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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Silvae, Institutiones, Homines. Hommage à Dominique d'Antin Tournier de Vaillac (1951-2019). (2022)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Michel Bergès, Silvae, Institutiones, Homines. Hommage à Dominique d'Antin Tournier de Vaillac (1951-2019). Chicoutimi: Les Classiques des sciences sociales, avril 2022, 564 pp. Texte inédit. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 19 avril 2022 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Silvae, Institutiones, Homines.
Hommage à Dominique d’Antin Tournier
de Vaillac (1951-2019)

Préface

:::::FAYOUM 2.jpg

Portrait égyptien du Fayoum
Peinture alexandrine anonyme
du temps du Nouveau Testament

Dans le vent des pins et le tourbillon des hélices…

Michel Bergès

Professeur de Science politique
Université de Bordeaux

Point ici de compendium de « mélanges » académiques convenus… Plus modestement, il s’agit, à travers cet ouvrage d’hommage, de façon interrogative et mémorielle, d’honorer un ami, un collègue, un proche, qui vient d’« appareiller » vers l’au-delà, nous laissant (provisoirement) seuls sur la grève…

Dominique d’Antin Tournier de Vaillac (20 avril 1951 – 30 mars 2019) fut un homme des Landes forestières maritimes, où les pins – dont pas deux ne se ressemblent –, luttant contre les sables, formèrent pour lui un espace de rêveries lamartiniennes et de braconnages (pas seulement intellectuels…).

Là, – peut-être avant tout ? – il appartint à ce « peuple indigène de la Forêt », témoin et gardien primitif de la mémoire du Temps et des Arbres, qui enchaînèrent littéralement son âme de sylviculteur, occupé qu’il fût derrière le Soleil que ceux-ci cachaient, à explorer la clarté atténuée de la Lune et à les faire monter en imagination jusqu’au Ciel. Druide d’un savoir ancestral de foresterie, notamment celui portant sur la « gemme » et la résine pinicole avec laquelle on fabrique tant de choses [1], il fit plus que contempler les arbres : il étudia les essences de bois dans son « laboratoire », libre et sans maîtres, en plein milieu de cette « civilisation industrielle » qu’il critiquait, mais toujours prêt à « créer une entreprise ». Ainsi souhaita-t-il « cultiver » la forêt, l’adapter à des fonctions multiples ; elle, en retour, lui livra ses secrets de longue durée, propices à une vie intérieure… Domestiquer à l’anglaise un jardin d’Eden, mais aussi recevoir de la Nature, à la façon des marins ou des montagnards – habitués, eux, à affronter les éléments, donc à l’introspection et au sens du permanent qui l’habita aussi humainement [2]. J’ai compris cela de lui, « depuis la ville », mais bien en dehors du « mythe de Bordeaux » [3].

D’où le terrible choc après la tempête de 1999, qui le meurtrit comme tous les Landais et les Girondins, à l’instar de Machiavel, témoin d’un fléau semblable en 1456 dans sa Toscane natale, ayant laissé « stupides » ses contemporains placés devant « l’antique chaos » [4]… Après les impérities et les manquements politico-étatiques comme économiques subséquents, dont certains de ses écrits rendent compte, il eût pu rédiger avec nombre d’acteurs de ce secteur sinistré (je pense là notamment au grand Ingénieur des Landes, Yves Lesgourgues ou à « l’Européen » Jean-Louis Martres, deux de ses compagnons du devoir en « développement durable »), un « Livre blanc », intitulé : « Forêt française : suicide, mode d’emploi »…

L’univers complémentaire de Dominique ? Biscarrosse, au cœur de la Forêt, entre la Fée Carabosse et Merlin l’Enchanteur !

La Première ? Le très étatique « Centre d’Essai des Landes » (« Cel ») avec ses explosions, ses inquiétants secrets paramilitaires et ses fameux ratés astronautiques, dérobant leur territoire aux chasseurs…

Le Second ? « Le » Lac, traversé de rafales frappant son âme de marin de leurs embruns océaniens, cavalières de pensées lointaines.

S’il le fit rêver d’aventures « en mer », ce « grand Lac » lui rappela inévitablement encore l’épopée française « des airs » : celle des avions ou hydravions de l’Aéropostale de Pierre-Georges Latécoère, installés autour, « toujours prêts » à défier l’Atlantique. Ce n’est pas un hasard si, au tournant d’un de ses écrits, on découvre son admiration pour ceux qui furent à coup sûr des héros de jeunesse [5]. Dans le vent des hélices (titre des mémoires du chef pilote Didier Daurat, dur comme l’acier, formateur impitoyable de ces nouveaux « Croisés »), lui révéla – il sut la dénicher ! – cette quasi-devise de Latécoère en personne, bien connue, que vraisemblablement il fit sienne :

« J’ai fait tous les calculs. Ils confirment l’opinion des spécialistes : notre idée est irréalisable. Il ne me reste qu’une seule chose à faire : la réaliser [6]. »

Propos que notre marin sylviculteur-gemmeur – la tête au raz des flots (n’avait-il pas un parent comme lui, Capitaine de Vaisseau, spécialiste d’histoire maritime et politique ? [7]), tout comme dans les airs, mais les pieds sur terre –, jugea aussitôt « très juste, pragmatique et efficace » (sic). À ses yeux, cet adage pulvérisait d’un coup les « précautions » timides ou lâches, les peurs trop humaines, comme toute pensée déterministe de l’avenir : celles de politiciens « de Paris », voire de « faisans d’élevage », porteurs de certitudes paralysantes fondées sur des algorithmes et des calculs de « probabilités », avec en plus, pour les premiers, la prétention d’endormir « les masses » par le truchement de bonnes vieilles doses de poison démagogique.

Les contributeurs à cet ouvrage d’hommage ont pu ressentir chez Dominique à la fois ce sens de l’« infini » et du « possible impossible », mais encore, plus sage, le devoir pour chacun d’un retour à « sa terre » de naissance – notre seule et ultime demeure, embellie par la souvenance de notre enfance. La douce protection d’un château ancestral, point nodal de ses « origines » familiales, encouragea encore son attachement pour Biscarrosse, en souvenir de la vieille Seigneurie de « La Teste-de-Buch » [8]

Ainsi fûmes-nous tous comblés d’heureux partages avec Dominique, « Gascon » discret, pudique, critique, distancié, empreint d’un optimisme tragique, acceptant également de discuter toutes les idées. Fort d’un amour des livres et de leur lecture tout autant, comme de voyages instructifs ou sportifs, d’engagements familiaux et caritatifs d’une noble « ancienneté » (ne fut-il pas Chevalier d’honneur et de dévotion de l’Ordre souverain de Malte ?). Cela, depuis son « centre » paroissial et régional.

*
 *    *

Le rappel à Dieu de Dominique, quelques jours avant Pâques 2019, nous a laissés comme un arbre dépouillé de ses branches par la foudre… L’information a alourdi la forêt intérieure de chacun. Sont ensuite apparus au-dessus de nos têtes des signes malheureux, lugubres, même, que les anciens eussent déclarés « être du Ciel »…, aggravant notre peine.

Lesquels ?

D’abord : l’Incendie terriblement symbolique de « Notre-Dame », les 15-16 avril 2019 (aux « origines » toujours non résolues ?) – qui l’eût profondément ému. Bûcher des vanités, révélateur d’une « fin des temps » ?

Autre fléau conséquent de repentance : le surgissement d’une « Corona virus », peste pénitentielle venue du fond des âges, alourdie de masques effaçant les personnes… Cela dit, bien que le mot latin « persona » ait signifié inversement dans son étymologie grecque, le masque-portrait, peint, voire statufié dans la pierre, représentant plus ou moins le visage d’un mort aimé : à l’image des têtes funéraires alexandrines du Fayoum… Celles dont André Malraux, tant apprécié de Dominique, qui avait lu maints de ses livres – La Métamorphose des dieux ! – aimait à dire qu’ils ne représentaient point « l’expression d’un instant », ou bien « l’hypnose de Byzance » en ses icônes, mais bien plutôt, avec leurs yeux profonds interrogeant notre espèce du fond des temps, « des veilleuses de vie éternelle » : le « ce par quoi la mort s’accorde à l’au-delà »… (moment trop oublié de nos jours, bien décrit encore par l’historien de l’antique Grèce, créatrice de beaucoup de choses, elle aussi, Jean-Pierre Vernant… [9]). Moment où, par la recherche du « Beau », l’Art rejoint la Religion, dans les limites représentatives de l’Homme, même si cela ne dure pas…

À la suite de cette nouvelle « grippe espagnole » fatidique, brisant les écrans de la « modernité », sous nos yeux se sont étalés alors, hôpitaux-caravansérails de malheurs, masques qui n’étaient plus ceux de Carnaval, décoctions préventives, vaccins sautillants, pléthores de Diafoirus ou de docteurs Knock avec leur cortège de mensonges, « législation du temps de guerre » limitant les libertés fondamentales… Un retour des duretés de la vie « sous l’Occupation » ? Mais laquelle, celle agitée par quel « Diable » ?

Tel fut le contexte difficile d’élaboration du présent ouvrage, à traverser et à dépasser par chacun, au-delà des dissonances conséquentes d’échanges, de regroupements et de déplacements…

Mais peu à peu, depuis le jour funeste où l’on apprit la nouvelle du « départ » de Dominique, ont commencé à défiler dans nos têtes, sorties de l’ombre, sa persona, à travers diverses discussions engagées avec notre ami dans les temps où nous explorions ensemble, en riant, des pistes de travail.

