RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Gérard Boismenu, “À cent lieues et à l'encontre du Rapport Gérin-Lajoie.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Alain G. Gagnon et Daniel Turp, Révérendum, 26 octobre 1992. Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales, pp. 19-28. Montréal: Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1992, 225 pp. [Autorisation de M. Gagnon accordée le 20 décembre 2018.]

[19]

Référendum, 26 octobre 1992.
Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales.
Première partie : Les demandes traditionnelles du Québec

À cent lieues et à l’encontre
du rapport Gérin-Lajoie
.”

Gérard Boismenu

Gérard Boismenu est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal. Il a plusieurs ouvrages à son crédit dans les domaines de la régulation et des politiques économiques au Canada et au Québec. Parmi ses travaux, on note Politique et régulation : modèle de développement et trajectoire canadienne (1990).


Faisant le du apprentissage du rôle d’opposition parlementaire depuis sa défaite électorale de juin 1966, le Parti libéral du Québec doit se définir une position constitutionnelle. On se souvient qu’au cours de sa dernière année à la tête du gouvernement, Jean Lesage en était venu à plaider pour la thèse du statut particulier, malgré que son contenu en soit encore imprécis, et avait finalement refusé de faire entériner la formule Fulton-Favreau par l’Assemblée législative du Québec. À cette occasion, il posait comme principe que l’on devait s’entendre sur un nouveau partage des compétences avant de souscrire à la formule d’amendement de la Constitution. Face à un gouvernement unioniste, dont le chef Daniel Johnson s’était auréolé de la formule « Égalité ou Indépendance », il fallait donner le change en apportant de la substance à ce legs. D’autant qu’au sein des troupes libérales, allégées des responsabilités gouvernementales, on assistait à une cacophonie constitutionnelle allant du fédéralisme inconditionnel jusqu’à la tentation souverainiste.

Paul Gérin-Lajoie est mandaté, à titre de président du Comité des affaires constitutionnelles de la Commission politique de la Fédération libérale du Québec, pour élaborer un rapport sur la question. Ce rapport est devenu pour l’occasion l’antidote du Parti libéral pour conjurer la menace que pouvait représenter la thèse souverainiste que René Lévesque en était venu à défendre. Le congrès d’octobre 1967 représente à la fois le moment où la thèse de René Lévesque est rejetée (ainsi que la date de son départ pour fonder le Mouvement souveraineté-association) des rangs libéraux et le moment où la thèse du statut particulier est entérinée et étoffée. Ni fédéraliste inconditionnelle, ni souverainiste, cette position [20] se voulait la jonction des tendances diverses au sein des libéraux et la mise en place d’une pensée constitutionnelle qui tirait, sur la base de l’affirmation du Québec comme société distincte, des conséquences concernant le partage des compétences.

Souveraineté législative
et statut particulier


Dans le rapport Gérin-Lajoie [1], on constate que le fédéralisme canadien pose une « multitude d’entraves à l’action législative du Québec dans les domaines qui sont pourtant fondamentaux pour assurer la permanence et le développement de la personnalité du Québec ». Ces entraves sont, de premier abord, le fait que le gouvernement fédéral intervient impunément dans les champs de compétence provinciale ; là-dessus on renoue avec la prise de position dominante qui a marqué le gouvernement libéral au cours de la Révolution tranquille. Il faut garder en mémoire que le gouvernement Lesage avait, en fin de mandat, obtenu et usé d’un droit de retrait pour une série de programmes à frais partagés mis de l’avant par Ottawa, contre une compensation financière accordée en points d’impôt. Cependant, enchaîne le rapport, le simple respect des compétences traditionnelles des provinces ne saurait suffire « à la marche efficace de l’État moderne nécessaire aux Québécois » : on doit procéder à une transformation de cette situation, transformation qui passe nécessairement par un « nouveau partage des pouvoirs ».

Qu’on en juge par le tableau qui est esquissé : responsabilité primordiale du Québec pour la langue et la culture, comprise tant par ses formes d’acquisition par l’enseignement et les arts que par ses modes de transmission et de communication de masses ; larges compétences dans la politique d’immigration ; responsabilité exclusive du Québec dans les domaines de la santé ainsi que de l’assistance et la sécurité sociales ; autorité du Québec dans le secteur de la main-d’œuvre, de l’éducation des adultes et de la formation professionnelle ; élargissement des pouvoirs du Québec en matière d’orientation du développement économique et participation directe à l’élaboration de la politique monétaire et tarifaire ; compétence exclusive en matière de mariage et de divorce, ainsi que dans les domaines des assurances, des sociétés commerciales et financières ; et, comme expression de sa souveraineté dans les champs [21] qui lui sont reconnus, reconnaissance de la personnalité internationale du Québec lui permettant de négocier des ententes et de participer aux organismes internationaux ; finalement, augmentation considérable des ressources financières de l’État du Québec.

On conclut en soulignant que « la souveraineté du Québec dans cet éventail de domaines fondamentaux constitue la mesure d’autodétermination qui paraît désormais nécessaire pour assurer le développement de la personnalité collective du Québec ». Ce faisant, il est douteux que toutes les provinces partagent les mêmes aspirations ; pour cette raison, on propose un statut particulier par lequel on attribue au Québec « les pleins pouvoirs législatifs et administratifs dans un grand nombre de domaines que les autres provinces... pourraient laisser à la compétence de l’autorité fédérale ».

Pour ce qui est des institutions fédérales, le propos reste vague. Le Sénat devrait être réformé pour ce qui est de sa composition, de sa fonction et du mode de nomination. La Cour suprême devrait être une institution fédérale-provinciale. La monarchie constitutionnelle devrait céder le pas à la république fédérale canadienne.

Sens et rôle du rapport
dans la dynamique interne du parti


Ce document occupe une place importante pour le Parti libéral. D’un côté, il permet de rendre compte et d’organiser, tout en la précisant, la position constitutionnelle mise de l’avant par le gouvernement libéral lors de la Révolution tranquille. Faisant bon ménage avec la thèse de l’autonomie provinciale dans ses sphères de compétence, il s’occupe de définir une place prépondérante au gouvernement du Québec - comme seule institution politique qui se définit en rapport à une communauté nationale distincte - dans plusieurs nouveaux domaines d’intervention de l’État moderne. Pour ce faire, le statut particulier est la voie retenue. D’un autre côté, en répondant aux vœux de la tendance nationaliste au sein du Parti libéral qui veut concilier les intérêts politiques québécois et le fédéralisme canadien, le Parti poursuit plusieurs objectifs : tenter de neutraliser l’attraction de la thèse souverainiste qui fait son apparition en proposant une solution de rechange, se donner une image politique nationaliste auprès de la population et faire cohabiter ses diverses tendances internes le temps que la tourmente passe.            

En ce sens, bien que le contexte politique soit différent, le rapport de Paul Gérin-Lajoie, aussi bien par son contenu que par son utilité au sein de la dynamique partisane, n’est pas sans parenté avec le rapport Allaire.

[22]

La désignation des champs de compétence peut différer ; elle est certainement plus extensive dans le deuxième rapport. Il reste que la préoccupation première est d’établir la souveraineté législative du gouvernement du Québec dans les secteurs stratégiques de l’intervention publique. Vision décentralisatrice qui aurait pris forme dans une asymétrie constitutionnelle (statut particulier) avec la « position Gérin-Lajoie », vision décentralisatrice que l’on voudrait étendre à l’ensemble des gouvernements provinciaux au Canada avec la « position Allaire ».

Sur le plan interne, le Parti libéral a préparé et fait adopter le rapport Allaire afin de canaliser la grande frustration qui est née de la saga de l’Accord du lac Meech et de donner une expression à une volonté de plus en plus répandue d’affirmation nationale. En donnant pour un temps droit de cité aux velléités souverainistes au sein du Parti libéral, on pouvait éviter l’hémorragie. Malgré les outrances du rapport Allaire, il s’agissait, pour l’aile fédéraliste bon teint, d’un mal nécessaire qu’il fallait prendre en patience afin de traverser la tourmente avec le moins de pertes partisanes possible.

Que sont ces propositions devenues ?

Comme c’est le cas pour le rapport Allaire, on peut dire que l’entente de Charlottetown procède d’une logique étrangère à celle du rapport Gérin-Lajoie. La notion de société distincte que l’on retrouve dans ce dernier rapport n’a pas pour objet de formuler une clause d’interprétation aux vertus illusoires. C’était la pierre d’assise pour l’accroissement des pouvoirs du gouvernement du Québec et pour la défense de la thèse du statut particulier.

Dans l’entente de Charlottetown, la notion de société distincte est réduite à une valeur symbolique. Déjà, dans l’Accord du lac Meech, la règle d'interprétation de la société distincte ne pouvait qu’avoir des retombées hautement incertaines. Mais, depuis, on s’est évertué à en neutraliser tout effet virtuel. L’un des mécanismes de neutralisation de cette règle - l’engagement du gouvernement du Québec pour « l’épanouissement » et le « développement » de la communauté anglophone au Québec comprise dans la clause Canada - constitue un véritable cheval de Troie pour la politique linguistique et culturelle québécoise [2] et rend déraisonnable [23] toute attente significative concernant le rôle du Québec dans la promotion de la société distincte.

Pour ce qui est du partage des compétences, aucune conséquence n’est tirée de la notion de société distincte. Foin de statut particulier ! aurait dit Pierre Elliott Trudeau. Je n’en pense pas moins, semble répondre Robert Bourassa. Si la notion et le sens se sont volatilisés avec Robert Bourassa, l’entente de Charlottetown classe l’idée même du statut particulier dans les hérésies : la confirmation du « principe de l’égalité des provinces » dans la clause Canada, le Sénat égal, l’égalité juridique des provinces dans les formules d’amendement (qui est maintenue), une différenciation de l’action fédérale dans les domaines provinciaux qui ne saurait être qu’administrative ; tous ces éléments bannissent quelque référence actuelle ou future à un statut particulier.

Dans le rapport Allaire on avait déjà fait son deuil de la notion, en proposant de généraliser à l’ensemble de la fédération canadienne la décentralisation des pouvoirs demandée par Québec et pour le Québec. Or, dans l’entente de Charlottetown, a-t-on obtenu pour l’ensemble des provinces ce qui était proposé d’une manière moins ambitieuse dans le rapport Gérin-Lajoie ?

Ce qui frappe c’est que ce dernier rapport centrait son attention sur des compétences non prévues dans la division des pouvoirs en 1867 où ayant pris une dimension nouvelle dans l’État moderne. C’est ainsi que l’on insistait, en exigeant l’exclusivité législative, sur le domaine de l’assurance et l’assistance sociales, sur le secteur de la santé, sur la codification des relations civiles non seulement en termes de mariage mais aussi de relations commerciales et financières et, en y demandant un pouvoir prépondérant, sur les secteurs de la langue, de la culture, des communications, de la main-d'œuvre, de l’éducation des adultes et de la formation professionnelle et du développement économique régional. La souveraineté législative québécoise ainsi reconnue devait se prolonger sur la scène internationale. Or, nous sommes à cent lieues et dans une démarche nettement différente de celle de l’entente de Charlottetown. Deux dimensions s’imposent à prime abord.

Premièrement, une bonne part des matières qui font l’objet d’une reconnaissance de compétence provinciale dite exclusive (nous reviendrons sur le caractère trompeur de cette qualification) sont déjà reconnues telles dans la Constitution de 1867. On pense aux forêts, aux mines, au tourisme, au logement, aux loisirs et aux affaires municipales. En réalité, ces dernières ainsi que les autres matières faisant l’objet de l’entente sont reconnues comme compétences partagées, que ce soit de manière [24] formelle - immigration, développement régional, télécommunications - ou de fait - culture et formation de la main-d’œuvre. Que sont devenues les demandes de compétence exclusive ou prépondérante concernant l’assurance et l’assistance sociales, la santé, les relations maritales, commerciales et financières, ainsi que l’extension de ces compétences sur la scène internationale ?

Dans un deuxième temps, force est de constater que nous sommes en présence d’une langue de bois sur le plan constitutionnel. Dans la pratique des choses, exclusif signifie partagé. La notion d’exclusivité provinciale rattachée à certaines matières permettrait à un gouvernement provincial de négocier des modalités de coordination, d’application ou d’agencement de l’action fédérale dans ces mêmes matières. Nous sommes dans l’univers changeant et éphémère des ententes administratives et non dans celui de la souveraineté législative ou même de la prépondérance législative d’un ordre de gouvernement. Si bien que, par un détournement de sens, chaque fois que l’on définit une compétence exclusive aux provinces, on reconnaît en même temps la compétence fédérale soit pour établir des « objectifs nationaux » et/ou pour négocier sa présence dans ce même domaine.

Toutes les compétences provinciales exclusives conduisent à des modalités d’établissement d’ententes administratives bilatérales valables pour une période d’au plus cinq ans. À ce terme, Ottawa est en situation de renégocier sa présence dans le champ exclusif des provinces. Il en va de même pour ce qui est des limites au pouvoir fédéral de dépenser. Une province peut se retirer d’un programme à frais partagés mis de l’avant par le gouvernement fédéral dans un champ de compétence provinciale ; elle n’obtiendra une juste compensation financière que dans la mesure où elle met elle-même sur pied un programme « compatible avec les objectifs nationaux » définis par Ottawa. Il est donc très clair que le gouvernement fédéral est une instance de tutelle dans toutes les matières car c’est lui qui fixe les « objectifs nationaux », voire les normes.

Nous sommes très loin de la conception de la souveraineté législative et du partage des compétences prônée par le rapport Gérin-Lajoie qui avait pour exemple le droit de retrait avec compensation financière que le gouvernement Lesage avait réussi à obtenir pour plusieurs programmes en 1965. Par la suite, la mesure de compatibilité entre les programmes québécois et canadien que l’on avait imaginée pour une période transitoire a été, sous l’offensive d’Ottawa, posée comme mécanisme permanent, rendant largement symbolique la victoire politique de Lesage. Avec la présente entente, le gouvernement Bourassa ratifie, en la généralisant, [25] la neutralisation de la marge d’autonomie que le Québec avait pu, pour un temps, se gagner.

Tout en étant plus modeste que le rapport Allaire, des pans majeurs de compétences législatives exigés par le rapport Gérin-Lajoie ne sont même plus l’objet de discussion. Et, en s’y associant, le gouvernement du Québec accorde une légitimité politique et juridique à la tutelle fédérale dans tous les domaines. Ce qui constitue une négation des revendications traditionnelles du Québec.

Robert Bourassa, le grand liquidateur

Comment se surprendre de cet écart dans la conception des intérêts du Québec dans le dossier constitutionnel. Robert Bourassa s’est, dans sa vision des choses, toujours dissocié de la tendance nationaliste au sein du Parti libéral, pour ce qui est de la question constitutionnelle tout au moins. Cela ne veut pas dire cependant que cette tendance ne lui est pas utile pour mener sa politique. Ce qui est clair, c’est que dès son adoption, Robert Bourassa a veillé à faire biffer la thèse du statut particulier. L’année suivant l’adoption du rapport Gérin-Lajoie, Robert Bourassa, à titre de président de la Commission politique de la Fédération libérale du Québec, a proposé une résolution se prononçant « d’une façon nette et sans équivoque pour le maintien du fédéralisme au Canada », remettant en cause la notion de statut particulier et favorisant une nouvelle division des pouvoirs applicables uniformément.

Se faisant le fossoyeur du rapport Gérin-Lajoie, Robert Bourassa n’a pas pour autant une vision constitutionnelle très nette. Candidat à la direction du Parti libéral pour succéder à Jean Lesage, puis nouveau chef de la formation politique, il n’arrive pas à formuler une position claire des objectifs, des griefs et des réformes constitutionnels qui guideront sa politique [3]. Renouvelant son engagement fédéraliste, il mentionne que le Parti libéral du Québec a des objectifs « qui peuvent différer de ceux du Canada » et qu’il cherche prioritairement « un partage nouveau, plus précis et plus juste des ressources fiscales et des pouvoirs ». Nous ne savons rien du sens qu’aurait ce nouveau partage. Le motif de cette priorité ne semble pas découler cependant de la reconnaissance d’une communauté nationale québécoise devant se doter d’institutions publiques rendant compte de cette réalité et apte à participer à son développement comme [26] communauté nationale. Ce qui ferait problème c’est essentiellement le fonctionnement des institutions. Un nouveau partage des compétences s’imposerait du fait de « l’émiettement de la puissance publique » et « du gaspillage de ressources ». Nous ne sommes pas loin du fédéralisme fonctionnel qui connaît de beaux jours à Ottawa.

C’est aussi les belles heures du fédéralisme rentable. Les griefs contre le fédéralisme se résument au manque de présence québécoise à Ottawa et de compétence à Québec (« Or, il se trouve aujourd’hui [nous sommes en octobre 1969] à Ottawa des hommes, des hommes du Québec, décidés à reconstruire le Canada. Imaginons tout le profit que les Québécois pourraient tirer de cette reconstruction s’ils avaient à Québec une équipe d’hommes compétents, décidés à exploiter au maximum cette situation des plus favorables. »)

Fort de cette vision mercantile du fédéralisme, Robert Bourassa, jeune chef de gouvernement, doit, au lendemain de la Crise d’octobre, reprendre les négociations constitutionnelles qu’avaient mises en route ses prédécesseurs. Plutôt que de puiser dans les propositions et l’économie générales du rapport Gérin-Lajoie, il accepte de travailler sur une proposition globale venant du gouvernement fédéral, proposition portant sur une charte des droits et sur des institutions fédérales qui était aux antipodes des demandes antérieures du Québec qui réclamaient la souveraineté législative dans les compétences provinciales et des compétences majeures dans les nouvelles sphères d’intervention de l’État moderne. Ce n’est qu’in extremis que les demandes du Québec sur la sécurité du revenu ont été traitées parmi les questions constitutionnelles. Bourassa devait prétexter de l’incapacité de s’entendre sur la prépondérance du pouvoir québécois sur l’intervention fédérale, pour finalement refuser de souscrire à la Charte de Victoria. Il serait conséquent aujourd’hui avec cette décision qu’il trouverait dix fois plus de motifs pour refuser l’entente de Charlottetown.

Ce rappel est utile pour jeter un éclairage sur le déplacement des intérêts institutionnels du Québec dans l’État fédéral canadien effectué par Robert Bourassa. En octobre 1969, il déclarait d’ailleurs : « Mais plutôt que d’inciter les Québécois à se désolidariser de leurs concitoyens, il me semble beaucoup plus positif, beaucoup plus réaliste aussi, de renforcer le fédéralisme par un réaménagement progressif de nos institutions politiques et surtout de leur fonctionnement. » Ces propos font perdre de vue les objets et les enjeux du contentieux entre le gouvernement du Québec et la fédération, qui a marqué l’histoire du Canada et a imposé l’ouverture d’une révision constitutionnelle au cours des années 60. Tout en prétendant [27] le contraire et malgré l’embrouillamini que Robert Bourassa érige en vertu cardinale de la politique, il a contribué à liquider la démarche constitutionnelle mise en route avec la Révolution tranquille et a souscrit à l'ordre des priorités fédérales.

La manière et les prétentions font écran pour saisir cet état de fait. Ce fut aussi le cas avec l’Accord du lac Meech, qui était censé réunir les conditions pour rendre acceptable le Canada Bill de 1982 qui avait été rejeté au Québec aussi bien par les péquistes que par les libéraux. Or, ces conditions ne changeaient que de façon périphérique le Canada Bill et non les aspects qui étaient apparus les plus inacceptables. En discutant d’autre chose, Robert Bourassa souscrivait d’emblée à ce coup de force que les libéraux québécois avaient pourtant décrié.

Cette fois, le gouvernement Bourassa s’est mis à la remorque des priorités du Canada anglais et ne discute même plus de ses griefs contre le Canada Bill. Parallèlement au rapport Allaire, qui avait une utilité politique interne au Québec et au sein du Parti libéral, et qui s’inscrivait dans la mise en scène d’un rapport de force factice - parce que cousue de fil blanc et assortie d’une menace (référendum sur la souveraineté) dont on savait qu’elle ne serait pas mise en œuvre -, le gouvernement se refuse à faire des propositions ou des demandes officielles et attend des offres pour un « nouveau partenariat ». Cela permet sans doute ce petit calcul : on ne sera pas en situation de se faire refuser nos propositions comme pour Meech. Mais, en contrepartie, cela favorise l’ambiguïté entretenue et la perte d’initiative. D’abord le gouvernement Bourassa évite, par le fait même, de formaliser sa position (quelles sont ses véritables priorités ?). Ensuite, on laisse l’initiative aux autres en leur demandant de formuler des propositions. Le Canada anglais s’est mis à l’œuvre et s’est défini un Canada conforme à sa vision et à ses intérêts.

Devant se couler dans un programme de négociations défini par d’autres, il ne lui est resté qu’à tenter d’amender à la marge des propositions qui constituent la négation des revendications traditionnelles du Québec. Le dos au mur, il ne restait à Robert Bourassa qu’à constater l’échec de sa démarche ou à foncer tête baissée en acceptant le fédéralisme dominateur dont il avait tenté, il n’y a pas si longtemps, de se démarquer. L’argument qu’il met de l’avant sent la résignation et la lassitude : on n’a pas réussi, mais est-ce que l’on doit refuser ce qu’on nous offre ? Cela manque de hauteur et de vision pour un peuple en droit d’établir un cadre politique et institutionnel à sa mesure.

[28]



[1] Rapport du Comité des affaires constitutionnelles de la Commission politique de la Fédération libérale du Québec. Congrès annuel de la Fédération libérale du Québec, octobre 1967, 26 p.

[2] Henri Brun et al. « La ‘société distincte’ ne veut plus rien dire », Le Devoir, 4 septembre 1992, p. 13 ; reproduit aux pages 53 à 56 du présent ouvrage.

[3] Robert Bourassa. Bourassa Québec ! Montréal, Éditions de l’Homme, 1970, 126 p.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 30 avril 2004 21:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref