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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Normand ROY, “Le Front commun pour un débat public sur l’énergie.” Un article publié dans la revue Interventions économiques pour une alternative sociale, no 7, printemps-été 1981, pp. 53-58. Numéro intitulé : Environnement. Énergie, robots, logement. Montréal : 1981, 248 pp. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[53]

Interventions économiques
pour une alternative sociale

No 7
DOSSIER : ENVIRONNEMENT

Le Front Commun
pour un débat public sur l’énergie
.”

Normand ROY

La ‘crise énergétique’ qui s’est abattue sur l’horizon prospère de l’expansion capitaliste d’après-guerre et qui a contribué à faire des années soixante-dix une période de difficultés et d’incertitudes économiques sérieuses à l’échelle du globe a aussi généré sa part de prophètes, de futurologues, d’experts, de commentateurs, de politiciens et d’entrepreneurs de tout acabit. De cette cacophonie d’analyses, d’opinions, de jugements, de plans et de politiques salvatrices, il est bien malaisé de tirer une compréhension quelconque de la situation énergétique actuelle, des options qui se présentent et des intérêts qui sont engagés dans cette gigantesque bataille de l’énergie qui domine l’actualité économique et politique au Québec, au Canada et dans le monde.

C’est dans le but d’y voir plus clair dans ce ténébreux dossier de l’énergie et de placer le débat à son véritable niveau, qui est politique, que 80 organismes populaires québécois ont constitué il y a deux ans le Front Commun Pour Un Débat Public Sur L’Energie. La liste des groupes participants inclut des mouvements écologiques, des associations de consommateurs, des biologistes, des organismes communautaires du Québec tout entier, des groupes d’éducation populaire, des radios et revues communautaires [54] et bien d’autres regroupements de citoyens de divers milieux et de préoccupations multiples. Tous ont cependant reconnu la pertinence de la question énergétique dans leurs luttes et leurs aspirations sociales, d’où la mise sur pied du Front Commun.

Au mois de mai 1979, L’Environnement, le journal de la Société pour Vaincre la Pollution (SVP), expliquait les raisons qui militaient en faveur de l’ouverture d’un vaste débat public sur cette question. On connaît le caractère absolument vital de la disponibilité d’énergie dans la production et la consommation des moyens matériels de l’existence humaine, que ce soit dans l’agriculture, le transport, le chauffage ou la transformation industrielle des matières premières. La question énergétique est donc une question stratégique de toute première importance, qui concerne et touche tout le monde, tous les jours. Cette constatation sur la nécessité de l’énergie est sans cloute nécessaire mais elle tend aussi à occulter l’existence de choix et d’alternatives à la conjoncture actuelle qui ne sont pas seulement ni même essentiellement des questions techniques à laisser à la compétence des technocrates de l’État et des marchands d’hydrocarbures, de kilowatts, de technologie nucléaire ou même d’énergies douces.

La production d'énergie comporte des conséquences sociales, écologiques et économiques considérables si bien que même si l’indépendance énergétique est un but intéressant en soi il faut d'abord établir quels sont nos besoins qualitativement (électricité, chaleur à basse température, chaleur à haute température, combustibles liquides) et quantitativement. Il faut ensuite déterminer parmi les avenues possibles, nos grandes orientations énergétiques dont dépendent les politiques énergétiques.

“Ces décisions de production d’énergie ont des effets très importants sur le prix que nous devons payer pour notre énergie, sur la création d’emplois dans ce secteur, sur l’endettement public que nous devons supporter, sur l’ensemble de l’économie (effet d’entraînement ou de blocage), sur notre environnement et par conséquence sur notre santé, sur le type de société que nous désirons avoir.” [1]

Cette dernière dimension de la question énergétique semble particulièrement importante à saisir. Les enjeux énergétiques ne se distinguent pas fondamentalement des enjeux sociaux plus larges. Par exemple, le renforcement de l’exercice répressif du pouvoir policier devient un impératif de survie dans une société où prédomine l’énergie nucléaire. On pourrait dire, pour paraphraser Marx, que l’énergie nucléaire nous donne l’État policier aussi sûrement que la grande industrie nous donne le capitalisme. Or, le manque d’information ou son caractère biaisé empêche à toute fin pratique la connaissance par le public des [55] données du problème énergétique et, conséquemment, la formulation de propositions alternatives crédibles et étayées aux scénarios conçus dans le but de rentabiliser du capital en quête de profits substantiels.

