage culturel de la vie psychique, montrer l’importance des racines, parler des manifestations de l’angoisse et de l’enjeu des prises de position personnelle face à la violence. Il rendait possible de parler de spiritualité en dialogue avec les sciences sociales et la médecine.

En Suisse, comme ailleurs en Europe, les populations issues de migrations de plus en plus lointaines se faisaient plus nombreuses, et invitaient, dans les pratiques de soin, d’assistance sociale et d’éducation, à prendre en compte plus explicitement des références culturelles en profonde altérité avec celles des institutions en place. Mais cette altérité était souvent perçue de façon superficielle, exotisante, sans compréhension des enjeux de ces autres systèmes de représentation du monde, notamment lorsqu’ils concernent la solidarité, la famille, les rapports au savoir et au pouvoir. Il est tabou de parler des croyances en des forces aux pouvoirs envoûtants, des luttes des esprits, des rapports de force cachés. Mais à Neuchâtel aussi ces croyances ont existé, causé des morts et des traumatismes. Elles ont hanté de façon extrêmement violente le quotidien, puis les mémoires, comme le savent bien les chercheurs de l’équipe que dirige Jean-Daniel Morerod [33] qui sont, avec lui, des spécialistes des procès de sorcellerie dans la Suisse médiévale. C’est pourquoi ils se sont passionnés pour cette possibilité de rencontrer, en chair et en os, un anti-sorcier contemporain, nganga, et ont beaucoup contribué, de différentes façons, à la réalisation de ce livre Cultures et Guérisons.

L’honneur et la responsabilité d’héritiers des écrits d’Éric de Rosny nous ont un peu écrasés alors que nous étions déjà fort décontenancés de voir cet ami disparaître si brusquement, en plein approfondissement de nos réflexions communes. Il avait sans doute bien perçu notre conviction profonde que son œuvre méritait d’être diffusée plus largement car elle permettait d’approfondir des questions d’une brûlante actualité, bien au-delà de la seule Afrique. L’Université de Neuchâtel était un lieu de « recul » pour lui, hors des cercles qu’il fréquentait quotidiennement. Il découvrait aussi dans la région neuchâteloise et jurassienne une longue histoire de rencontres entre les langues, les cultures et les religions, ainsi que des institutions, des pratiques et des communautés qui ne manquaient pas de le surprendre parfois. Il y a recueilli des récits de guérisons opérées par des guérisseurs héritiers de traditions locales, rencontré des migrants originaires des quatre coins du monde porteurs des angoisses de la sorcellerie, parlé devant des auditoires d’étudiantes et étudiants, et de leurs aînés de l’Université du 3e âge. Il a été invité par des paroisses et des communautés religieuses et s’est prêté à plusieurs entretiens avec des journalistes, fascinant toujours ses interlocuteurs par ses propos mais aussi par sa capacité à « déménager » les membres de l’auditoire hors de leurs positions habituelles et de leurs inévitables préjugés pour les surprendre. Un exemple : Éric de Rosny se plaisait à raconter [8] comment nous (les futurs éditeurs de l’ouvrage) avions cherché à le dissuader de ce qui allait être une apparition spectaculaire, lors du Dies Academicus 2010, lorsque l’Université de Neuchâtel lui remit en grande pompe un doctorat honoris causa « pour le courage et la cohérence de sa démarche d’ethnologue initié, pour son décryptage des mécanismes de la sorcellerie et de la magie, pour sa contribution théorique à la notion d’espace thérapeutique, pour l’étude scientifique et la conservation des savoirs juridiques et médicaux de l’Afrique, pour sa compréhension empathique des aspirations des habitants de l’Afrique ». Éric de Rosny vint en effet à la cérémonie vêtu d’un pagne, habillé à la manière des notables douala, accompagné par

[34]

Éric de Rosny avant la cérémonie du Dies Academicus de l’Université de Neuchâtel, en compagnie d’Anne-Nelly Perret-Clermont et de François Hainard, professeur de sociologie à l’Université de Neuchâtel.

Le cortège des autorités et des quatre docteurs honoris causa de l’Université de Neuchâtel lors du Dies. La Rectrice Martine Rahier est au centre, Éric de Rosny derrière elle. Photographie : Université de Neuchâtel / Alain Germond.

[35]

Remise du doctorat honoris causa par la Rectrice de l’Université de Neuchâtel, Martine Rahier. Photographie : Université de Neuchâtel / Alain Germond.


Éric de Rosny et son invité, Dr Auguste Léopold Mbondé Mouangué. Photographie : Université de Neuchâtel / Alain Germond.

[36]

Auguste Léopold Mbondé Mouangué, docteur de la Sorbonne, spécialiste de la littérature orale sawa-douala, lui aussi en tenue traditionnelle. Avec une maîtrise (quasi liturgique) extraordinaire, il sut éviter l’écueil de l’incongruité et faire naître chez les personnes présentes un courant de sympathie envers son désir profond : celui d’affirmer ainsi sa dette de reconnaissance à l’égard du peuple douala qui lui avait permis l’aventure humaine et scientifique pour laquelle il était honoré.

Ce livre est donc né d’une confluence de sympathies et d’intérêts pour des travaux consacrés à la création de ponts dans la compréhension interculturelle, et à l’offre de ressources pour gérer l’angoisse et la violence. Nous sommes dans l’impossibilité de toutes les mentionner. De l’étudiant camerounais qui, en 1989, à la sortie d’un cours, est venu nous dire : « Vous ne pouvez pas imaginer l’émotion que j’ai ressentie quand vous avez mentionné Éric de Rosny : mon oncle est pasteur protestant et nganga et c’est grâce à lui Rosny qu’il a pu sortir de la clandestinité, nous permettre de vivre nos croyances, d’être ce que nous sommes. C’est une personne extrêmement sérieuse. Il faut l’écouter », jusqu’aux multiples solidarités suisses et africaines qui nous ont encouragés et nous ont permis de trouver les textes puis les financements nécessaires.

