Qui fut et que fit Joseph Cohen, Grand Rabbin de Bordeaux pendant l’Occupation? Tel est notre propos. Il porte pour la région bordelaise sur un des témoins-clé de la tentative d’en anéantir les juifs entre 40 et 44. Il est le chef spirituel de leur communauté bordelaise. Il souffre avec ses proches. Il a survécu à l’Occupation. Quelle part lui fut-elle faite dans ces évènements ? Quelle représentation s’en faisait-il ? Comment a-t-il agi?

Questions difficiles, parce qu’on ne peut guère s’appuyer que sur quelques documents, et quelques témoignages. Le Grand Rabbin est aujourd’hui décédé, ainsi aussi que nombre des survivants de cette époque. La présente communauté juive de Bordeaux, bousculée en 1998-1999 par le procès Papon, n’a pour une large part (et ne serait-ce que familialement) pas vécu avec lui les faits dont il s’agit : beaucoup sont venus d’Afrique du Nord entre 1953 et 1962. Les contemporains de Joseph Cohen sont de moins en moins  nombreux et peu d’entre eux, même parmi les proches de victimes de la Shoah, ont décidé de témoigner publiquement. Nous disposons heureusement de documents tels le Journal de Joseph Cohen (manuscrit publié peu à peu et partiellement, expurgé de passages dont nous avons retrouvé certains), le texte de certains de ses discours publics (en 1944), et le témoignage émouvant de l’un de ses fils [1].

Nous essaierons de recomposer son analyse des hommes et de la situation, son état d’esprit, ses relations avec les forces armées et les autorités françaises administratives, de manière à comprendre mieux et à éclairer davantage, pour Bordeaux et sa région, par delà notre analyse des processus de décision français, tout à la fois : la tentative d’anéantissement des Juifs[2],  le témoignage ultérieur du chef de leur communauté religieuse sur les mesures anti-juives, la consistance de son engagement personnel à leur époque, et les réactions ultérieures des victimes bordelaises ou de leurs proches.