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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Bernier, Mikhael Elbaz et Gilles Lavigne, “ETHNICITÉ ET LUTTE DE CLASSES.” Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 2, no 1, 1978, pp. 1-14. Numéro intitulé : Minorités ethniques, nationalismes. Québec : département d'anthropologie de l'Université Laval. [Autorisation accordée par l'auteur le 14 août 2007.]

Bernard Bernier, Mikhael Elbaz et Gilles Lavigne 

ETHNICITÉ ET LUTTE DE CLASSES”. 

Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 2, no 1, 1978, pp. 1-14. Numéro intitulé : Minorités ethniques, nationalismes. Québec : département d'anthropologie de l'Université Laval.

 

Introduction
 
Les théories bourgeoises
 
Gans
Parsons
Allport et Jensen
 
Conflits ethniques et luttes de classes
 
Conclusion
 
Bibliographie

 

Introduction

 

L'analyse des relations raciales ou ethniques constitue depuis longtemps un sujet privilégié dans les sciences sociales nord-américaines. Cette situation se comprend aisément : d'une part, le peuplement de l'Amérique du Nord est le résultat de migrations plus ou moins récentes de groupes venant d'Europe, d'Afrique et d'Asie, groupes dont certaines caractéristiques sont encore apparentes ; d'autre part, les conflits raciaux au sujet de la population noire ne sont que trop évidents. En Europe, l'étude des minorités s'est développée beaucoup plus tard, du fait de l'homogénéité plus grande (en bonne partie imposée à des groupes minoritaires) de la population. Ce n'est, de fait, qu'avec la venue massive de travailleurs immigrants depuis la fin de la deuxième guerre mondiale que les sciences sociales européennes se sont attaquées aux conflits ethniques ou raciaux. 

Les études de minorités ou de groupes ethniques se sont, comme il faut s'y attendre, appuyées sur les théories et concepts dominants à chaque époque dans les sciences sociales. Sauf quelques très rares exceptions (Cox 1948), avant 1965, ces études ont été dominées par l'empirisme, le culturalisme, et le fonctionnalisme caractéristiques du courant bourgeois dominant dans les sciences sociales. Ce n'est que vers 1965 qu'en Europe d'abord, puis timidement, aux États-Unis, les concepts marxistes, l'analyse de Marx et de Lénine de la question nationale, celle de Mao des luttes de libération nationale, ont commencé à avoir une certaine influence sur les études de l'ethnicité (voir, entre autres, plusieurs articles de la revue Race, devenue Race and Class ; Chater 1966, Patterson 1969, Wright 1968, UGTSF 1970, Allen 1970, Granotier 1970, Wolpe 1970, Rey 1971, Castles et Kosack 1973, Rey et al. 1975, certains passages de Magaline 1975, et de Gaudemar 1976). Le courant marxiste s'est développé en relation plus ou moins directe avec des luttes précises, à l'intérieur et à l'extérieur de la "gauche" traditionnelle ("socialiste" et "communiste") dans les divers pays. Ce courant n'est cependant pas uniforme, car la lutte des classes y est présentée comme partout ailleurs. 

Malgré la formulation de critiques contre les divers courants de la théorie bourgeoise et d'un cadre théorique pour poser en termes de classes les problèmes de l'ethnicité et de l'immigration, il manque une intégration systématique des critiques et de l'approche de classes. C'est cette intégration que nous tentons d'amorcer dans cet article. En première partie, nous faisons une critique des diverses formes que prend la théorie bourgeoise de l'ethnicité et des conflits ethniques. Étant donné le grand nombre de ces formes et leur regroupement, il nous a semblé préférable de cerner et de critiquer ces formes à partir des oeuvres de quatre auteurs américains : Herbert J. Gans, Talcott Parsons, Gordon Allport et Arthur Jensen. Le choix de ces auteurs est fondé soit sur l'importance théorique que leurs ouvrages ont eue (Parsons et Gans), soit sur le caractère représentatif de leurs ouvrages par rapport à divers courants bourgeois (Allport et Jensen). Dans une seconde partie, nous présenterons une analyse qui adopte comme principe de base la lutte des classes dans le capitalisme.

 

LES THÉORIES BOURGEOISES

 

Gans

 

Dans son livre The Urban Villagers publié en 1962, Gans a proposé une analyse d'un quartier italien de Boston en termes de sous-culture et de sous-système social. Mais, à l'inverse des culturalistes "orthodoxes" qui ne conçoivent l'étude des groupes ethniques qu'à travers l'examen de la "culture" spécifique de chaque groupe ethnique (cf. entre autres, Borgadus 1943, Finkelstein 1949, et Spada 1969), Gans a plutôt identifié la sous-culture et le sous-système social du quartier étudié comme étant caractéristiques de la classe ouvrière. Gans ne nie pas la présence d'éléments caractéristiques des Italiens, mais pour lui, ce qui définit l'essentiel de la sous-culture du quartier, ce ne sont pas ces éléments spécifiques, mais bien un ensemble de traits liés à une situation de classe donnée (chap. 11). En cela, Gans a raison. Il va même jusqu'à expliquer des éléments spécifiques respectivement des ouvriers italiens et des ouvriers irlandais par la situation de classe de ces deux groupes dans leur pays d'origine : ouvriers agricoles sans-terre dans le sud de l'Italie, paysans-propriétaires en Irlande. (Gans : 237 et sq.). Gans ne va pas cependant au bout de son raisonnement : car il attribue "plusieurs différences entre groupes ethniques" à"d'autres facteurs dans leur tradition culturelle", facteurs non précisés mais que l'auteur souhaite voir expliqués par une étude comparative de divers groupes ethniques partageant la même situation de classe (p. 242). Ce souhait est fort louable, mais il n'excuse pas l'absence de précision théorique sur ce que sont ces facteurs, ce qu'est leur origine, ni sur l'utilisation qui en est faite dans la société d'adoption. Nous reviendrons sur ces aspects en deuxième partie. Il reste que Gans rejette une approche étroitement culturaliste qui reconnaît le groupe ethnique à sa culture, ses coutumes, et ses valeurs propres, le séparant ainsi du contexte socio-économique de la société d'adoption. 

Pour préciser ce qu'il entend par "classes", Gans rejette la théorie de la stratification comme non utile en théorie sociale (p. 242). Ce rejet, fondé seulement sur le choix que fait Gans de traiter les classes comme entités réelles plutôt que comme des agrégats d'individus classés selon des indices établis par le chercheur, doit être justifié plus en détails. Car de nombreuses études sur les groupes ethniques se sont appuyées sur la théorie de la stratification (cf. entre autres, Warner et Strole 1945, Frazier 1957 a et b, Porter 1965, Breton et al. 1968, Hughes 1968, Vallée et al. 1968 ; pour une synthèse théorique, cf. Shibutani et Kwan 1965). 

Dans cette perspective, les strates sociales sont définies à l'aide de certaines variables, employées seules ou regroupées en indices, telles : le revenu, l'occupation, le degré de scolarisation, et même, dans certains cas, l'évaluation subjective des diverses occupations par les individus. Ces strates forment un continuum dans lequel les individus peuvent connaître une certaine mobilité. Ainsi, les auteurs ci-haut mentionnés ont tenté de démontrer la distribution inégale de gens d'origine raciale ou ethnique différente dans les diverses strates sociales. 

Le problème majeur de cette approche se situe dans la définition des strates sociales. La plupart des formulations se fondent sur les différences de revenus ou d'éducation, définissant des seuils arbitraires pour diviser la strate inférieure de la strate moyenne et de la strate supérieure, et même, si on rajoute une "précision", la strate inférieure inférieure de la strate inférieure moyenne et ainsi de suite. Quel que soit le nombre de subdivisions, il renvoie à des divisions arbitraires à l'intérieur d'une variable qui se distribue selon un continuum. Le caractère arbitraire des divisions enlève déjà toute valeur à ces schémas. 

Cependant, deux autres critères sont quelquefois utilisés pour définir les strates sociales : l'occupation et l'évaluation subjective des occupations faites par les membres d'une société. Il nous faut examiner ces deux critères séparément. 

À première vue, l'occupation peut sembler équivaloir à la situation de classe. Cependant, tel n'est pas le cas. En effet, alors que la situation de classe se définit par les rapports de production et la lutte des classes (dans le capitalisme, essentiellement par l'extorsion de surtravail et l'opposition prolétariat/bourgeoisie), l'occupation se définit par le contenu de l'activité. Le problème dans cette dernière procédure, c'est que le contenu peut être défini de multiples façons, que l'on peut en faire des classements très compliqués mais jamais adéquats [1], ce qui empêche de faire une analyse systématique. 

Quant aux classements subjectifs d'occupation, ils comportent une double faiblesse : d'une part, ils reprennent celle des classifications d'occupations ; d'autre part, ils fondent la stratification sur une hiérarchie définie par les membres d'une société étudiée. Ces classements ne peuvent être pris comme base valable pour l'analyse car ils reposent sur l'idéologie dominante d'une formation sociale. 

Le terme de "stratification sociale", quels qu'en soient le ou les critères, renvoie donc à une définition arbitraire et non systématique des classes sociales. Au lieu de prendre comme définition des classes la situation dans les rapports de production, les théoriciens de la stratification sociale se servent de plusieurs critères qui tous ont une relation avec la situation de classe, mais qui n'en sont que des épiphénomènes. Par conséquent, la définition utilisée laisse filtrer l'essentiel de la situation de classe. 

Appliquée à l'étude des groupes ethniques, la théorie de la stratification comporte les mêmes faiblesses. Il faut cependant distinguer deux approches à l'intérieur de cette théorie. D'une part, la majorité des auteurs s'est contentée d'analyser la répartition différentielle des membres des divers groupes ethniques dans les diverses strates sociales. Comme on l'a vu, ce type d'approche comporte de nombreux défauts, le principal étant la définition des classes en termes statistiques et non comme des entités réelles, avec des intérêts précis, organisés plus ou moins fortement, mais qui s'opposent irrémédiablement. 

Par ailleurs, des anthropologues ont voulu dépasser le cadre statistique de la définition des strates et ont utilisé le concept de "niche occupationnelle" pour caractériser une situation économique spéciale dans la société, une situation de classe (définie par l'occupation) monopolisée par un groupe ethnique particulier. L'exemple classique dans ce domaine est celui des Hausa qui monopolisent le commerce de détail dans une bonne partie du Nigeria (Cohen 1969 et Cohen (éd.) 1974). Ces études ont le mérite de souligner l'importance de la structure de classes pour comprendre certaines situations où coexistent plusieurs groupes ethniques. Cependant, elles ne peuvent s'appliquer qu'aux situations où un groupe ethnique particulier monopolise une occupation donnée. Ne tenant pas compte des classes comme des entités réelles ayant des intérêts spécifiques, elles ne conçoivent que l'ethnie et ses "intérêts". Cela entraîne deux conséquences : 1) les oppositions de classes ne sont incluses dans l'analyse que lorsqu'elles équivalent à des oppositions ethniques c'est-à-dire 'lorsque des groupes ethniques monopolisent des occupations données ; et 2) les situations de compétitions entre membres de groupes ethniques différents à l'intérieur de situations occupationnelles ou de classes précises ne sont pas analysées par rapport à la lutte des classes qui les détermine mais plutôt comme des conflits ethniques dont la cause ne peut être que culturelle. 

Ces études tournent court, malgré leur importance, car elles n'intègrent pas comme principe central de l'analyse la lutte des classes. S'en tenant à une description statique des strates, elles ne cernent pas le jeu complexe et mouvant des intérêts, idéologies et organisations des classes en opposition. 

Erronée dans ses principes de base, la théorie de la stratification, même dans ses efforts les plus originaux, ne peut dépasser une simple indication de certains éléments centraux des relations ethniques, dans "l'échelle" sociale. Mais elle ne peut cerner l'ensemble du problème ni en dégager les causes profondes. Tout au plus souligne-t-elle des effets de la lutte des classes. 

Gans rejette cette définition des classes par la stratification. Il rejette aussi une définition des classes par "l'occupation", une définition qui voit le "travail" comme déterminant l'accès à la richesse et au pouvoir, comme constituant des groupes ayant des intérêts spécifiques (Gans : 242). Pour lui, une telle définition s'appliquait au capitalisme du dix-neuvième siècle mais ne peut être adéquate pour décrire les sociétés capitalistes actuelles où la mobilité occupationnelle est forte (p. 243). À notre avis, Gans a ici simplifié l'explication marxiste en faisant équivaloir l'occupation avec la situation dans les rapports de production. Or, même définie de façon large, l'occupation, comme nous l'avons vu, ne peut définir la situation dans les rapports de production. Nous reviendrons sur ce sujet plus bas. 

Gans préfère donner aux classes la définition suivante : "les classes sont plus que des agrégats occupationnels, ... chacune comprend des relations sociales spécifiques, des formes de comportements, et des attitudes". Les classes "sont donc composées de sous-cultures et de sous-systèmes sociaux" [2] (p. 243). Dans cette définition, le rôle de l'occupation, de l'éducation et du revenu doit être déterminé empiriquement. 

Pour Gans, chaque sous-culture correspond à un ensemble de réponses (sociales et culturelles) que les gens ont développées pour faire face aux aspects positifs et négatifs de leur situation. Cette situation elle-même est constituée par les ressources utilisables dans la société et les possibilités de les utiliser. Ce sont donc, d'une part, le revenu, l'éducation et l'emploi, d'autre part, les barrières que pose l'existence d'autres sous-cultures. L'auteur note lui-même une certaine inconsistance dans sa terminologie, en effet, des quatre classes qu'il définit (classe inférieure, classe ouvrière, classe moyenne, classe supérieure), au moins une l'est par le type d'occupation (travail manuel) qui y est caractéristique. Toutefois, Gans met en garde contre une équation simple entre emploi et classe, même s'il note que "à long terme, l'existence d'une sous-culture spécifique est liée étroitement à la possibilité d'obtenir un emploi" (p. 249). Ce qui définit la classe moyenne, entre autres, c'est sa sous-culture centrée sur la famille nucléaire, permise par certains types d'emplois, mais non l'occupation elle-même (Gans : 249, note 75). 

L'approche de Gans est très intéressante, même malgré ses faiblesses. À première vue, on pourrait la faire équivaloir à l'approche multicausale ou multi-factorielle préconisée par certains chercheurs. Cependant, à notre avis, l'approche de Gans est bien supérieure à celle de Banton (1971) ou Simpson et Yinger (1965), par exemple. L'approche de Banton est de fait une approche éclectique et contradictoire. En effet, l'auteur explique divers aspects des relations ethniques ou même des aspects semblables, par des principes différents dépendant des chapitres. Or, non seulement la relation entre ces divers principes n'est jamais élucidée, mais encore des explications concurrentes et contradictoires sont données aux mêmes phénomènes. Ce type d'approche sème la confusion et n'apporte rien à la connaissance de l'ethnicité. 

Simpson et Yinger ont justifié leur approche multi-factorielle des phénomènes ethniques par le fait qu'il s'agit d'un champ de recherche complexe. Selon eux, il faut invoquer une multiplicité de facteurs ou de facettes pour élucider le problème. 

La volonté de donner une explication complexe à un problème complexe est fort louable. Toutefois, elle ne doit pas servir de paravent ni pour l'éclectisme, ni pour une explication tronquée. L'éclectisme ne fait que créer la confusion dans les différents problèmes à étudier. La multiplicité des points de vue a pour conséquence finale de ne laisser comme facteurs explicatifs stables que les critères utilisés pour identifier les groupes ethniques ou raciaux : apparence physique, couleur de la peau, religion, langue, nationalité. Au lieu d'expliquer d'où vient l'utilisation de ces critères, l'approche éclectique ne garde comme fondamentaux que ces critères. En cela, elle fait le jeu des racistes, ce qu'elle veut pourtant éviter de faire. 

Quant à l'explication de Simpson et Yinger, elle est tronquée en ce qu'elle ne propose aucun principe d'organisation des facteurs multiples utilisés dans leur analyse des groupes ethniques. Leur explication multi-factorielle n'est rien d'autre que l'éclectisme, mais utilisée consciemment et supposément justifiée par la complexité de l'objet. Le résultat final est semblable à celui de Banton : rien n'est expliqué, il ne reste en fin de compte que les critères de différenciation comme éléments stables. 

Gans ne fait pas cette erreur. Il part d'une définition des classes comme entités réelles, en compétition, et il tente de comprendre les relations entre les différents éléments liés à l'existence du groupe qu'il étudie. Mais la conceptualisation qu'il donne de ces liens n'est pas adéquate. En effet, chez Gans, une classe est un ensemble caractérisé essentiellement par une sous-culture et des relations sociales particulières. L'occupation, pour lui, n'est pas l'élément central de la définition d'une classe. Cependant, il définit la sous-culture comme un ensemble de réponses à une situation matérielle, elle-même définie par des possibilités d'emplois et d'éducation et par la compétition des autres sous-cultures. On en arrive à définir les classes comme en compétition pour des ressources limitées, sans jamais donner d'explication des raisons pour lesquelles il y a cette compétition et cette limitation des ressources. L'explication de Gans tourne court ; elle bloque à l'essentiel ; elle pose des principes inexpliqués. Pourtant, Gans a identifié de façon intéressante de nombreux éléments explicatifs. Ce qui lui manque, c'est de poser comme principe d'analyse la lutte des classes, qui a son fondement dans les rapports de production, et qui se développe historiquement selon le rapport de force entre les classes. Dans cette optique, il est clair que l'on ne peut faire une équation entre l'occupation et la situation dans les rapports de production, comme nous le verrons en deuxième partie. Il est clair aussi que, pour comprendre la situation d'un groupe donné à un moment précis, il faut tenir compte du contexte historique de son développement. 

Paradoxalement, Gans, qui tient compte de la situation historique de groupes ethniques avant leur insertion dans le capitalisme nord-américain (Italiens, Irlandais, Noirs, Porto-Ricains), et dont le livre porte explicitement sur un groupe d'Italo-Américains, oublie de replacer l'ethnicité par rapport à sa propre analyse des classes. De fait, dans son livre, l'ethnicité apparaît comme un fait extérieur, inexpliqué. La raison de cet oubli, c'est l'impossibilité pour l'auteur de tenir compte, d'une part, du contexte mondial du colonialisme et de l'impérialisme qui seul donne un sens à l'immigration, d'autre part, de la lutte des classes aux Etats-Unis dans laquelle les groupes ethniques sont inclus. Gans n'en a pas moins fait une analyse très intéressante, que beaucoup d'auteurs qui se sont réclamés de lui ont par la suite beaucoup simplifiée. 

La première simplification a été de prendre la "sous-culture" comme se reproduisant d'elle-même, sans tenir compte du contexte socio-économique de cette reproduction. Ce type de simplification a surtout caractérisé les études de "culture de pauvreté" (cf. Lewis 1966, 1968, 1969 ; Leacock et al. 1971, W.B. Miller 1965 et 1968, Moynihan 1965, Rainwater 1968). Mais comme aux Etats-Unis la pauvreté est majoritairement le fait de certains groupes ethniques (les Noirs, les Porto-Ricains), on a vite étendu le concept de "sous-culture" aux groupes ethniques. Ainsi Moynihan trouve "l'explication" de la pauvreté chez les Noirs américains non dans l'utilisation à des fins économiques et politiques de l'oppression raciale, mais bien dans la forme "matrifocale" de famille qui y est répandue, forme familiale pathologique qui empêche les Noirs de saisir les chances offertes par leur milieu (1965 : 29 et sq.). Dans ce cas, c'est une caractéristique des relations sociales des Noirs qui explique leur pauvreté et sa reproduction. Pour Miller, ce sont les Il préoccupations focales" des pauvres (qui sont assimilés encore une fois aux Noirs) qui expliquent leur situation. En effet, pour lui, la pauvreté, marginale aux Etats-Unis (1968 :266), n'est le fait que de gens qui "choisissent" (p. 294) de rester pauvres. Ce sont leurs valeurs ou leurs préoccupations focales qui font en sorte qu'ils n'utilisent pas les chances que leur offre en abondance la société américaine (p. 293). Dans ce cas, ce sont des principes psychologiques qui expliquent la situation des pauvres ou des minorités. Ces deux positions, qui ont beaucoup de points en commun, entre autres celui de donner la responsabilité de l'existence du groupe à des facteurs internes au groupe, sont clairement idéologiques : elles ignorent totalement les bases matérielles du capitalisme américain, son développement historique, et l'importance fondamentale de la lutte des classes dans ce développement. On se trouve ici face àun type d'analyse bien inférieur à celui de Gans mais qui peut tout de même s'en réclamer. En effet, la définition peu claire de la sous-culture, surtout de ses bases matérielles et de son insertion dans la société globale, peut laisser la porte ouverte à toutes sortes de simplification. 

Ce sont encore ces faiblesses qui ont permis à des auteurs comme Valentine (1968) de se réclamer de Gans pour critiquer Moynihan et Miller, mais aussi pour nier l'existence de "sous-cultures" de classes. En effet, Valentine souligne que Moynihan, Miller et d'autres ont négligé un aspect que Gans avait vu comme essentiel : le fait que les sous-cultures sont des réponses à des situations matérielles précises. Cependant, Valentine adopte une définition des classes selon la théorie de la stratification ; et il donne comme élément fondamental des "sous-cultures" les valeurs, réduisant ainsi le contenu et la portée du concept de Gans. En prenant les valeurs comme fondement, VaIentine, d'une part, nie l'existence de "cultures" particulières à des classes, car l'ensemble des classes d'une société partage des valeurs communes ; d'autre part, il étend le concept de sous-culture à tout ensemble d'individus qui possèdent certaines valeurs particulières, rejetant ainsi le concept de sous-culture de classes, et il affirme qu'il peut dans certains cas y avoir autant de sous-cultures que de groupes ethniques. La déformation que Valentine fait de la théorie de Gans va dans le sens de l'idéalisme en ce que les "valeurs", réifiées chez Valentine alors qu'elles ne sont que partie de l'idéologie, sont vues comme élément fondamental. Cette déformation va aussi à l'encontre de Gans qui voit dans les classes non des strates arbitrairement définies mais des entités réelles. VaIentine, tout comme Moynihan et Miller, ne touche qu'à quelques-uns des aspects de l'approche de Gans, mais en les déformant. 

Cet examen de l'approche de Gans nous a permis de critiquer non seulement les études de cet auteur, mais aussi l'éclectisme, le culturalisme, les analyses de la stratification sociale et les études sur la pauvreté. Ces courants ont tous été présents dans les études de minorités, mais ils ne constituent pas l'ensemble des approches bourgeoises des conflits ethniques. Pour cerner une autre partie des études sociologiques sur le sujet, nous allons maintenant examiner l'analyse que Talcott Parsons fait des minorités et les approches connexes.

 

Parsons

 

Talcott Parsons est sûrement le sociologue américain le plus influent depuis vingt-cinq ans. Son cadre général d'analyse, expliqué dans un bon nombre d'ouvrages Parsons 1949, 1951, 1964, et Parsons et ai. 1951 et 1956), a été utilisé, en entier ou en partie, par de nombreux auteurs. Paradoxalement, chez Parsons, sociologue américain, originaire d'une société où les conflits raciaux et ethniques ont été particulièrement forts depuis plusieurs siècles, l'ethnicité n'est traitée que tangentiellement. Un seul de ses articles (1956) porte directement sur la question, même si l'on trouve de nombreuses références, en général peu explicites, sur le sujet dans ses livres généraux. Cependant, ce que dit Parsons des groupes ethniques est peu cohérent et même contradictoire. C'est ce que nous allons tenter de montrer en utilisant des passages de ses livres. Par la suite, nous verrons comment des auteurs partageant des présupposés semblables à ceux de Parsons ont tenté de justifier la théorie populaire du "melting pot" américain où tous les immigrants s'intègrent sans difficulté, et comment d'autres, sur les mêmes bases, ont mis en doute cette assimilation des immigrants, mais sans donner d'explication plus précise de l'ethnicité. 

Dans The Social System, Parsons définit l'ethnicité comme étant un des quatre principes de regroupements de chaque individu dans toute société, les autres étant la communauté, entendue comme une collectivité possédant un territoire, et l'appartenance de classe. À ce sujet, il est surprenant de voir comment les classes sont postulées comme caractéristiques de toute société. Cependant, nous ne nous attarderons pas sur ce sujet. Par ailleurs, Parsons donne du groupe ethnique une définition particulièrement étrange :

 

Un groupe ethnique est un agrégat de groupes de parenté, agrégat dont les membres tracent leur origine d'un même ancêtre ou d'ancêtres appartenant au même groupe ethnique défini... Le caractère biologique distinct d'un groupe ethnique n'aura d'importance que si le groupe se caractérise par un statut social spécial dans le système social plus large, un statut qui est souvent indiqué et symbolisé par une tradition culturelle spécifique, comme c'est le cas des Juifs. Chez les Noirs, la couleur, comme symbole visible, joue en un certain sens le rôle de la culture spécifique.
 
Parsons 1951 : 172

 

Cette définition est pour le moins tautologique : un groupe ethnique est défini comme groupant les gens qui se définissent comme descendants de gens du même groupe ethnique. Elle est aussi confuse : est ethnique ce qui est biologiquement fondé (origine ancestrale) et culturellement différencié. De plus, l'ethnicité n'a d'importance que si le groupe ethnique a un statut social spécial. Parsons a ici identifié des relations intéressantes : entre "statut social", descendance [3], et culture ethnique. Mais il les laisse pour le moins inexpliquées. Toutefois la confusion sur l'ethnicité ne s'arrête pas là. 

En effet, les groupes ethniques sont définis comme un type de collectivité : ils font partie, avec la "communauté locale" et la parenté, des collectivités à solidarité diffuse, en opposition aux collectivités à fonction spécifique (une entreprise, une école) et des collectivités à fonction diffuse (les partis politiques, les églises) (1949 : 419-420). Il est intéressant de retrouver parmi les collectivités diffuses des regroupements fondés sur trois des principes auparavant mentionnés (l'appartenance de classe est ici exclue). 

Par ailleurs, une collectivité peut être définie de façons diverses. Ainsi, dans The Social System :

 

Le partage de valeurs communes, entraînant un sentiment de responsabilités vis-à-vis de certaines obligations, crée alors une solidarité parmi ceux qui sont orientés vers des valeurs communes. Les acteurs concernés seront définis à l'intérieur du champ d'application de ces valeurs, comme une collectivité.
 
Parsons 1951 : 41

 

Mais dans Economy and Society, l'insistance change.

 

Une collectivité... est un type spécial de système social qui est caractérisé par une capacité "d'action en commun" ; cela implique la mobilisation des ressources de la collectivité en vue d'atteindre des buts spécifiques et, habituellement, précis ; cela implique aussi la formalisation du processus de prise de décision au niveau de la collectivité dans son ensemble.
 
Parsons et al. 1956 : 14

 

La collectivité implique donc en 1951 des valeurs communes et la solidarité, et, en 1956, un processus de prise de décision. Par ailleurs, Parsons donne aussi comme caractéristiques des collectivités le maintien de la solidarité "du système" et la capacité de prendre des sanctions pour empêcher les actions qui mettent cette solidarité en danger (Parsons 1951 : 97 ; voir aussi p. 192). On se retrouve devant un ensemble de caractéristiques des collectivités dont plusieurs ne peuvent être attribuées à tout groupe ethnique : partage des "valeurs", solidarité, mécanisme de prise de décision comme groupe, sanctions. Mais par ailleurs, les groupes ethniques sont définis comme des collectivités. On se retrouve donc devant de sérieuses inconsistances entre les définitions et leur application. Les groupes ethniques sont définis comme des collectivités, mais ils n'en possèdent pas les caractéristiques. Que sont-ils donc ? 

De fait, les groupes ethniques ne peuvent être expliqués dans le cadre des concepts généraux, donc supposément applicables à toute réalité sociale, de la théorie de Parsons. Parsons est obligé d'inventer un concept extérieur à sa théorie générale pour expliquer la présence et la situation des groupes ethniques : celui d'inclusion (Parsons 1965 : 1015). 

Ce qui force Parsons à créer ce concept, c'est l'insuffisance de sa théorie de la différenciation sociale, seule explication générale du "pluralisme" de la société américaine auquel les groupes ethniques contribuent manifestement. En effet, la différenciation sociale provient d'une différenciation des rôles à l'intérieur d'un système social donné (1951 : 330-331). Il s'agit donc d'une différenciation structurelle, qui ne met pas le système en cause, dans la mesure où les éléments différenciés (de l'intérieur) sont intégrés (p. 114). Il est évident que ce type de "différenciation" ne peut expliquer la présence de groupes ethniques dont l'origine est extérieure au système. Or, chez Parsons, l'intégration d'un système est liée de très près à cette différenciation interne. Dans le cas de différenciation d'origine extérieure, le concept d'intégration se révèle inadéquat. Car d'une part ce qui assure l'intégration systémique, ce sont les valeurs partagées ; et d'autre part, les groupes ethniques sont culturellement distincts. Les groupes ethniques échappent donc à l'intégration telle que définie. Par ailleurs, leur origine et les raisons de leur immigration sont complètement ignorées. 