Mais qui est donc cet Éric de Rosny ? On trouvera en annexe (p. 1223) quelques repères biographiques à son sujet et son récit de vie récolté par Gilles Séraphin [9] (p. 1031). Nous n’allons pas les exposer ici. Mais nous tenterons quelques remarques qui peuvent, espérons-le, aider lecteurs et lectrices à saisir le paysage de ses intentions, méthodes et concepts, avant de le suivre de texte en texte. En effet, Éric de Rosny n’a jamais oublié, en aucune façon, qu’il était, blanc, homme, de culture française, chrétien, prêtre et surtout jésuite. Il savait qu’à tout moment sa simple présence était susceptible de réveiller le souvenir (même inconscient) de la colonisation et de ses pratiques. Il a cependant essayé d’en tenir compte à chaque pas. Cela se reflète dans ses textes : il mentionne toujours quelle est sa place (réelle ou subjective) dans les scènes qu’il décrit. Et quand les circonstances lui permettent d’adapter les formes de sa présence et de son action, il réfléchit aux raisons de ses choix et tente d’en expliciter les motivations, il raconte ses doutes voire ses maladresses et aveuglements. Les lecteurs [10] ne sont donc pas appelés à adhérer à ses positions ni à partager ses émotions ou [37] pensées. Il considère celles-ci comme des éléments du paysage qu’il décrit, qui contribuent inévitablement à façonner les scènes rapportées dont il se veut non seulement témoin mais aussi acteur impliqué. Liberté est laissée au lecteur de se sentir, à son tour, éventuellement, partie prenante de l’événement, soit « assis » auprès de lui ou au contraire – selon son choix – en regardant les choses de loin ou en s’identifiant à d’autres personnages. Éric de Rosny avait appris d’Ignace de Loyola une méthode pour contempler les scènes décrites dans l’Évangile : lire le texte et imaginer la scène, tranquillement, puis s’en approcher, éventuellement s’approcher (encore toujours en pensée) de l’une ou l’autre des personnes, voire lui tourner autour, se déplacer encore et toujours sans oublier de s’autoriser (c’est l’imagination qui est à l’œuvre, mais les choses deviennent « réelles » si l’attention est grande) à sentir les odeurs, entendre les bruits, ressentir les émotions. Éric de Rosny a-t-il voulu engager ses lecteurs à entrer ici, de la même façon, dans une approche contemplative de ces scènes de la vie douala ? Il ne semble pas l’avoir dit explicitement. Mais ses textes, écrits avec grand soin, s’y prêtent. Bien sûr, les lecteurs en engageant ainsi leur sensibilité et imagination, pas plus que Rosny, ne doivent oublier qui ils sont et pourquoi ils pourraient être portés à « percevoir » de telle façon (qui leur est propre) tel élément de ce qu’ils croient voir de la « réalité ». Notre être, nos expériences, notre culture, nos angoisses, nos relations aux autres et à nos groupes d’appartenance, nos desseins, tous « filtrent » notre accès au monde. L’initiation et les « yeux ouverts » ne permettent pas d’échapper à ces filtres. Alors, il s’agit d’en tenir compte avec humilité. Le voyage dans ces scènes ne fait pas toucher « la » « réalité » (africaine, religieuse, médicale ou autre) mais il permet de faire l’expérience d’une décentration qui renseigne la personne – et d’abord sur elle-même : ses propres réactions, ce à quoi elle tient, ce qui l’effraye, sa difficulté à porter attention à certains éléments (violents, joyeux, bruyants, déprimants, « contagieux », etc.). Cette « excursion » dans ces scènes permet aussi d’approcher l’altérité, avec un profond respect, en tâchant de se délester de la manie de vouloir « tout expliquer » avec des catégories mentales eurocentrées, chrétiennes

ou faussement scientifiques. Non pas pour abandonner ces catégories (on ne se défait pas de ses racines et de ses schèmes mentaux), mais parce qu’elles méritent un examen critique [11]. Sans ce recul, il est difficile voire [38] impossible d’entrer vraiment en communication avec d’autres personnes enracinées dans d’autres systèmes de référence, utilisant d’autres catégories et d’autres représentations. Il ne s’agit jamais pour Éric de Rosny d’examiner au premier degré si une affirmation est « vraie » ou « fausse » mais il cherche toujours à la replacer dans son contexte, prenant sens dans des conversations, des pratiques et des systèmes représentations du monde [12].

Le parcours d’Éric de Rosny

« Le premier point est d’observer toutes les personnes dont il s’agit. Et d’abord tous les hommes qui vivent sur la face de la terre, si différents par leurs mœurs, leurs attitudes et leurs actions : certains blancs et d’autres noirs, quelques-uns jouissant de la paix et les autres secoués par les guerres ; celui-ci pleurant, cet autre riant ; l’un en bonne santé et l’autre malade ; beaucoup qui naissent et beaucoup à leur tour qui meurent ; et toutes les autres diversifications presque innombrables. »

Ignace de Loyola, 1548 [13]

[39]

« Je constate aujourd’hui, avec le recul du temps, que j’ai pris assez peu d’initiatives pour en arriver là. Je me suis laissé accueillir par ces nganga. Je me suis laissé aller, comme emporté par le courant, en essayant de ne pas heurter les brisants et les rochers, à la manière dont autrefois j’aimais descendre les torrents en canoë. Je me suis abandonné à ces nganga qui savaient, puisque chrétiens pour la plupart, quels écueils il fallait m’épargner. Par exemple, on ne m’a jamais fait participer au sacrifice d’une chèvre. Quant à ma propre chèvre, elle n’a pas été égorgée, elle est morte de sa belle mort. Je me trouvais dans un monde qui avait sa cohérence, même si elle continuait de me surprendre […]. Si j’ai pu franchir, comme sur une frêle passerelle, la distance qui sépare un parisien profane d’un nganga expérimenté, c’est que j’ai gardé mon identité. Et c’est peut-être parce que j’ai gardé mon identité que cet itinéraire a été possible. Je respecte la logique profonde qui gère l’arrière-monde africain. Mais je ne peux pas faire miennes cette place donnée au rêve, cette idée que les enfants naissent avec quatre yeux, cette conviction que l’homme est composé d’un corps visible et d’un corps invisible, etc. Toutes ces données qui viennent d’un monde très ancien et qui n’est pas celui de ma culture, je les respecte, je me les explique en partie, je reconnais leur cohérence, mais elles ne déterminent pas ma manière de vivre et de penser […]. L’on peut être pleinement adopté par les membres d’une culture donnée et garder la cosmologie de son ascendance et de son enfance. »

Éric de Rosny, 2011 [14]

Éric Marie Joseph de la Gorgue de Rosny qui, à la fin de sa vie, adjoindra encore à son nom celui de Dibounjé reçu de sa famille camerounaise d’adoption, naît à Fontainebleau le 13 mai 1930. Issu d’une famille de vieille noblesse française, avec ses frères et sœurs, il passe son enfance à Paris et à Boulogne-sur-Mer, au château familial de la Caucherie dont il admire les jardins dessinés par André Le Nôtre. Ses perspectives, ouvertes sur l’infini, l’appellent – raconte-t-il – à s’échapper au-delà des limites de son monde, au grand large.

[40]

Les jardins du château

Le château de la Caucherie

[41]

Il deviendra jésuite, comme d’autres membres de sa famille, et s’imagine partir en Chine, inspiré par les récits de Matteo Ricci. Mais la Chine sera fermée et il en ira autrement. Ses études à Chantilly et au Pays de Galles, et ses stages en tant qu’enseignant (Beyrouth, Douala), sont interrompus en 1956 par la guerre d’Algérie et le rappel militaire qui fera de lui un fusilier marin de 3e classe, sans spécialité [15], au plus bas rang de l’armée, car il est pris pour un analphabète, faute de diplôme, ses études secondaires ayant été perturbées par la guerre de 1940.

Cette expérience le plonge parmi des Français issus d’un milieu fort différent du sien mais avec lesquels il a su vivre un compagnonnage fraternel. En revanche, les horreurs de la guerre le marquent profondément. Devant la violence, la souffrance, l’indicible, la non-communication, grandit en lui l’aspiration à se démontrer d’abord à lui-même, puis à transmettre à d’autres, que la communication est possible au-delà des différences culturelles. Son aspiration se renforce encore lorsqu’en 1957, membre de la première équipe d’enseignants jésuites au Collège Libermann à Douala, il se rend compte qu’il ne comprend pas ses élèves. Ils lui semblent être dans un autre monde qui n’a rien à voir ni avec la culture française, ni avec le christianisme même si la population est à majorité chrétienne et qu’elle utilise le français couramment. Il commente : « Sans doute blessé par mon aventure en Algérie, j’ai très vite souffert de la distance qu’il y avait entre les élèves de sixième, que l’on me confiait, et ma personne. » [16]

