Ces écrivains qui nous habitent.

Note liminaire

« Il y a du plaisir, ce me semble, à faire vivre en nous ceux qui n'ont vécu que dans l'espoir de se continuer un peu en nos âmes. »

Avec quelle facilité on oublie ceux qui ont vécu de l'opinion ! Leurs écrits s'estompent quand les amitiés, les camaraderies, les relations, les solidarités disparaissent avec, parfois, les écrivains eux-mêmes. Le sortilège de la vie ne joue plus. Privée de son soutien vivant, l'œuvre demeure seule pour affronter le temps et n'a plus à compter que sur son fonds.

Les auteurs que nous esquissons appartiennent à l'histoire idéologique dont nous vivons encore, à notre insu. Le jugement où la génération montante englobe leur doctrine ou leurs idées, leurs attitudes ou leurs gestes, les problèmes qu'ils ont cernés ou les solutions qu'ils ont suggérées, cède aisément à ce conformisme qui se croit non-conformisme et veut que, par principe, on démolisse ce qui a été édifié par les devanciers. Mais la durée ne se passe pas de la tradition ; rien ne lui est plus étranger que les recommencements futiles et les ignorances frondeuses. Que vaut un héritage si, après un inventaire avisé, le légataire le néglige ? Quant au legs des idées et des œuvres, il n'est rentable qu'à une condition : [10] celle qu'exige le ferment dans la pâte ou la semence dans le sillon.

Ces écrivains ont compris que rien n'est aléatoire comme l'action intellectuelle ; qu'il est sot et vain d'attendre l'unanimité des hommes pour agir sur eux avec une volonté courageuse ; que l'histoire des idées est une chaîne à laquelle chacun doit ajouter maillon après maillon. Exemple et enseignement toujours actuels et qui invitent à méditer ce mot d'Alain : « Dans culture, il y a culte ».