On se retrouve donc avec des groupes ethniques qui sont incomparables avec les groupes qui se forment par différenciation interne. Comme la différenciation interne constitue chez Parsons le seul principe d'explication des différences, les groupes ethniques demeurent extérieurs à sa théorie. 

Parsons a inventé le terme "inclusion" pour cerner la nature particulière des groupes ethniques : manifestement parties de la société d'adoption, mais en quelque sorte extérieurs à elle. Il s'agit donc d'un processus d'"intégration" spécifique aux groupes ethniques, ou plutôt, chez Parsons. "aux groupes auparavant exclus" :

 

Le processus par lequel des groupes auparavant exclus obtiennent le statut de citoyen ou la pleine participation à la communauté sociétale sera appelé inclusion ; (ce processus) est lié de près au processus social de plus en plus "pluralistique"... Si nous nous intéressons aux groupes ethniques, le statut de membre est donné nécessairement par l'hérédité. Dans le cas de l'affiliation religieuse, la plupart de ces affiliations sont de fait héréditaires et souvent associées de près à l'ethnicité.
 
Parsons 1965 : 1015

 

Parsons distingue entre inclusion et assimilation pour tenir compte du fait que les groupes ethniques, définis par la descendance, sont "normalement" endogames (1951 : 172). L'inclusion permet de reconnaître à la fois la participation de ces groupes à la société et leurs caractéristiques spéciales, transmises héréditairement. Par Parsons, l'inclusion des "groupes exclus" se fait selon le modèle économique de l'offre et de la demande : "l'offre consiste dans les conditions structurales qui créent des niches institutionnelles dans lesquelles les éléments nouvellement reçus peuvent s'immiscer (1965 : 1021). 

Toute la discussion sur l'inclusion est incohérente. D'abord, Parsons ne montre pas comment sont liées la différenciation, qui a supposément créé le caractère pluraliste des sociétés contemporaines, et l'inclusion fondée sur l'existence de groupes ethniques de nature exogène. 

Par ailleurs, l'inclusion, à l'opposé de l'intégration, ne se fait pas par la généralisation des valeurs, mais par un marchandage entre groupes ethniques et "communauté sociétale- au sujet de l'emploi, et, sans doute mais cela n'est pas spécifié, au niveau des valeurs (1965 : 1021). Pour Parsons, comme le démontrent ses analyses de groupes particuliers (les Juifs et les Catholiques [4]), ce marchandage comporte un élément politique et même des relations antagoniques entre ethnies et majorité (1965 : 1029-33). Cette position comporte de nombreux problèmes : 1) elle suppose que les groupes ethniques soient organisés, ce qui n'est pas toujours le cas ; 2) en postulant comme fin du processus la pleine participation des "exclus" à la société, elle suppose une certaine égalité des forces entre groupes ethniques et société (ou majorité), égalité qui, manifestement, n'existe pas ; 3) l'égalité supposée comme fin du processus est aussi à mettre sérieusement en doute, comme nous le verrons dans la deuxième partie ; enfin, 4) Parsons pose des relations antagoniques entre ethnies et... WASP (1965 :1030), sans jamais se donner les moyens théoriques de comprendre ce type de relations : les classes, en effet, apparaissent comme des "niches" institutionnelles et non comme des entités réelles. 

Enfin, Parsons, tout en reconnaissant les "problèmes ethniques" et la discrimination (1965 : 26), nie l'exploitation :

 

... Les niches (sont) structurées en accord avec le principe fondamental de la citoyenneté dans la communauté qui se développe, (elles ne sont) pas des occasions d'exploitation créées par ses membres.
 
Parsons 1965 : 1021-1022
 
La majorité des anciens paysans catholiques ont formé la classe inférieure urbaine. En un sens, ils ont joué un rôle de "prolétariat symbolique" vis-à-vis des prétentions des WASP à un statut social particulier, prétentions qui constituent une combinaison particulière des traditions européennes de l'aristocratie et de la bourgeoisie.
 
Parsons 1965 : 1030

 

À ce sujet, il est clair que l'exploitation des immigrants ne fut pas symbolique : deux cents ans d'esclavage des Noirs et plus de cent ans d'exploitation des travailleurs Noirs et immigrants (ainsi qu'autochtones) dans les usines en constituent une preuve irréfutable. Parsons attribue même l'exploitation "symbolique" à la tradition aristocratique et bourgeoise européenne : c'est que, pour lui, les Etats-Unis sont fondamentalement égalitaires. Ce n'est qu'une cause "extérieure", européenne, qui peut expliquer l'inégalité entre groupes ethniques. 

On se retrouve donc, à la fin de cet examen, devant bien peu d'éléments cohérents. Parsons veut montrer l'égalité de la société américaine alors que son inégalité saute aux yeux et que lui-même ne peut la nier. Il tente de traiter la société américaine comme un système social clos et en équilibre alors que l'immigration démontre les relations inégales entre régions au niveau mondial : il se résout donc à accepter le phénomène ethnique sans l'expliquer. Enfin, il insiste pour se situer toujours au niveau des normes et des valeurs (en équilibre) alors que l'explication de l'immigration et de l'ethnicité se situe dans le rapport de force bien matériel entre classes, dans la société américaine et dans les pays d'émigration, et entre nations au niveau international. Ces rapports de force, loin d'être en équilibre, sont mouvants, comme le démontrent d'une part les révolutions socialistes, et, d'autre part, l'affaiblissement des Etats-Unis au niveau international suite à leur défaite au Vietnam. 

La conclusion à tirer de cet examen, c'est que la théorie "compréhensive" de Parsons n'a pas les moyens d'expliquer un phénomène aussi visible aux Etats-Unis que l'ethnicité. Peut-être les théoriciens du "melting pot" et de l'assimilation, ou ceux du "multi-culturalisme" ont-ils réussi à combler les vides de la théorie de Parsons. 

La théorie du "melting pot", théorie populaire aux Etats-Unis, a été formalisée par Louis Wirth (cf. 1938, 1964) bien que l'idée et le terme remontent au dix-neuvième siècle (cf. Glazer & Moynihan 1963). Pour Wirth, c'est la ville américaine moderne qui opère ce grand "mélange" de cultures et coutumes diverses. Dans la ville, on retrouve des différences au niveau de la personnalité et du mode de vie, mais ces différences sont intégrées dans une société globale où se développent "une perspective relativiste et un sens de la tolérance envers les différences qui doivent être vues comme des prérequis pour une organisation rationnelle et qui mènent à la sécularisation de la vie" (1938 : 15). 

Wirth a une vision sophistiquée du "melting pot" américain : ce creuset ne détruit pas comme telles les différences ; il les reformule plutôt et les relativise. Dans la théorie vulgaire du creuset, la culture américaine est considérée comme un amalgame nouveau dans lequel les immigrants s'intègrent, perdant leur culture autochtone. Tous, immigrants comme autochtones, sont partie de cette nouvelle société où chacun peut réussir s'il le veut. Pour Wirth, comme pour tout observateur le moindrement perspicace, il est clair que la vision vulgaire est inadéquate : les différences culturelles et radicales sont partie de la société américaine et on doit en tenir compte. Cependant, Wirth, au lieu de se placer au point de vue des problèmes ethniques ou raciaux réels aux Etats-Unis, suppose une rationalité dont on ne sait l'origine et interprète les différences de mode de vie selon cette rationalité. Or, il est clair que les prérequis de cette rationalité, c'est-à-dire le relativisme culturel et la tolérance, ne sont pas généralisés à l'ensemble de la société américaine : la discrimination encore actuelle contre les Noirs, les Porto-Ricains, les Mexicains, les Indiens nous en donne un indice assez clair (Voir Conflits ethniques et luttes de classes). Cette discrimination était encore plus forte en 1938, année où Wirth a publié son article important. Wirth se place du point de vue des principes défendus par la petite-bourgeoisie libérale américaine qui, soit prend ses principes pour des réalités, soit s'efforce de combattre la discrimination sur un plan strictement moral, sans en comprendre les mécanismes. Wirth, malgré son insistance sur la tolérance, n'en a pas moins reconnu les problèmes ethniques. Mais il croit que la modernisation de la société américaine (1938 : 1), tendant vers la rationalité, sera accompagnée d'une conservation des différences mais aussi de leur complémentarité accrue. Si l'on peut reconnaître la "complémentarité" de la grande-bourgeoisie WASP et du sous-prolétariat noir d'un certain point de vue, c'est-à-dire celui de la rationalité capitaliste, il est impossible de ne pas voir aussi les antagonismes qui apparaissent dans la supposée complémentarité. Or, Wirth postule la disparition de ces antagonismes. C'est que Wirth, comme Parsons, se place du point de vue d'une totalité fonctionnelle intégrée ou en voie d'intégration, où la lutte des classes est absente et où par conséquent les différences ne peuvent être que complémentaires. On retrouve ici, comme chez Parsons et comme chez les théoriciens de l'assimilation, cette conception "plane" de la société, sans profondeur, sans contradiction, sans hiérarchisation de contradictions, que nous examinerons après avoir discuté des théoriciens de l'assimilation. 

Les théoriciens les plus sophistiqués de l'intégration et de l'assimilation ont tenté d'analyser les relations raciales ou ethniques à partir des concepts structuro-fonctionnalistes. Dans cette perspective, on a analysé la nécessaire intégration ou acculturation des immigrants, allant jusqu'à l'assimilation, à la suite de leur insertion dans la société d'adoption. Chez Eisenstadt, par exemple, cette acculturation se fait selon le schéma suivant : adaptation de l'immigrant à la société d'adoption - intégration économique (par l'emploi) - acculturation (changements de coutumes) - assimilation plus ou moins poussée à la première ou à la deuxième génération (Eisenstadt 1954). Selon ce schéma, comme on peut le voir, la théorie de l'intégration est reliée à l'idéologie du "melting pot", mais elle la complexifie. 

Cette théorie prend comme fondement de l'explication, et ce, beaucoup plus explicitement que Wirth, l'équilibre social, équilibre de la société d'adoption fondée sur des valeurs précises, auquel doivent s'adapter les immigrants. Elle se fonde donc sur des principes d'analyse analogues à ceux de Parsons dans The Social System. De fait, Eisenstadt se réclame directement de Parsons (Eisenstadt 1954 :20). Ce que Eisenstadt utilise de la théorie parsonienne, c'est la théorie de l'action normative. Alors que, comme nous l'avons vu, Parsons est obligé de sortir de son schéma général d'analyse sociale pour expliquer des aspects réels des relations ethniques aux Etats-Unis qui ne peuvent échapper à tout sociologue, Eisenstadt, dans son étude d'Israël, applique à la lettre le schéma de Parsons. Les deux auteurs ont donc choisi des voies différentes : Parsons devient incohérent, laissant tomber ses principes "généraux" d'analyse pour "solutionner" un problème spécial ; Eisenstadt simplifie le problème spécial pour le faire entrer dans le cadre général. Eisenstadt accepte la définition de l'intégration des immigrants selon le couple norme-déviance (1970 :343 sq., et 1954 :20). La norme à laquelle les étrangers doivent s'adapter, ce sont les "valeurs", comportements, et attitudes de la société d'adoption. Toute mésadaptation (c'est-à-dire tout conflit entre "étrangers" et autochtones) devient alors une déviance dont l'immigrant est forcément responsable. On rejette donc la responsabilité des conflits ethniques sur l'immigrant lui-même, dont les valeurs et coutumes constituent un obstacle à son adoption. On laisse totalement de côté les fondements de la "norme", c'est-à-dire les fondements de l'aspect idéologique de l'ordre social existant : la lutte des classes dans le capitalisme, l'utilisation des immigrants et des membres de groupes ethniques arrivés plus tôt mais clairement différenciés, comme main-d'oeuvre sous-payée ou comme armée industrielle de réserve, les conséquences de cette utilisation au niveau du logement, etc., des groupes minoritaires. Ce sont ces éléments que nous prendrons comme fondement de notre explication en deuxième partie. Chez Eisenstadt, l'ordre social de la société d'adoption est posé comme justifié en lui-même... du seul fait qu'il existe ! Cette position est clairement idéologique : elle ne met pas à jour les facteurs expliquant les migrations ni ceux touchant la situation des groupes ethniques minoritaires dans leur société d'adoption ; elle attribue la responsabilité des conflits ethniques aux groupes opprimés, en omettant de mentionner le contexte de la lutte des classes dans lequel les membres de ces groupes sont utilisés. Les conséquences de cette position sont claires : on reporte sur les membres de groupes ethniques ou raciaux particuliers la responsabilité des phénomènes qui ont leur base dans les rapports de production capitalistes. 

Le défaut majeur de l'approche de tous les auteurs traités dans cette sous-section, c'est le postulat de l'équilibre. Ce postulat, évidemment faux si l'on examine un tant soit peu l'évolution des sociétés, empêche ces auteurs de comprendre les contradictions et les antagonismes internes aux sociétés étudiées. Il empêche, comme chez Parsons, de donner une explication cohérente du "changement social" (cf. 1951, chap. 11). Le postulat de l'équilibre, à notre avis, a comme effet idéologique (peut-être involontaire) de justifier l'ordre capitaliste existant, car cet ordre est présenté comme en équilibre, bien différencié, et pouvant intégrer (de façon non expliquée) des éléments d'origine extérieure. Toute exploitation réelle est niée au profit d'une "exploitation symbolique" (cf. Parsons 1965 : 1030). 

Par ailleurs, tous ces auteurs ont traité la réalité sociale comme une réalité plane, sans profondeur, sans hiérarchie de principes et sans hiérarchie de contradictions. Tous les éléments du social sont traités comme fondamentalement équivalents en ce sens que chacun a pour fonction de maintenir l'équilibre du tout, même si cette fonction est remplie différemment par les "valeurs" ou les "institutions". Ce caractère plat de l'analyse lui enlève toute puissance explicative : en effet, elle ne peut cerner le jeu mouvant des forces sociales en présence dans une société ni celui des contradictions hiérarchisées qui se manifestent à travers ces forces sociales. 

Enfin ces auteurs ont traité les "systèmes sociaux", équivalant aux diverses sociétés, comme des espaces clos, laissant ainsi totalement de côté les antagonismes et les rapports de force entre nations, pourtant essentiels à la compréhension du monde depuis les débuts du capitalisme et surtout à l'époque actuelle. 

Les théoriciens du structuro-fonctionnalisme, qui n'ont fait qu'expliciter les fondements épistémologiques laissés dans l'ombre par les tenants des divers courants de la science sociale bourgeoise, se trouvent donc placés dans une situation où ils ne peuvent rien expliquer. Leur "fonction" n'est d'ailleurs pas d'expliquer, mais bien de justifier l'ordre établi.