Il arpente alors le Cameroun, pendant ses vacances, et en découvre des coutumes et traditions encore bien vivantes : « Il existe dans ce pays que j’ai eu déjà le temps d’aimer, un champ d’une richesse culturelle dont nous ne soupçonnions pas l’étendue » [17], ni lui ni ses collègues ni les missionnaires chrétiens qui l’avaient précédé. Il décide d’apprendre au moins une des langues du Cameroun mais il lui faudra attendre pour réaliser ce projet, très important pour lui. Il lui faut d’abord achever ses études de théologie en France et, à son retour, enseigner de nouveau au Collège Libermann avant de devenir aumônier de l’Université de Yaoundé. Là, des tensions politiques dans les milieux étudiants font de lui une persona non grata. Retour en France, où il prend une année sabbatique pour s’interroger profondément sur le sens d’une présence de prêtre au Cameroun : mission [42] terminée ? Il s’en ouvre à son entourage, publie à ce sujet [18]. Il aboutira à une décision de nouveau départ, après s’en être fixé les conditions dans un esprit qu’il veut fort différent de celui du missionnaire du temps colonial et qui est en consonance avec la réflexion de l’Église en ce temps. Conscient de la « dépersonnalisation provoquée par une course inconsidérée mais inéluctable vers le développement », il évoque en particulier « la dévaluation du langage, qui est peut-être une des plus tristes conséquences, quand on sait combien précise et efficace était la parole dans la société traditionnelle ». Et ce soupir : « On n’en finirait pas d’établir la liste des catastrophes causées par cette rencontre violente des cultures. »

Éric de Rosny, deux professeurs et leur classe de seconde
au collège Libermann, en 1973
. © Photo P. Crouigneau.

Manga Bekombo note : « En 1974, Éric de Rosny signe un petit livre dans lequel il annonce sa découverte de cet univers caché de la réalité´ que les Dwálá nomment ndimsi (Rosny 1974) [19]. Dès lors, se dessine le projet qu’il développera au travers des ouvrages postérieurs […]. Un projet ambitieux et difficile à conduire, qui consiste à pénétrer ce monde des [43] ténèbres, à l’explorer, à en comprendre l’organisation et le fonctionnement et, finalement, à s’y inscrire en tant qu’acteur. » [20]

Avec l’accord de ses supérieurs religieux, il retourne donc à Douala et, grâce à des parents d’élèves qui comprennent son projet, s’installe au cœur d’un quartier populaire et commence à y apprendre la langue. Il y entrera en contact avec les Nganga, les « Maîtres de la nuit ». Il en deviendra un ami. Il assiste à d’innombrables traitements nocturnes mais intervient parfois aussi pour les tirer des griffes de la Justice ou pour faire lever les interdits de l’Église qui défend à ses membres de les côtoyer (alors même que de nombreux nganga sont chrétiens). Éric de Rosny a l’intuition que ces devins-guérisseurs-juges jouent un rôle essentiel dans l’équilibre de leurs communautés, notamment en termes de prévention de la violence. Mais cette activité leur vaut, en langue française, le nom de « sorciers » (alors qu’à proprement parler ce sont plutôt des anti-sorciers) ; ils sont confondus avec les charlatans qui s’improvisent devins ou magiciens, et font l’objet de répressions. Un jour même, Éric de Rosny doit s’engager avec force pour faire sortir son ami Din de prison. C’est probablement en écho à cet acte de courage que le nganga Din décidera, peu avant de mourir, d’initier Éric de Rosny pour lui transmettre son art et ses secrets, ayant reconnu en ce Blanc un très fidèle allié. Plus tard, lorsque l’âge s’y prêtera, les Vieux-Sages (ou Hommes-Souches) lui feront un honneur et une confiance analogues, en l’élisant membre à part entière de leur confrérie des Patriarches du Ngondo, les Beyoum ba bato, lui conférant ainsi un titre dont il sera particulièrement heureux. Plus qu’une reconnaissance, c’est une forme de consécration.

Ces années à Douala furent aussi celles de sa passion pour la botanique et la pharmacopée traditionnelle, en collaboration avec les nganga qui font grand usage des plantes. Il est membre du groupe interdisciplinaire du Male ma makom, initié par des pasteurs [21]. Éric de Rosny y comprend que les plantes ne sont pas seulement des éléments organiques avec des propriétés thérapeutiques (ou empoisonnantes) mais aussi des éléments symboliques importants, très présents dans les rites et les croyances.

[44]

Éric de Rosny se rendant à la fête du Ngondo en compagnie des Patriarches.

Éric de Rosny en compagnie des Patriarches à la fêtes du Ngondo.


[45]

Les Patriarches à la fête du Ngondo en 2010.

Les Patriarches à la fête du Ngondo en 2010.

[46]

Les Cahiers du Male ma makom.

Cette étape se referme lorsque de nouvelles responsabilités sont confiées à Éric de Rosny : il part à Abidjan en 1975 pour y diriger, jusqu’en 1982, l’Institut africain pour le développement économique et social (INADES). C’est un tout autre type de défi, tant intellectuel que social. Il ne s’agit plus de comprendre, au jour le jour, la vie d’un quartier, mais d’examiner les transformations de la société, dans différents pays africains, dans une perspective plus systémique.

Puis ce seront d’autres responsabilités encore qui lui font quitter la Côte d’Ivoire et devenir assistant puis provincial des jésuites de l’Afrique de l’ouest (1982-1990). Il voyage alors beaucoup dans cette région, d’un pays à l’autre, en contact avec des communautés diverses, réfléchissant aux enjeux communs du développement, du choc des cultures, de l’évolution des traditions et aussi aux expériences des prêtres dans ce contexte. C’est aussi l’époque où il est très présent sur les ondes de Radio Douala, y assumant régulièrement des émissions religieuses (dix-huit, semble-t-il). Il [47] reparlera plus tard de cette période en la qualifiant de « très fatigante » mais en reconnaissant l’intérêt de tous ces contacts.

Les visites au Centre spirituel de Bonamoussadi, à Douala en 1992.

Il est sans doute heureux qu’elle s’achève lorsque, à Douala, il devient directeur du Centre spirituel de Bonamoussadi. C’est un cadre confortable pour y recevoir la foule des personnes qui souhaitent le rencontrer, en tant que prêtre, pour lui confier leurs problèmes familiaux, de vie ou de santé. Ces personnes savent qu’il est initié aux Traditions et lui parlent avec grande confiance sachant qu’il peut comprendre leurs songes et leurs angoisses. Elles apprécient le respect de leur sensibilité culturelle dont il fait preuve et dont il connaît les racines souvent mieux qu’elles-mêmes. Elles lui sont reconnaissantes de déchiffrer des symptômes qui échappent à la médecine et à la psychiatrie dites « des hôpitaux ». De ces dialogues avec des centaines et des centaines de personnes venues le consulter, généralement à plusieurs, naîtront une série d’articles. Ils portent sur les interrogations existentielles, les aspirations profondes et les tensions qui naissent au cœur de l’explosion urbaine de ce grand port de Douala. L’emploi, l’argent, les chantages de la sorcellerie, les aspirations des jeunes à la migration, les problèmes de famille sont des thèmes récurrents. Plus que tout, s’exprime à ses yeux, qui en sont toujours surpris, ce [48] qu’il appellera (avec un brin d’ironie qu’il invite chacun à s’appliquer à soi-même) cette « soif inextinguible de guérison ».

Cette soif qui semble grandissante – et que Éric de Rosny attribue aux tensions et aux contradictions vécues au quotidien dans une ville qui voit arriver des campagnes des flots de jeunes et de multiples autres transformations à une vitesse accélérée – se manifeste non seulement auprès de lui mais aussi au sein de célébrations populaires charismatiques, et auprès de guérisseurs parmi lesquels se faufilent de plus en plus de charlatans. C’est aussi une période d’effervescence pour de nouvelles associations religieuses, d’origine locale ou étrangère, très spontanées ou plus structurées. Éric de Rosny mènera une vaste enquête à leur propos, les décrivant une à une (il en a établi une sorte d’« herbier » [22]), en cherchant à comprendre à quels besoins elles tentent de répondre et comment.