*
 *    *

Personnellement, il m’a été donné d’en avoir souvent, face à face, concernant – premier exemple – cette « Union européenne », créée au début de la Guerre froide par les Usa et leur « Plan Marshall », « organisation internationale » prétendant imiter un État – qu’elle ne pourra jamais être en tant que simple succursale américaine, « machin » réalisé à des fins de division permanente des anciennes Puissances, pour mieux les dominer… Ayant participé à des manœuvres entre navires de diverses Nations, Dominique, Capitaine de Vaisseau de réserve, était emballé par ces perspectives de « sécurité globale maritime » partagées, qui s’offrirent un temps (dont rendent compte quelques-uns de ses écrits présentés ici). J’objectais un certain scepticisme en la matière, rappelant l’échec de la Ced (Communauté européenne de Défense) de 1954, ou de la Sdn (Société des Nations), deux décennies avant… En vain, me contentant d’écouter là son enthousiasme sincère… au téléphone, où il se trouvait depuis son bureau (son « pc ») de Biscarrosse. Moment où j’aimais, chaque fois que nous décrochions nos combinés – pardon, nos « portables » – plaisanter en l’appelant « Amiral »…

Débat plus intense et répété sur « la civilisation chrétienne », « la crise » actuelle de l’Église catholique, le retour des « Sédévacantistes » – courant minoritaire qu’il critiqua dans un de ses articles bien argumenté, repris plus loin [10]. Ignorant de toute théologie, l’objection me venait que l’histoire de l’Église de Rome, de ses rapports aux valeurs et à ses dogmes plus ou moins intangibles, mais datés, mieux, évolutifs, s’avérait complexe, plurielle dans ses doctrines, son rapport au pouvoir d’État et à « la politique » humaine en tant que telle. Sans oublier son long cortège d’hérésies, de « tendances », de forte politisation, opposant par exemple les théoriciens « hiérarchiques » et ceux « personnalistes » individualistes notamment – explorées dans mes ouvrages sur Machiavel et Emmanuel Mounier en histoire des idées politiques. L’ensemble ne restait-il pas toujours tiraillé par un dualisme initial (paulinien, puis augustinien) contradictoriel ? Celui « des Deux Cités », l’une « Terrestre », l’autre « Céleste », l’une « de la Chute » et des sept péchés capitaux, l’autre de « l’Amour » et du « Paradis », de l’Ascension, du dépassement, mondes irréconciliables d’une espèce humaine inquiétante, notamment si l’on refuse tout « pardon » et tout « rachat » s’agissant du « Mal » politique. Et comment sinon choisir, du moins hésiter, entre un Homme divinisé et un Dieu trop anthropocentriquement humanisé – joute « médiévale » rejouée entre nous deux ?

À ce propos – inutilement –, un cas d’objection m’apparaissait : l’opposition entre catholiques et protestants, reprise inopinément par le Maréchal « réactionnaire » Pétain – apparemment réaliste, mais ici peut-être flagorneur… – lors d’une de ses rencontres avec le Pasteur Marc Boegner au moment d’une visite obligée de ce dernier à Vichy, en tant que responsable de l’Église réformée de France. Quelques passages, tirés d’une étude rédigée à partir des « Carnets » de Boegner [11] (dissimulés dans son bureau, mais retrouvés et édités pas son fils ultérieurement), rappelaient en ces termes ces différences entre chrétiens :

« […] Dimanche 2 février 1941 :

“Voyez-vous, m’a dit le maréchal, je suis catholique et je le reste, mais au point de vue philosophique, je suis assez proche du protestantisme, et puis les catholiques sont pratiquants à l’excès. Ils attachent trop d’importance à la forme. À mon âge, on se dégage de la forme, et c’est pourquoi je me rapproche du protestantisme. Moi : – Vous trouvez que le protestantisme est plus spirituel ? Le maréchal : – C’est cela même [12].”

[…] Le lundi 10 mars 1941, à 11 h 30, le maréchal range des livres dans sa bibliothèque. Après les salutations et un préambule où le pasteur indique qu’il a cité une parole de Pétain dans sa prédication de la veille, réponse de bon aloi de ce dernier, qui commence une fois encore par flatter le protestantisme en ces termes :

“J’ai déjà eu l’occasion de témoigner ma sympathie au protestantisme. Le protestant relève de sa conscience, le catholique peut faire ce qu’il veut, et puis il va trouver le prêtre, qui arrange les choses. Vous êtes d’accord avec moi ? Mais ne répétez pas ce que je vous dis, je suis catholique. C’est en Espagne que j’ai vu tout cela de près. Les catholiques espagnols se livrent à leur passion, et ensuite on passe l’éponge à la confesse [13]”. »

Bref, c’est l’ouverture de semblables confrontations sur « la question religieuse » qui me fit approfondir les œuvres d’Émile Durkheim et de son « Laboratoire » de L’Année sociologique, de Max Weber, de Shmuel Noah Eisenstadt, de Fernand Braudel…, discutées lors de la réalisation de la thèse d’État de Dominique, dont mon collègue et ami Jean-Louis Martres m’avait confié la tâche de relancer le sillon [14].

De là découlèrent naturellement des échanges réciproques d’informations sur des livres. Et d’abord sur ceux des « nouveaux historiens » (tels Peter Brown, Alain de Libera, Alain Bourreau, Jérôme Baschet, Carlo Ginzburg, Piero Camporesi, Luciano Canfora, Harold J. Berman, Jacques Le Goff, Pierre Chaunu, Jean Delumeau…), consacrés à « l’anthropologie chrétienne », à « la Première Renaissance du XIIe siècle », à « l’Antiquité tardive », à « la Grande Révolution du XVIIe siècle »…

Ensuite, sur des auteurs critiques quant aux différentes formes, en conflits entre elles, d’économie, de droit [15] et de théories adjacentes en histoire des idées, inconciliables, souvent délégitimées par des dispositifs de cristallisation et d’effacement au plus haut niveau des sphères intellectuelles et médiatiques, relayées par un académisme politisé. D’où la discussion d’idées novatrices ébranlant typologies et concepts galvaudés (« le Moyen-Âge », « la Révolution », « la République »…), malignement répétés. Comment oublier les échanges autour des travaux de Norbert Rouland, Brian Terney, Ernst Bloch, Pierre Lamaison, Olivier Lutaud, Blandine Kriegel, Florence Gauthier, Christophe Miqueu… Que de discussions entamées (à jamais inachevées), si rares en province, de plus, au sein d’une Faculté de Droit assez fermée sur elle-même…

Tout cela nous amena à discuter des rapports plus généraux entre les hommes, leurs institutions, ces « êtres » collectifs mystérieux qui nous désindividualisent et agitent au-dessus de nos têtes (nous, créatures crédules), mythes, liturgies, reliques, fétiches, « rites de passage », rêves et cauchemars…, depuis la nuit des temps [16], dans les tréfonds de nos pensées et de nos langages… Celles-ci s’avèrent lourdes aussi de passé, d’illusions, d’envies de domination, car elles « programment » individus et sociétés dans leurs actions comme dans leur imaginaire. Évidemment en dehors des sciences humaines : autour des différents codes religieux qui les impulsent quasiment toutes (dépassant le seul christianisme et les religions prophétiques « du Livre »). Mais aussi, créatives et explosives, car porteuses d’une actualité sans cesse renouvelée… Des foyers de vies collectives et individuelles en quelque sorte, sur le plan idéel et pratique, de par les rites que l’on se sent obligé de suivre.

Notre réflexion conjointe débouchait sur certains approfondissements : par exemple, des problèmes liés aux structures familiales et juridiques en tant que telles (thème repris par Dominique à travers ses recherches médiévistes concernant les versants français et espagnols des Pyrénées, qui le passionnèrent in fine). Ce qui posait la question fondamentale de la place des systèmes de parenté, de transmission des richesses, des habitations et des terres… : lui, à partir de son étude sur les formes de pouvoirs politico-juridiques durablement diversifiés dans les « fors pyrénéens » posés autour de l’an 1000, face à des États en voie de construction inversée, voulant imposer un droit uniforme, si différent en Espagne et en France [17] ; moi, à partir d’une étude sur Claude Lévi-Strauss et les Réseaux [18], autour des concepts de « Maison » royale et familiale, comme de « parenté fictive » au sein de l’Église catholique à partir du XIIe siècle, au moment de la grande « Révolution grégorienne »…

S’entremêlèrent, à la suite, des lectures croisées sur Montesquieu (L’Esprit des Lois[19], sur Chateaubriand (fort de l’analyse de son « Génie du Christianisme », discuté ensemble), Tocqueville, de Bonald, divers historiens français du XIXe siècle (Guizot, Augustin Thierry, Michelet, Lamartine, Fustel de Coulanges, Camille Jullian – sa grande Histoire de Bordeaux puis celle des Gaules –, Augustin Cochin…).

Et, concernant ce que l’on a appelé – peut-être à tort – « La Révolution », ce n’est pas un hasard si Dominique m’a prêté un jour un livre sur la politique de Chateaubriand [20]. Restait dans la suite discutable entre nous (mais insuffisamment discuté, la séparation restant définitive…), l’ouvrage de référence de Pierre Chaunu : Le Grand Déclassement. À propos d’une Commémoration [21].

Là, justement, cet historien de la civilisation de l’Europe Classique et de l’Europe des Lumières [22], peu amène et allant droit aux faits, a remis les choses à leur place. Les acteurs aussi. « Peu amène », mais envers qui ?

– Un roi-girouette, grand par la taille (1m 93), tournoyant sans cesse, sourd et muet aux événements, malgré ses tactiques géopolitiques anti-anglaises, ainsi que ses curiosités sincères pour le savoir et les sciences expérimentales, mais, preuve de ses faiblesses, futur fuyard de Varennes lorsqu’il comprit ses erreurs par culpabilisation (Louis XVI) ;

– une Cour-gigogne, empoudrée, irréelle, formant, comme l’a montré l’historien-« sociologue » Norbert Élias [23], un miroir brisé et un énorme piège pour la Noblesse, comme un véritable poids mort pour le Régime, après le « Grand Règne » et ses rêveries arrogantes ;

– un « Parlement » de robins désaxés, transformé en « assemblée » après avoir trituré les Cahiers de Doléances par étape (la Constituante, la Législative, La Convention), qui ne représenta jamais vraiment et justement le pays ;

– des ministres manipulateurs (en particulier le protestant de Genève Necker, sans oublier au passage Turgot, de Calonne et l’arriviste Mirabeau…) ;

– des errements politiques en chaîne, partis d’un mensonge progressif d’avant « le 14 juillet », d’origine économique (le déficit abyssal du Royaume, dissimulé à tous par le Suisse Necker, totalement intéressé et irresponsable !).

Et Chaunu, de discuter cette date de violence symbolique pure et exemplaire, « le 14 juillet » (devenue « Fête nationale »), en plein bicentenaire reconstructeur et assez loufoque dans ses accents « mitterrandiens » de 1989, mais aussi, à la façon peut-être de Chateaubriand.

Cette approche globale, démystifiante, désenchanteresse, se poursuit à travers l’analyse spectrale du vol et du dépouillement contre l’Église (pressenti par le Pape Pie VI et par des prêtres qui refusèrent au péril de leur vie l’incroyable comédie de la « Religion civile du clergé »), comme de celle de « la Guerre » (qui fit « environ cinq millions de morts » en Europe, de 1792 à 1815). Guerre lancée, non à cause d’une « coalition d’ennemis monarchiques ou impériaux contre la République », mais pour justifier des règlements de comptes et des crimes intérieurs (dont les échos retentirent encore jusque sous le Régime dit « de Vichy » – en fait, manipulé lui aussi depuis Paris… comme les « gouvernants » échevelés et leurs bandes de 1792, auteurs du massacre inhumain des gardes suisses au jardin des Tuileries, le 10 août de cette année néfaste. D’ailleurs, très souvent, la « politique extérieure » n’est que le succédané d’une « politique intérieure » qui a échoué, dont on veut dissimuler les aléas et les petitesses [24]… Chaunu dresse alors un bilan global (difficile à détailler ici), sans anachronisme ni concession, des manifestations et intentions réelles d’acteurs agités ou hésitants, sans plan concerté, « au fil de l’eau », puis à celui du rasoir de la guillotine.

Mais il ne parle pas – dit au passage – des 2394 prêtres repérés et arrêtés qui avaient refusé la « Constitution civile du Clergé » du 12 juillet 1790 (acceptée seulement par 4 évêques sur 134, et 24 000 prêtres sur 70 000). Sachons là que les événements dramatiques s’enchaînant, un arrêté du Comité de Salut public du 15 janvier 1794 avait condamné les récalcitrants saisis par les « patriotes », à l’exil en Guyanne (espace au climat meurtrier désigné comme dépotoir civique par un décret de l’Assemblée législative de mai 1792). Aussitôt, les malheureux « réfractaires » furent transférés à travers tout le pays, à pied ou portés en charrettes, en plein hiver, vers les ports de l’Atlantique en vue de leur déportation, dans la souffrance et l’humiliation (voire la mort, comme à La Rochelle, où on en livra certains au massacre d’une population jacobine excitée à bon escient). On les emprisonna à Nantes et Rochefort. Le plus grand nombre (1494) fut destiné à Bordeaux. Là, les églises ayant été fermées, la cathédrale Saint-André transformée en magasin à fourrage, les prisons combles, on les embarqua sur trois navires, dont un, dénommé Le Républicain. Mais une tempête dans l’estuaire de la Gironde les dérouta vers Rochefort, où un ensemble de prisons improvisées (dont l’utilisation de deux bateaux anciennement négriers désaffectés ainsi que des îles attenantes) les confina dans des conditions inhumaines jusqu’au mois d’août suivant (date de l’élimination des « purs » terroristes robespierristes) [25]. Plusieurs centaines de ces prêtres moururent dans ces « pontons de Rocheforts » (64 d’entre eux seront béatifiés par Saint Jean-Paul II le 1er octobre 1995) [26]

Bref, au-delà de sa « phase joyeuse » et de ses mascarades carnavalesques, la prétendue « Révolution », davantage « implosion » qu’« explosion » pour Chaunu, au-delà de sa période criminelle et terroriste (appelé justement « La Terreur »), fut fondée sur des hiatus cumulés, dont les reconstructions postérieures n’ont fait qu’alourdir et déformer le sens : dissimulant ou minimisant de bien sombres pratiques ! Les commémorations, si réinventives, fantasmagoriques et mythomaniaques, ont lu ainsi l’histoire à l’envers, projetant ce qui dans l’instant n’a pas été, ou même voulu être.

De façon cinglante, l’historien protestant déduit ceci d’un tel tsunami politique, véritable processus en chaîne aveuglé lors des faits dans des improvisations inimaginables, aveuglant quant à leurs représentations postérieures :

« La Révolution n’a pas de propos délibéré. Elle est le fruit d’un enchaînement. La politique de l’Assemblée ne s’explique que par sa composition, donc son incompétence et son inexpérience. Rien de ce qui a été décidé n’a été voulu, souhaité, clairement décidé. Toute la Révolution est une justification a posteriori du fruit du hasard des stupides pensées croisées.

1789 est le fruit, sur un terrain rendu dangereux par l’affaiblissement des ressources d’un État empêtré ne répondant plus aux exigences d’une société vivante et créatrice, du hasard, de l’improvisation et de la hargne.

L’incompétence et la hargne gonflent les fantasmes du trésor caché et d’une religion rationnelle. On ne peut dissocier les deux choses, l’Assignat est le symbole, il est le moyen, l’outil [27]. »

Des exemples de telles mésinterprétations déformantes ultérieures, projetées sur la période, qui ont grossi ou équarri des faits mêmes, si peu « intellectuels » ou naïvement utopiques et volontaristes, mais à l’inverse, produits de bévues, de bas intérêts, de scories, de malentendus pour malentendants, et de complots incessants, presque « fondateurs » ?

Même de Bonald et de Maistre – comme d’autres, de camps historiographiques adverses tout autant politisés – ont affirmé à ceux qui voulaient bien les croire – car il s’agit bien d’un phénomène de croyance –, que cette Révolution restait « la fille des Lumières ». Contrairement à ce que l’on pourrait penser contre le toujours vigilant Pierre Chaunu, fort de lectures historiographiques essentielles et pour qui « le rêve » devint rapidement cauchemar, celui-ci démontre que ladite « Révolution », assimilée stupidement à un mouvement des Astres, ne fut finalement que le sacre de la violence, de l’hypocrisie et du mensonge (de mensonges pluriels de basoches qui justifièrent précisément la violence !). À partir des travaux bien établis de Jean de Viguerie [28], Chaunu vitupère :

« Tout découle du mensonge, d’un mensonge qui tue, celui du refus de reconnaître l’évidence, de l’insuffisance globale massive du prélèvement [des impôts, seule réforme susceptible de combler les déficits du pays entraînant des déséquilibres désastreux pour tout le corps social !]. C’est de ce mensonge [la dissimulation par Necker des chiffres réels de ce déficit] que tout découle. Il porte en lui une cascade d’autres mensonges, donc de crimes : “Au début glorieux, enchaîne de Viguerie, de l’ancienne Chrétienté, cette philosophie (entendez des Lumières) oppose l’inexorable temps des hommes, celui qui fait passer toutes choses” [29]. »

Matérialiste à sa façon, l’historien, certes « protestant », secoue un peu, effectivement, la thèse contre-révolutionnaire, qui, à ses yeux, a, elle aussi, comme l’école marxiste interprétative plus tard, trop embelli la « Révolution », transformée en « fille des Lumières »… Fille du chaos plutôt, de la manipulation et du « mensonge »…

Si une large partie des débats stratégiques conflictuels d’après le 14 juillet 1789 porta sur « la vente des biens du Clergé » en tant qu’Ordre, lourde de sordides calculs (à l’image mal intentionnée de « l’aryanisation » nazie-pétainiste sous l’Occupation de 1940 à 1944…), biens qui étaient pourtant là, auparavant à usage collectif (une spoliation forcée, sciemment orchestrée pour tenter de combler des déficits !), enjeu que l’on crut fondamental, cette « Révolution » implosive ne fut point en ses débuts si éloignée que cela des valeurs chrétiennes, avant les débordements d’une tourbe parisienne alcoolique et droguée. Popolo manipulé de maintes façons, qui montra son vrai visage surtout avec le massacre précité « des Tuileries » le 10 août 1792 [30], mais tout autant les jours suivants, ou lors des crimes ultérieurs des « septembriseurs ».

Chaunu, sûr de ces faits, contre aussi les théories du « Complot maçonnique » (du fameux faux « Abbé » Baruel – un des premiers) écrit, quant à « la fille des Lumières » :

« Oui, c’est la thèse qui a été celle des Maistre et de Bonald, la très belle thèse contre-révolutionnaire. Je me demande si elle ne rend pas à la Révolution un hommage qu’elle ne mérite pas, en lui conférant une pensée, donc une dignité. Alors que, replacée dans le temps et dans l’espace (France dans l’Europe et en continuité), elle est d’abord rancune, ignorance, fatuité, bêtise, justification a posteriori. Ce défi glorieux n’était-il pas un peu naïf et entaché d’orgueil ? “Tu es poussière et tu retourneras en poussière”, dit calquée sur la Bible-Parole de Dieu l’ancienne liturgie. “Si le grain ne meurt…” Mon Royaume n’est pas de ce monde, il ne se confond même pas totalement avec l’Église visible. Le disciple n’est pas plus grand que le maître. Que vaut un rêve de pérennité, mûri dans ce temps, pour un homme qui a atteint, enfin, l’éternité ? La pensée des Lumières n’est pas plus incompatible – certainement moins – avec la Révélation chrétienne que ne l’était l’aristotélisme dont les scolastiques ont fini par dégager une philosophia qui s’est crue perennis. La preuve, elle n’a pas entraîné, et dans les pays protestants, notamment, de tels drames et de telles ruptures. Ce qui est grave, c’est la rupture, l’enchaînement qui entraîne un saccage, un piétinement.

