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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Luc Bonniol, “Racialisation ? Le cas de la colorisation coloniale des rapports sociaux”. Un article publié dans la revue Faire savoirs, Sciences humaines et sociales en région PACA, n° 6, mai 2007, pp. 37-46. Numéro intitulé : “L’ethnicisation et la racisation des rapports sociaux en question”. 103 pp. Cet article est disponible sur le site de la revue. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 21 avril 2008 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Jean-Luc Bonnniol

Université d’Aix-Marseilles III, France. 

Racialisation ?
Le cas de la colorisation coloniale des rapports sociaux
”. 

Un article publié dans la revue Faire savoirs, Sciences humaines et sociales en région PACA, n° 6, mai 2007, pp. 37-46. Numéro intitulé : “L’ethnicisation et la racisation des rapports sociaux en question”. 103 pp. Cet article est disponible sur le site de la revue.

 

Résumé
 
Introduction
 
Les attendus de la race
 
Un exemple historique: la structuration coloriste des sociétés coloniales esclavagistes, puis post-esclavagistes
 
Le poids du destin: marque biologique et fixation de l‘identité
 
Références

 

Résumé

 

Dans la structuration des rapports sociaux par les processus identitaires, la "race" occupe une place particulière. Catégoriser et situer les individus dans l'échelonnement des prestiges ou des pouvoirs à partir de leur apparence physique ou de leur ascendance, n'est pas chose évidente, même si la marque utilisée semble naturelle et s'imposer d'elle-même. Le classement des individus, et a fortiori leur hiérarchisation les uns par rapport aux autres, impliquent en fait deux dispositifs successifs : le premier, d'ordre cognitif, utilise l'apparence et/ou l'ascendance comme signes distinctifs ; le second, d'ordre idéologique, installe à partir de cette distinction préalable un ordre discriminant. D'où vient cette superposition, et quelle est sa finalité ? Les attendus généraux de la notion de race sont examinés dans un premier temps (en matière de perception, de catégorisations, de représentations de l'hérédité et de naturalisation de la différence) ; le cas exemplaire de la colorisation coloniale de la société est ensuite décrit (liens entre l'esclavagisme et le développement du préjugé, autonomisation de la "race" à partir des contradictions mêmes du système, ligne de couleur et catégories de métissage…). Une attention particulière est portée à la rémanence du biologique par rapport aux évolutions sociales, du fait des propriétés mêmes d'un référent inscrit dans l'hérédité, qui contribue à cristalliser l'ordre social originel : la remarquable vitalité des catégorisations raciales s'en trouve ainsi éclairée. 

Mots-clefs : catégories de métissage, esclavagisme, idéologie, préjugé de couleur, race.

 

 Introduction

 

Dans la structuration des rapports sociaux par les processus identitaires, la "race" occupe une place particulière. Catégoriser et situer les individus dans l’échelonnement des prestiges ou des pouvoirs, à partir de leur apparence physique ou de leur ascendance, n’est certainement pas chose évidente, même si la marque utilisée semble naturelle et s’imposer d’elle-même. Le classement des individus, et a fortiori leur hiérarchisation les uns par rapport aux autres, impliquent en fait deux dispositifs successifs : le premier, d’ordre cognitif, utilise l’apparence et/ou l’ascendance comme signes distinctifs ; le second, d’ordre idéologique, installe à partir de cette distinction préalable un ordre discriminant. D’où vient cette superposition ? Et quelle est sa finalité ? 

Questions que les plus lucides parmi les acteurs sociaux ont pu se poser, confrontés à cette bizarrerie de l’esprit humain (l’expression date du XIXe siècle...) qu’est le préjugé de couleur, qui semble apparaître à l’âge moderne dans les colonies à esclaves [1]. Voilà, en tout cas, une question qui ne cesse d’obséder Frantz Fanon (Fanon, 1954) : comment se fait-il que, dans ces colonies, les perspectives de l’analyse sociale marxiste se brouillent et que la société semble marcher "cul par-dessus tête", les infrastructures y jouant le rôle de superstructures, et vice versa ? Force est, en effet, pour lui, de constater « une apparente surdétermination par l’ordre " racial" du classement hiérarchique qu’opère la société sur elle-même », et que c’est donc une production mentale, celle qui préside à l’ordonnancement racial, qui étalonne les individus et les groupes en présence ; c’est d’elle, en définitive, dont dépend l’accès aux richesses et aux honneurs, normalement régulé par les rapports de classes. 

Dans le prolongement de sa pensée, nous invitons ici à nous interroger sur le fait récurrent que des rapports sociaux peuvent être pensés et vécus en termes de race : selon quelles modalités, et pour quels effets, s’opère ce qu’il est désormais convenu d’appeler leur racialisation ? La question vaut certainement au-delà du cas colonial, et nous examinerons pour commencer les attendus généraux de la notion de race. Mais elle peut être grandement éclairée si l’on se centre sur le cas exemplaire de la colorisation coloniale de la société, qui nous préoccupera dans un second temps.