Les audiences d’Éric de Rosny – ceux qui l’écoutent, ceux qui le lisent ou l’interpellent, le consultent, le mandatent, sans compter ceux qui lui demandent d’intervenir – sont extrêmement diverses. Cela se perçoit aussi dans ses textes, si l’on prête attention à leur lieu de publication. Anthropologue du présent, intéressé par une réelle prise en compte du passé, préoccupé de l’avenir, il est invité dans des auditoires et congrès en Afrique et en Europe voire plus loin encore : universités, organisations professionnelles, hôpitaux ministères, commissions ecclésiales, etc. Ce qu’il dit aux politiques (et en particulier à ses anciens élèves dans ces fonctions), on ne le sait pas car ses rencontres avec eux sont discrètes et personnelles. On peut imaginer qu’il les invite à rester en contact autant avec leurs « intuitions » culturelles traditionnelles qu’avec les défis incontournables d’une société en pleine transformation. Sans doute leur rappelle-t-il ce que les nganga lui ont clairement signifié : la connaissance est un pouvoir, et ce pouvoir est une responsabilité. Aux scientifiques, il précise toujours d’emblée qu’il est prêtre et que c’est à travers cette position (parfois obstacle, parfois levier mais toujours filtre) qu’il accède aux « terrains » dont il parle. Aux paroissiens, religieux et autres milieux d’Église (de toutes confessions), il explique toujours qu’il veut leur partager les compréhensions anthropologiques qu’il a été amené à développer. Il sait très bien que son attitude d’acceptation (et non pas d’adhésion – il le précise régulièrement, mais c’est une « nuance » que tous ne comprennent pas), de respect profond à l’égard de certaines représentations du monde et des pratiques qui vont avec, est souvent choquante pour qui l’écoute. [49] Cela ne l’empêche pas de franchir des barrières idéologiques et d’oser des rencontres « improbables » dans toutes les couches de la société. Il prend comme par la main ses auditoires, avec une infinie courtoisie, et les conduit pas à pas dans l’aventure d’une découverte de sens là où on ne l’imaginait pas. Impossible de ne pas tomber sous le charme du conteur. Impossible aussi, en suivant l’auteur, d’éviter de revenir du parcours complètement étourdi, après avoir dû opérer de multiples « culbutes » dans la manière de percevoir le monde et d’y donner sens. Et ceci semble être vrai pour tous, Africains et Occidentaux, tant les a priori philosophiques « gréco-romains » sont devenus des implicites globalisés, présents partout, du moins à la surface des discours. Ils restent impensés même lorsqu’ils sont en pleine contradiction avec les implicites culturels.

Télévisions et radios aiment interviewer Éric de Rosny car il sait s’exprimer en termes simples pour partager les intrigues qui l’ont passionné (p. 1243). Mais sa soif intellectuelle le pousse aussi à multiplier les rencontres avec des cercles savants, dans différents pays, et à produire des textes plus académiques. Il évoque de temps en temps, avec tristesse, le décès de son camarade de séminaire, Michel de Certeau, qui mit fin brusquement à leur projet d’ouvrage commun.

Ainsi en vient-il à prendre plus de responsabilités dans le monde académique. Il enseigne, dès 2003, l’anthropologie de la santé à l’Université catholique d’Afrique centrale (UCAC) à Yaoundé. Il y organise notamment un grand congrès international où se rencontrent anthropologues, spécialistes des religions et nganga sur le thème de la sorcellerie dont naîtra un ouvrage important « Justice et sorcellerie » [23]. Cet événement révèle notamment l’énorme travail auquel il a participé, au Cameroun et dans d’autres pays africains, pour repenser la législation dans ce domaine. Il prend place au sein d’une série d’initiatives pour mettre en contact les tradipraticiens avec des juristes, médecins et autres spécialistes, et faire avancer les possibilités d’écoute mutuelle et de collaboration.

Il prend aussi le relais de ses confrères enseignants du Collège Libermann, l’Abbé Endènè et le Père François de Gastines, qui avaient été les chevilles ouvrières pour un travail de collecte de textes de l’oralité sawa-douala. « La publication et diffusion de la version dite “Libermann” ou “Tiki’a Koulè” de l’épopée sawa-duala de Jèki la Njambé’a Inono est en grande partie [50] leur œuvre. C’est la version la plus aboutie de ce patrimoine du savoir oral sawa-douala », nous dit Auguste L. Mbondé Mouangué [24] qui, lui-même, a travaillé ce corpus avec François de Gastines. Mais, peu avant sa mort, ce dernier lui recommande de poursuivre avec Éric de Rosny qui présidera sa thèse de doctorat [25], et en encouragera d’autres à consigner ces œuvres.

Éric de Rosny est encore plongé dans ces activités, continuant à écrire, à assumer des responsabilités religieuses, notamment comme assistant national des « Communautés de vie chrétienne » (CVX), à voyager en Afrique et en Europe, lorsqu’il décède près de Lyon, se remettant mal des suites d’une grosse opération. Il s’y était préparé et ses deux familles, celle d’origine en France, celle qui l’avait adopté au Cameroun, le savaient. Il rêvait de pouvoir terminer l’itinéraire en Afrique.

Éric de Rosny en discussion avec H. Ekwala Malobe, tradithérapeute, lors du colloque
« Le pluralisme médical en Afrique » à Yaoundé en 2010
. © photo Jacqueline Faure.

[51]

Auguste Mbonde Mouangue lors de sa soutenance de thèse face au Pr Jacques Chevrier
(à gauche), à Éric de Rosny et au Pr Lilyan Kesteloot (à droite)
.

Éric de Rosny, L. Kasteloot, J. Chevrier et P. Stuart
après la soutenance de thèse d’Auguste Mbonde Mouangue
.

[52]

Éric de Rosny en discussion à la communauté Robert Bellarmin de Yaoundé.
© photo Jean Benoist.


Contribution aux sciences sociales

Éric de Rosny tient à ce qu’il soit toujours rappelé qu’il est d’abord jésuite avant d’être anthropologue. Nous espérons avoir respecté ce vœu dans les lignes qui précèdent. Mais il est clair aussi qu’il a été reçu par ses lecteurs comme écrivain et comme chercheur en sciences sociales – et, pour certains, avant tout à ce titre. Probablement que cette réception est rendue possible par le fait que l’auteur situe toujours sa foi, ses choix, ses convictions comme faisant partie du paysage qu’il décrit, comme des ressources de son action, mais jamais il ne présente un dessein de persuasion : le lecteur n’est pas invité à adhérer à son point de vue ou à ses choix de vie.

Sa méthodologie est celle de l’observation participante. Il ne veut pas se mettre en surplomb sur le « balcon du monde » et ne pense pas qu’il est possible d’être « neutre », « objectif » et « hors de la mêlée ». Il est conscient qu’il en est nécessairement acteur. C’est pourquoi il cultive avec [53] une grande systématicité tant le doute que la réflexivité. Il en résulte que tous ses écrits ont une dimension en partie autobiographique, dans un souci d’éthique du dialogue [26], pour marquer son respect tant pour le lecteur que pour les personnes dont il parle.