 

Allport et Jensen

 

Le dernier groupe d'auteurs que nous allons examiner tente d'expliquer les conflits ou différences ethniques par des caractéristiques individuelles : pour Allport et certains autres (Adorno, Jahoda, etc.), ces caractéristiques se limitent à la personnalité ; pour Jensen, Herrnstein, Shockley et d'autres, il s'agit de l'intelligence telle que transmise par hérédité et répartie différemment selon les groupes raciaux. Nous sortons donc ici des théories qui tentent de trouver dans les rapports sociaux une explication aux phénomènes liés à l'ethnicité. Cependant, les deux types d'explication examinés ont une très grande importance pour les sciences sociales actuelles en ce qu'ils tentent de réduire le social, l'un à des causes psychologiques, l'autre à des causes biologiques.

 

Allport

 

Les théories psychologisantes au sujet des conflits ethniques ont abordé le problème à travers les notions de "préjugés" et de "personnalité". Les tenants de cette théorie se divisent selon qu'ils donnent ou non une place aux facteurs sociaux dans leur explication. 

Certains auteurs ont attribué la cause des conflits ethniques aux préjugés, ceux-ci étant expliqués par le fonctionnement "irrationnel" de personnalités individuelles. Quant à ces personnalités, on ne donne aucune explication de leur existence ni des raisons pour lesquelles ceux qui les possèdent peuvent pratiquer de la discrimination contre d'autres personnes. Dans ce type de théorie, la cause du préjugé est à trouver dans l'individu. Ainsi Banton écrit :

 

Si nous possédons assez d'information sur la constitution individuelle d'une personne, nous pouvons dire si elle sera portée au préjugé ou non dans une société donnée. La cause se trouve dans le sujet, non dans l'objet du préjugé. Le préjugé est un phénomène pathologique irrationnel, ayant sa source dans les faiblesses individuelles, qui résulte dans un transfert d'agression.
 
Banton 1960 : 30

 

Jahoda (1960) et Abrams (1969) ont tenté d'expliquer les préjugés essentiellement dans les mêmes termes. Castles et Kosack (1973 : 446 sq.) ont démontré les faiblesses inhérentes àune telle approche : elle ne tient compte d'aucun facteur social, elle n'explique pas d'où vient tel type de personnalité ni pourquoi il peut sévir à telle époque et moins à d'autres ; enfin il ne peut donner aucune réponse à la question suivante : pourquoi les préjugés prennent-ils telle forme contre tel groupe à tel moment ? Pour Castles et Kosack (1973 :448), ce type -de théorie "veut protéger le statu quo social et par conséquent il n'est pas capable d'envisager un changement dans les conditions sociales qui pourrait solutionner les problèmes de personnalité". 

Allport (1951, 1959) a centré son explication sur la personnalité, mais en tentant de tenir compte de certains aspects du social. Pour lui, le préjugé est un problème identifiable comme tel mais comprenant plusieurs aspects : il se situe à la fois du côté de la personnalité, de la culture, et du système social (1951 : 365). C'est cette complexité du problème qui, d'après Allport, empêche de présenter une théorie unifiée du préjugé. Au contraire, il faut l'aborder sous ses différents angles. Pour Allport, le préjugé est d'abord "un fait d'organisation mentale et un mode de fonctionnement mental" (1951 : 366).

 

Toute définition de ce syndrome "attitudinal" (le préjugé) doit contenir deux propositions : l'une, qui dit que l'individu est orienté affectivement envers un objet ; l'autre, que cet objet est exagérément généralisé.
 
Allport 1951 : 366

 

Ce qu'Allport entend par la deuxième proposition, c'est que le préjugé s'applique à un ensemble de gens définis par certains critères alors que l'on ne connaît personne ou seulement quelques individus de ce groupe. Un préjugé, dans ce sens, est un stéréotype. Pour Allport, ce stéréotype vis-à-vis d'humains est probablement de même nature que toute phobie vis-à-vis d'objets non humains (p. 367).

 

Allport étudie le préjugé comme stéréotype selon six approches.

 

1) L'approche par le stimulus : ici, le point de référence, c'est la différence comme telle entre groupes. Par exemple, la couleur de la peau en elle-même entraîne telle réaction chez d'autres individus. Pour Allport, ces réactions sont fondées sur des généralisations qui sont peut-être exagérées. Mais l'auteur affirme par ailleurs que "jusqu'à ce que nous en sachions plus sur le caractère national, racial ou ethnique, nous ne pourrons distinguer entre le préjugé et une réputation bien méritée" (Allport 1951 : 369). L'auteur se pose aussi des questions sur les implications psychologiques de la couleur de la peau, des noms ethniques, etc. (1951 : 370). On voit donc que pour Allport, si le préjugé est fondé sur une généralisation hâtive, il comporte aussi une réalité qui vient des groupes ethniques ou des critères de différenciation ethnique eux-mêmes.
 
2) L'approche phénoménologique, qui demeure quelque peu confuse, est fondée sur la façon dont l'individu perçoit le stimulus "ethnique" (Allport 1951 : 370-73).
 
3) L'approche fonctionnelle tente d'appréhender l'importance que peut avoir le préjugé pour les individus qui le manifestent. Selon cette approche, il faut voir si le préjugé, dont l'origine est à retracer dans le processus de socialisation, n'est pas simplement une forme de conformisme ou bien s'il est plutôt une forme de compensation psychologique pour des individus ayant des problèmes de personnalité (1951 : 373 sq.). A l'appui de cette dernière partie de l'alternative, Allport cite les travaux d'Adorno et al. (1950) que nous examinons un peu plus bas. Le problème fondamental de ce type d'explication réside dans le fait que la direction que prend la compensation ou le conformisme, c'est-à-dire dans le cas présent la discrimination raciale ou ethnique, n'est pas expliquée. Elle apparaît justifiée presque d'elle-même. C'est du moins ce que nous laisse croire la première approche (l'approche par le stimulus). Cependant, Allport souligne un fait très intéressant : la forte corrélation entre le nationalisme et la discrimination (p. 374).
 
4) L'approche situationnelle, "la plus difficile à définir", est effectivement présentée de façon confuse par Allport (1951 : 379-81). Ce que Allport veut souligner, c'est que le préjugé peut être plus ou moins fort selon la situation socio-économique, même si, selon lui, l'approche phénoménologique semble la plus "raisonnable" (p. 379). Allport a raison d'insister sur l'aspect socio-économique du préjugé, mais malheureusement, il le fait de façon très confuse, ce qui enlève toute valeur à cette partie de son analyse.
 
5) L'approche culturelle veut que le préjugé soit lié aux coutumes ou valeurs d'un groupe (1951 : 381 sq.). Dans cette approche, aussi assez confuse, Allport fait entrer des éléments qui auraient plutôt leur place dans l'approche situationnelle, telle la possibilité de mobilité ascendante ou la possibilité que donne une "culture" de vivre d'exploitation (1951 : 382). L'auteur révèle ici son réductionnisme psychologique des faits culturels : en effet, pour lui, la culture, définie comme un code partagé, n'est pas véritablement partagée, car ce qui existe, ce sont des codes individuels dont on extrait, par abstraction, un code général qui, en réalité, ne se situe nulle part (1951 : 382, note 2). Dans cette remarque, l'auteur enlève toute réalité aux faits sociaux, ne retenant comme réel que l'individu. Ce n'est pas parce que l'idéologie bourgeoise est centrée sur l'individu (qui est lui-même une "abstraction" si on le coupe de son contexte social), que l'individu est plus "réel" que les rapports sociaux. Allport ne fait ici que répéter l'idéologie bourgeoise sans en démonter les mécanismes.
 
6) L'approche historique situe le préjugé dans son contexte historique. Il est intéressant de noter que l'auteur ne voit pas la relation entre l'approche situationnelle et l'approche historique, reproduisant ainsi la séparation entre la science sociale, statique, et l'histoire, événementielle.

 

Ce qui ressort de l'analyse de Allport, c'est d'abord la confusion, même à l'intérieur de chacune des approches ; ensuite l'éclectisme, qui rejette une explication intégrée pour proposer plutôt une juxtaposition d'approches diverses ; enfin le réductionnisme psychologique qui, de fait, nie toute réalité aux faits sociaux. 

Adorno et al. (1950) ont tenté d'intégrer des aspects sociaux dans une analyse qui est pourtant centrée sur la "personnalité autoritaire". Ces auteurs admettent que les individus sont formés dans des conditions sociales et culturelles données, c'est pourquoi ils donnent une grande importance au processus de socialisation. Dans ce processus, selon eux, les valeurs et les normes de la société sont imposées aux individus, surtout par la famille et l'école. Ces valeurs et normes ont pour but de maintenir l'ordre social. Or, les agents de ta socialisation, loin de comprendre le processus, ne font que répéter ce que leurs parents leur ont fait subir auparavant dans leur enfance : inculquer par l'autorité, des normes et valeurs incomprises. De cette façon, les normes et les valeurs n'apparaissent pas comme sociales mais comme naturelles, allant de soi. Le modelage des individus se fait donc dans un contexte d'autorité. Cependant, selon Adorno et al., la plupart des individus ont la capacité d'admettre une certaine extension des normes et de remettre partiellement en question l'autorité. Mais, selon eux, il reste un bon nombre d'individus qui, suite au processus de socialisation, ne peuvent tolérer un élargissement des normes ni une remise en question de l'autorité et de la hiérarchie. Pour eux, toute "déviance" est une menace à leur identité et même à celle de la "nation". Ces individus, selon Adorno et al., ont une personnalité autoritaire. Leur nombre est d'autant plus grand dans une société que le processus de socialisation est répressif. 

De fait, l'analyse d'Adorno et al. ne va pas beaucoup plus loin que celle d'AlIport, Banton ou Jahoda. Elle donne une grande importance au processus de socialisation et à son caractère plus ou moins répressif, mais elle n'explique pas pourquoi le processus est plus répressif dans telle société ni comment la personnalité autoritaire, devant le même "danger", n'agira pas de la même façon à telle époque et à telle autre. On n'a qu'à donner comme exemple le comportement des Allemands vis-à-vis des Juifs en 1925 et en 1935. Il s'agissait pourtant en gros des "mêmes" Allemands, mais dans des circonstances économiques, politiques et sociales différentes. On voit ici la faiblesse de ces théories qui prennent la personnalité comme facteur causal premier des conflits ethniques : elles ne peuvent expliquer pourquoi les conflits sont plus ou moins prononcés à diverses époques dans le même pays ou dans différents pays. L'explication est ici escamotée, les causes sociales historiquement déterminées sont passées sous silence ou, comme chez Allport, traitées de façon tout à fait confuse et reléguées au rang de facteurs secondaires. Même si la discrimination et les conflits ethniques étaient caractéristiques d'un ou de plusieurs types de personnalité, il faudrait expliquer non seulement le contexte social qui a produit ces divers types mais encore comment ces types sont utilisés dans un contexte précis de lutte des classes. Toute explication psychologisante ne fait qu'éliminer ce contexte. Elle renvoie la causalité des conflits ethniques de la lutte des classes vers l'individu : elle enlève donc tout moyen de mettre le doigt sur les causes réelles de la discrimination. 

Ce type d'approche psychologisante souligne peut-être un point important : la nécessité, dans des rapports sociaux précis, d'inculquer aux individus certains principes spécifiques de conduite. Cependant, les divers auteurs qui emploient cette approche ne donnent aucune explication de cette nécessité. Ils s'en tiennent aux effets sur les individus, effets qu'ils prennent comme cause. Aucun des auteurs n'explique pourquoi des principes spécifiques sont inculqués dans des sociétés ou des classes spécifiques, ni pourquoi, dans des situations changeantes, les mêmes individus vont réagir différemment. Car il est bien connu que, dépendant des circonstances, les individus n'agissent pas de même façon. L'inculcation n'est donc pas aussi "précise" que ces auteurs ont bien voulu nous le laisser croire. Les individus n'ont pas non plus une Il personnalité" telle qu'ils agissent toujours de la même façon quelles que soient les circonstances. C'est l'occasion historique, c'est-à-dire l'état conjoncturel de la lutte des classes à un moment historique précis, qui souvent détermine les réactions individuelles.

 

Jensen

 

Certains auteurs, sur les traces de Gobineau et de tous les idéologues de l'infériorité et de la supériorité raciale, se sont remis récemment à l'étude des différences biologiques qui expliqueraient certaines différences de comportement selon les groupes raciaux. Le "comportement" dont on a surtout étudié les différences entre races, c'est "l'intelligence", telle que mesurée par les tests de quotient intellectuel. Jensen (1969, 1972, 1973), Herrnstein (1971, 1973), Loehlin, Lindzey et Spuhler (1975), Shockley (1972), aux Etats-Unis, et Eysenck (1972) en Angleterre sont les auteurs les plus connus sur le sujet. Le principe de base de ce type de recherche est le suivant : s'il existe des différences physiques morphologiques entre groupes raciaux, pourquoi n'y aurait-il pas des différences au niveau des potentialités intellectuelles ou du comportement ? En soi, c'est-à-dire coupée du contexte social dans lequel ces recherches se font, cette question peut sembler scientifiquement justifiée et même anodine. C'est sans doute ce qui a poussé cinquante "scientifiques", y compris au moins un Noir et aussi Jacques Monod, à signer une déclaration réclamant la possibilité de faire des recherches "scientifiques" sur l'influence du biologique sur le social sans interférence politique (Adams et al. 1972) : on voulait par là protester contre les manifestations des Noirs américains qui qualifiaient de néo-racistes certains chercheurs (Jensen, Herrnstein, Shockley) qui oeuvrent dans ce genre de recherches. 

Pour examiner de plus près la signification actuelle de telles recherches, nous allons procéder en deux étapes : d'abord en évaluer brièvement la procédure, la qualité des données, et les résultats ; ensuite, en préciser la nature de classe. 

