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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Marie-Andrée Bertrand et al., PRISONS POUR FEMMES (1998)
Préambule


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marie-Andrée Bertrand, avec la collaboration de Louise L. Biron, Concetta Di Pisa, Andrée B. Fagnan, Julia McLean, PRISONS POUR FEMMES. Montréal: Les Éditions du Méridien, 1998, 449 pp. Collection Cursus universitaire - formation criminologie. [Autorisation formelle accordée par Mme Marie-Andrée Bertrand de diffuser ce livre, le 28 juin 2006, dans Les Classiques des sciences sociales.]

Préambule

Le lecteur qui nous suivra du début à la fin de ce voyage en prison, du Canada à la Scandinavie, sera peut-être tenté de se dire que le sort fait aux femmes incarcérées n'est « pas si terrible », particulièrement en Europe du Nord. 

Le cinéma et la télévision satisfont notre envie de voir les criminels « bien punis » dans des prisons macabres, généralement turques. Les « vraies » prisons doivent être épouvantables. Celles qui sont décentes ne sont pas normales. 

Il est vrai que quelques-unes des prisons pour femmes dans les pays scandinaves sont décentes, même dépourvues comme elles le sont de tout programme de travail intéressant. Des étudiants avec qui nous partagions nos observations estimaient que ces établissements étaient des lieux « plutôt paisibles et relativement propres ». Il a fallu leur rappeler que les pays scandinaves jouissent d'une réputation internationale à ce propos. 

Certes, comparées aux prisons turques pour hommes, aux prisons égyptiennes pour femmes où 40 mères incarcérées avec leurs enfants peuvent à peine trouver l'espace nécessaire pour s'étendre sur le sol la nuit, les prisons norvégiennes et finlandaises « ne sont pas si mal ». 

Mais ce ne sont pas des hommes turcs qui sont emprisonnés à Hämeenlinna, ce sont des femmes et des hommes finlandais qui habitent un pays paisible, non pas surpeuplé mais vaste et dépeuplé, non pas désordonné et bruyant mais propre et ordonné. 

Ce ne sont pas des Égyptiennes qui sont emprisonnées à Tanguay, à Montréal, ce sont des Québécoises qui sont logées dans une prison malpropre et chaotique. 

Les établissements franchement détestables, parmi ceux que nous avons étudiés, sont ceux de Kingston et de Tanguay au Canada, de Vechta en Allemagne de l'Ouest et, à certains égards, de Butzow en Allemagne de l'Est. Le lecteur canadien se consolera sans doute en se disant que, justement, la Prison des femmes de Kingston est maintenant fermée et sa Population dispersée aux quatre coins du pays dans de « beaux » établissements modernes. 

Aux lecteurs qui seraient tentés de penser les prisons « dans l'absolu », je dirai : attention, il n'y a pas de prison « en soi ». Il n'y a que des établissements « en contexte », national, social, culturel. 

J'ajouterai : les prisons sont différentes selon le sexe des détenus même lorsqu'elles sont matériellement identiques. Par exemple, nous verrons dans ce livre que les établissements qui logent sous le même toit des hommes et des femmes ont un « genre » dans la section des hommes et un autre dans celle des femmes. Même dans une prison entièrement mixte comme celle de Ringe au Danemark, deux styles de vie cohabitent : celui des jeunes gens de 16 à 24 ans et celui des femmes de 18 à 60 ans, vivant pourtant côte à côte dans les mêmes unités. 

Pour justifier le fait que la prison doit être punitive et dure, même pour les femmes, certains nous ont dit : « Mais après tout, les prisonnières, ce sont de vraies criminelles, il faut les traiter comme telles. Il est si rare qu'on condamne des femmes à la prison, celles qui écopent de cette sentence doivent l'avoir méritée. » 

Il se trouve en effet un petit groupe de personnes reconnues coupables de crimes graves parmi toutes les femmes condamnées à la prison. Ce sont le plus souvent des auteures d'homicide ou de tentative d'homicide sur la personne de leur conjoint ou de leur enfant. Leurs offenses passées n'impliquent pas qu'elles constituent un danger, dans l'avenir, pour la vie d'autres personnes ou pour l'ordre social et la sécurité de l'État et qu'elles doivent subir de longues sentences d'emprisonnement. Il est bien rare qu'elles récidivent, car les femmes qui attentent à la vie d'autres personnes le font presque toujours dans le cadre de leurs relations familiales et affectives, et les circonstances très singulières de leur acte ne risquent pas de se reproduire. En ce qui a trait aux crimes contre l'ordre public et la sécurité de l'État, les femmes terroristes sont rarissimes ; il s'en trouve quatre ou cinq sur les 2 000 femmes détenues dans les huit pays et les 22 institutions dans lesquelles nous nous sommes rendues ; leurs crimes remontaient à quelque 10 ans. 

Aussi, les autorités pénales et les personnels pénitentiaires nous ont-ils avoué, de leur propre chef, que seules « 10% des femmes condamnées à l'incarcération constituent un réel danger pour la vie d'autrui et l'ordre social ». On dira que c'est là le discours que ces responsables tiennent en notre présence, mais qu'ils se garderaient bien de parler ainsi en public et surtout de tirer les conséquences de leur discours. Sans doute. Pourtant, il n'est pas légitime de tenir enfermées les autres 90% et cela est fort coûteux. En 1993, le per diem à la Prison de Kingston pour femmes était de 225$ soit 82 125$ par année par personne. 

Quant aux premières, les 10%, elles auraient droit à un programme de travail ou de formation décent et contemporain puisqu'elles retourneront vivre dans la société. Elles ont aussi le droit de conserver des liens avec leurs enfants et leurs proches. 

Tout cela est faisable. Nous l'avons vu réalisé.


Retour au texte de l'auteur: Dernière mise à jour de cette page le mercredi 9 août 2006 7:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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