Il dit souvent à ses étudiants qu’il conçoit l’anthropologie comme « une science qui cherche à montrer la logique du comportement des gens » et probablement que témoigner de cette rationalité est un de ses objectifs prioritaires. Il veut décrire et percer l’intelligibilité des événements qu’il observe. Il sait que, tout comme lui-même, les parties prenantes n’ont souvent pas un accès direct à ces significations. Elles ont été transformées, parfois déracinées, par les grands bouleversements sociaux (traite d’esclaves, colonisation, christianisation, industrialisation, migrations rurales, expansion des villes, etc.). Il refuse toute catégorisation exotisante : les pratiques qu’il décrit ne sont dès lors ni mystérieuses ni secrètes. Elles se donnent à comprendre à qui veut bien les accueillir dans un respect ouvert et profond, à la recherche du contact avec la commune humanité. Cette pratique de l’« hospitalité spirituelle » (pour reprendre ses termes) n’est en rien de la violente « charité » psychologique. Son observation participante, sachant qu’elle ne peut pas être neutre, est résolument engagée. Et elle a eu son prix de tensions en retour, bien sûr, tant sur le terrain que dans les milieux professionnels et scientifiques, tensions qui émanaient surtout de personnes qui se réclamaient d’un souci d’« objectivité neutre » mais qui n’était neutre et objective que du point de vue de leur propre perspective.

Éric de Rosny, à la suite de Bachelard, aime parler d’« objectivité approchée », d’« objectivité balbutiante ». Il en connaît les limites. Il s’inscrit dans ce mouvement profond au sein des sciences sociales qui, au cours des dernières décennies, a renouvelé le regard sur les implicites des paradigmes dominants, et par là même ouvert la porte à d’autres compréhensions, d’autres rapports entre les groupes et les cultures, et d’autres possibilités d’action. L’important n’est ni l’ancrage ni les choix personnels mais la méthode. C’est par l’explicitation des choix, et la conscience que ces derniers sont mis en œuvre dans un contexte précis qui a son histoire propre et ses enjeux, qu’une objectivité peut être approchée. Elle permet alors la multiplicité de points de vue requise pour que des scientifiques qui collaborent puissent déchiffrer quelque chose de la complexité de la réalité. Le sociologue [54] Gilles Séraphin, inspiré par ses échanges avec Éric de Rosny, parlera de « regard situant » [27]. Ellen Hertz décrit ainsi, dans l’introduction de son Cours général d’anthropologie [28], cette approche en anthropologie que l’on peut aujourd’hui considérer comme pleinement reconnue et institutionnalisée : « Guidé par les impératifs de réflexivité et de contextualisation qui caractérisent la pratique contemporaine de la discipline, l’anthropologue-écrivain est conscient que tout acte d’écriture implique un choix : choix dans la manière de décrire une situation donnée, choix dans les éléments du “contexte” (une autre construction !) qui seront fournis aux lecteurs, choix dans les thématiques ou les questions soulevées, enfin, choix dans la construction du récit ethnographique (par où commencer ? comment créer du “suspense” pour garder l’attention du lecteur et produire l’effet de décentrement propre au regard anthropologique ?). L’impératif holistique, lui aussi, a subi une importante re-conceptualisation : plutôt que de rendre compte d’une totalité fantasmée, l’anthropologue veillera à tisser des liens entre des phénomènes particuliers qui sont l’objet d’une analyse détaillée, et des éléments de la situation particulière dans laquelle ce phénomène a lieu. […] En somme, l’écriture anthropologique est le reflet de son contexte sociohistorique de production ; si aujourd’hui, elle prend toutes sortes de formes, dont la monographie n’est qu’une expression, c’est en réponse aux multiples usages qui sont faits de la discipline elle-même. […] Par ailleurs, on observe une diversification des démarches utilisées pour restituer les connaissances anthropologiques à des publics divers : films ethnographiques, installations muséales et/ou artistiques, photographies, posters, performances théâtrales, sites internet… Toute cette production fait partie du “rendu” anthropologique contemporain. »

Une des étapes importantes pour l’identité d’anthropologue de notre auteur est l’accueil par Jean Malaurie de son livre Les yeux de ma chèvre [29] dans la très prestigieuse collection « Terre humaine » que ce dernier avait fondée et dirigeait [30]. L’ouvrage connaît de multiples rééditions. Il est [55] traduit en anglais [31], en allemand [32] et en tchèque [33]. En 1993, l’Académie française décerne le Prix Castex [34] à L’Afrique des guérisons qui connaîtra une traduction en allemand [35]. Peu de temps avant de décéder, Éric nous évoquait des projets de publication en Asie mais nous n’avons pas de signe qu’ils aient abouti. Il conte aussi, dans deux livres [36], sous la forme de brefs récits souvent drôles, ses mésaventures d’étranger qui sont autant de tableaux cocasses de situations de malentendus. Ces ouvrages-là semble être passés relativement inaperçus. Certes, ils ressemblent plutôt à des recueils de nouvelles et ils ne font pas référence aux débats universitaires, mais leur lecture est savoureuse.

Partout ailleurs dans ses écrits, il est clair qu’Éric de Rosny cherche à contribuer aux réflexions en cours en sciences sociales. Colin [37] rappelle que, « devenu anthropologue au fil de la route, il comptait parmi les membres les plus anciens de la Société des Africanistes ». Mais à Douala, même s’il reste en étroit contact avec ses collègues ethnologues et sociologues d’Afrique de l’ouest, il est éloigné géographiquement des grands centres de la recherche anthropologique. Il s’efforce malgré tout d’entretenir des contacts réguliers avec des chercheurs internationaux de son domaine d’étude, accepte des invitations scientifiques, contribue à des congrès et à leurs publications, et suit de près les publications en langue française, rédigeant très régulièrement des comptes rendus critiques des livres savants qu’il se fait envoyer.

[56]

Débats et regards de spécialistes

Les débats auxquels Éric de Rosny a contribué sont encore bien vivants. Plutôt que de nous lancer dans l’exercice périlleux de tenter une synthèse des apports de notre auteur qui risquerait d’être bien trop statique et hors contexte, en tant qu’éditeurs, nous avons préféré solliciter d’éminents spécialistes en anthropologie, littérature, médecine, psychiatrie, sociologie, ainsi que d’autres partenaires qu’Éric de Rosny avait longuement côtoyés en Afrique, en Europe et au-delà, pour qu’ils le situent dans ces débats : Roberto Beneduce, Jacques Fédry, Peter Geschiere, Émile Kenmogne, Berthe Lolo, Thomas Théophile Nug Bissohong et Gilles Séraphin ont bien voulu répondre à notre appel. Leurs contributions que le lecteur trouvera dans la partie suivante de l’ouvrage intitulée « Regards » (p. 63), forment une fresque multidimensionnelle. Nous leur sommes très reconnaissants pour ces textes qui portent chacun un regard différent sur le parcours et les contributions d’Éric, sans en cacher ni les paradoxes ni les originalités parfois surprenantes, et encore moins les risques. Les questions débattues sous l’angle de différentes disciplines, tant du point de vue théorique que méthodologique, révèlent l’actualité de cette œuvre et confèrent d’autant plus de relief aux textes que le lecteur découvrira dans ces trois volumes de Cultures et Guérisons.

Choix éditoriaux

Éric de Rosny avait déjà établi un premier recueil partiel de ses articles avec le concours des Presses de l’UCAC [38]. Il leur a demandé de nous permettre d’en acquérir les droits, ce qu’elles ont aimablement fait, pour nous faciliter le travail de constitution d’un ensemble complet de ses contributions dispersées [39]. Il souhaitait aussi que la préface rédigée par le Prince René Douala Manga-Bell pour cette publication aux Presses de l’UCAC, figurât dans le présent recueil (p. 17).

Il lui semblait, comme à nous, que l’ordre à adopter pour présenter ses écrits devait être chronologique. Il est ainsi possible de considérer [57] que l’ensemble de ses écrits forment un journal qui permet de suivre ses pas et le rythme de son cheminement. On y voit émerger les thèmes de ses observations et les problématiques rencontrées. Le lecteur attentif y discernera des « périodes » dans ses préoccupations et les raisons de ses efforts pour approfondir certaines questions, contribuer à des débats en cours. C’est donc ainsi qu’est construit ce recueil.