Oui, le début d’octobre [1789] est bien capital. En confisquant la totalité des biens de l’Église, les constituants ne piétinent pas seulement le passé. Ils insultent l’avenir [31]. »

En quelque sorte déchaîné, Chaunu délivre cette leçon d’histoire politique portant jusqu’à nos jours :

« Maury avait raison de dire : “Nos propriétés garantissent les vôtres…”. Un principe de droit ne se découpe pas en tranche. D’une infinie gravité, la réponse de Mirabeau : “Il n’est aucun acte législatif qu’une nation ne puisse révoquer ; qu’elle ne peut changer quand il lui plaît, ses lois, sa constitution, son organisation et son mécanisme…” C’est le principe de la dictature, de la tyrannie sans bornes, sans entrave, et sans principes, de la majorité parlementaire. C’est en ce sens que la France, au XIXe et au XXe siècle, est loin d’être, au même titre que l’Angleterre ou la Suisse, un pays de liberté. Jamais la Révolution ni la IIIe et la IVe République n’ont pris au sérieux la Déclaration des droits de l’homme ; ridicule est la distinction entre loi ordinaire et loi constitutionnelle dans un pays qui a changé de Constitution tous les ans pendant la période des idolâtrés fondateurs. La Ve République, par l’instauration d’un Conseil constitutionnel, a fait un effort louable contrarié par les mœurs. Vous avez bien entendu : “Aucune barrière ni droit naturel ni règle constitutionnelle” ne devait s’opposer, selon Mirabeau, à une majorité législative (en l’occurrence issue d’une minorité activiste dans le pays). Ce régime n’est qu’une forme de tyrannie. Sous l’angle de l’État de droit, elle marque une régression par rapport à la pratique, au XVIIIe de l’Ancien Régime [32]. »

Précision personnelle : nous sommes bien en présence, là, de façon contradictorielle, des origines frelatées de ladite « République française » et de son mythe politique, qui a fait florès.

Cela revient à penser et à affirmer – avec raison [33] – que « le Droit » n’est pas tout à fait « la Loi ». Autrement dit, par son idéologie, à laquelle on pourrait ajouter le transhumanisme désireux de créer « un homme nouveau » [34] (la belle blague ! ), les « Révolutionnaires » en question et leur utopie « régénératrice », aux émules innombrables, peuvent être rapprochés des bolcheviks et des nazis ultérieurs, sur certains points. Contre le Droit romain, qui opposa précisément le Droit à la Loi (prônée elle par des Grecs enclins aux rapports de force dans des assemblées publiques et dans leur contexte social profondément inégalitaire et violent, de luttes entre familles, clans familiaux, tribus et chefs)…

L’évocation serait longue…

Chez un Dominique qui a réfléchi sur ces problèmes et cette période (cf. ses textes infra sur « la noblesse », de la Troisième République à nos jours, mais aussi sur « Tocqueville et Mai 68 »), se révèle la richesse d’une stimulation toujours tenue en éveil, friande de savoir, de découvertes, de « quolibets » contradictoires, liés au développement des sciences humaines, en particulier à ceux et celles de l’historiographie et d’une science politique étudiant la longue durée proprement dite.

Nous voici donc renvoyés de façon incontournable à l’histoire des idées, que l’analyse des pratiques dans les diverses séquences spatio-temporelles de construction de l’État et de la vie politique française est loin d’épuiser.

René Rémond l’a bien repérée dans la préface d’un ouvrage collectif [35]. Reprenant les leçons épistémologiques dégagées par Fernand Braudel [36], il y insiste sur les temporalités différenciées qui se déroulent simultanément dans des registres inégaux, à la fois continus et discontinus, liés à l’instantané ou à l’inverse, au « presque immobile », écrivant au sujet de l’histoire politique :

« Il y a certes tout un ensemble de faits qui se succèdent à un rythme rapide et auxquels correspondent effectivement des dates précises : coups d’État, journées révolutionnaires, changements de régime, crises ministérielles, consultations électorales, décisions gouvernementales, adoption de textes législatifs. D’autres s’inscrivent dans une durée moyenne dont l’unité est la décennie ou plus : longévité des régimes, période d’application des modes de scrutin, existence des partis politiques. D’autres encore ont pour unité de temps la durée la plus longue ; si l’histoire des formations politiques ressortit plutôt à la durée moyenne, en revanche celle des idéologies qui les inspirent relève, elle, de la longue durée. Ne vivons-nous pas encore, à quelques exceptions près, dans un univers idéologique dont les principales composantes sont apparues et dont la configuration pour l’essentiel s’est dessinée avant la révolution de 1848 ? L’historien de la vie politique ne peut omettre de prendre en compte cet héritage. Davantage : les travaux de Paul Bois ou de Maurice Agulhon ont démontré que le partage entre droite et gauche ou les orientations dominantes dans telle région ne pouvaient se comprendre qu’en remontant au moins jusqu’aux prodromes de la Révolution : seule l’histoire, et la plus longue, rend compte des comportements des microsociétés qui se fondent dans la société globale. Enfin la notion de culture politique, qui est en passe d’occuper dans la réflexion et l’explication des phénomènes politiques une place à proportion du vide qu’elle vient de combler, implique continuité dans la très longue durée. Ainsi, sous le rapport du temps, l’histoire politique ne le cède pas à celle de n’importe quel autre aspect de la réalité [37]. »

D’où l’intérêt d’étudier dans la continuité de cette vraie-fausse rupture révolutionnaire, les récurrences, les repentances, les remémorations et les commémorations, bref, les « rejeux », qui sont comme autant de « failles géologiques » concernant les « guerres franco-françaises » [38]. Phénomènes complexes, entremêlés de complots et de crises, riches de nombreux retours en arrière, d’« involutions » ou de « révolutions » plus elliptiques que rondes, et à vitesses variables. Sous couvert aussi de « restaurations » diverses de « l’Ordre ancien », avec leurs multiples « ratés » (napoléoniens, bonapartistes, boulangistes, pétainistes, gaullistes…).

Quant à la vieille matrice institutionnelle de l’Église catholique dans ses rapports au pouvoir, elle reste à placer dans sa propre temporalité de plus longue durée encore, sous le signe de « l’extrêmement lent ». D’autant qu’à son niveau de saisie, on reste concerné par les valeurs fondamentales partagées et construites collectivement d’hommes confrontés aux pensées et aux pratiques anthropologiques, rituelles, liturgiques, de la vie et de la mort (la leur, mais aussi celles des autres), face aux guerres, à la paix entre les nations, à l’État, à la politique telle qu’elle est, et à l’amour de tout un chacun pour autrui…

Ce qui montre l’importance d’une réflexion sur la partie morale de celle-ci, malgré ce qui la caractérise : discours mensongers et manipulateurs, batailles d’intérêts, corruptions, rapports fluctuants, déconcertants, incertains, pas toujours visibles à la surface des choses. Et surtout, des engagements enclins aux déconvenues, aux illusions, aux reniements, à la violence, d’abord symbolique… Bref, à tous les ingrédients qui font de la politique un objet spécifique, irréductible à d’autres phénomènes, mais tout de même lié, à travers les différentes idéologies, aux modes de pensée et d’institutionnalisation des religions (pour la France, celle catholique plus ou moins « gallicane », en son code de programmation durable).

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C’est d’ailleurs dès ses premiers pas universitaires que Dominique a éprouvé une authentique passion pour cette histoire de longue durée.

Ainsi s’embarqua-t-il avec l’équipe originelle du Centre d’Analyse politique comparée de la Faculté de Droit de Bordeaux vers les États-Unis, à l’instar du franc-maçon La Fayette (à bord des frégates La Victoire puis L’Hermione), pour tenir un colloque conjoint à l’Université de Charlottesville en 1989. Il s’agissait de commémorer le « Bicentenaire » de cet événement si disputé que fut « la Révolution ». Ce, à travers une étude croisée et critique des mouvements qui soulevèrent peuples et dirigeants d’alors, en Amérique et en France, sans négliger le rôle ambivalent, mais décisif dans des sens opposés, de l’Angleterre…

Elle, qui avait connu sa « Révolution » plus d’un siècle plus tôt, combattit autant les irréductibles « Insurgents » américains, que la France, cela par représailles et pour déstabiliser celle-ci en lui envoyant plusieurs « espions » et « francs-maçons » bien empressés de la déstabiliser… « L’événement 14 juillet 1789 » ne serait-il pas aussi, aux entournures, un « retour de bâton » de l’aide par Louis XVI aux Insurgents américains ? Une sorte de réplique anglaise mesquine du « 4 juillet 1776 » philadelphien – fête nationale des États-Unis ? Un même mois de « juillet », où les âmes sont si « naturellement » échauffées ! Le « 4 » contre le « 14 », à dix jours près du calendrier théorique, même treize ans après ? La France pouvait-elle en attendre moins des « Anglais » ? Vengeance politique oblige – « la Vengeance », cette grande courroie d’entraînement et de transmission des actes concernant le et la politique en tant que tels

Même si, a contrario, « le modèle anglais » avait été antérieurement très prisé par Montesquieu, puis par Voltaire, qui tous deux traversèrent la Manche en leur temps, y allant repérer et dérober au passage quelques pratiques et certaines idées. Et même si des partisans modérés de la Révolution, à la suite plus ou moins de Mirabeau et des frères Lameth, prônèrent le modèle parlementaire de Westminster, certainement afin de tenter de sauver la monarchie (contre les aveuglements de cette dernière, Reine et Roi compris, naïvement entichés eux aussi de ces idées « à l’anglaise », qui leur coûtèrent leur couronne, et in fine leur tête…). Sans parler des Whigs favorables à la Révolution, qui échangèrent volontiers contre le Whig conservateur à outrance que fut Edmund Burke, au plus profond de ses Réflexions multiples sur la France, si éclairantes en soi.

Avec humour et sens critique, de par son rattachement à l’une des plus anciennes familles de France, Dominique se préoccupa encore de ce qu’était devenu l’Ordre de la « noblesse française », du XIXe siècle à nos jours. D’autant qu’il faisait partie d’une équipe qui rejetait – dans deux volumes mémorables et à la suite du philosophe d’origine bordelaise Georges Gusdorf (théoricien protestant également de la pensée « romantique ») –, la thèse dominante de certains historiens défenseurs d’une unité idéologique et politique de ce qu’ils dénommaient – à tort ! – « les Révolutions atlantiques », mêlant idéologiquement l’Angleterre, la Hollande, les États-Unis, la Belgique, la France…, nonobstant les différences entre les mouvements, les cultures et les hommes dans ces pays [39]. Et, surtout, en ayant omis la grille si éclairante proposée très tôt (dès 1959-1960) par Sir Hugh Trevor-Ropper dans un ouvrage phare, De la Réforme aux Lumières, qui avait finement analysé en parallèle, de 1500 à 1800, les ressorts effectifs du progrès de la raison et du progrès politique, ralentis de façon très différenciée dans les pays européens.

En fait, à cause des obstacles posés par les tendances orthodoxes, à la fois du calvinisme, du luthérianisme et de la Contre-Réforme catholique, dans les différents États, en Hollande, France, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, Suède, Danemark…, ce furent les « hérétiques » « libéraux » (calvinistes « arminiens » par exemple et catholiques libéraux) de tous bords religieux et politiques, héritiers de l’érasmisme des années 1500, qui portèrent les idées nouvelles, assumèrent la richesse et les risques liés aux investissements, aux innovations. Ce sont eux qui forgèrent la modernité, forcés qu’ils se trouvèrent d’émigrer en permanence, d’un pays à l’autre, s’associant parfois même en réseaux d’affinité, de ville à ville, d’État à État dans la vieille Europe. Tous se heurtèrent aux blocs religieux consacrés, Églises morcelées de surcroît, tant catholiques de la Contre-Réforme, que luthériens rigides ou calvinistes intégristes, qui orchestrèrent des pratiques rétrogrades sur le plan intellectuel, une répression agressive contre le mouvement des Lumières, et surtout, des guerres de religion désastreuses sur le plan politique. Cela dit par cet historien professeur d’histoire moderne à Oxford (spécialiste en plus de l’histoire du nazisme qu’il marqua de recherches heuristiques), qui nuance considérablement les thèses trop généralisantes de Max Weber sur le poids du « protestantisme » (sic) dans le développement du capitalisme et du « progrès politique »… si lent à se réaliser, justement, sur trois cents ans… Surtout si l’on tient compte de la répression des « libéraux » de tous bords, ainsi que de la terrible et incompréhensible « épidémie de sorcellerie » avec ses procès et ses bûchers ! [40].

Cette recherche sur l’histoire des idées et des stéréotypes politiques s’inscrivait bien dans le sillage heuristique du premier « Centre d’Analyse politique comparée » fondé dans les années 80 par Jean-Louis Seurin, Jean-Louis Martres, Hervé Coutau-Bégarie et Michel Dusclaud. Ces collègues, prodigieusement cultivés, libres de pensée, qui investirent en avant-garde la science politique américaine dès les années 70 (avant les « Parisiens » marxisants !), forts de leurs relations dans le monde libéral en France et aux États-Unis, grâce à un proche de Jacques Chaban-Delmas (député-maire de Bordeaux et un temps Premier ministre), Michel Dusclaud précisément – brillant « passeur » intellectuel et interculturel entre les deux rives de l’Atlantique –, participèrent au développement d’un savoir pluridisciplinaire, comparatiste et novateur, dont ne surent vraiment bénéficier par la suite ni la Faculté de Droit, ni la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine…

Une nouvelle équipe que rejoignit Dominique d’Antin de Vaillac reprit le relais de Martres et Seurin entre 1996 et 2007. Nous nous battîmes alors ensemble pour valoriser et défendre les orientations initiales du Centre, en étudiant les mêmes objets et en en ajoutant de nouveaux, en plus des idées politiques : la géopolitique, les théories des relations internationales, la géostratégie, l’épistémologie des sciences humaines, le développement durable, la sécurité globale et le renseignement, la gestion de la Forêt cultivée… Avant beaucoup d’autres, dans les confinements matériels et le cocon de la « Province », comme dans sa pénurie chronique de moyens.

Il s’agissait surtout d’investir une science politique fermement dégagée de la tutelle de nos « amis d’en face », véritables « bêtes à chagrin » : Dominique a été un des fers de lance de ce combat contre nombre de militants « mainstreams » de l’Institut d’Études politiques de Bordeaux (et d’ailleurs), avides de terrasser un savoir jugé (à tort !) trop « juridique », mais (avec raison !) irréductible.

En fait, l’Université, politisée (hélas !), uniformisée aussi par une théorie du « changement permanent » et de « la Grandeur salvatrice » (le « syndrome de Versailles » qui perdit Louis XIV ?), sous couvert de la « construction d’un espace européen de l’Enseignement supérieur », commença à être mise sous la coupe réglée de « regroupements obligés », a priori plus « visibles de l’extérieur » et concurrentiels selon les « critères mondiaux » de classement, dits « de Shanghaï ». Finies les petites équipes personnifiées autour de responsables relativement libres et créateurs, remplacés par des « soviets » de tutelle pilotant des centres supportés par des tringles de « sigles » illisibles (sortes de « sociétés anonymes » dépersonnifiées), censés « gérer » et « développer » des « programmes » corvéables, ouverts « au marché de la recherche » ou « au privé ». Placés aussi sous la férule d’idéologies « en tous genres » chloroformant (à nouveau, après le marxisme version sartrienne, cubaine, maoïste et autres !) une partie des enseignants et chercheurs universitaires, déjà doublés par le monde des « grandes écoles » issu, lui, de « la Révolution », ainsi que par les institutions à l’américaine autour des « Maisons des sciences de l’Homme »… Il n’est pas sûr que les responsables (locaux et nationaux) d’une telle « réforme » y aient gagné leur Purgatoire. En tout cas, c’est ainsi que fut créé un « trou noir » supplémentaire dans l’espace culturel français, pavé de bonnes intentions, mais difficile à traverser dans les flammes de ce nouvel Enfer [41]

Contre vents et marées, les recherches de Dominique, sa brillante soutenance de Thèse d’État sur laquelle il apposa sa « signature » [42], les diverses publications qu’il engagea personnellement et en équipe, ont correspondu avec la seconde phase de déploiement du Centre en question.

Il en fut un des plus actifs et indéfectibles membres, ouvert sur des sujets contemporains liés à ses propres activités professionnelles. Ainsi participa-t-il avec Marie-Josèphe Tancerel (un temps « Joss Berger »), Lysiane Guenneguez, Claude Delesse, Joseane Silva, Pierre Cabrol, Alexandre Durgue, Michel Louis Martin, Nicolas Tenèze, Jean Bourliaud, Jean-Christophe Joly, Dominique Sérafin… à la réalisation de contrats pilotés par l’Agence nationale de la Recherche (« Anr »), faisant collaborer la Gendarmerie nationale, des entreprises (le Cea de Saclay et de Cestas, Airbus…), et deux équipes regroupant sciences dures et sciences sociales : le Centre de Recherche sur la Sécurité globale de l’Université Toulouse 1 Capitole (Grsg) et le Centre d’Analyse politique comparée, de géopolitique et de relations internationales de la Faculté de Droit de Bordeaux (Capcgri).

En parallèle, Dominique s’engagea dans plusieurs lieux d’Aquitaine et du Midi toulousain en tant que professeur associé, jusque dans la scolarité de divers Masters et formations de haut niveau – au sein de l’Institut européen de la Forêt cultivée, dans le projet du Master de Cybersécurité lié au Conseil supérieur de la Formation et de la Recherche stratégiques (placé à Toulouse sous l’égide d’une constellation de Dames très compétentes – Sandra Joffroy, de la Gendarmerie, Martine Cutier, Marie-Josèphe Tancerel, Claude Delesse, Lysiane Guenneguez, Constanze Villar…). De même participa-t-il à un enseignement de Science politique à l’Institut de la Défense nationale et à l’Institut catholique de Toulouse. Là, conjointement avec Alain Maurech-Siman (précurseur à Bruxelles même en 2000 d’un tel diplôme dans les sciences de l’Information et de la Communication), il élabora un projet innovant d’une licence trilingue de « Géopolitique et de Relations internationales ». À l’Institut catholique, se spécialisant encore dans les dimensions juridiques et assurantielles de la Sécurité globale comme dans l’apprentissage du « cyber-espace », il dispensa des cours novateurs, appréciés de tous ses étudiants, grâce à ses qualités pédagogiques rayonnantes.

L’ouvrage présenté ici, témoigne à la fois de ses centres d’intérêt à ce propos, comme de ceux de son équipe qui a souhaité – ou pu, de par les temps traversés – participer à l’hommage qui lui est ainsi rendu, livrant quelques travaux inédits pour honorer sa mémoire.

Que toutes et tous en soient ici très sincèrement remerciés : leurs études sur des thèmes travaillés de façon amicale et entrecroisée avec Dominique (« l’Histoire », « la Forêt cultivée et le Développement durable », « la Sécurité globale »…), en forment la Troisième partie. Dans la Première, s’expriment librement des témoignages et textes phares que proches et amis ont souhaité lui dédier, comme pour perpétuer leurs échanges et leur dialogue avec lui. La Deuxième, présente quelques-uns de ses écrits les plus significatifs.

L’ensemble de notre livre d’hommage, qui ne reflète que partiellement toutes ces dimensions, bouteille jetée à la mer, s’adresse – relais et espoir – aux générations futures, à la suite des publications des membres du « Capcgri » déjà parues dans le site francophone « Classiques des Sciences sociales » fondé par le professeur de sociologie, Jean-Marie Tremblay, mondialement connu et accueilli généreusement par l’Université de Chicoutimi au Québec. Dominique se montra très attaché dans son apport personnel à cette politique de diffusion qu’il encouragea et honora avec bonheur par l’édition de son opus magnum, « L’Invention des Landes », en 2008 [43].

La reconnaissance ainsi rendue montre la perspicacité d’un historien et politologue attaché à une analyse réaliste des faits, comme des idées politiques et de l’action publique, qu’il aimait décortiquer de façon critique et lucide en explorant sans cesse des voies inédites, en pensant aussi la structure de l’État français (notamment le poids des « grands corps » administratifs, étudiés à travers celui des Ingénieurs des Eaux et Forêts – cf. infra son analyse des « Igrefs »). Sans oublier l’étrange « retour » de notre ancien Empire colonial, par exemple autour du « dominium algérien ». Elle témoigne de son effort pour « penser la France » et son « identité », entre ses traditions et ses modernités successives (poursuivant la pensée notamment de Fernand Braudel et de son disciple Edward W. Fox, comme celle de l’historien catholique Maurice Crubellier) [44].

Cette France telle qu’elle fut, telle qu’elle est, et sera, telle que chacun de nous a pu la rêver, en ses limites, mais dans sa grandeur, depuis sa génération de femmes et d’hommes. Noblesse, de tous côtés, oblige !

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Ainsi, malgré la tristesse qui a accompagné mon devoir de coordination de cet ouvrage, en retrait(e) depuis deux années antérieurement au 30 mars 2019, ai-je tenté de retrouver, à ma façon, depuis le modeste intérieur d’une Dordogne préhistorique proche de la tour de Montaigne, des échanges risquant de s’estomper dans la brume temporelle. Même si Dominique s’est construit avec nous et autour de nous, et nous, avec lui. Monologue à une seule voix, dialogue silencieux de l’âme et de la conscience rabâcheuse qui l’accompagne, désormais.

Pourtant, les lucioles de l’amitié font souvent remonter contre l’oubli les élans et les larmes du cœur qui enluminent les souvenirs. Ceux-ci ravivent les valeurs qu’ont insufflées en nous, parmi certains moments des choses humaines traversées, les institutions auxquelles nous avons été lié(e)s, telles que nous avons cru les percevoir et les servir, avec le plus de fidélité et de sincérité intellectuelle possible par rapport à nos valeurs. Au carrefour de la Musique classique et des « Sciences humaines » des années 70-90 me concernant, j’ai partagé intensément avec Dominique « les activités » (et la disparition lente ?) de l’Université.

Là, je crois avoir compris que si la mort reste le sel de la vie (saupoudré pour Dominique de celui de la Mer d’Hemingway et du parfum de la Forêt), l’esprit reste celui de la mort. Outrecuidance ou naïveté ? Son départ vers l’outre-tombe de « son » Chateaubriand, me renvoie sans cesse tout cela, via un étrange ressac… ainsi qu’à tous ceux qui sont « restés » ! Mais nous ne devons point pleurer sur nous-même.

Et tel à un fantôme errant, l’air de ces rappels me souffle encore un dernier mot : ce sont bien ces nefs (« des fous » comme le pensait Jérôme Bosch ou Sébastien Brant ?) venues du passé, aux nacelles desquelles on s’embarque volontiers plus ou moins consciemment, comme à bord de montgolfières sans amarres, qui fabriquent les hommes… Eux qui croient les diriger bien au-delà des « équations » qu’elles nous imposent – mais qui les ont cependant bien édulcorées dans le Temps, non sans un certain plaisir parfois… Ne retrouve-t-on pas ainsi la vieille problématique de L’Esprit des Lois ?

À l’instar de l’antique « Université universelle » avec ses sempiternelles querelles concernant les « universaux » ou le rapport entre « foi et raison » –  pour l’Occident : celle d’Athènes, de Pergame, de Rome ou d’Alexandrie …, de Boèce de Dacie, d’Apolonius de Tyane…, de la seconde Renaissance « médiévale » de Pierre Abélard, de Jean Buridan et de Roger Bacon, puis de Galileo Galilei, ou, plus tard, du Joseph de Maistre des Considérations sur la France et des Soirées de Saint-Pétersbourg… ; celles, de tous les lieux et de tous les temps, de ceux qui ont trimbalé par monts et par vaux leurs amas farfelus de pensées et de démonstrations, de bons mots, de parchemins primesautiers ou dangereux, suivis de leur bibliothèque, qu’au Moyen-Âge traînaient des ânes lorsqu’ils allaient enseigner de cité en cité à des étudiants qui n’avaient comme confort que des bottes de paille pour s’asseoir dans des salles obscures – mais, à l’ombre des Cathédrales… Institution irréductible que des pouvoirs souvent difformes ont tenté – aujourd’hui plus que jamais (notamment concernant l’histoire des religions !) – de dévoyer, de « déconstruire », voire de détruire pierre par pierre. Peut-être surtout, parce que, finalement en effet, elle constitue, parmi les anciens monuments, un « antidestin » – comme dirait Malraux…

En pensant plus fort à Dominique encore, avec la Marine et l’Ordre souverain de Malte, n’oublions pas non plus, la Sainte Église de Rome, qu’il a servie et tant aimée, en un sentiment de grâce, de dévouement, de « gentillesse », d’humilité, qui l’habita jusqu’à la fin de sa traversée sur terre. Et, maintenant, qui le ressuscite en nous… Depuis qu’il est parti au long cours, en mer ou en l’air…, dans le vent des pins et le tourbillon des hélices.

Comme dans l’amour des siens et de tous ceux qui l’ont connu.

Ecce homo…
« Qui tollis peccata mundi,
Miserere nobis,
Suscipe deprecationem meam » 
[45].



[1] La légende locale nous souffle même que, mêlée à de la cendre volcanique, la résine servit à la fabrication secrète du vernis dont étaient recouverts les violons de Stradivarius ou de Guarneri del Jesus, qui venaient la faire acheter dans les Landes… depuis l’Italie de Cremone !

[2] Ainsi, dans un autre domaine, ce furent ces « enfants de la Nature » qui, les premiers rejoignirent la France libre en 1940….  avant les ouvriers, les prêtres de campagne, les fonctionnaires… et bien avant la majorité des militaires, habitués à obéir… À ce propos, René Cassin (cf. Les Hommes partis de rien, Paris, Plon, 1975, p. 128-129) un jour de juillet 1940, où le général de Gaulle lui demandait quels seraient les secteurs de la population les plus prompts à réagir contre l’abattement de la défaite, cultivé par Pétain, son gouvernement et sa propagande, et donc à le rejoindre en Angleterre, Cassin commença par cette réponse d’encouragement :

« Les premiers à vous comprendre et à vous suivre ne seront cependant pas des révolutionnaires, mais bien les montagnards et les marins, parce qu’ils sont habitués à réfléchir personnellement de longues heures et qu’ils ont le sens du permanent. Ils sont attachés à des valeurs traditionnelles simples et sûres : pour eux, l’intégrité de la France et l’impossibilité de capituler sont des articles de foi… »

[3] Mythe « girondiniste » que Dominique a bien déconstruit – cf. infra, une brève pensée de lui à ce sujet dans la Seconde Partie, consacrée à ses écrits.

[4] Cf. infra le texte de Dominique, extrait de sa thèse sur L’Invention des Landes, « Un retournement de l’histoire : la forêt dévastée, humiliée par l’État ».

[5] Guillaumet, forcé d’atterrir contre les éléments déchaînés sur un sommet des Andes, s’en sortit indemne par sa seule volonté. Il déclara à un « Saint-Ex » parti à sa recherche pour le retrouver contre l’aveuglement de la neige et des bourrasques en folie : « ce que j’ai fait, je te le jure, aucune bête ne l’aurait fait ». Cité par Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des Hommes.

[6] Didier Daurat, Dans le vent des hélices, Paris, Le Seuil, 1956, p. 38. Cf. infra, le texte de Dominique, « Les crises et le pouvoir politique ».

[7] Il s’agit du Capitaine Arnaud d’Antin Tournier de Vaillac (1908-1999), auteur notamment de divers livres de référence (Pouyi, le dernier Empereur de Chine – primé par l’Académie française ; Les Canonnières du Yan Tsé ; Sous la flamme de guerre…).

[8] Un peu comme auprès du Chêne mémorial qui trône devant le Berceau de Saint-Vincent de Paul, qui accueillit un de mes lointains parents maternels dont la famille avait fui… l’Espagne des guerres napoléoniennes en leur temps, et y avait abandonné un enfant, du nom d’Agathon.

[9] On peut compulser à ce propos les ouvrages suivants :

– Jean-Pierre Vernant, Œuvres. Religions, rationalités, politique, to. 2. L’Individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris, Gallimard, p. 1305-1471 ; La Mort dans les yeux. Figures de l’autre, en Grèce ancienne, p. 1477-1523 ; Figures, Idoles, Masques, p. 1525-1665.
– Euphrosyne Doxiadis, Portraits du Fayoum. Visages de l’Égypte ancienne, Paris, Gallimard, col. « Livres d’Art », 1995.
– Jean-Christophe Bailly, L’Apostrophe muette. Essai sur les portraits du Fayoum, Paris, Hazan, 2015.

[10] Un des textes de Dominique présente clairement sa position à ce propos : « Analyse critique de l’intégrisme politico-religieux catholique » (cf. infra).

[11] Cf. Michel Bergès, Le Vichy du Pasteur Boegner. « Ardente Sympathie » et entraide de protestants de France aux Juifs persécutés (1940-1944), Bordeaux, à paraître. Cf. également de Philippe Bœgner, Carnets du Pasteur Bœgner (1940-1945), Paris, Fayard, col. « Pour une histoire du XXe siècle », 1992. Les Carnets ne commencent cependant qu’à partir du 11 juin 1940, alors qu’ils contenaient aussi des données antérieures que l’on voit surgir dans les Mémoires : Marc Bœgner, L’Exigence œcuménique. Souvenirs et perspectives, Paris, Albin Michel, 1968. De Philippe Bœgner, cf. également, Ici, on a aimé les Juifs. Récit, Paris, Jean-Claude Lattès, 1982.

[12] Ibidem, p. 73.

[13] Ibidem, p. 87.

[14] Celle-ci était restée « en rade », en raison des obligations professionnelles de Dominique notamment, mais surtout aussi de divergences entre « propriétaires forestiers » avec Jean-Louis Martres, concernant « la gestion de la forêt cultivée » et portant sur l’économie de ce système, pris entre rentabilité, « pouvoir des papetiers » et expériences écologiques novatrices investies avec bonheur par Dominique. Anciennes dissensions secrètes aussi entre eux, remontant plus ou moins à la question du « partage » des terres de l’Église sous la Révolution – je crois me souvenir –, et reprenant l’opposition entre « aristocrates » et « roturiers », bien dépassée de nos jours en France (peut-être moins en Angleterre…).

[15] Par exemple les différenciations (souvent intellectuellement irréductibles) entre « droit naturel », « droits de l’homme en société » ou « droit positif », « droit des gens » contre « droit international », « droit coutumier » des communautés paysannes et urbaines contre « droit canon » de l’Église catholique, ou contre les « droits féodaux » aux formes variées, contre le « droit légisto-royal » ou « impérial », « droit colonial ». Sans parler, sur le plan politique, des formes de régime, de Constitutions, de représentation, de territorialisation, de légitimités correspondantes, en lutte entre elles…

[16] Là, depuis mes souvenirs, je me vois dire à Dominique… : « Tu aurais intérêt à lire l’article de Pierre Bourdieu, qui se réclame du philosophe Pascal, – et qui n’a pas épuisé tout ce qui est impliqué en la matière – que l’on trouve sur Internet : « Les rites comme actes d’institution » (Actes de la Recherche en Sciences sociales sur le thème : « Rites et fétiches », 1982, vol. 43, p. 58-63). On peut le compléter, bien sûr, par l’ouvrage de Arnold Van Gennep, Les Rites de passage, Paris, Picard 1981 (consultable sur le site des Classiques des Sciences sociales).

Sans oublier celui de l’anthropologue des religions, Philippe de Felice, Foules en délire, extases collectives. Essai sur quelques formes inférieures de la mystique, Paris, Albin Michel, 1947…

[17] Cf. infra, de Dominique d’Antin de Vaillac, « Les Fors pyrénéens ».

[18] Cf. Michel Bergès, « Claude Lévi-Strauss et les réseaux : parenté et politique », Klesis, Revue philosophique, n° 10, p. 1-33 (numéro d’hommage à Claude Lévi-Strauss).

[19] Ouvrage tant travaillé par son ami de la Faculté locale, l’influent professeur de Droit public, Bernard Pacteau, avec lequel Dominique échangea beaucoup.

[20] Chateaubriand, De L’Ancien Régime au Nouveau Monde, Écrits politiques, présentés et annotés par Jean-Paul Clément, Paris, Hachette-Pluriel, 1987. On peut le compléter par l’ouvrage suivant, Politique de Chateaubriand, présentée par G. Dupuis, J. Georgel, J. Moreau, Paris, Armand Colin, col. « U », 1967.

[21] Cf. Pierre Chaunu, Le Grand Déclassement. À propos d’une Commémoration, Paris, Robert Laffont, 1989.

[22] Cf. Pierre Chaunu, La Civilisation de l’Europe classique, Paris, Arthaud, 1966 ; La Civilisation de l’Europe des Lumières, Paris, Arthaud, 1971.

[23] Cf. Norbert Elias, La Société de Cour, Préface de Roger Chartier et de Jeanne Étoré, Paris, Flammarion, 1985 ; Calmann-Lévy, 1994.

[24] C’est au moins l’impression que donne par exemple une lecture attentive de l’ouvrage de Jacques Attali, « C’était François Miterrand », Paris, Fayard, 2005.

[25] On peut lire sur le site bénédictin suivant les affres de cet emprisonnement illustratif des mœurs politiques de la période de « la Terreur » : URL.

« Dans un entrepont de quarante places, près de quatre cents prêtres sont entassés, ne disposant chacun que d’un demi-mètre cube. La nuit, ils doivent rester allongés sur le côté 12 heures par jour dans un air irrespirable, à même les planches, sans pouvoir se soulever puisqu’ils disposent seulement de 55 cm de hauteur. De nombreuses maladies apparaissent (gale, scorbut, typhus et dyssenterie), la vermine se propage également, tuant de nombreux prisonniers. Le matin, les matelots désinfectent les lieux avec du goudron qui dégage une odeur abominable et une fumée étouffante. Le jour, pendant des heures, ils doivent rester debout, à l’avant des navires, sous la pluie, le vent ou le soleil.

À cela s’ajoutent les brimades de l’équipage qui appliquent avec rigueur les consignes de sévérité, les aggravant même parfois par des injures, menaces, brimades physiques, une nourriture infecte. Impossible pour les prêtres de célébrer la messe ou de prier, le silence est de rigueur. Pourtant c’est en vain que les persécuteurs les empêchent d’adresser publiquement des prières, de se prosterner ou de faire le signe de croix. Le père Sébastien François, meurt à genoux, les bras en croix et les yeux levés au ciel. Les prêtres étonnent leurs bourreaux par leur patience et leur sérénité.

Les conditions sanitaires à bord finissent fatalement par se dégrader et les équipages sont également touchés par les maladies, notamment le typhus et le scorbut. Les autorités décident alors de jeter les morts à la mer, mais les cadavres, déplacés par la marée, remontent le long des rives de la Charente. Craignant que l’épidémie ne progresse, les riverains se plaignent auprès des autorités qui font alors enterrer les morts dans les vases autour de Fort Lupin, Fort Vasoux, Port des Barques et l’île d’Aix.

Cependant, l’épidémie continuant à se répandre en cet été très chaud de 1794, on envoie sur place deux chaloupes pour servir d’hôpital, mais elles deviennent très rapidement insuffisantes. Les prisonniers valides sont transférés sur un troisième navire, l’Indien, et les capitaines des navires reçoivent l’ordre de débarquer les malades sur l’île Citoyenne, l’actuelle Ile Madame, où un hôpital de campagne composé de huit vastes tentes a été installé et où beaucoup périront. Les prisonniers apprennent la nouvelle le 15 août et baptisent l’île Ile Sainte Marie, puisque c’est le jour de l’Assomption. Le débarquement se fait dans des conditions très difficiles car il faut traverser la vase pour atteindre l’île. Qu’on en juge : sur les 83 premiers prisonniers débarqués, 36 meurent dans ce transfert.

Après la chute de Robespierre, le 27 juillet 1794, les éléments les plus extrémistes de la dictature révolutionnaire sont écartés, le tribunal révolutionnaire, les clubs et associations patriotiques sont supprimés, des prisons s’ouvrent et un adoucissement de la situation se fait sentir, de la nourriture fraîche parvient aux prêtres et leurs geôliers s’humanisent peu à peu. Un semblant de liberté religieuse apparaît, les prêtres peuvent prier et chanter les psaumes, quelques uns sont libérés, mais aucune mesure collective n’est prise. Pourtant, en octobre, sur les 827 prêtres de Rochefort, il ne reste alors que 238 survivants : 36 sont morts à Rochefort, 254 sur l’île Madame et 299 enterrés dans les vases. »

[26] On peut lire sur un sujet négligé souvent par l’historiographie nationale :

– Colloque de Rochefort, La Déportation de l’an II, Rochefort, Éditions de l’Évêché, 21-22 octobre 1994.

– Pierre Bour, Les Pontons de Rochefort, 1794-1795, édité par le Musée d’Art et d’Histoire de Rochefort, pour l’exposition du 1er juillet au 29 octobre 1994, à l’occasion du bi-centenaire.

– Abbé Yves Blomme, Jean-Baptiste Souzy, 1734-1794, Édité par la Fédération des Sociétés savantes de la Charente Maritime, La Rochelle 1992 ; La Déportation des prêtres à Rochefort sous la « Terreur », Édition Parole et Silence, 2017.

[27] Pierre Chaunu, Le Grand déclassement…, op. cit., p. 204.

[28] Jean de Viguerie, Christianisme et Révolution. Cinq leçons d’histoire de la Révolution française, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1986, 1988 (2ème édition utilisée), 2003 (éditions, revue et augmentée).

[29] Pierre Chaunu, Le Grand Déclassement…, op. cit., p. 198.

[30] Cf. à ce sujet, l’ouvrage fondé sur des faits avérés, de Paul de Vallière, Le 10 août 1792, Lausanne, L’Âge d’homme, col. « Poche Suisse », 1992. En voici la quatrième de couverture, annonçant les événements criminels en question :

« Le 10 août 1792 est une date historique pour la France, et c’est tout aussi une date historique pour la Suisse. Dans le sens inverse de l’Histoire, il va sans dire, puisque le 10 août français annonce la république à venir, tandis que pour les Suisses c’est le massacre par les insurrectionnels des gardes suisses de France : 650 officiers et soldats suisses mourront ce jour-là dans l’enceinte du Jardin des Tuileries, dernier rempart de la Monarchie. Lorsqu’on sait que Louis XVI devenu Louis Capet s’était déjà réfugié à temps à l’Assemblée nationale, on mesure mieux ce qu’eut d’héroïque en même temps que d’absurde et inutile ce carnage de 1792. Il faut savoir que le régiment des gardes-suisses de France avait été institué en 1616 par Louis XIII, pour constituer une sorte de garde prétorienne du roi. C’était donc un corps privilégié qui avait le pas sur tous les régiments suisses de France.

Plus tard, on rendra justice à ce régiment si parfaitement fidèle à sa mission. Les Suisses servaient le roi, mais n’étaient pas directement liés à lui par serment ou contrat. Ils l’étaient à leur recruteur qui était la Suisse. La France louait le service des mercenaires, et c’est devant la Suisse qu’ils répondaient de leur loyauté. Ce 10 août 1792, les gardes-suisses ne sont pas morts que pour le roi de France. Ils défendaient aussi une certaine idée qu’ils se faisaient de leur engagement et de leur honneur. Le Lion de Lucerne, érigé par souscription nationale et inauguré le 10 août 1821, rappelle le souvenir de cette page d’héroïsme, qui mit fin à plusieurs siècles de mercenariat suisse au service, très particulièrement, des rois de France. »

[31] Pierre Chaunu, ibidem, p. 199.

[32] Pierre Chaunu, ibidem, p. 198-199.

[33] Cf. à ce sujet, l’ouvrage éclairant d’Aldo Schiavone, Ius. L’invention du Droit en Occident, Paris, Belin, col. « L’Antiquité au présent », 2009.

[34] Sur cet aspect utopique inquiétant, cf. l’ouvrage (par trop) optimiste, « républicaniste » et intégrateur de Mona Ozouf, L’Homme régénéré. Essais sur la Révolution française, Paris, Gallimard, col. « Bibliothèque illustrée des Histoires », 1989. De la même historienne, cf. La Fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, col, « Bibliothèque des histoires », 1976 et L’École de la France, Paris, Gallimard, col, « Bibliothèque des histoires », 1984.

[35] Cf. René Rémond (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Le Seuil, 1988, « Une histoire présente », p. 11-32.

[36] Cf. Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1969 ; Écrits sur l’histoire II, Paris, Arthaud, 1990.

[37] René Rémond, « Une histoire présente », in Pour une histoire politique, op. cit., p. 30.

[38] Sur le concept heuristique de « rejeu », émanant de la géologie, cf. le numéro spécial dirigé par Jean-Pierre, Rioux et alii, Les Guerres franco-françaises, Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 5, janvier-mars 1985. Il s’agit d’une tentation de substituer aux concepts de « lutte des classes », un concept concernant la « lutte des idéologies » en histoire politique proprement dite.

[39] Le débat sur le sujet se retrouve dans les études suivantes :

– Georges, Gusdorf, « Le Cri de Valmy », in revue Communications, n° 45, 1987, p. 117-155, « Éléments pour une théorie de la nation »,  Paris, Seuil. Les Révolutions de France et d’Amérique. La violence et la sagesse, Paris, Librairie Académique Perrin, 1988.

– Jacques Godechot, Les Révolutions, Paris, Puf, col. « Nouvelle Clio », 1986 ;

– En contre point, les deux tomes édités par le Capc de la Faculté de Droit de Bordeaux : Jean-Louis Martres, Jean Béranger, Roland B. Simon, Les Discours sur les Révolutions, t. 1. Premier Colloque : Charlottesville, t. 2. Second Colloque, Bordeaux, Paris, Économica, col. « Politique comparée », 1991. Cf. la communication de Dominique reprise de cet ouvrage, infra.

[40] Cf. Hugh Trevor-Ropper, De la Réforme aux Lumières, Paris, Gallimard, col. « Bibliothèque des Histoires », 1972. On peut lire notamment le dernier chapitre, « Les origines religieuses de l’ère des Lumières », p. 237-279.

[41] Cet objectif négatif dans ses effets fut réalisé par des truchements en bande idéologique organisée. Ces malheureux (vu d’aujourd’hui) imposèrent finalement une conception « managementesque » de la recherche, soumise de surcroît, pour une large part, aux « intérêts » de divers pouvoirs. Ils s’efforcèrent de dérober peu à peu les diplômes que nous avions créés dès les années 90 à la Faculté de Droit de Bordeaux (sur la Gestion de la forêt cultivée et le Développement durable, sur le Renseignement, sur la Sécurité globale…).

Aussi, en parallèle avec l’action de collègues de Droit public de Paris et de Strasbourg (notamment Olivier Beaud et Olivier Jouanjan) défendant les libertés universitaires sous la protection de « l’arrêt Vedel » contre le Conseil d’État en la matière, avec Jean-Louis Martres, nous plaidâmes un contentieux devant le tribunal administratif de Bordeaux, jusqu’en Appel. Ce dernier m’apprit ainsi lui-même à rédiger « un contentieux contre l’État » (sic), pensant que cela pourrait toujours me servir – acte habituel pour lui, défenseur du droit des sylviculteurs d’Aquitaine contre l’État central (là, Dominique d’Antin de Vaillac fut également un de ses disciples en la matière)… Il me souvient – j’en ai conservé le texte – que nos attendus critiquaient le « concept » collectiviste et liberticide d’« École doctorale »… En vain : désormais les « Iep » pluridisciplinaires purent délivrer des thèses discrétionnairement. Dans la foulée, l’Université, livrée à un modèle de « mastérisation européanisée » (sic), devait se contenter dans toutes les disciplines, de « thèses en trois ans » (imitant les « Phd » américains). Supprimées ainsi les grandes thèses, façon Fernand Braudel (qui mit 23 ans pour rédiger la sienne sur « La Méditerranée » !), ou Claude Lévi-Strauss (sur les « Structures élémentaires de la parenté »)… La recherche fondamentale française se trouva ainsi placée sous la coupe d’une idéologie prônée entre autres par Jacques Attali auprès de l’Élysée sarkoziste, « éclairée » aussi par Bernard Belloc, que nous avons rencontré avec Jean-Louis Martres… dans son bureau rue de l’Élysée à Paris, ancien président de l’Université Toulouse I Capitole, conseiller de Nicolas Sarkozy pour le secteur, et tenant sincèrement convaincu d’un « modèle » universitaire californien. Modèle repris par Valérie Pécresse et son conseiller – historien, ami rencontré à Munich et à Pessac – Édouard Husson. Projets débridés, utopiques, en mal d’effets de masse, d’une nouvelle « visualisation » et « communication » de « portée mondiale » et « modernisatrice », au moins « européenne », sinon américanisée (cf. le Rapport Attali : URL). Sans autre commentaire, avec les résultats que l’on sait…

L’ancienne Université relativement libre (mais déjà triturée dans ses structures, depuis « Mai 68 » sous la coupe d’un Edgard Faure et de ses affidés) fut par à-coups « regroupée », livrée pieds et poings liés aux « valeurs » (à tous les sens du terme !) de l’univers impitoyable des entreprises privées. Ce qui précarisa rapidement le statut des enseignants et des chercheurs jetés artificiellement en « concurrence »… « À l’américaine » peut-être (sans les fondations !), mais avec le résultat que l’on peut constater depuis dans tous les secteurs du savoir et de la recherche… En particulier celui caractérisé par une politisation militante liée à l’islamo-gauchisme et au calvinisme d’outre-Atlantique dans les sciences humaines et sociales… (sur la différence entre ces deux branches fonctionnelles, cf. Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale II, Paris, Plon, 1973, p. 339-364).

Pour s’informer concernant les turbulences rencontrées au sujet de ces changements occasionnés entre autres lois, décrets et circulaires par la Lru n° 2007-1199 du 10 août 2007 (Jorf, N°185 du 11 août 2007, p.13 468 et suiv.), on peut consulter divers ouvrages convergents édités alors :

– Georges Gusdorf, Pourquoi des professeurs ? Pour une pédagogie de la pédagogie, Paris, Payot, 1963 ; L’Université en question, Paris, Payot, 1964 ; (les deux ouvrages sont téléchargeables gratuitement dans les « Classiques des Sciences sociales », site numérique de l’Université de Chicoutimi au Québec).

– Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Éditions de Minuit, 1984.

– Marc Angenot, « La Grande pitié des universités québécoises », Conférence pour Cité libre, 1999, consultable sur le site Internet de l’auteur: URL.

– Michel Leter, Lettre à Luc Ferry sur la liberté des universités, Paris, Les Belles Lettres, 2004.

– Christophe Charle, Les Ravages de la modernisation universitaire en Europe, Paris, Éditions Syllepse, 2008.

– Christine Musselin, Les Universitaires, Paris, La Découverte, 2008.

– Hugo Coniez, Faillite des universités françaises ?, Paris, Éllipses Marketing, 2008.

– Alain Renault, Quel avenir pour nos universités ? Essai de politique universitaire, Paris, Timée-éditions, 2008.

– Marie-Laure Le Foulon, L’Europe des universités, Paris, Gallimard, La Découverte, 2008.

– Lindsay Waters, L’Éclipse du savoir, Éditions Allia, 2008.

– Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, 2008, Col. « Univers historiques ».

– Revue du Mauss, n° 33, « L’Université en crise, mort ou résurrection ? », Paris, La Découverte, 2009.

– Olivier Beaud, Refonder l’université : Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire ?, Paris, La Découverte, 2010 ; Les Libertés universitaires à l’abandon ? Pour une reconnaissance pleine et entière de la liberté académique, Paris, Dalloz-Sirey, 2010.

– Louis Vogel, L’Université, une chance pour la France, Paris, Puf, col. « Quadrige, Essais, Débats », 2010.

– Michel Louis Martin, André Cabanis, L’Universitaire dans tous ses états, Paris, Klincksieck, 2010.

–  Michel Leroy, Université : enquête sur le grand chambardement, Paris, Éditions Autrement, 2011.

– Christophe Charle, Charles Soulié (coordonnateurs), La Dérégulation académique. La construction étatisée des marchés universitaires dans le monde, Paris, Éditions Syllepse, col. « La Politique au scalpel, 201

– Alain Deneault, La Médiocratie, Montréal, Lux éditeur, 2015.

– Christophe Granger, La Destruction de l’université française, Paris, la Fabrique éditions, 2015.

– Patrice Bouffotot, « L’Université au centre des enjeux idéologiques et scientifiques en France : le cas des études relevant des relations internationales », in revue Défense et Stratégie, n° 39, printemps 2016.

– Chantal Delsol, La Haine du monde. Totalitarismes et postmodernité, Paris, Éditions du Cerf, 2016…

L’escargot de « la réforme universitaire » vit d’ailleurs sa course couronner par un discours humiliant tenu devant des chercheurs par le président Sarkozy, qui affirma péremptoirement qu’il ne leur fallait point se contenter de rechercher « de la lumière et du chauffage central » dans les laboratoires ou les salles de cours universitaires qu’ils fréquentaient… L’expérience supérieure de ce discoureur matamore, avocat d’affaires, eut du mal à convaincre vraiment.

[42] Travail d’une vie à la façon des Compagnons du Devoir, tournant le dos à certaines pratiques d’aujourd’hui qui orchestrent « en 180 secondes » (sic) des « shows » de brillance concurrentielle, où de malheureux « candidats » publicitarisés à outrance, présentent de leur thèse en « finales » nationales ou internationales, à l’image des « concours d’éloquence des avocats ». Un peu comme si l’on vendait des transistors ou des aspirateurs… Cf. par exemple le site Internet suivant : URL.

[43] Ouvrage paru aux Éditions L’Harmattan à Paris, dans la Collection « Pouvoirs comparés », téléchargeable sur le Site des Classiques des Sciences sociales.

[44] Pensons-là à l’ouvrage de Braudel, L’Identité de la France, travaillé par Dominique, mais aussi à celui de Edward W. Fox, L’Autre France, Paris, Flammarion, col. « Nouvelle bibliothèque scientifique » (dirigée par Fernand Braudel), 1973. Concernant Maurice Crubellier, cf. notamment Histoire culturelle de la France (XIXe-XXe siècles), Paris, Armand Colin, Col. « U », 1974 ; L’Enfance et la jeunesse dans la société française (1800-1950), Paris, Armand Colin, col. « U », 1979 ; La Mémoire des Français. Recherches d’histoire culturelle, Paris, Éditions Henri Veyrier-Kronos, 1991.

[45] « Toi qui enlèves les péchés du monde, aie pitié de nous. Accueille ma prière » (Jean-Sébastien Bach, Messe en si mineur…).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 29 avril 2022 9:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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