Jensen, Eysenck et autres ont tous pris comme fondement de leur recherche les tests de quotient intellectuel. Essentiellement, ils ont examiné les résultats de ces tests selon leur répartition par groupes raciaux. Cette procédure n'est évidemment pas suffisante pour démontrer le caractère essentiellement biologique du quotient intellectuel. Pour faire cette démonstration, les auteurs ont utilisé les tests de jumeaux. La procédure des tests de jumeaux est la suivante- on mesure le quotient intellectuel de la mère biologique et de jumeaux (identiques et non identiques) ayant été élevés dans des contextes sociaux différents ; puis on mesure le quotient intellectuel d'enfants nés de parents différents mais élevés ensemble. Ce dernier groupe sert de "groupe témoin". En employant cette procédure, les auteurs pensent avoir réussi à éliminer toute influence du milieu socio-économique sur l'intelligence et à ne mesurer de fait que l'influence strictement biologique. Or, dans les tests de jumeaux, on a trouvé une corrélation beaucoup plus forte des quotients intellectuels de jumeaux identiques (et aussi, mais à un moindre degré, de jumeaux non identiques) entre eux et avec leur mère que ceux d'enfants nés de parents différents mais élevés ensemble [5]. Étant donné cette corrélation, on en a tiré la conclusion que l'intelligence, telle que mesurée par le quotient intellectuel, était transmise génétiquement, que l'influence du milieu socio-économique était négligeable. De plus, on a utilisé cette conclusion pour "démontrer" que les différences de quotient intellectuel entre groupes raciaux aux Etats-Unis et en Angleterre étaient de nature biologique et transmises par hérédité à l'intérieur de chaque groupe racial. Jensen a même affirmé ce qui suit dans une conférence :

 

Il y a des gènes de l'intelligence qui se retrouvent en proportions différentes selon les populations, plus ou moins sur le modèle de la distribution des groupes sanguins. En gros, le nombre de gènes de l'intelligence semble plus bas dans la population noire que dans la population blanche.
 
cité par Edson, 1969 : 82

 

Herrnstein, quant à lui, croit que :

 

La mobilité sociale est bloquée par les différences innées entre humains, même après l'élimination des barrières sociales ou légales.
 
1973 : 202

 

Enfin Shockley en a tiré des conclusions plus "pratiques" pour l'homme de la rue :

 

La nature a produit des groupes identifiables par la couleur de telle façon que des prédictions fiables statistiquement peuvent être faites au sujet de leur adaptabilité à une vie riche et productive au point de vue intellectuel et peuvent être utilisées avec profit par l'homme de la rue.
 
1972 : 307

 

En d'autres termes, la Nature a joué de telle façon que les Noirs soient moins intelligents, donc bloqués dans leur mobilité sociale, même dans la société américaine où les barrières sociales et légales qui entravaient cette mobilité ont été enlevées ; par ailleurs, l'homme de la rue peut savoir "avec profit" que, du fait qu'il a un Blanc ou un Noir devant lui, il a affaire à une personne intelligente ou non. On verra plus bas les implications politiques de telles positions. Pour le moment, examinons le caractère "scientifique" de telles recherches quant à leur procédure et à leurs conclusions. 

D'abord, les tests de jumeaux ne peuvent être probants qu'à deux conditions : d'une part, ces tests étant des tests statistiques, à base de corrélations, il faut un échantillon suffisant ; d'autre part, il faut que les jumeaux aient été effectivement élevés dans des milieux socio-économiques différents. Or, Anastasi (1971, 1972) a démontré l'insuffisance des données empiriques et de l'échantillon sur lesquels sont fondés les tests de jumeaux. Par ailleurs, Bronfenbrenner (1975) et d'autres (cf. Montagu, éd. 1975) ont clairement démontré que, étant données les pratiques d'adoption aux Etats-Unis et en Angleterre, très peu de jumeaux vivaient réellement dans des milieux socio-économiques différents. Les tests de jumeaux ne peuvent donc être vus à l'heure actuelle comme probants. 

Quant aux tests de quotient intellectuel, leurs résultats ont été mis en doute de façon décisive par plusieurs auteurs (cf. entre autres Kazan 1975, Layzer 1975, Lewontin 1975, et Tort 1974). On a démontré que ces tests étaient biaisés en faveur des connaissances livresques et des attitudes compétitives caractéristiques de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie urbanisée, que les mêmes enfants obtenaient des scores variant exagérément dans le même test pris à divers moments, ce qui met en doute leur utilité à mesurer efficacement quoi que ce soit. D'ailleurs, que mesurent ces tests ? Personne ne l'a encore précisé. Il faut encore ajouter que les différences de scores entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis sont non significatives. Anastasi (1972 : 975) a par ailleurs démontré que les auteurs qui ont tenté d'expliquer les différences de scores entre Blancs et Noirs par la génétique ont procédé sans tenir compte d'une foule de données socio-économiques qui, d'après elle, expliquent beaucoup mieux ces différences de scores. 

Enfin, Bodmer (1975 : 252) a souligné que les recherches sur les corrélations entre groupes raciaux et intelligence ne prenaient pas comme base une définition biologique de la race (ou de la population, ce qui serait plus juste), mais une définition "culturelle", c'est-à-dire celle de la "culture" américaine, celle de l'homme de la rue, par conséquent une définition parfaitement idéologique. Cette définition de la race enlève donc tout fondement à la relation postulée entre biologie et intelligence car elle ne tient compte en rien de la biologie. 

Comme on peut le voir, les arguments de Jensen et autres sont intenables sur plusieurs points fondamentaux. Cela ne signifie pas que toute influence génétique est niée dans le cas des "potentialités intellectuelles", quelles que soient leurs "mesures". Cependant, il est clair que les différences de quotient intellectuel observées actuellement entre populations différentes sont dues en grande majorité aux conditions socio-économiques dans lesquelles vivent ces populations. 

Si, malgré l'insuffisance de la procédure et des données, certains chercheurs continuent d'affirmer avec force que les différences raciales dans les tests de quotient intellectuel sont dues à des causes biologiques, c'est que, idéologiquement, ce type d'assertion est présentement rentable et utile aux Etats-Unis et en Angleterre. Ce que ces "théoriciens" font de fait, c'est apporter de l'eau au moulin des groupes racistes et d'extrême-droite, qui oeuvrent à attiser les conflits raciaux ou ethniques. On verra dans la deuxième partie de cet article les bénéfices que tire la bourgeoisie de ces conflits. Jensen et autres justifient le statu quo social comme le démontre amplement la citation antérieure de Herrnstein. Pour eux, la hiérarchie humaine, non seulement sur une base raciale mais aussi sexuelle [6] et même dans les classes sociales, est un résultat de causes biologiques immédiates. Si cette hiérarchie est essentiellement biologique, il ne sert à rien de tenter de l'éliminer : elle est "naturelle". 

Il reste un dernier point à souligner à ce sujet : les résultats des tests de quotient intellectuel sont actuellement utilisés dans bien des pays pour répartir les étudiants dans diverses écoles ou diverses options scolaires. Toute discussion sur les tests a donc un aspect pratique immédiat. La discussion n'est pas seulement "académique", elle est aussi politique dans ce sens que les chances de spécialisation et d'emplois de milliers d'individus sont présentement décidées, et cela très tôt, par les résultats des tests de quotient intellectuel. 

L'analyse bourgeoise prend de multiples formes, qui, toutes, évacuent la lutte des classes comme principe explicatif. Ce type d'analyse n'arrive même pas à cerner correctement le problème, encore moins à l'expliquer. Les différents courants n'ont finalement pour effet que de justifier l'ordre établi : quelquefois, en critiquant certains aspects secondaires ou mal expliqués (courants culturaliste, psychologisant, et éclectique), mais des fois en reportant tous les torts sur les groupes raciaux ou ethniques minoritaires (courants de l'intégration et courant biologisant). Jamais le fondement même de l'analyse n'est remis en question : jamais l'harmonie fondamentale de la société, ou l'importance intrinsèque des critères de différenciation ne sont vraiment mis en doute. Le résultat final, c'est la justification de l'ordre social capitaliste. En cela, les auteurs ci-étudiés ont joué leur rôle d'idéologues, c'est-à-dire de personnes justifiant de diverses façons l'ordre établi. 

Pour sortir de ce marasme, il faut orienter l'explication dans une direction différente. Il faut d'emblée se placer dans une perspective de lutte de classes. C'est ce que nous tentons de faire en deuxième partie. 

 

CONFLITS ETHNIQUES
ET LUTTES DE CLASSES

 

Il faut d'abord clarifier à quoi s'applique l'analyse que nous présentons. Elle s'applique à l'utilisation des critères de différenciation ethnique et raciale dans le cadre du capitalisme, surtout dans sa phase impérialiste (au sens que lui donnait Lénine 1916). Dans cette analyse, le terme "race" s'applique à des groupes dont le critère de différenciation, défini socialement dans les diverses sociétés, est la couleur de la peau. Il est clair que le terme ne recouvre pas une "population" au sens biologique du terme. Par groupe ethnique, nous entendons tout groupe défini comme différent sur la base de la nationalité, de la langue, ou de la religion. Une minorité est un groupe ethnique ou racial dont les membres subissent une oppression du seul fait de leur appartenance à ce groupe. En général, le groupe ethnique dominant dans une formation sociale ne se définit pas comme tel mais plutôt comme la majorité". 

D'après ces définitions, notre analyse s'applique autant aux groupes ethniques d'origine ancienne (Noirs aux Etats-Unis, Canadiens français) qu'aux immigrants de fraîche date. Il faudra toutefois préciser les conditions spécifiques de formation et d'utilisation actuelles de ces deux types de groupes. 

L'utilisation de critères de différenciation physiques ou culturels dans le cadre du capitalisme date de l'expansion coloniale du seizième siècle. Dès cette époque, la question de la variété humaine s'était posée, et dès cette époque, elle fut utilisée pour assurer le profit de la bourgeoisie. De fait, c'est précisément l'intérêt de la bourgeoisie qui a mené à l'élaboration de diverses théories de la différenciation raciale. Car la bourgeoisie, d'abord de concert avec les féodaux et la monarchie, puis seule, a tenté de maximiser son profit aux dépens des populations non européennes. Dans une première époque, l'échange avec certaines populations et le pillage des plus productives (Incas, Aztèques) permit une forte accumulation. Mais le pillage tarissait les sources de richesses et l'échange était limité par la faible productivité des populations indigènes. Il fallait trouver un moyen d'augmenter la production des biens tropicaux. Ce moyen, ce fut le travail forcé, dont la forme la plus poussée fut l'esclavage. A cause de la trop faible densité des populations indigènes en Amérique, les marchands européens importèrent une main-d'oeuvre africaine, très tôt réduite à l'esclavage. Les idéologues justifièrent ces transferts de population et leur mise en esclavage par diverses théories (quelquefois religieuses) de supériorité et d'infériorité raciale : il s'agit des premières idéologies justifiant l'utilisation systématique, à des fins de profits, de critères de différenciation raciaux. Elles se développeront par la suite (cf. Jordan 1968 : chap. 4). 

Aux Etats-Unis, ce n'est qu'au dix-neuvième siècle que l'application d'une théorie discriminatoire à des groupes autres que les Indiens et les Noirs devint nécessaire. De fait, c'est l'implantation du capitalisme industriel, ayant un fort besoin de main-d'oeuvre, qui a entraîné une vague d'immigration nouvelle. Les Irlandais, ruinés en grand nombre par les mesures du gouvernement anglais et par la famine, ont constitué le premier groupe important d'immigrants aux Etats-Unis. Ils furent suivis par des ressortissants d'Europe de l'Est, puis par des Italiens, des Grecs, et enfin, des Porto-Ricains et des Mexicains. L'Angleterre, de son côté, eut à absorber d'abord des Irlandais, puis des ressortissants d'Europe de l'Est, des Italiens, des Portugais, et des Espagnols, enfin des Indiens et Pakistanais et des Antillais. La France, l'Allemagne, la Suisse ont subi des processus semblables, avec des populations différentes. 

Deux points sont ici à souligner. • Premièrement, les pays européens où le capitalisme a pris racine ont d'abord connu une époque (époque du capitalisme marchand) où une partie plus ou moins grande de leur population a émigré vers des régions de colonisation. On estime, par exemple, à un million et demi le nombre d'Anglais émigrant vers les colonies entre 1600 et 1800. Plus tard, au moment où l'industrie s'est implantée dans les mêmes pays, et surtout à l'époque de l'impérialisme après 1880, des ressortissants de régions à faible développement capitaliste ont immigré dans ces pays. Au départ, cette seconde forme de migration est survenue parallèlement à la première : ainsi, de 1861 à 1901, près de cinq millions d'Anglais et d'Écossais ont émigré vers les colonies alors que près de deux millions d'Irlandais immigraient en Angleterre (R. Shannon 1976 : 14-15). Mais peu à peu, la seconde a remplacé la première. • Deuxièmement, les groupes qui ont émigré des régions faiblement industrialisées vers les pays capitalistes, ainsi que ceux qui, déjà présents, étaient facilement identifiables (Indiens, Noirs), ont eu à faire face à une forte discrimination de la part des autochtones (ou, aux Etats-Unis, du groupe Anglo-Saxon protestant). Comment expliquer ces phénomènes ? 

Les migrations des pays européens où le capitalisme prenait racine vers les colonies à l'époque du capitalisme marchand furent causées en bonne partie par l'expropriation des paysans européens sous l'impact de l'économie marchande. Marx (1969a, huitième section) a bien expliqué les étapes de ce processus qu'il n'est pas nécessaire d'examiner plus à fond ici. Ce qui compte pour nous, c'est le flux migratoire qui s'instaure au dix-neuvième siècle et qui va, d'abord des régions européennes faiblement industrialisées vers les Etats-Unis, puis de ces régions et des pays du Tiers-Monde vers les pays impérialistes. L'explication de ce phénomène migratoire qui débute au dix-neuvième siècle tient au développement capitaliste inégal au plan international. En effet, alors que des pays tels que l'Angleterre, la France et les Etats-Unis établissaient une industrie en expansion dès les débuts du dix-neuvième siècle, créant ainsi un besoin de main-d'oeuvre, les régions agricoles d'Europe, d'une part voyaient leur agriculture en crise, et d'autre part connaissaient d'énormes difficultés dans la mise sur pied d'une base industrielle. La résultante nette de ces processus fut l'émigration des régions rurales vers les régions industrielles. Avec l'expansion impérialiste en Afrique et en Asie, les populations de ces continents furent peu à peu happées par le capitalisme et elles aussi commencèrent à émigrer. Cette émigration comprend deux aspects interreliés : d'abord la "libération" des populations européennes et, par la suite, asiatiques et africaines, des rapports de production pré-capitalistes. Il s'agit du processus que Rey a appelé la destruction de ces modes de production (cf. Rey 1971, 1973 et 1976). En effet, il s'agit d'une transformation des formes indigènes de production au profit de la bourgeoisie impérialiste. Dans les pays d'Europe de l'Est et du Sud, la bourgeoisie locale, très faible, s'est chargée elle-même de détruire peu à peu les rapports féodaux. En Afrique et en Asie, c'est l'intervention impérialiste directe des puissances occidentales qui s'en est chargée. Le deuxième aspect, c'est la nécessité pour les capitalistes des pays impérialistes d'avoir une réserve de main-d'oeuvre industrielle abondante. Nous reviendrons plus loin en détail sur ce point. 

Quant à la discrimination, elle ne peut s'expliquer en termes culturels. Les théoriciens de l'"ethnocide" (cf. Jaulin 1972), ainsi que Ertel et al. [7] (1971 : 163) expliquent la discrimination par la "civilisation occidentale" qui ne peut tolérer de différences en son sein et qui s'efforce d'éliminer "l'autre". Ce culturalisme anarchisant et contestataire n'en est pas moins idéaliste comme tous les culturalismes. On ne peut, par exemple, expliquer la discrimination subie par les Japonais aux Etats-Unis par le seul fait de l'étrangeté de leurs coutumes (cf. Ertel et al. 1971 : 172), par le "refus, de la part de la civilisation occidentale, de tolérer en son sein des comportements divergents" (p. 163), par "un préjugé... d'ordre culturel" (p. 163). Surtout que les auteurs soulignent le fait que la discrimination s'exerce plus fortement vis-à-vis des petits propriétaires agricoles auxquels s'opposent les agriculteurs de la région que vis-à-vis des travailleurs agricoles sans-terre (p. 172). Si le "rejet traditionnel de l'autre" par la civilisation occidentale était la cause de la discrimination contre les Japonais, il devrait jouer également contre tous les Japonais, qu'ils soient propriétaires ou travailleurs agricoles, car tous partagent la culture japonaise "autre" [8]. 

Cette explication culturaliste contestataire est fondamentalement idéaliste. Elle pose un principe culturel, caractéristique de la "civilisation occidentale", sans spécifier quelles sont les bases historiques matérielles et sociales de cette civilisation. Le terme de "civilisation occidentale" tel qu'employé par ces auteurs recouvre des réalités historiques, d'ordre économique et politique, diverses. Le concept est donc posé comme en-dehors de l'histoire, comme extérieur aux conditions historiques qui lui donnent sa réalité. Quant au "rejet culturel", il ne peut lui non plus être posé en l'air, il faut l'expliquer, il faut l'asseoir sur des bases matérielles. De fait, ce rejet est un effet du développement capitaliste européen et de l'expansion coloniale que ce développement a entraîné. L'explication culturaliste est donc à rejeter. 

Une explication strictement conjoncturelle, telle qu'attaquée par Ertel et al. (1971 :172), n'est pas non plus suffisante. Elle s'en tient à l'évolution apparente des conditions économiques, sans tenir compte des processus fondamentaux (spécialement la lutte des classes dans le capitalisme selon des formes spécifiques à chaque pays) qui sont à la base à la fois de la conjoncture et de la discrimination sous toutes ses formes. C'est précisément vers l'étude de ces processus que nous devons nous tourner. Cette étude nous permettra d'analyser autant le besoin de main-d'oeuvre que l'utilisation des critères de différenciation dans les pays capitalistes. 

Le premier point à souligner c'est que le "rejet culturel" s'accompagne toujours d'une "exploitation économique". En effet, et cela est crucial, la discrimination raciale et ethnique n'a eu depuis les débuts du capitalisme qu'un but : justifier l'utilisation des populations extérieures à l'Europe occidentale comme main-d'oeuvre à exploiter. Le "rejet culturel" de l'autre par l'Occident n'est donc pas une caractéristique indépendante, dont la source serait dans une hypothétique "civilisation occidentale" non historique, mais bien un aspect idéologique lié à l'expansion du capitalisme qui eut son origine en Europe de l'Ouest et qui se développa plus tard en Amérique du Nord, expansion dans des régions occupées par des populations diverses, dont la majorité était non blanche et non chrétienne, expansion qui, nous l'avons vu, nécessitait un bouleversement du mode de vie et une utilisation de ces populations. Le cadre du "rejet culturel" de ces populations c'est paradoxalement celui de leur intégration économique et politique forcée au capitalisme, et leur utilisation pour maximiser le profit capitaliste, d'abord par l'échange des marchandises ensuite par leur production. Le "rejet culturel" apparaît donc comme un moyen idéologique qui justifie l'exploitation de ces peuples, et non leur exclusion. 

C'est dans ce contexte où l'apparence physique, les coutumes, la religion, la langue furent utilisées pour justifier l'exploitation qu'il faut comprendre l'émigration, forcée ou non, des non-blancs et des Européens du Sud et de l'Est vers l'Amérique et l'Europe de l'Ouest. Le "rejet culturel" que maintenant les émigrés subissent dans leur pays d’« adoption » doit donc être relié au contexte du capitalisme à son stade impérialiste. 

Or, à ce stade, les capitalistes ont concentré la production, ils l'ont différenciée, ce qui les oblige à trouver une main-d'oeuvre, et ce non seulement pour l'utilisation immédiate dans l'industrie mais encore comme Il armée industrielle de réserve". Ces deux points sont interreliés. Car l'utilisation capitaliste de la main-d'oeuvre, comme Marx l'a bien démontré, comporte nécessairement la mise en réserve d'une partie de la force de travail (cf. Marx 1969a : chap. 25 ; 1969b : III section 3). Cette "armée de réserve", partie de la surpopulation relative qui est un "produit" du capitalisme, peut prendre trois formes : une forme flottante, correspondant aux ouvriers tout à tour attirés et repoussés par l'industrie ; une forme latente, dans laquelle Marx a inclu essentiellement les paysans et petits producteurs expropriés ; enfin, une forme stagnante, correspondant aux ouvriers temporaires ou occasionnels et aux chômeurs chroniques mais en quête d'emploi. Ce qu'il faut souligner, c'est que la main-d'oeuvre de réserve a deux effets importants dans la lutte des classes : elle permet de comprimer les salaires ouvriers ; et, par la compétition qu'elle instaure entre travailleurs, sert à diviser la classe ouvrière. 

Il est à noter que l'armée industrielle de réserve n'est pas un outil de pression uniforme sur l'ensemble de la classe ouvrière. En effet, les ouvriers qualifiés ou de métiers, syndiqués pour la plupart, travaillant souvent dans de grandes usines et bénéficiant de salaires assez élevés, ne subissent que très faiblement la pression de l'armée industrielle de réserve dont les membres sont souvent sans qualification. Cela ne veut pas dire que ces travailleurs sont à l'abri des pressions de la main-d'oeuvre de réserve : nul travailleur n'est complètement à l'abri d'une mise à pied et d'un remplacement par un travailleur plus jeune, plus docile et/ou meilleur marché. Cependant, comme de Gaudemar l'a souligné, le "marché du travail" n'est pas uniforme (1976 : 50). Et bien que tous les travailleurs aient à subir la pression de "l'armée de réserve", ce sont surtout les travailleurs des secteurs les moins concentrés, où la main-d'oeuvre est la moins qualifiée, qui ont à subir le plus fortement la pression de la main-d'oeuvre de réserve. 

Or, depuis le début du siècle, mais surtout, pour l'Europe, depuis 1950, les réserves de main-d'oeuvre traditionnelle, internes aux divers pays (paysans, artisans, femmes), n'ont plus suffi pour les besoins accrus de l'industrie en expansion. Il a fallu chercher la force de travail là où elle se trouvait, là où l'Amérique l'avait trouvée depuis longtemps : dans les régions agricoles d'Europe de l'Est et d'Europe du Sud, puis dans les pays du Tiers-Monde. L'utilisation de cette force de travail comportait un triple avantage : elle n'entraînait aucun coût d'entretien avant l'immigration ; elle était docile et bon marché, du moins au départ ; et elle était clairement "différente" de la force de travail "autochtone". Nous reviendrons plus loin sur ce dernier point. La main-d'oeuvre immigrante doit être vue dans ce cadre général de l'obtention de réserves d e force de travail par les capitalistes des pays impérialistes au moment où les sources internes sont soit insuffisantes soit abondamment utilisées. Cela ne veut pas dire que tous les immigrants viennent dans leur pays d'adoption comme travailleurs non qualifiés : beaucoup de professionnels et de travailleurs qualifiés émigrent, mais ils ne sont pas en majorité. Cela ne veut pas dire non plus que les immigrants et membres de groupes ethniques sont toujours utilisés dans les industries à fort roulement de main-d'oeuvre : un bon nombre se trouve des emplois stables dans des usines syndiquées. Cela est encore plus vrai des enfants d'immigrants de la "seconde génération". Cependant, et cela va à l'encontre de Granotier (1970 : 27-28), l'utilisation de la main-d'oeuvre immigrante ne peut être comprise si elle n'est pas remise dans le contexte de l'utilisation capitaliste de la force de travail : une utilisation qui demande toujours plus de force de travail à exploiter, qui en demande même en surplus ; et cette force de travail, ce sont les capitalistes mêmes qui la créent en rendant superflue une partie des travailleurs utilisés ou en expropriant des paysans ou des petits producteurs. "L'armée de réserve" est une caractéristique fondamentale de la lutte des classes dans le capitalisme : Marx fait de la création par les capitalistes d'une force de travail en surplus : "La loi générale, absolue, de l'accumulation capitaliste" (1969a : 471). Et c'est seulement dans ce cadre où le capitaliste tente de créer et de modeler à son avantage la force de travail que l'immigration peut se comprendre. Cela ne signifie pas que tous les immigrants font, à leur arrivée, partie de la force de travail de réserve, ni que des membres des groupes ethniques établis ne peuvent être inclus dans la main-d'oeuvre permanente. Cependant, c'est seulement dans ce cadre que l'immigration en masse de certains groupes peut être comprise, car la majorité de leurs membres arrive comme travailleurs sans qualification. L'immigration est donc un mécanisme fondamental utilisé par la bourgeoisie pour assurer la mobilité et la plasticité de la main-d'oeuvre (cf. Meillassoux 1975, deuxième partie). 

Nous venons d'élucider le cadre de l'utilisation économique des immigrants. Il reste à préciser celui de leur "rejet culturel", appellation fausse, car il s'agit plutôt de l'utilisation idéologique dans le capitalisme de critères de différenciation physique ou culturelle. En effet, on l'a vu, le rejet culturel a toujours servi de justification à l'exploitation. Mais il a servi à autre chose encore. Pour élucider ce point, nous allons partir d'un examen de la situation de divers groupes, différenciés culturellement ou physiquement, dans la lutte des classes des pays capitalistes. 

Prenons d'abord le cas des Noirs aux États-Unis. Dans la période esclavagiste, la couleur de la peau fut utilisée pour confiner les Noirs dans une situation de classe précise : celle d'esclaves, employés surtout au travail agricole de plantations. Pour assurer l'exploitation maximum, il fallait maintenir l'esclavage et garantir la permanence de la main-d'oeuvre. De là les interdits de toute sorte qui isolaient les Noirs de la société blanche ambiante (cf. Ertel et al. 1971 : chapitre V ; Jordan 1968 : chapitre II, III et IV). La justification de la position d'esclave et des interdits se fondait sur des arguments biologiques, essentiellement l'infériorité de la "race" noire. 

L'abolition de l'esclavage, en éliminant le travail non libre, n'a pas éliminé l'idéologie qui justifiait le statut d'esclave réservé aux Noirs. Au contraire, ces arguments ont été maintenus pour garder les Noirs dans des situations de classes précises : le sous-prolétariat urbain, utilisable dans les industries à faible composition organique du capital, utilisable aussi pour diviser la classe ouvrière ; et le métayage des anciennes plantations du Sud (cf. Ertel et al. 1971 : 342 sq. ; Adler 1969). Donc ce qui caractérise la situation des Noirs après l'abolition de l'esclavage, et ce jusqu'à aujourd'hui [9], c'est leur cantonnement dans le sous-prolétariat urbain et la paysannerie pauvre. Il est à noter que les syndicats ont été un élément qui a contribué à ce cantonnement. 

Le critère employé pour maintenir les Noirs dans une situation défavorisée a été et est encore la couleur de la peau. Ayant servi avant la guerre civile, le critère fut utilisé à nouveau après 1866. En effet, la guerre civile marquait une tentative d'intégrer le Sud, où le système esclavagiste bloquait le développement capitaliste, au capitalisme industriel dont les bases étaient en Nouvelle-Angleterre (cf. Marx 1970). En cela la guerre civile constituait une coupure réelle dans l'évolution des rapports de production du Sud. Dans ce contexte, on peut affirmer que la position antérieure des Noirs dans la structure de classe esclavagiste n'était pas une cause suffisante pour le maintien des Noirs dans une situation de classe dominée après l'abolition. De fait, se plaçant d'un point de vue libéral, Logan (1965) fait remarquer que des mesures gouvernementales précises, assez limitées et pas trop coûteuses (par exemple, redistribution des terres aux anciens esclaves, éducation, etc.) auraient pu permettre aux Noirs de se disperser dans les différentes classes de la société américaine. Au contraire, l'utilité économique des Noirs dans la culture du coton dans le Sud, et leur utilité économique et politique comme main-d'oeuvre industrielle de réserve dans le Nord ont dès le départ rendu impossibles les mesures gouvernementales. La conséquence immédiate en fut le cantonnement des Noirs dans des situations de classe précises : métayage et sous-prolétariat. Dans les deux cas, les Noirs entrèrent en compétition avec des Blancs, qui, du fait de leur situation de classe, avaient des intérêts semblables. Mais l'utilisation des Noirs, peu instruits, sans autre possibilité de survie, prêts à travailler dans n'importe quelles conditions, même, sans le savoir, comme briseurs de grèves, permettait, dans le Sud, d'augmenter la rente sur la terre, et dans le Nord, de maintenir les salaires bas, ce qui entraînait une opposition blanche à l'embauche des Noirs. Par conséquent, l'absence de mesures gouvernementales, liée au caractère de classe de l'État américain, a eu pour effet de protéger d'abord les intérêts des capitalistes industriels, subsidiairement ceux des propriétaires terriens, augmentant les profits et la rente et divisant les classes exploitées sur la base de la race. 

Cette analyse de la situation des Noirs depuis 1866 est très partielle, mais elle reprend les éléments essentiels. Certaines caractéristiques d'autres minorités aux Etats-Unis nous permettront d'approfondir les conclusions avancées jusqu'ici. 

Les Juifs [10] constituent la minorité américaine qui a connu le plus de succès aux points de vue économique et culturel aux Etats-Unis, Mais au départ, bien que bons nombres d'immigrants juifs étaient qualifiés, la plupart firent partie de l'armée de réserve. Peu à peu, par l'éducation et la constitution d'une organisation de groupe, ils ont réussi en général à sortir du sous-prolétariat et même de la classe ouvrière et à devenir employés ou cadres. Cependant, parce qu'ils entraient en compétition avec des gens déjà installés, ils suscitèrent une hostilité, que l'on justifiait idéologiquement par la religion juive et les coutumes spéciales du groupe. Cette hostilité ne les empêcha pas de militer activement dans les mouvements anti-capitalistes. Bien qu'étant un des groupes aux revenus les plus élevés aux Etats-Unis, avec une forte représentation dans les professions libérales, les Juifs sont encore sujets à des attaques fréquentes et ils sont exclus du Conseil d'administration de secteurs importants de l'industrie : l'industrie automobile, la pétrochimie, le pétrole, les banques, les assurances. 

Quant aux Irlandais [11] et aux Italiens [12], malgré la similitude relative de leur apparence physique avec les groupes déjà établis, la religion catholique, leur "nationalité" et leurs coutumes respectives furent utilisées comme excuses pour les garder dans le sous-prolétariat. Ces tentatives échouèrent à long terme, ces groupes connaissant une certaine mobilité. Ils constituent présentement une bonne partie du prolétariat industriel. C'est leur moindre "visibilité", c'est-à-dire la non-perception immédiate des critères utilisés pour les maintenir dans une situation de classe, qui explique la plus grande mobilité de ces minorités par rapport aux Noirs. 

Enfin, l'apparence physique et les "coutumes" furent utilisées contre les Japonais [13] et les Chinois [14] aux Etats-Unis. On voulait empêcher les premiers de devenir propriétaires des terres qu'ils cultivaient ; et on voulait maintenir les seconds dans la situation de quasi -esclavagisme (coolie labor) qu'ils devaient subir dans les chantiers de construction de chemins de fer [15]. 

Au Canada, la langue française, la religion catholique, et le droit français furent utilisés de diverses façons après 1760 [16]. En effet, les propriétaires terriens (seigneurs), issus du mode de colonisation semi-féodal (du moins en droit) du Régime Français (1608-1760), ont utilisé la langue, la religion, et les coutumes pour maintenir leur ascendant sur le peuple canadien français et pour l'utiliser comme base politique pour se tailler une place dans la nouvelle classe dominante d'origine anglophone. Cette tentative connut un certain succès, du moins jusqu'en 1837, et cela est dû en bonne partie au fait que les administrateurs anglais étaient eux aussi issus d'une classe de petite noblesse terrienne. Mais à partir de 1810, et culminant avec la Rébellion de 1837-38, une petite-bourgeoisie professionnelle et manufacturière francophone voulut se soustraire au contrôle combiné des administrateurs anglophones, des notables francophones, et des marchands anglais, et établir une république indépendante. Il s'agissait là de la première utilisation "nationaliste" du "fait français". Après la Rébellion de 1837-38 qui fut matée de façon sanglante, la langue et la religion furent utilisées, d'une part, par une petite-bourgeoisie francophone cléricale et réactionnaire, liée à l'Église catholique, et d'autre part par la bourgeoisie canadienne qui transforma le surplus de population agricole canadienne française en force de travail industrielle à bon marché. Cette dernière utilisation dure jusqu'à ce jour. C'est d'ailleurs cette oppression nationale spécifique qui a donné lieu à une deuxième tentative historique par la petite-bourgeoisie francophone de s'établir comme classe dominante dans une république indépendante du Québec. En effet, depuis 1960, divers regroupements, dont le plus récent, le Parti Québécois, s'efforcent de miser sur l'oppression nationale pour mobiliser le peuple sur un projet d'indépendance sous contrôle bourgeois. 

Dans le cas du Québec, on voit deux aspects importants du problème des minorités : d'une part l'utilisation des critères de différenciation pour créer une main-d'oeuvre à bon marché ; d'autre part leur utilisation par une petite-bourgeoisie ethnique qui aspire à devenir bourgeoisie. 

Autre exemple au Canada : les immigrants d'Europe de l'Est furent utilisés comme sous-prolétaires dans l'Ouest du pays, clairement et de façon avouée pour maintenir les salaires ouvriers bas et diviser la classe ouvrière (cf. Avery 1975, entre autres p. 57). Dans cette utilisation, la "nationalité" différente de ces gens fut le critère utilisé. 

Enfin, en Europe, Castles et Kosack (1973), Granotier (1970), Allen (1970) et de nombreux autres [17] ont montré comment les immigrants étaient utilisés comme main-d'oeuvre dans des secteurs économiques qui ne peuvent subsister qu'à travers des salaires bas. Cette utilisation a comme conséquence une hausse contrôlée de l'ensemble des salaires industriels et la division de la classe ouvrière. 

Ces exemples, peut-être un peu brefs, suffisent cependant pour poser clairement le problème des critères de différenciation ethnique ou raciale et celui de la situation des minorités. En général, les critères de différenciation préexistent à la société capitaliste qui les utilise. Par exemple, l'apparence physique des Noirs africains, ancêtres des Noirs Américains, n'est pas une création de la société capitaliste ; de même pour les religions catholique ou juive, la culture juive, et la plupart des langues [18]. La nationalité, dans son sens strict de caractéristiques liées à des nations particulières, est liée au développement du capitalisme, car la nation est le cadre territorial et politique des formations sociales où domine le mode de production capitaliste. Cependant, dans les cas qui nous intéressent ici, il s'agit de nationalités d'origine extérieure à la société d'accueil. Même dans ce cas, nous pouvons dire que les critères d'identification des minorités préexistent à leur inclusion dans la société capitaliste d'accueil. 

Il y a à cela des exceptions. Par exemple, dans le cas des Noirs américains, leur insertion dans les rapports de production esclavagistes n'explique que partiellement leur utilisation subséquente dans le capitalisme industriel. Cependant, on peut considérer leur insertion dans le capitalisme industriel, à la suite de la guerre civile, à la façon de l'immigration d'un groupe extérieur, possédant déjà une apparence physique propre et des coutumes spécifiques. Il y a aussi le cas des "minorités" dont la présence précédait l'arrivée des groupes devenus dominants. C'est le cas entre autres des Indiens en Amérique [19], qui étaient déjà sur place lors de la première immigration blanche. L'expansion des colons blancs, intéressés à la terre, a signifié la destruction massive des modes de production indigènes antérieurs et la dépendance accrue des Indiens, d'abord envers le capitalisme marchand, puis envers le capitalisme industriel. Les Indiens ont été intégrés, contre leur volonté, à la structure de classes de la société capitaliste nord-américaine. Dans cette structure, les Indiens sont cantonnés pour la grande majorité dans le chômage chronique, la "race" et la culture servant de critères justifiant cette situation. 

Il est clair que l'on ne peut appliquer une explication unique et complexe à tous les cas mentionnés que si l'on tient compte de la lutte des classes dans la société capitaliste d'accueil. C'est à la seule condition de prendre comme principe d'analyse cette lutte des classes, qui constitue la contradiction principale des sociétés capitalistes, que tous les aspects cités antérieurement, y compris le maintien de caractères culturels, peuvent être expliqués. 

Si l'on examine les divers exemples précités à la lumière de la lutte des classes, on peut tirer un certain nombre de propositions : 1) Aucune minorité mentionnée n'est représentée en bon nombre dans la fraction hégémonique de la classe dominante, c'est-à-dire le capital financier. 2) La plupart des membres de groupes ethniques minoritaires ont subi la plus forte discrimination lorsqu'ils faisaient partie du prolétariat. 3) La discrimination s'exerce présentement avec le plus de force contre des groupes cantonnés majoritairement dans le prolétariat et le sous-prolétariat (par exemple, les Noirs aux Etats-Unis). 4) Les minorités et les immigrants ont été utilisées pour faire baisser les salaires, briser les grèves, et en général pour diviser la classe ouvrière. 5) Les syndicats en Amérique du Nord ont participé activement à la discrimination contre la plupart des minorités. 6) La discrimination peut aussi s'exercer en milieu rural, soit pour empêcher l'implantation de petits agriculteurs propriétaires (vg. les Japonais aux Etats-Unis), soit pour maintenir une main-d'oeuvre agricole à bon marché (les Noirs, les Mexicains, les Indiens, et les Japonais aux Etats-Unis). 7) Les minorités ont eu entre elles de nombreux affrontements. 8) Certaines minorités, notamment les Juifs et les Japonais, ont "réussi" économiquement selon les normes de l'idéologie américaine sans pour autant être incluses non seulement dans la fraction hégémonique de la classe dominante mais aussi dans d'autres fractions. 9) Les minorités, comme réflexe de défense, mais aussi sous l'instigation d'une bourgeoisie ou d'une petite-bourgeoisie ethnique, ont tenté de s'organiser et ont ainsi créé ou protégé une "culture" particulière. 10) Cette culture, ainsi que les critères de race, de langue ou de religion, a servi de justification à la discrimination. 

De ces considérations, on peut tirer des conclusions importantes sur les minorités. Il est clair, d'abord, que les critères de justification du statut des minorités, y compris la "culture" et les coutumes, sont utilisés idéologiquement, c'est-à-dire qu'ils sont utilisés pour maintenir une situation dont ils veulent masquer les causes réelles. Ils sont donc des prétextes. A cet égard, le cas d'un groupe de gens défavorisés d'une petite ville du Québec que nous avons étudiée (Bernier 1977a, 1977b) peut aider à clarifier cet aspect. Il s'agit en effet d'un groupe de sous-prolétaires, présentant les caractéristiques de cette couche sociale (pauvreté, malpropreté, instabilité maritale, illégitimité, etc.), subissant une forte discrimination justifiée par une idéologie semblable à celle utilisée contre les groupes ethniques défavorisés, mais ne comportant pas les critères utilisés pour différencier les groupes ethniques. Pour compenser, on utilise les caractéristiques du groupe, (conséquences de leur situation matérielle, elle-même un effet de leur utilisation par la bourgeoisie comme force de travail de réserve), comme critères de différenciation et comme justification de la discrimination que le groupe subit. Dans ce cas, les conséquences de l'insertion de ce groupe dans les rapports de production capitalistes deviennent la justification même de cette insertion. Ce qui rend ce cas particulièrement intéressant, c'est que, en l'absence de critères antérieurs (race, religion, langue, etc.) qui auraient pu être utilisés idéologiquement pour justifier la situation du groupe, les conséquences de la situation du groupe deviennent les bases idéologiques de la justification de cette situation. Dans ce cas, il est impossible de prendre les critères de différenciation comme des causes, puisque le critère utilisé est une conséquence de la situation elle-même. Il ressort que la cause de la discrimination contre les gens de ce groupe est à rechercher dans les rapports de production capitalistes eux-mêmes, dans la lutte des classes caractéristique des formations sociales capitalistes, spécifiquement dans les intérêts économiques et politiques de la bourgeoisie. Comme la discrimination contre ce groupe est de même nature que celle appliquée aux minorités et aux immigrants, nous croyons qu'il est possible d'étendre cette conclusion aux minorités. Même plus, il nous semble que c'est la seule explication possible : la cause de l'oppression des nations dominées dans les pays capitalistes, de la discrimination contre les minorités et les immigrants, et des préjugés qui y sont attachés, se trouve dans la lutte des classes dont la contradiction principale est celle entre bourgeoisie et prolétariat. Dans ce contexte, les critères de différenciation ne sont que des prétextes, leur utilisation est purement idéologique. 

Ce que ces prétextes veulent masquer, c'est la situation réelle des classes dans les sociétés capitalistes, c'est-à-dire la lutte des classes dans laquelle les capitalistes tentent de maintenir les conditions de l'exploitation et d'augmenter l'accumulation et les prolétaires de se soustraire à l'exploitation. En effet, en insistant sur tous les critères possibles de division (la race, la nationalité, mais aussi le sexe, la qualification, et dans le cas des sous-prolétaires, les conséquences mêmes de leur situation misérable), l'idéologie dominante masque les intérêts communs de l'ensemble du prolétariat. Par ce moyen, la classe dominante divise le prolétariat selon ses couches (employés, ouvriers qualifiés, spécialisés, manoeuvres, chômeurs) et selon d'autres facteurs (ethniques, religieux, sexuels), en insistant sur des différences qui, bien que réelles, n'en sont pas moins secondaires par rapport aux intérêts communs de l'ensemble du prolétariat. L'insistance sur ces différences a aussi servi à maintenir des réserves de main-d'oeuvre, ce qui a eu pour effet une dégradation des conditions générales de travail pour l'ensemble du prolétariat (même si certaines couches en ont obtenu certains avantages). 

Certains partis sociaux-démocrates et certains syndicats américains, tels l'AFL, ont appuyé la bourgeoisie dans son effort de division de la classe ouvrière en participant à des campagnes d'exclusion raciale. Ces partis et syndicats se sont détournés de la défense réelle des intérêts du prolétariat pour collaborer avec la classe dominante et protéger les intérêts économiques de l'aristocratie ouvrière (cf. Saxton 1971). Castles et Kosack (1973 : chap. IV) ont montré comment, en Angleterre, en France, en Suisse et en Allemagne, les syndicats et certains partis "de gauche" ont eu des politiques qui, si elles ne furent pas aussi franchement racistes qu'aux États-Unis, ont accepté les divisions utilisées par la bourgeoisie. Au lieu de s'attaquer à la racine du mal, c'est-à-dire à l'utilisation idéologique des critères de différenciation pour promouvoir les intérêts économiques et politiques de la bourgeoisie dans la lutte des classes, ces partis et syndicats s'en sont pris aux victimes de cette stratégie, c'est-à-dire aux prolétaires différenciés selon l'un ou l'autre de ces critères. 

L'idéologie dominante, renforcée par les syndicats, a entraîné une hostilité marquée entre minorités. Le résultat en a été une insistance sur la promotion individuelle et "nationale", c'est-à-dire l'amélioration des conditions de vie des membres du groupe minoritaire, et par conséquent un affaiblissement de la conscience de classe et de l'organisation des travailleurs. Pris dans leurs querelles internes, fomentées par l'idéologie dominante, les ouvriers en ont oublié leurs intérêts économiques et politiques fondamentaux. 

Mais ce n'est pas là la seule division importante introduite par la discrimination. En effet, la présence de minorités, utilisée par l'idéologie dominante, a provoqué des scissions entre ouvriers urbains et ouvriers agricoles, ouvriers permanents et temporaires, enfin entre ouvriers de diverses branches industrielles selon la prépondérance des groupes ethniques. Elle a aussi provoqué une scission entre ouvriers et petits agriculteurs, et même entre petits agriculteurs eux-mêmes. De plus, se servant de la discrimination, la classe dominante a pu s'allier certains secteurs parmi les agriculteurs et les petits-bourgeois, en échange d'avantages (légaux ou non) au niveau de l'emploi, des conditions de travail, et du logement. Enfin, certains secteurs de la classe dominante ont utilisé la discrimination, fondée sur la race, la religion ou la langue, pour limiter le nombre des individus qui en font partie. 

Cette analyse nous permet de préciser les faiblesses de l'idéologie du "melting pot", promue par une certaine sociologie aux Etats-Unis. Cette idéologie veut que, quelle que soit leur origine ethnique, les individus s'intègrent comme individus à l'intérieur de la société américaine, avec chances égales de réussite pour tous. On a vu que, à l'opposé de cette théorie, les nécessités de la lutte des classes dans la société capitaliste, y compris aux Etats-Unis, entraînent l'insistance sur toutes les différences possibles, y compris les différences ethniques. Il y a cependant une réalité que révèle tout en la déformant la théorie du "melting pot" : celle de l'utilisation fondamentale de tous les individus, sauf ceux de la classe dominante et leurs alliés, comme force de travail à exploiter. Mais cette exploitation même entraîne d'emblée les divisions que nous avons analysées. On retrouve donc, dans les sociétés capitalistes, des tendances contradictoires, d'une part, à l'uniformisation des individus comme force de travail, d'autre part à la division de la force de travail. 

La discrimination, fondée sur n'importe quel critère, est donc utilisée par la classe dominante pour protéger ses intérêts [20]. En cantonnant certains groupes dans le sous-prolétariat et en divisant la classe ouvrière, la discrimination a pour but fondamental le maintien des rapports de production capitalistes, c'est-à-dire le maintien de l'exploitation. En effet, la discrimination empêche les travailleurs et petits paysans de voir leurs intérêts communs et de s'organiser pour transformer radicalement les rapports sociaux. Elle protège alors la classe dominante en lui assurant des appuis dans d'autres classes, en divisant la classe ouvrière, et en limitant l'accès à la bourgeoisie. 

De telles constatations nous forcent à discuter de l'organisation politique des minorités et de son lien aux organisations ouvrières. Pour cela, il faut éclaircir la question des "cultures nationales" de chaque minorité. En d'autres termes, il s'agit de resituer les effets de l'idéologie discriminatoire et son efficacité propre dans les rapports sociaux capitalistes. 

La culture d'origine, tout comme la langue, l'apparence physique et la religion, n'ont d'importance dans le capitalisme que par l'utilisation qui en est faite par l'idéologie dominante. Ces facteurs n'affectent pas les intérêts de classes fondamentaux, ils sont, de fait, subordonnés à la position des groupes dans les rapports de production. Cependant, l'idéologie discriminatoire, lorsqu'elle existe, a son efficacité propre, qui est précisément de présenter des groupes définis par certaines caractéristiques physiques ou culturelles comme plus ou moins différents de la norme culturelle ou raciale que représente la classe dominante. L'éloignement relatif de cette norme définit une position plus ou moins avantageuse des diverses minorités. On voit là toute l'utilité de cette idéologie. Son utilisation, en effet, permet à certaines minorités de se sentir supérieures à d'autres, même si cette idéologie sert aussi au maintien de ces minorités dans des situations d'exploitation. Par exemple, les travailleurs italiens aux États-Unis se sentiront supérieurs aux travailleurs noirs. Au lieu de se sentir solidaires entre eux, sur la base d'intérêts communs, face à la classe dominante, c'est-à-dire la bourgeoisie, les ouvriers d'origines nationales différentes entrent en compétition réelle, et ils utilisent comme moyen de promotion l'idéologie dominante. L'idéologie discriminatoire est donc reprise par les minorités, ce qui entraîne la dissémination de nombreux stéréotypes, raciaux ou culturels, par les minorités les unes par rapport aux autres. En d'autres termes, l'idéologie discriminatoire fonctionne réellement, elle a des conséquences réelles dans la lutte des classes, elle masque effectivement aussi bien les intérêts communs des ouvriers que l'exploitation dont ils sont l'objet. 

Placée dans la hiérarchie plus ou moins rigide des minorités, cantonnée en elle-même par l'idéologie dominante, chaque minorité, sous la conduite d'une petite-bourgeoisie "nationale" qui tente, quelquefois avec succès, à devenir partie de la bourgeoisie [21], exalte sa culture nationale et crée ses organisations spécifiques [22]. Ce repli sur le groupe, conséquence de l'idéologie discriminatoire et renforcé par les bourgeoisies ethniques, a pour effet de rendre plus difficile encore l'union entre membres de diverses minorités appartenant au prolétariat et à ses alliés. La bourgeoisie dans son entier retire des bénéfices de ce repli : bénéfice, économiques du fait du cantonnement de certains groupes dans la surpopulation relative, bénéfices politiques du fait de la division de la classe ouvrière que l'exaltation de la culture nationale entraîne. La bourgeoisie minoritaire en tire aussi des avantages : en effet, ce n'est que si elle transforme la majorité (y compris le prolétariat) du groupe ethnique dont elle fait partie en base politique pour elle-même que cette bourgeoisie peut être incluse dans la bourgeoisie autochtone ; de là la position ambiguë de la bourgeoisie "ethnique", devant à la fois exalter la culture nationale pour maintenir sa base politique, et souligner les intérêts de classe qu'elle partage avec le reste de la bourgeoisie. 

Dans ces conditions, la "culture nationale" a une réalité certaine. Elle comprend un ensemble de coutumes plus ou moins spécifiques, ayant trait au mariage, à la nourriture, etc., et dans certains cas la langue et/ou la religion. Cependant, cette réalité des coutumes, secondaire par rapport aux intérêts fondamentaux de classe, est exagérée par l'utilisation idéologique qu'en fait la bourgeoisie. C'est donc l'idéologie dominante qui donne aux coutumes ethniques leur importance. La conséquence de cette conclusion, c'est que la discrimination sur une base ethnique ne pourra disparaître que si l'on élimine le pouvoir de la classe à qui profite cette idéologie, c'est-à-dire la bourgeoisie, car la discrimination est intimement liée à l'exploitation capitaliste. Il n'est pas nécessaire, pour éliminer la discrimination de détruire les coutumes ethniques ; il faut cependant les situer dans une nouvelle perspective qui n'est possible qu'à travers le renversement de l'ordre bourgeois. 

Le renversement de l'ordre bourgeois n'entraînera pas automatiquement et immédiatement la disparition de tous les effets de l'idéologie bourgeoise. Même, les séquelles de cette idéologie pourraient reproduire au sein des organisations du prolétariat les divisions présentes à l'heure actuelle dans les sociétés bourgeoises. On n'a qu'à souligner le rôle subordonné des femmes ou des Noirs américains dans les organisations de gauche aux Etats-Unis (cf. Carmichael et Hamilton 1967) pour souligner ce danger. La raison de ces divisions internes tient à la persistance de l'idéologie bourgeoise : les prolétaires, comme tous les autres, ont été modelés par cette idéologie. La conscience des intérêts communs peut quand même être accompagnée de chauvinisme, c'est-à-dire d'une absence de conscience de l'aspect idéologique des attitudes et comportements face aux divisions raciales et culturelles. 

Pour contrer le chauvinisme, certaines mesures doivent être prises. D'abord, au niveau international, dans les pays d'émigration, les partis révolutionnaires et tous les éléments qui visent à un développement hors des limites imposées par l'impérialisme doivent défendre une politique anti-migration. En effet, le développement de ces régions vers le socialisme rend nécessaire le maintien sur place de la main-d'oeuvre prête à émigrer, main-d'oeuvre absolument nécessaire pour assurer un développement "selon ses propres forces" caractéristique d'une politique d'indépendance nationale menant au socialisme (cf. Samuel 1976 :136-138). Par ailleurs, dans ces pays, l'élimination des conflits tribaux passe par la neutralisation des classes dominantes issues de la période pré-capitaliste qui exacerbent les divisions tribales (cf. Rey 1971 et Rey éd. 1976). 

Dans les pays impérialistes, qui, tous sans exception, ont des problèmes ethniques internes causés par une immigration récente ou ancienne, la stratégie des organisations populaires ne peut être centrée ni sur le renvoi des immigrants dans leur pays d'origine, ni dans le blocage de l'immigration. Au contraire, elle doit être fondée sur les conditions concrètes à l'époque actuelle, ce qui inclut la présence dans ces pays de forts contingents d'immigrants. Cette stratégie se situe à deux niveaux : d'abord l'organisation d'un parti défendant des positions prolétariennes. Le parti doit se construire autour des intérêts communs du prolétariat et de ses alliés, en ne reproduisant pas les divisions sur quelque base que ce soit utilisées par la bourgeoisie. Cependant, deuxièmement, le parti doit s'appuyer sur des organisations de masse qui regrouperont des gens ayant une oppression spécifique à combattre : organisations de femmes, de jeunes, d'immigrants, de groupes raciaux, etc. Le but de ces organisations n'est pas de perpétuer les divisions utilisées par la bourgeoisie, mais bien de les extirper. Pour ce faire, il est nécessaire que des organisations de masses définies sur ces bases se constituent, car ce n'est que par une action constante et vigilante, qui seule peut permettre la mise à pied de telles organisations, que les bases idéologiques des divisions utilisées par la bourgeoisie pourront être extirpées du parti et du peuple.

 

CONCLUSION

 

L'examen que nous venons de faire des problèmes raciaux et ethniques dans les pays capitalistes occidentaux nous a forcés à remettre en cause l'analyse bourgeoise des minorités et des groupes ethniques comme une analyse idéologique, liée aux intérêts de la bourgeoisie nationale de chaque pays. Pour remettre ces problèmes, qui ont un aspect pratique évident, à leur place théorique, il a fallu réamorcer l'analyse en se plaçant d'emblée du point de vue de la lutte des classes. Comme nous pensons l'avoir démontré, ce n'est que de ce point de vue que peuvent être expliquées les caractéristiques historiques et actuelles du problème de l'immigration et des conflits raciaux et ethniques ainsi que les moyens à prendre pour éliminer l'influence de l'idéologie bourgeoise dans les organisations du prolétariat et dans le peuple. En se plaçant du point de vue de la lutte des classes, les propositions théoriques perdent leur caractère formel et mènent automatiquement à des mesures pratiques. Ce n'est que de ce point de vue que théorie et pratique peuvent être reliées, que les deux aspects des luttes populaires se fusionnent tout en gardant leur spécificité. 

 

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[1] Les changements incessants dans les catégories de recensement (du moins au Canada) au chapitre des occupations le démontrent assez clairement.

[2] Les traductions de passages de livres cités en anglais dans la bibliographie sont de nous.

[3] Ici, on retrouve liés, mais sans explication, deux des principes de regroupements de tout individu, dans toute société : l'ethnicité et la parenté. Si l'on faisait équivaloir "statut" et "classe", on en retrouverait un troisième.

[4] Parsons définit les catholiques comme un groupe spécifique. Même si la religion sert de critère de différenciation aux Etats-Unis, il reste que les Irlandais et les Italiens, tous deux catholiques, n'en ont pas moins à l'heure actuelle une situation différente dans la société américaine.

[5] Pour un bon résumé de la procédure et des résultats, voir Garcia (1972). Loehlin, Lindzey et Spuhler (1975) donnent de nombreux détails sur les diverses étapes et les résultats de ces recherches.

[6] C. Kirsch (1976) a démontré le caractère essentiellement social des différences de situation et d'emplois des femmes et des hommes.

[7] Ertel et al. ont tenté de réinterpréter la situation des minorités aux Etats-Unis dans le cadre du marxisme. Si l'analyse de certaines minorités part de principes matérialistes et de la lutte des classes, celle des Japonais et des Chinois reste fondamentalement culturaliste. Nous mettons en doute ici ce dernier type d'explication seulement et non l'ensemble du livre qui, en gros, donne une explication adéquate des diverses minorités.

[8] Il est à remarquer qu'à la page 170, les auteurs soulignent la similitude des "valeurs" des Japonais et de la "classe moyenne" américaine, ce qui aurait permis aux premiers de "réussir" rapidement aux Etats-Unis. Où est donc la différence culturelle entre Japonais et Américains ? Ne serait-ce pas plutôt une différence raciale, utilisée à diverses fins de classes ?

[9] Le soi-disant "capitalisme noir" se rapporte à la création d'une petite-bourgeoisie noire qui, dans une position subordonnée par rapport à la bourgeoisie américaine, a tenté de se donner une base d'accumulation (minime) et une base politique dans la population noire des ghettos. (Voir entre autres Frazier 1957a et b).

[10] Cf. Ertel et al. 1971 : chapitre 1, section 3 ; Stonequist 1937 ; Stember 1966 ; Finkelstein (éd.) 1960.

[11] Cf. Ertel et al. 197 1 : chapitre I, section 1 ; W. Shannon 1963.

[12] Cf. Ertel et al. 1971 : chapitre I, section 2 ; Glazer & Moynihan 1963.

[13] Cf. Ertel et al. 1971 : chapitre II, section 2 ; Ten Broek et al. 1954 ; Kitano 1969.

[14] Cf. Ertel et al. 1971 : chapitre II, section 1 ; Barth 1964 ; McKenzie 1928 ; Saxton 1971.

[15] Cette situation a prévalu aussi au Canada (cf. Avery 1972).

[16] Cf. Bourque 1970 ; Bourque et Frenette 1971.

[17] Cf. Chater 1966 ; Patterson 1968 ; Wright 1968 ; Rey et al. 1975 ; UGTSF 1970. Pour un examen plus théorique, voir Magaline 1975 : 75 sq. ; de Gaudemar 1976 ; et Meillassoux 1975 deuxième partie.

[18] Il faut souligner toutefois que l'expansion du capitalisme marchand à la fin du moyen-àge, par la nécessité de contrôle d'un territoire national qu'il entraînait, a pu provoquer l'uniformisation de plusieurs dialectes en une langue nationale ou l'imposition d'un de ces dialectes comme langue unique.

[19] C'est aussi le cas des francophones au Canada qui avaient occupé le territoire avant les anglophones mais qui furent inclus comme groupe dominé dans un territoire contrôlé par les anglophones. Les Noirs africains en Afrique du Sud, bien que majoritaires numériquement, sont présentement victimes d'un système discriminatoire très fort qui a pour but de les maintenir comme main-d'oeuvre industrielle à bon marché. Cf. Wolpe 1970 ; de Kiewiet 1942 ; et Doxey 1961.

[20] Cette analyse rejoint les conclusions de Castles et Kosack (1973 : 436) "The physical appearance and the inferiority which is alledged to go with it are used as an excuse to keep the coloured group subjugated. However, where the ruling class wishes to exploit a group which is not physically different in appearance, other ideological differences are found. (...) Where the exploited group is not physically distinguishable, the ruling group instead uses all sorts of cultural, social and similar characteristics to justify its position. These criteria - like the physical ones - may be either real or imaginary. The only important thing is that they can be ascribed to the group in question and that they serve to distinguish the group and to justify its subordination".

[21] La propriété de logements loués à des membres du même groupe ethnique ainsi que le petit commerce ethnique constituent en général au départ les bases matérielles de cette petite-bourgeoisie.

[22] Dans cette optique, l'"indépendance institutionnelle" (institutional completeness) des minorités soulignées par Breton et al. (1968) serait fonction de la présence d'une bourgeoisie "nationale", ou pour le moins une petite-bourgeoisie, et de sa capacité de s'arroger l'appui des autres membres du groupe minoritaire.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 mai 2008 10:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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