Lorsqu’Éric de Rosny travaille un thème, il écrit plusieurs fois à son propos, s’adresse tour à tour à des auditoires différents, puis travaille à nouveau la question en fonction des réactions reçues, répond à de nouvelles invitations de la part de collègues et de revues. Il en résulte qu’il existe parfois plusieurs versions du même propos voire des reprises. Il peut aussi arriver que certaines parties de texte soient intégrées dans d’autres travaux portant sur d’autres thématiques. Le travail d’édition de ces publications est encore compliqué par le fait que certains originaux ont été réédités, sous des titres différents, à plusieurs années d’écart [40], et qu’il existe aussi des textes qui ont des titres fort semblables mais dont les contenus divergent ! Éric de Rosny a tenté de toujours mentionner ces recoupements mais, malgré tout, certains lui ont échappé. Il nous a donc fallu beaucoup de temps pour identifier puis nous procurer tous ces textes, et y mettre de l’ordre.

Dès lors, un dilemme s’est posé à nous : privilégier la pertinence chronologique en ne présentant que les travaux originaux ou présenter les textes les plus aboutis, ceux des éditions les plus récentes ? Nous avons finalement opté pour un compromis : présenter les textes dans l’ordre chronologique des premières versions, en y ajoutant éventuellement en note les modifications apportées aux versions suivantes (heureusement peu nombreuses). Ainsi, l’ordre chronologique des questions et des thématiques abordées par Éric de Rosny n’est pas trahi. Lorsqu’un texte connaît une ou plusieurs autres versions, ou lorsque certains passages sont repris d’autres textes, nous le mentionnons en note de bas de page. Dans la majorité des cas, nous avons réussi à obtenir le texte publié mais quelques fois nous n’avons eu en mains qu’un scan imparfait ou la version initiale manuscrite (en fait « tapuscrite ») de l’auteur, trouvée dans les dossiers électroniques qu’il nous a transmis. Malheureusement, malgré nos efforts, certains textes sont restés introuvables mais il nous semble qu’il s’agit d’écrits mineurs. En annexe (p. 1227), le lecteur peut consulter la liste que nous avons tenté d’établir de l’ensemble des publications d’Éric de Rosny et de leurs [58] traductions. Bien sûr, nous n’avons pas placé dans le présent recueil les versions parallèles ni ne l’avons encombré de textes mineurs. Parfois, lorsque plusieurs articles traitent de la même question, nous avons hésité à les retenir tous craignant une inutile redondance. Mais nous avons décidé de reprendre dans ce recueil, malgré certaines similarités, toutes les contributions qui apportent des éléments spécifiques que ce soit au niveau des faits, des analyses théoriques ou des conclusions. Ils constituent des éclairages différents de questions complexes aux multiples facettes.

Éric de Rosny se montre très soucieux de « rendre à César ce qui est à César » et, notamment, il indique chaque fois les sources des idées et des informations. Il souhaite aussi, comme nous l’avons déjà évoqué, prendre part aux débats en cours. C’est pourquoi ses textes sont accompagnés de très nombreuses notes. Clairement, Rosny écoute et lit beaucoup. Mais quand il rédige, au fil des jours, il n’a pas toujours de bibliothèque à disposition (et les ressources documentaires en ligne n’existent pas encore sous une forme accessible par lui). Lorsque nous avons tenté de compléter ses notes, nous avons rencontré des difficultés à retrouver certains des travaux auxquels elles renvoient. Il semble qu’il a reconstitué de mémoire des références. Cela a entraîné des erreurs comme, par exemple, pour l’ouvrage, plusieurs fois allégué, de J. Middleton et H. W. Turner, Modern religious movements in Africa, Evanston : Northwestern U.P., 1967, qui ne semble pas exister sous ce titre [41]. Mais une importante bibliographie, compilée, en plusieurs étapes, par Turner et al. porte un nom proche : A Comprehensive Bibliography of Modern African Religious Movement [42]. On imagine mal qu’Éric de Rosny ait pu y avoir régulièrement accès. La tâche d’une révision complète de ses notes et références s’est donc avérée impossible. Le choix suivant s’est imposé : plutôt que de corriger l’imprécis, nous avons préféré conserver la forme originale de toutes ses références. Lorsque, pour plus de clarté, nous avons pris la liberté d’adjoindre nos propres commentaires, ils sont signalés explicitement comme tels.

Les termes en langue douala ont parfois changé d’orthographe depuis la parution des premiers écrits d’Éric de Rosny. Nous les avons en général laissés tels qu’ils figurent dans le texte original. Puis des soulignements [59] ont précisé l’intonation, et nous les avons donc reproduits. Le lecteur verra qu’Éric de Rosny joue souvent subtilement avec l’usage des majuscules pour souligner son propos. Nous avons aussi conservé ses majuscules dans les noms de lieux, d’institutions et les titres officiels.

Les photographies présentes dans les textes originaux ont été réintégrées dans cet ouvrage. Dans certains cas, malheureusement, la qualité des images retrouvées n’était pas suffisante et nous avons donc dû renoncer à les utiliser. Nous avons fait le choix de compléter ces illustrations par des images issues des dossiers personnels qu’Éric de Rosny nous a remis. Plusieurs amis d’Éric, tout comme l’Université de Neuchâtel, nous ont aussi généreusement offert des clichés en leur possession et autorisés à les utiliser. Nous les remercions chaleureusement de nous avoir ainsi permis d’enrichir ces trois volumes par de précieuses images. Nous avons puisé dans ces différentes sources photographiques pour illustrer certains passages. Les noms de leurs auteurs figurent en légende lorsqu’ils nous étaient connus ou qu’il ne s’agissait pas d’Éric de Rosny lui-même.

Remerciements

Éric de Rosny avait tissé un large réseau de collaborations, de solidarités, de sympathies et d’amitiés. Nous nous en sommes largement rendu compte lorsque nous avons cherché de l’aide pour retrouver ses textes ou des photos, confirmer des informations ou étayer nos réflexions. Jamais nous n’aurions pu aboutir dans cette tâche de longue haleine sans les innombrables coups de main offerts par des partenaires que souvent nous ne connaissions même pas. À ces soutiens venus d’Afrique, d’Europe – et de communautés africaines en Europe – se sont ajoutés les encouragements de compagnons de route d’Éric de Rosny. Des membres du personnel administratif et technique (notamment dans les bibliothèques suisses et françaises et au SITEL de l’Université de Neuchâtel) Marie-France Allaz au secrétariat de l’Institut de psychologie et éducation, et Joanna Domingos Carrard nous ont dépannés d’innombrables fois. Nous sommes reconnaissants aussi pour le concours diligent de nombreux étudiants et étudiantes dans le travail de documentation, de réalisation de photocopies, de scannage et de transcription. Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de remercier ici nommément chacun et chacune mais nous espérons que tous trouveront avec bonheur dans cet ouvrage le fruit heureux de leur [60] travail. Nous mentionnerons cependant, pour leur rôle clef, Loïc Chollet, Philippe Hebeisen, Matthieu Lavoyer, Alex Lussignoli, Nadine Monchau, Albert Vidras Fandjio, Jean-François Perret, Antoine Willemin et Adrien Wyssbrod qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour réaliser cet imposant manuscrit de plus de deux millions de signes. Ils ont travaillé dans des conditions souvent matériellement peu confortables mais avec une obstination admirable sans laquelle nous n’aurions pas tenu.