La démarche du Front Commun l’a amené à la préparation d'une semaine sur l’énergie qui a eu lieu à l’UQAM, du 16 au 22 février 1981. Les organisateurs ont voulu faire de cet événement un lieu de diffusion d’information, d’expression de points de vue issus du grand public et un endroit de discussion sur les multiples aspects de la question énergétique. La variété des activités et des modes d’intervention prévus (films, kiosques d’information et d’exhibition sur les types d’énergie et sur les techniques connues ou étudiées, conférences, panels-discussions, ateliers) cherchait à susciter l’intérêt du plus grand nombre possible de citoyens afin que ceux-ci découvrent que les décisions doivent être prises collectivement et qu’ils s’engagent eux-mêmes dans ce processus de prise en charge de ces choix.

La semaine sur l’énergie se voulait davantage un commencement qu’un aboutissement. Plutôt que d’élaborer une plate-forme politique ou un cahier de recommandations et de propositions à présenter aux autorités gouvernementales, les participants espéraient que cet événement suscite l’émergence d’un vaste mouvement de revendication pour la mise en place par le gouvernement québécois d’un cadre propice à la tenue d’un vrai débat public, ce qui implique que tous ceux qui veulent intervenir dans ce dossier en aient non seulement l’occasion, mais aussi les moyens. Cette orientation du colloque a eu pour résultat que certains participants, notamment des journalistes, ont été déçus de ne pas assister à l’élaboration d’une stratégie énergétique alternative globale. Cela les a amenés à ignorer, à taire ou à couvrir minimalement l’événement.

Jusqu’à maintenant, le public a surtout été appelé à subir les conséquences de la situation énergétique actuelle (hausses de prix, rationnements, pénuries) ou à appuyer les décisions prises par les gouvernements (programmes énergétiques, mesures d’économie d’énergie). Ces derniers ne lui ont pas permis de participer aux décisions qui le concernent. Tout au plus a-t-on autorisé les citoyens à se présenter devant des commissions parlementaires qui se contentaient d’entendre les points de vue de la population et d’accepter le dépôt de mémoires écrits sans les moyens financiers et techniques nécessaires à la production de points de vue solidement étayés par une recherche et une information substantielles. C’est dans ces conditions particulièrement défavorables et pour tout dire inadmissibles que le public fut invité à se présenter devant la commission parlementaire sur la [56] stratégie d’investissement de l’Hydro-Québec qui siège à Québec à la fin du mois de février 1981, au moment où ces lignes sont écrites. La commission fut convoquée à quelques semaines d’avis par le ministre de l’Energie. À cette occasion, les simples citoyens et les groupes populaires sans ressources, sans expertise et sans information véritable sont appelés à confronter leurs positions à celle de l’Hydro-Québec qui est contenue dans une brochure d’une centaine de pages que la société d’État a mis plusieurs années à rédiger en puisant dans ses immenses ressources financières et humaines. [2] Certes, la montagne a accouché d’une souris. Il reste que la riposte à cette opération de marketing se fera dans un contexte tout bonnement inacceptable. [3]

La stratégie de l’Hydro, implique des investissements massifs de l’ordre de $90 milliards pour les dix prochaines années. Pour nous convaincre du bien-fondé de ses plans, la société d’État nous propose un document délibérément tronqué qui ne peut absolument pas servir de base à une discussion sérieuse sur notre avenir énergétique. Le Front Commun a choisi de refuser de participer à cette parodie de consultation en n’allant pas à Québec. Le Front Commun réclame donc que les conditions objectives, concrètes, d’une authentique intervention collective soient fournies à tous les groupes de citoyens qui ne représentent pas les intérêts des entreprises productrices d’énergie, de technologie énergétique ou des bailleurs de fonds qui disposent de puissants moyens d’expression et de persuasion auprès de la population et des gouvernements. Le Front Commun exige que l’on dépasse la seule possibilité formelle d’un débat et que l’on permette à ceux qui n’en ont pas les moyens pécuniaires (ceux qui n’en profitent pas) de s’opposer à l’argumentation de la nécessité de la construction de toujours plus de barrages, de l’implantation de nouvelles centrales nucléaires ou de scénarios du même acabit, et qu’ils puissent proposer des alternatives globales à la population qui feront contrepoids à cette stratégie de la croissance qu’on nous présente comme souhaitable ou, à défaut, comme inévitable.

Normand Roy

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[57]

Front Commun pour un débat sur l’énergie

C.P. 65, succursale Place d’Armes, Montréal, Québec, H2Y 3E9


[58]




[1] L'Environnement, vol. 6, no 3, mai 1979.

[2] Hydro-Québec Une stratégie pour la décennie 80. Décembre 1980.

[3] Michel Nadeau “Les investissements de l’Hydro-Québec”, in Le Devoir 18 décembre 1980.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 30 mai 2023 15:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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