 

Les attendus de la race

 

Nous posons au départ le postulat suivant : nul phénomène n’a besoin, pour exister, du mot qui sert à le désigner. La réalité à laquelle renvoie le terme de "race" n’a « nul besoin du mot qui, la désignant, en fixe le concept, pour surgir dans une formation sociale (...) Il faut admettre qu’une attitude humaine a existé avant qu’elle ait reçu un nom technique » (Taguieff, 1988, p. 22). Il n’est donc pas la peine d’attendre, dans l’histoire de l’Occident, l’apparition du mot "race", dans le sens que nous lui connaissons aujourd’hui, à savoir une collection d’êtres humains fondée sur des critères se voulant biologiques (à partir donc de la fin du XVIIe siècle) pour parler de phénomènes raciaux, phénomènes anciens, « dont l’usage historiosophique préexiste en fait à toute réinscription de la généalogie dans la génétique » (Balibar, 1990, p. 36), qui peuvent également se constituer dans d’autres cultures où ni le mot ni la notion ne sont présents. La présence du mot dans le lexique peut toutefois, par les effets de sens qu’elle installe, infléchir la ligne des discours et des actes [2]. Même si nous savons que la pensée raciale acquiert une consistance particulière lorsque le mot est disponible, ce qui permet la reconnaissance par notre conscience de ce que nous désignons depuis le début du XXe siècle par "racisme"... A fortiori l’abolition de la notion savante de "race" dans le champ scientifique ne saurait-elle invalider l’usage commun du terme. L’adjectif "racial" peut donc être utilisé pour qualifier, en tout temps et en tout lieu, un certain type de représentations et de pratiques, et servir au premier chef à profiler une certaine figure de l’identité.
À partir de quels critères peut-on parler d’identité raciale ? Il nous faut an préalable débarrasser la scène des phénomènes connexes avec lesquels cette forme identitaire particulière risque de se confondre. Nous ne parlerons d’identité raciale que pour rendre compte d’une altérité interne à un corps social, cela pour la différencier clairement de toutes les formes d’hostilité qui peuvent émerger à l’égard de l’étranger : ethnocentrisme, xénophobie... Ainsi nous est-il possible de profiler une stricte identité raciale, susceptible d’être analysée, tout comme l’ethnicité dont elle n’est que l’un des cas extrêmes, en termes de marqueurs, c’est-à-dire de traits reconnus et retenus par les usagers comme symboles de l’altérité (Bromberger, 1985). Nous proposons ainsi de ne parler d’identité raciale que dans les cas où c’est d’abord le marqueur de l’apparence physique qui sert au processus distinctif. Nous sommes d’abord là au niveau de la perception visuelle, et il faut donc qu’une condition première soit remplie, celle de la visibilité de la différence. Ce préalable est satisfait dans les situations où le mode d’apparaître des individus se déchiffre à travers des indices sensibles (couleur de la peau, qui joue le rôle d’un point fixe dans l’ensemble des indices déchiffrés [Ginzburg, 1980], mais aussi forme du nez, des lèvres, texture des cheveux...). C’est donc la vue qui est au premier chef mobilisée, mais aussi l’ouïe (l’accent, l’intonation font partie du stéréotype racial obligé, comme l’atteste les doublages, en français, des personnages de couleur dans certains films américains...). Mais des traits imaginaires peuvent éventuellement être superposés à la réalité sensible de la marque physique : dans le sillage de la couleur, l’odeur et les caractéristiques sexuelles présumées constituent un riche réservoir de différences fantasmées... Sur un plan globalement imaginaire, on sait qu’un certain morphotype a souvent été associé aux Juifs, inspirant les caricaturistes... Il s’agit bien évidemment, là, de fabrication, selon l’usage sartrien du terme (Sartre, 1954). La pensée raciale se heurte en fait de manière permanente à l’imprécision de l’apparence - qui ne fournit que des indices - voire même à sa fausseté.
Les données issues de la perception sont ensuite intégrées dans un processus cognitif impliquant leur classement dans des catégories préétablies, et leur interprétation. Ainsi l’appréhension de l’apparence peut-elle être reliée à des principes permettant de rendre compte du classement, comme celui de l’origine. La différenciation par l’apparence physique apparaît en effet étroitement dépendante d’une interprétation en termes de filiation et d’ascendance : elle ne peut être séparée des conceptions que nous nous faisons de la transmission de cette différence de génération en génération et, par là, des représentations implicites de l’hérédité. Ainsi peut être reconnue ce qu’on peut appeler une « génétique sauvage » (selon l'expression d'Augé & Héritier, 1982), où les questions posées sur la transmission des caractères, relativement proches de celles qui émanent de l’analyse scientifique, sont par contre résolues en termes d’essences : les fluides vitaux tiennent une place essentielle dans les réponses ; le sang apparaît souvent comme le support de la vie, véhicule d’éléments qui sont censés se transmettre... La "race" semble, en ce sens, relever d’une extension de l’idiome de la parenté, les groupes raciaux pouvant être considérés comme des "superfamilles" capables d’inspirer des sentiments dont la facilité de mobilisation et l’imperméabilité aux arguments rationnels est un gage de primordialité. Une telle argumentation permet de rendre compte des tabous très puissants attachés aux unions interraciales qui peuvent menacer la similitude physique des ascendants aux descendants, ainsi que de l’obsession du mélange des sangs, si récurrente dans l’imaginaire social [3].
Les variations sensibles, ou imaginaires, de l’apparence physique relèvent de caractéristiques corporelles ; la reproduction de cette apparence est d’autre part reliée à une certaine représentation de l’hérédité. A ce double titre, la "race" s’inscrit dans ce que nous estimons relever de la nature ; elle apparaît comme une naturalisation de la différence, ou comme une interprétation biologisante de l’identité. Cette croyance inspire l’acception savante du terme, qui renvoie à la différenciation naturelle de l’humanité en groupes discrets, distingués par la particularité de leurs caractères physiques, que l’on fait dériver de la séparation des ascendances. Les faits de comportement, souvent associés dans cette ligne de pensée aux caractères physiques, sont censés se transmettre par le même canal de l’hérédité... Et cette acception savante, dont dérive l’usage commun du terme aujourd’hui, s’accompagne de deux corollaires. D’une part, la catégorisation fixe des individus : le discours racial ne connaît pas l’individu, le renvoyant de manière irrémédiable à une appartenance de groupe, impliquant « la réduction à une détermination unique de la diversité des univers d’appartenance dans lesquels s’élabore l’identité individuelle ». Cette « dissolution de l’identité individuelle dans une entité collective qui seule existerait réellement » fait que les personnes singulières sont « racisées en tant qu’incarnant leurs types collectifs respectifs, qui eux-mêmes n’existent que dans leur déploiement temporel, en tant que lignée [4]» (Taguieff, 1988, p. 317). D’autre part, l’absolutisation des différences collectives : la pensée raciale, essentialiste, part d’un postulat de différence absolue, d’inassimilabi­lité et d’incommunicabilité. Une fois ce dispositif cognitif mis en place, au terme duquel l’identification raciale est inscrite dans ce qui est pensé comme naturel, l’ouvrage racial n’est pas achevé. La société investit en effet, selon les contextes, les marqueurs raciaux, qu’ils relèvent de l’apparence ou de l’ascendance, d’une signification sociale à portée discriminante, inspirant les pratiques : là réside l’intervention de l’idéologie, qui utilise la catégorisation raciale comme instrument d’un traitement inégal des individus, que ce traitement prenne la forme de la domination ou de l’exclusion. Dans le cas du racisme colonial, on voit clairement que la "race" sert d’opérateur hiérarchique...

 

Un exemple historique :
la structuration coloriste des sociétés coloniales
esclavagistes, puis post-esclavagistes

 

Situons-nous maintenant dans une argumentation délibérément historique propre à l’Occident, en nous focalisant sur l’émergence du racisme colonial. L’existence d’une antique image dévalorisée du "Noir" ne semble pas faire de doute : on la repère parmi les textes les plus anciens, qu’il s’agisse de la Bible ou de textes grecs et romains. Le christianisme a certainement amplifié ce préjugé, avec un symbolisme chromatique extrêmement affirmé, la blancheur étant associée à la pureté et la noirceur au péché (à la même époque, la civilisation musulmane n’est sur ce point pas en reste, développant le même type de dévalorisation du Noir : Delacampagne, 1983). Les thèmes raciaux se précisent durant le Moyen-Age, avec l’idée de barrières issues de la naissance, qu’on ne peut franchir. Ainsi les lépreux paraissent atteints d’une véritable souillure corporelle, transmise à leur descendance. Peut-être faut-il voir là l’origine du groupe mystérieux des cagots, ces descendants de lépreux qui auraient été victimes d’un processus de racisation par exclusion du reste du corps social. C’est en Espagne que les représentations de ce genre se cristallisent, avec par exemple la création des catégories de morisques ou de marranes qui, musulmans ou juifs convertis, continuent à faire l’objet de soupçons : le baptême ne suffit point à extirper la tare originelle... Les Espagnols, à la fin du Moyen-Age, semblent être obsédés par la pureté du sang (limpieza de sangre). Or ce sont eux qui, par la découverte du Nouveau Monde et la mise en contact avec des humanités insoupçonnées, vont être amenés à proposer le premier lexique racial, avec l’apparition de mots jusque-là inconnus : nègre, métis, mulâtre, caste... 

Mais l’existence avérée de vieux stéréotypes ne signifie pas l’émergence d’un véritable préjugé, efficace dans la structuration des rapports sociaux. Il faut attendre une nouvelle ère, celle de la rencontre des mondes et de la mise en exploitation des contrées nouvellement découvertes pour que le critère racial de distinction devienne "opérationnel". Alors que l’étrangeté corporelle apparaît comme le critère le plus évident de la différence - et quoi de plus "évident" que la couleur de la peau ? -, le propre de la colonisation va être d'enfoncer l’Autre au bas de l'ordre social, en correspondance avec une nouvelle division du travail mondialisée (Wallerstein, 1990), qui se fonde en particulier sur la reviviscence du vieux système de l’esclavage, tombé largement en désuétude, et l’organisation de transferts massifs de main d’œuvre servile depuis le réservoir africain... 

Les liens que l’on peut établir entre l’esclavagisme et le développement du préjugé apparaissent en effet particulièrement étroits. L’esclavage colonial est fondé sur une triple segmentation : sociale (maîtres de la terre/travailleurs), juridique (libres/esclaves), "raciale" ("Blancs"/ "Noirs"). De là le caractère très verrouillé du système : la race finit par devenir consubstantielle à l’ordre esclavagiste, qu’on a pu qualifier de socio-racial. Le fondement du système est de prime abord juridique : en assujettissant le travailleur au maître de la terre, on lui fournit une main d’œuvre docile et dégradable autant que la production du sucre l’exigeait... Si le système avait fonctionné sans faille, séparant par une cloison étanche les libres et les esclaves, le contraste phénotypique entre leur couleur de peau, au départ simple coïncidence historique, serait resté un simple épiphénomène. Mais de cette coïncidence émerge une nécessité idéologique, pour deux séries de facteurs. 

D’une part l’équation esclave = noir (l’esclave est noir) a tendance à se renverser, devenant noir = esclave (on est esclave parce qu’on est noir). On est là dans la fonction classique de l’idéologie, celle de la justification. Comment mieux légitimer l’esclavage, en particulier pour des consciences chrétiennes, qu’en enfermant une part de l’humanité dans une prédestination à la servitude fondée sur la nature, donc sur le définitif et l’immuable, et en faisant en sorte que soit intériorisée cette idée chez les dominés eux-mêmes, de manière à les persuader de la vanité de toute révolte ? Voilà un préjugé « d’autant plus utile qu’il est dans le cœur même des esclaves », selon les termes d’une dépêche ministérielle de 1771... [5] 

Des contradictions se font jour d’autre part à l’intérieur du système, qui minent sa structure binaire. Comme dans tous les systèmes esclavagistes, il existe en particulier une "soupape de sûreté" constituée par la pratique de l’affranchissement (destinée à laisser à celui qui est privé de liberté l’espoir de la retrouver un jour...). Mais on peut noter ici la profonde différence qui sépare l’esclavage moderne de l’esclavage antique. Si, dans ce dernier, l’esclave affranchi demeurait sa vie durant dans une situation relativement amoindrie par rapport à l’ingénu né dans la liberté, plus rien ne séparait ses descendants du reste de la société : on sait ainsi que des dynasties impériales furent issues de telles lignées... Dans l’esclavage colonial au contraire, la macule servile est indélébile dans la mesure où elle colle à la peau : l’esclave libéré devient, selon la terminologie en vigueur, un libre de couleur, expression où l’on voit accolés un terme juridique et un terme racial. C’est dire, dans ce contexte, que l’affranchissement installe une troisième catégorie imprévue entre les maîtres et les esclaves, jouissant du statut des premiers mais apparentée aux seconds : les maîtres, face au "péril en la demeure" que représente l’émergence d’une classe de gens de couleur devenant eux-mêmes des possédants, ont recours au critère racial afin de maintenir une distance maximale avec ces libres qui pourraient leur porter ombrage (Debbash, 1967). Il se produit donc ce qu’on peut appeler une "racialisation" des rapports sociaux, à savoir une autonomisation de la "race" dans le champ social : les caractères phénotypiques se mettent à avoir une valeur propre, servant à positionner les individus et les lignées dont ils procèdent, dans le jeu social (Jamard, 1983). Comme l’a bien noté Michelle Duchet (1969), si le mépris de l’esclave est là dès l’origine, le préjugé de couleur apparaît en quelque sorte comme un vice de structure que l’histoire a peu à peu révélé... 

L’autre contradiction majeure du système (qui recoupe en partie la précédente, car les métis sont souvent aussi des libres de couleur...) réside dans la progression de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler métissage, avec l’apparition d’individus mêlés, au départ fruit d’unions mixtes entre maîtres blancs et esclaves noires. Les Mulâtres - la catégorie première du mélange blanc/noir - constituent eux aussi une nouvelle catégorie imprévue, à l’égard de laquelle les représentations et les prescriptions officielles évoluent. Dans un premier temps ils sont l’objet d’une sollicitude relative : ils sont certes mis à l’index pour leur naissance honteuse et l’illégitimité qui a présidé à leur conception, mais ils sont déclarés libres alors que leur mère est esclave. Très vite cependant une nouvelle donne idéologique s’impose, « manifestation exemplaire des tentatives de réajustement pour régler des cas limites » (Jamard, 1983), et s’opère à leur égard un infléchissement de la règle, dans le sens d’une plus grande attention portée à la distinction raciale. D’une part, se développe une réaction contre le libéralisme des premiers temps en matière d’alliance, avec l’établissement de dispositions pénales contre les unions mixtes, afin d’éviter la multiplication de ces individus mêlés. D’autre part, la condition de ceux qui sont déjà là, ou qui continuent à naître, est dégradée : ils sont privés de liberté, grâce à la remise en honneur de l’ancienne loi romaine sur le statut de la descendance (partus sequitur ventrem), et ils subissent l’établissement d’un ordre juridique ouvertement ségrégationniste à leur encontre... Car les Mulâtres doivent à leur caractère de sang-mêlé une situation ambiguë : ils sont notoirement apparentés avec la classe servile, mais aussi avec les Blancs. Ils brouillent, par les liens de parenté qu’ils entretiennent avec les deux groupes, la frontière qui se voudrait absolue entre les deux segments antagonistes de la société coloniale. D’où la tentative, pour le groupe blanc, d’une séparation nette, en jouant sur deux tableaux : d’une part, comme on vient de le voir, en les maintenant, lorsque c’est possible, dans l’esclavage, tout en affichant un mépris intangible pour ceux qui conservent des parents dans la servitude (« la nation entière n’est pas assez puissante pour arracher de nos cœurs le sentiment de supériorité qui a plané de tout temps, et qui planera toujours sur nous, tant qu’il y aura à Saint-Domingue des esclaves desquels vous tirez votre origine, et parmi lesquels il vous reste tant de parents [6] ») ; d’autre part, en procédant à leur abaissement systématique par le recours à la doctrine de la pureté de l’extraction et de la blancheur absolue, construite à partir d’un paradigme généalogique, ce « prisme magique par lequel les colons s’assurent des couleurs mères et primitives », selon les termes d’un mémoire de l’époque. Sur ce front de la race-lignée est désormais érigée la fameuse ligne de couleur si bien décrite par Moreau de Saint-Méry dans le cas de l’ancienne Saint-Domingue (Moreau de Saint-Méry, 1797), qui installe une stricte séparation entre les Blancs et tous les autres, ramenés, quel que soit leur degré de décoloration, à l’autre couleur primitive pour la raison qu’ils en sont en partie issus. 

Là encore, l’autonomisation de la race est en marche : désormais tout ou partie de l’origine noire est affecté d’un coefficient de défaveur, stigmate ramenant inévitablement à l’origine servile. Cette logique binaire s’accommode dans le même temps de la réalité humaine luxuriante qui caractérise les colonies, par l’établissement de catégories de métissage, elles aussi à fondement généalogique (là encore l’exemple le plus accompli paraît être celui de Saint-Domingue), qui permettent à une « cascade de mépris » de dévaler du plus clair au plus foncé, expression de ce qu’on a pu appeler un "sous-racisme", et d’une intériorisation du préjugé chez les gens de couleur eux-mêmes... 

On peut remarquer que la plupart des sociétés esclavagistes et post-esclavagistes ont connu, à divers degrés, le même type de « mathématique raciale » (selon une expression de Michèle Duchet, 1969). Ce sont des valeurs raciales de ce type qui ont gouverné l’évolution des groupes dans ces sociétés : on peut par exemple se référer au cas de la Martinique jusqu’à une date récente. Les Blancs originaires (Békés) s’y sont enfermés dans une stricte endogamie, articulée à un fort contrôle généalogique, qui a permis au groupe de rester identique à lui-même de génération en génération ; dans le même temps les Gens de couleur y ont déployé des stratégies intergénérationnelles de blanchiment au travers des gradients de métissage, par le biais du choix du conjoint ou du partenaire reproducteur.
Aux Etats-Unis, la colour bar demeure encore une réalité, même si l’extension géographique du pays (rendant difficile un strict contrôle généalogique) a permis d’éventuels passing (passages de la ligne)... De manière générale, on constate que ce système de représentations s'est diffusé loin de son foyer colonial, influant sur nos manières de penser la diversité des couleurs : encore aujourd’hui (des exemples américains dans le monde du spectacle peuvent être avancés, le dernier en date étant la remise des oscars à une actrice "noire" dont on peut remarquer l’extrême clarté épidermique...), nous sommes amenés à catégoriser comme "noirs" des individus mêlés, réservant le qualificatif de "blancs" aux seuls individus considérés comme indemnes de mélange, nous installant par là dans une asymétrie fondamentale. On sait la fortune d’un tel englobement dans les jeux identitaires du XXe siècle, au sein desquels l’ancien stigmate est revendiqué comme signe d’appartenance, au prix d’une récupération dans l’autre sens de la vieille segmentation raciale toujours efficace... Il y a là un effet déformant dont il est extrêmement difficile, même pour les esprits les plus avertis, de se dégager.

 

Le poids du destin :
marque biologique et fixation de l'identité

 

L’exemple historique du préjugé colonial nous permet de réfléchir sur les liens du racial avec le social, que nous pouvons analyser en termes de détermination. Où placer en la matière la détermination ultime ? Le préjugé apparaît d’abord comme le fruit de certaines circonstances sociales, en l’occurrence l’enchaînement de nécessités nées de la coïncidence originelle d’une diversité phénotypique et de l’implantation d’un système esclavagiste : la race, instance idéologique indispensable pour légitimer certaines formes d’inégalité, apparaît dans cette perspective comme déterminée. C’était l’opinion de Victor Schoelcher, et d’un grand nombre d’analystes, en particulier marxistes, qui lui ont succédé. Mais on peut également remarquer que la race, une fois autonomisée, peut aussi être considérée comme une force agissant a priori dans la structuration sociale, loin d’être un simple reflet mental de conditions socio-économiques oppressives. On rejoint là la position idéaliste défendue par L. Dumont à propos de la société de castes en Inde, qui postule l’existence d’un principe hiérarchique, où chacun doit tenir une place fixée à l’avance, principe enchâssé au niveau culturel, au centre des représentations de ce que doit être l’ordonnancement social. L. Dumont a d’ailleurs donné son avis sur la "race", dans un texte placé en postface à son Homo hierarchicus (Dumont, 1966, 1960) : il la considère comme une valeur permettant de restaurer, sous le couvert d’un phénomène "naturel", un principe hiérarchique mis à mal par l’égalitarisme contemporain, une ruse de la modernité pour refonder une possible oppression malgré les proclamations édifiantes de ses promoteurs.
Une anecdote éditoriale vaut d’être rappelée : lorsque la fondation créée par l’abbé Grégoire mit en compétition, au début des années 1840, un prix offert à celui qui « exposerait les meilleurs moyens d’effacer le cruel et absurde préjugé qui règne parmi les Blancs et les hommes de couleur », le prix échappa à Victor Schoelcher, qui concourait, car les juges estimèrent qu’il avait trop subordonné ses vues à la détermination du préjugé par l’esclavage et qu’il espérait trop de l’abolition de celui-ci (Schoelcher, 1940). Le prix échut finalement à un essayiste haïtien, qui constatait, s’appuyant sur Tocqueville, que le préjugé était plus fort dans le Nord des Etats-Unis, là où justement l’esclavage était déjà aboli, et exprimait une idée-force : « le préjugé, en s’attachant à la couleur, est devenu tout à fait dans cette seconde phase distinct de celui de l’esclavage » (Linstant, 1841, p. 105). La race apparaît dans cette perspective à la fois déterminée et déterminante, au bout d’un processus de racialisation qui, en éloignant les rapports raciaux des rapports de production avec lesquels ils coïncidaient au départ, a abouti à leur prégnance.
Cette prégnance pérenne n’est certainement pas sans relation avec les propriétés mêmes du référent, susceptibles d’influer sur le processus identitaire. En d’autres termes, ancrer l’identité sur une marque biologique comme la couleur de la peau n’est pas sans conséquences. Le fait premier qu’il faut avoir à l’esprit est que cette marque, bien que confinée à l’univers des apparences et dépendant d’un support génétique infime, n’en est pas moins inscrite dans l’hérédité. Il en résulte qu’elle est héritable de génération en génération, transmise des parents aux enfants, qui vont la transmettre à leur tour. Elle prend de ce fait une dimension temporelle au long cours, induisant une grande viscosité des rapports sociaux et cristallisant les hiérarchies sociales premières. C’est là un phénomène qu’avait bien perçu, dans une analyse lumineuse, Alexis de Tocqueville. Après avoir mis en parallèle l’esclavage antique et l’esclavage moderne (« Ce qu’il y avait de plus difficile chez les anciens était de modifier la loi, chez les modernes c’est de changer les moeurs et pour nous la difficulté commence là où l’antiquité la voyait finir... »), il mettait l’accent sur la singularité moderne de l’association de l’esclavage avec la race, concluant en ces termes : « le souvenir de l’esclavage déshonore la race, et la race perpétue le souvenir de l’esclavage » (Tocqueville, 1961, p. 357). On ne saurait mieux exprimer la persistance de la mémoire de l’esclavage par la récurrence perceptive de la trace discriminante. La nouvelle macule servile ne peut s’effacer et se transforme en stigmate hérité. 
Nous sommes donc en présence d’une rémanence du biologique par rapport aux évolutions sociales : il s’est en définitive posé pour ces sociétés, fondées sur une correspondance originelle entre les statuts et les apparences physiques, un problème de reproduction inédit : comment contrôler un phénomène dont tous les paramètres ne sont pas sociaux, mais passent par le canal de l’hérédité biologique ? N’est-il pas justement possible de tirer parti de la persistance des caractères biologiques pour assurer une meilleure reproduction sociale ? Comment dans ce cas aider la nature, en sauvegardant au mieux les apparences pour qu’elles restent porteuses de discrimination, et remédier à la dilution progressive des couleurs ? La solution a résidé dans le recours à une économie matrimoniale étroitement surveillée qui, conditionnant la reproduction biologique de la population, assure partiellement la duplication des apparences premières et par là une stabilisation des rapports sociaux : c’est dire qu’il y a eu une "gestion" sociale de la transmission des traits biologiques. En quelque sorte le biologique a enregistré en lui l’ordre du social, et par là une idéologie s’est véritablement incarnée (Bonniol, 1992). « Les races, bien sûr, n’existent pas : nous sommes simplement capables de les inventer » (Jamard, 1983).
Cette autonomie de l’ordre racial a été particulièrement bien analysée par Jean-Luc Jamard, qui propose la notion de capital racial, « dont le volume est en raison inverse de la distance généalogique à la classe des esclaves » (Jamard, 1983). Ce capital racial est à la fois un enjeu et un moyen des luttes qui se déroulent dans le classement et pour le classement. Ce qui explique, d’une part, la vision chez les Gens de couleur d’un espace gradué entre les pôles extrêmes, et leurs stratégies intergénérationnelles, et d’autre part, la vision dichotomique des Blancs qui limitent vers le haut, par la clôture de leur groupe, les stratégies des Gens de couleur à qui les femmes blanches restent interdites. Il est possible d’avancer l’idée que cette autonomie n’est que relative, et qu’elle n’est que l’aboutissement de trajectoires sociales passées qui se sont incorporées dans le phénotype des individus : une analyse objective pourrait ainsi réenraciner l’ordre racial « dans l’infrastructure d’un système plus réel, bien que caché », qu’il contribue à occulter (empêchant en particulier l’émergence de véritables consciences de classe...). Mais c’est à une nécessité singulière qu’obéit cette racialisation des rapports sociaux, qui ne peut se réduire à cette « simple distorsion idéologique, saisie, par pur postulat, dans sa fonction d’occultation ». Il faut ici faire à nouveau référence au schème cognitif "raciologique" dont nous avons au départ postulé l’existence. On ne peut en effet que noter la difficulté qu’ont les acteurs de « dépasser les limites de leur cerveau ». Paraissent ainsi exclues les conduites qui subvertiraient le classement racial, ce qui explique que les idéologies coloristes apparaissent aussi prégnantes du côté des dominés que du côté des dominants... Il n’y a donc pas lieu de penser qu’ « une organisation en représente une autre » ; toutes les deux ont le même indice de réalité ; chacune est en position de connexion syntaxique par rapport à l’autre (Augé, 1977, p. 74). 

Ainsi pouvons-nous peut-être mieux comprendre la remarquable vitalité du racial, qui paraît sans cesse renaître de ses cendres, et l’extraordinaire efficacité symbolique de ses catégorisations. La non-scientificité de la notion de race n’est en aucune manière un obstacle à son usage : sa puissance métaphorique et sa dimension affective ne sauraient se réduire à des effets de son habilitation scientifique, ce qui explique sa résistance à toute tentative de démonstration de fausseté. Il est illusoire de croire que « la raison théorique a le pouvoir de suspendre les systèmes de représentation inscrits dans telle ou telle perception récurrente, laquelle réveille incessamment l’ethnotype qu’on veut neutraliser » (Taguieff, 1988, p. 348 et suivantes). Car l’efficacité particulière du racisme coloriste procède largement, nous l’avons vu, de l’utilisation de la marque biologique, de « réalités physiologiques naturelles... dont on ne peut modifier l’aspect » (Arendt, 1972, p. 186). La contingence biologique se mue en nécessité sociale : l’individu ne saurait dès lors échapper à la catégorie inévitable à laquelle l’assigne son apparence, qui dérive elle-même de son hérédité, version modernisée et naturalisée de la fatalité.

 

Références

 

Arendt, H. (1972). Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine. Paris, Calmann-Lévy.

Augé, M. (1977). Pouvoirs de vie, pouvoirs de mort. Paris : Flammarion.

Augé, M. & Héritier, F. (1982). La génétique sauvage. Le Genre humain, 3, 4, 127-136.

Balibar, E. (1990). Y a-t-il un néo-racisme ? In E. Balibar & I. Wallerstein (dir.), Race, nation, classe. Les identités ambiguës (pp. 27-53). Paris : La Découverte.

Bonniol, J.L. (1992). La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des « Blancs » et des « Noirs ». Paris : Albin Michel.

Bromberger, C. (1985). Identité alimentaire et altérité culturelle dans le nord de l’Iran. Le chaud, le froid, le sexe et le reste. Cahiers de l’Institut d’Ethnologie de Neuchâtel, n°6, 5-34.

Debbasch, Y. (1967). Couleur et liberté. Le jeu du critère ethnique dans un ordre juridique esclavagiste. Paris : Dalloz.

Delacampagne, C.  (1983). L’Invention du racisme. Paris : Fayard.

Duchet, M. (1969). Esclavage et préjugé de couleur. In P. de Comarmond & C. Duchet  (dir.), Racisme et société (pp. 121-130). Paris : Maspero.

Dumont, L. (1966). Racisme et stratification : réflexion d’un anthropologue social. In Homo hierarchicus. Essai sur le système des castes. Paris : Gallimard.

Fanon, F. (1954). Peaux noires, masques blancs. Paris : Le Seuil.

Ginzburg, C. (1980). Signes, traces et pistes. Racines d’un paradigme de l’indice. Le Débat, novembre 1980, 3-44.

Jamard, J.L. (1983). Réflexions sur la racialisation des rapports sociaux en Martinique : de l’esclavage biracial à l’anthroponymie des races sociales. Archipelago, 3-4, 47-81.

Jamard, J.L. (1995). Noir c’est noir. L’Homme, 133, 123-134.

Linstant, S. (1841). Essai sur les moyens d’extirper les préjugés des Blancs contre la couleur des Africains et des Sang-mêlé. Paris : Pagnerre. Réédition en fac-similé : V. Schoelcher & S. Linstant (2001). Contre le préjugé de couleur. Le legs de l’abbé Grégoire. Paris : Editions du CTHS.

Moreau de Saint-Méry. (1797). Description de la partie française de l’Isle de Saint- Domingue. Philadelphie. Réédition (1958), Paris : Larose.

Pagès, R. (1964). Du reportage psychosociologique et du racisme ? A propos de la marche sur Washington. Revue française de sociologie, 4-4, 424-437.

Pagès, R. (1979). Abus racistes de la psychologie et psychologie sociale du racisme. Droit et liberté, supplément au n° 382, 50-52.

Sartre, J.P. (1954). Réflexions sur la question juive. Paris : Gallimard.

Schoelcher, V. (1840). Abolition de l’esclavage ; examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des Sang-mêlé. Paris : Pagnerre. Réédition en fac-similé : V. Schoelcher & S. Linstant (2001). Contre le préjugé de couleur. Le legs de l’abbé Grégoire. Paris : Editions du CTHS.

Starobinski, J. (2003). Sur la nostalgie. La mémoire tourmentée. Cliniques méditerranéennes, 67, 191-202.

Taguieff, P.A. (1988). La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles. Paris : La Découverte. 

Tocqueville, A. de (1961). De la démocratie en Amérique.  Paris : Gallimard. 1ère édition (1835), Paris : C. Gosselin. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

 

Wallerstein, I. (1990). La construction des peuples : racisme, nationalisme, ethnicité. In E. Balibar & I. Wallerstein (dir.). Race, nation, classe. Les identités ambiguës (pp. 95-116). Paris : La Découverte.



[1]    « La cohabitation des couleurs est un vice attaché aux colonies qui ont des cultivateurs noirs. Étrange bizarrerie de l’esprit humain ! », Question incidente concernant l’état des hommes de couleur aux colonies, par un ancien colon de Saint-Domingue, 1820, Archives nationales, section outre-mer, C63 d454.

[2]    Nous faisons dériver cette assertion de la proposition complémentaire de J. Starobinski (2003, p. 191-192) : « Les sentiments n’existent pour notre conscience réfléchie qu’à partir du moment où ils ont reçu un nom… Un mot nouveau condense de l’incompris, qui auparavant était demeuré diffus… Chaque groupe, chaque société, voit, à une époque donnée, l’appel de plusieurs mots se répercuter presque sans fin, dans un processus « interactif » qui ne diffère pas de celui même de l’apprentissage d’une langue ».

[3]    De fait, le cercle familial apparaît comme l’ultime rempart à l’acceptation raciale, ce qui est bien exprimé par la question rhétorique classique : « Accepteriez-vous que votre fille épouse un… ? ». P.A. Taguieff rappelle en l’occurrence certaines théories sur le « désir d’homofiliation physique », qui s’exprimerait par le souhait de préserver son identité phénotypique dans ses descendants. L’identité propre de la lignée chercherait à s’exprimer par la ressemblance des générations : la couleur de la peau apparaît en la matière comme un trait distinctif de premier choix par sa bonne visibilité, sa haute stabilité. Voir à ce propos R. Pagès (1964, 1979).

[4]    P. A. Taguieff cite en la matière Vacher de Lapouge : « L’individu est écrasé par sa race, et n’est rien… L’individu est une lettre du livre de la race ; la lettre n’a aucun sens. Mais le livre en a un… ».

[5]    Dépêche ministérielle du 27 mai 1771 (le Ministre au Gouverneur de Saint-Domingue).

[6]    Lettre de Théron, commandant de Jacquezy, à Candie, leader local des libres de couleur (16 octobre 1792, Archives Nationales DXXV 4/37), citée par Y. Debbasch (1967).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 26 juillet 2008 17:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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