Gilles Séraphin, Jacques Fédry, Jean Benoist, Jacqueline Faure, Berthe Lolo et Auguste L. Mbondé Mouangué comptent parmi les précieuses mémoires du chemin de notre auteur et ont eu la gentillesse de répondre à nos incessants courriels. Nous remercions aussi, pour le soutien reçu, les membres de l’association « Les Amis d’Éric de Rosny » [43], en particulier les membres de son bureau : Dinh Boniface Mandengue, Cyril de Nanteuil et Gilles Séraphin. Cette association n’a pas hésité un instant à nous soutenir quand il s’est révélé nécessaire de créer une entité suisse, l’« Association pour la conservation et la promotion de l’œuvre d’Éric de Rosny », afin que nous puissions trouver des financements auprès d’institutions helvétiques. Ces remerciements sont l’occasion de souligner combien nous avons été heureux des réponses très généreuses à notre appel de la part du Doyen ainsi que de la Commission des publications de la Faculté des lettres et sciences humaines, de l’Institut d’ethnologie, l’Institut d’histoire et de l’Institut de psychologie et éducation de l’Université de Neuchâtel qui nous ont apporté des fonds ; sur le plan régional, la Loterie romande, la Ville du Locle, la Ville de Neuchâtel et la Fondation du Casino de Neuchâtel nous ont témoigné leur confiance en contribuant financièrement. Derrière ces noms d’institutions, il y a des personnes qui ont pris le temps d’étudier le dossier, en ont vu l’intérêt et se sont engagées de différentes manières pour que l’ouvrage puisse être publié. Nous leur en sommes très reconnaissants, comme nous le sommes également à l’égard de la Compagnie de Jésus – Province d’Europe occidentale francophone qui nous a témoigné une profonde confiance et nous a alloué un fond important permettant de mener à terme l’étape finale de ce projet.

L’Association Compáz [44] nous a apporté son soutien logistique et offert la magnifique couverture conçue par Raphaël Pizzera. Nous remercions aussi les photographes et les maisons d’édition qui nous ont accordé les droits de reproduction lorsque ceux-ci n’appartenaient pas déjà [61] à Éric de Rosny. Nous nous excusons cependant auprès de ceux qui se sont avérés inatteignables (entreprises disparues ?) et dont nous avons dû présupposer l’accord. La plupart des photographies ont été prises par Éric de Rosny lui-même ou par ses amis et font partie du fond numérisé qu’il nous a confié. Dans les autres cas, nous avons indiqué l’auteur. Nous espérons que nos efforts nous ont permis de n’oublier personne.

Même si nous ne réussissons pas ici à nommer tous les membres de l’Association suisse pour la promotion de l’œuvre d’Éric de Rosny, ni tous les amis et tous les collègues à l’Université et ailleurs, qui ont contribué par leur soutien à cette aventure, qu’ils sachent combien leurs démarches ont été précieuses et nous ont donné courage dans les moments d’essoufflement. Nous savons que nombre d’entre eux sont prêts à s’engager maintenant pour faire connaître Cultures et Guérisons et concourir ainsi à en poursuivre les débats.

Dans cet esprit, nous sommes particulièrement reconnaissants à Alain Cortat et aux Éditions Alphil non seulement d’avoir accueilli avec bienveillance et compétence cet opus mais aussi de s’être engagés sans réticence à en faire un bel ouvrage sous deux formes : l’une imprimée et l’autre en libre accès en ligne [45]. Ils garantissent ainsi que deux vœux très chers d’Éric de Rosny, lorsqu’il rédigeait ses textes, soient exaucés. L’un était de mettre à portée de chacun et chacune, au Cameroun et en Afrique, des traces de leur précieux héritage. Et l’autre d’enrichir, pour toutes les personnes intéressées, en Afrique et ailleurs, la réflexion sur la santé physique et psychique, la violence, et le dialogue entre les cultures.

« J’ai appris au contact des Camerounais que mon approche restait relative à ma culture première et que tout langage ne valait qu’en référence à la réalité humaine indicible qui lui était sous-jacente. Relativisme ? Mais, peut-on respecter l’autre autrement ? »

Éric de Rosny, 2004

[62]



[1] Rosny, É. de (1981). Les yeux de ma chèvre. Sur les pas des maîtres de la nuit en pays douala (Cameroun). Paris : Plon, Collection Terre Humaine. http://dx.doi.org/doi:10.1522/030617955 .

[2] Lavoyer, M., Morerod, J.-D. (2016). L’œuvre d’Éric de Rosny, une aide pour comprendre la sorcellerie européenne des xve-xviie siècles ? Récit d’une tentative. In G. Séraphin (Ed.), Religion, guérison et forces occultes en Afrique. Le regard du jésuite Éric de Rosny (p. 225-235). Paris : Éditions Karthala et Yaoundé : Presses de l’UCAC.

[3] Perret-Clermont, A.-N. (1992). Des regards multiples sur le mal et la souffrance. In A.-N. Perret-Clermont & M. Grossen (éd.), L’espace thérapeutique. Cadres et contextes (p. 15-28). Neuchâtel & Paris : Delachaux et Niestlé.

Perret-Clermont, A.-N. (2015). The architecture of social relationships and thinking spaces for growth. In C. Psaltis, A. Gillespie, A.-N. Perret-Clermont (eds.), Social Relations in Human and Societal Development (p. 51-70). Basingstokes (Hampshire, UK) : Palgrave Macmillan.

[4] Nous n’avons en principe pas inclus dans ce volume, les transcriptions de conférences, les entretiens, les préfaces et les recensions. Les quelques rares exceptions permettent de rendre présentes des questions non traitées ailleurs ou des approfondissements.

[5] Éric de Rosny est l’auteur de pratiquement toutes les photographies qu’il nous a léguées. Lorsque ce n’était pas le cas, il l’indiquait. Nous avons fait de même pour les quelques nouvelles illustrations que nous avons introduites.

[6] Impossible d’oublier ce retour d’excursion dans la région neuchâteloise, au cours de laquelle nous avions visité des églises protestantes et évoqué des singularités sociales et politique suisses, qui vit notre ami s’écrouler dans un fauteuil en s’exclamant, non sans humour : « Mais que c’est exotique ici ! Pas besoin d’aller aussi loin que l’Afrique… ».

[7] La Suisse a pris des décisions d’avant-garde sur ce plan. Voir par exemple : URL  (consulté le 20.02.2022).

[8] Voir notamment Rosny, É. de (2011). L’Afrique, sur le vif. Récits et péripéties. Paris : L’Harmattan, p. 177 et suivantes.

[9] Rosny, É. de, Séraphin, G. (2007). Quand l’œil écoute (Avec une introduction de Gilles Séraphin). Revue Vie chrétienne, hors-série 531, 7-80. http://dx.doi.org/doi:10.1522/030617319

[10] Pour simplifier la lecture, nous n’utiliserons parfois que le masculin…

[11] Il ne nous semble pas que Bruno Latour et Éric de Rosny se soient rencontrés ou cités (même s’ils sont tous deux venus plusieurs fois à l’Université de Neuchâtel). Il est intéressant de constater combien le concept de « symétrie » qui est central chez l’anthropologue et philosophe Bruno Latour (voir : Petites réflexions sur le culte moderne des dieux faitiches (1996). Plessy-Robinson : Les empêcheurs de penser en rond) l’est aussi, à la même époque, chez Éric de Rosny : un même souci de respect, de compréhension, de non-réduction de la complexité du monde aux catégories de nos rationalités « modernes », de prise en compte des humains mais sans les isoler des innombrables « non-humains » avec lesquels ils interagissent. Au-delà d’un « souci », il s’agit en fait, dans les deux cas, d’une véritable exigence épistémologique et éthique.

[12] La recherche en psychologie a montré que la capacité d’opérer une décentration n’est pas donnée a priori mais se construit au cours du développement de la personne : « Children as young as 2.5 years have been found to pass the “explicit” false belief task as long as they do not currently have a belief that conflicts with the protagonist in the story […] Some have argued that it is the ability to suppress our own beliefs when considering someone else’s that develops at the later age […] explaining the difference in performance between age groups. But notice that, as adults, we do not need to suppress our own beliefs in order to represent disagreement with another. In mature mind-reading, we don’t forget about or suppress what we believe ourselves – rather, we are fully aware of what we believe ourselves, while understanding that someone else might not agree with us. It seems more convincing to us, then, to suppose that what develops at the later age is not the ability to suppress our beliefs, but rather the ability to think through conflicts in belief. As we have proposed, this is made easier when we understand that different people can take different attitudes to one and the same claim – that the very thing I think is true, Sally might think is false, and vice versa » (O’Madagain, C., Tomasello, M. (2019). Joint attention to mental content and the social origin of reasoning. Synthese, 1-22. doi : https ://doi. org/10.1007/s11229-019-02327-1).

[13] Ignace de Loyola. Exercices spirituels. Texte définitif (1548). Traduit et commenté par Jean-Claude Guy (1982). Paris : Éditions du Seuil. (No 106, p. 85).

[14] Rosny, É. de (2011). L’Afrique, sur le vif. Récits et péripéties. Paris : L’Harmattan.

[15] Rosny, É. de (2011). L’Afrique, sur le vif…, p. 161.

[16] Rosny, É. de (2007) Marcher le long du fleuve. Une rencontre avec Éric de Rosny. Interviewer : F. Damour. Nunc, revue vagabonde, Éditions de Corlevour, 8-14, p. 13 (voir p. 1015 de cet ouvrage).

[17] Rosny, É. de, Séraphin, G. (2007). Quand l’œil écoute. (Avec une introduction de Gilles Séraphin). Revue Vie chrétienne, hors-série 531, 7-80 (voir p. 1031 de cet ouvrage). http://dx.doi.org/doi:10.1522/030617319

[18] Rosny, É. de (1970). Mission terminée ? Études, 332(5), 737-747 (Voir p. 127 de cet ouvrage).

[19] Rosny, É. de (1974). Ndimsi, ceux qui soignent dans la nuit. Yaoundé : CLE. http://dx.doi.org/doi:10.1522/030617994

[20] Bekombo, M. (1997). La difficulté d’être autre, à travers la curieuse aventure d’Éric de Rosny. À propos de : Éric de Rosny - La nuit, les yeux ouverts (récit). Paris, Le Seuil, 1996. Compte rendu. Psychopathologie africaine, XXVIII(2), 271-275.

[21] Éric de Rosny raconte comment avec une équipe « dont un vieux pasteur qui soigne les enfants depuis 1935, nous avons rassemblé 450 plantes médicinales différentes. Nous avons réussi à trouver 16 cahiers de nganga écrits en langue douala ; nous avons traduit et collecté ainsi 2 500 recettes » (Hébrard, M. (1996). Entretien avec Éric de Rosny. Le jésuite aux « yeux ouverts ». In M. Hébrard (éd.), La foi qui guérit : quinze témoins racontent (p. 175-185). Paris : Desclée de Brouwer).

[22] Voir p. 811 de cet ouvrage.

[23] Rosny, É. de (Éd.) (2006). Justice et Sorcellerie. Paris, Yaoundé : Édition Karthala, Presses de l’UCAC. http://dx.doi.org/doi:10.1522/030617938

[24] Communication personnelle.

[25] Mbondé Mouangué, Auguste L. (2005) Pouvoirs et conflit dans Jèki la Njambé : une épopée camerounaise. Paris : L’Harmattan.

[26] Pour situer cette posture dans une discussion plus large de l’éthique du dialogue et de la responsabilité épistémique, on peut utilement consulter : Marková, I. (2016). The dialogical mind. Common sense and ethics. Cambridge : Cambridge University Press.

[27] Séraphin, G. (2012). Le regard situant. L’exemple de la politique familiale dans la France contemporaine. (Thèse pour l’habilitation à diriger des recherches). Université Paris-Descartes.

[28] Hertz, Ellen (2013). La monographie. Système E-Learning inductif (SELIN) pour les sciences de l’observation (leçons : « Le Match au Loto / Le Skate »). Université de Neuchâtel, accessible à https://selin.unine.ch avec permission de l’auteure (consulté le 11.05.2021).

[29] Rosny, É. de (1981). Les yeux de ma chèvre. Sur les pas des maîtres de la nuit en pays douala (Cameroun). Paris : Plon.
http://dx.doi.org/doi:10.1522/030614503

[30] « Terre humaine a toujours eu pour vocation de donner la parole à ceux qui vivent le monde, pas à ceux qui l’observent, le théorisent ou le commentent, reconnaît l’écrivain [Jean Malaurie], à qui Télérama donne la parole dans son dernier numéro. Rien à voir avec des journaux de voyage, mais les témoignages et les interrogations d’hommes et de femmes qui se penchent sur leur vie ou sur une expérience marquante. » Le Figaro, 30 juillet 2020, URL (consulté le 10.05.2021).

[31] Rosny, É. de (1985). Healers in the night. New York : Orbis book (épuisé : 2e édition, 2004 : Wipf and Stock, Eugene, Oregon).

[32] Rosny, É. de (1999). Die Augen meiner Ziege. Wuppertal : Peter Hammer Verlag.

[33] Rosny, É. de (2002). Vladcové noci. Praha : Argo (Collection Capricorn).

[34] Rosny, É. de (1992). L’Afrique des guérisons. Paris : Éditions Karthala. https://www.academie-francaise.fr/prix-louis-castex (consulté le 10 avril 2021).

[35] Rosny, É. de (1994). Heilkunst in Africa. Wuppertal : Peter Hammer, Verlag (épuisé : 2e édition, 2002, Zurich : Unionsverlag).

[36] Rosny, É. de (2002). Ici ou là en Afrique, récits et péripéties. Paris : L’Harmattan ; Rosny, É. de (2011). http://dx.doi.org/doi:10.1522/030618964

L’Afrique, sur le vif. Récits et péripéties. Paris : L’Harmattan.

[37] Colin, R. (2012). In Memoriam : Le Père Éric de Rosny a quitté ce monde. Journal des Africanistes, 82(1/2), 349.

[38] Rosny, É. de (2011). Le pays sawa, ma passion. Une sélection d’articles sur l’art de vivre à Douala. Yaoundé (Cameroun) : Presses de l’UCAC (Université catholique de l’Afrique de l’ouest).

[39] Mais pratiquement, dans la plupart des cas, nous sommes remontés aux textes d’origine et donc sans reprendre ici la version de ce recueil. Nous en avons par contre conservé les photographies.

[40] C’est le cas notamment pour quelques (passages de) textes qu’il a repris dans ses livres.

[41] Vérification faite par Robert E. Lerner (North Western University) que nous remercions.

[42] Mitchell, Robert C., Turner, H. W. (compilers). A Comprehensive Bibliography of Modern African Religious Movement (Northwestern University Press, 2nd edition, 1968), puis Turner, H. W. (1970). Bibliography of Modern African Religious Movements. Journal of Religion in Africa, 3/3, 161-205, dans laquelle Turner écrit : « This is the second of the continuing series of supplements to A Comprehensive Bibliography of Modern African Religious Movement ».

[43] https://sites.google.com/site/aericderosny/ (consulté le 06.02.2022).

[44] https://compaz.art/fr/a-propos (consulté le 06.02. 2022).

[45] URL. Les Éditions Alphil.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 11 avril 2023 19:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref