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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gilles L. Bourque [économiste, C.S.N.], “Budget 2010. Lutte au déficit”. Un article publié sur le site OIKOS.blogue.coop. 1re partie: le 22 octobre 2009; 2e partie: le 30 octobre 2009; 3e partie: le 13 novembre 2009. [Autorisation accordée par l'auteur aux Classiques des sciences sociales le 4 juin 2008 de diffuser cet article.]

Gilles L. Bourque,
(économiste, Fondaction, C.S.N.)

Budget 2010.
Lutte au déficit
.”

Un article publié sur le site OIKOS.blogue.coop. 1re partie : le 22 octobre 2009; 2e partie : le 30 octobre 2009; 3e partie : le 13 novembre 2009.

1re partie. 22 octobre 2009.
2e partie. 30 octobre 2009.
3e partie. 13 novembre 2009.


(1ère partie)

22 octobre 2009.

alculatrice2Par Gilles Bourque

Thèmes associés :
budget, fiscalité, Gauche, politiques publiques

La récession n’est même pas terminée que les gouvernements tendent des perches pour tester la profondeur dans laquelle ils pourront éventuellement plonger pour faire payer par les contribuables les pots cassés par la folie des spéculateurs. Ça n’a rien pour nous surprendre. Depuis plusieurs mois, nous sommes convaincus que les gouvernements de droite vont profiter de la conjoncture, c’est-à-dire de la croissance importantes des déficits, pour sabrer dans les dépenses publiques et poursuivre la tendance des vingt dernières années d’amoindrir la progressivité du système fiscal.

Dans un article daté du 10 septembre, on mentionnait les propositions faites par une trentaine d’experts de tout horizon conduits par les économistes Joseph Stiglitz et Jean-Paul Fitoussi (The Shadow Gn) pour sortir de la crise et construire un monde plus soutenable, équitable et avec davantage de cohésion sociale. À cette date je n’avais trouvé que la version anglaise de leur document. L’Observatoire français des conjonctures économiques l’a maintenant traduit. Revoici la partie des propositions qui concernent « le traitement des causes structurelles de la crise ». Remarquez : il ne s’agit pas ici des mesures à prendre pour chercher à tempérer les conséquences de la crise, mais au contraire les changements qu’il faut envisager pour éviter que la crise ne se répète.

« I. Recommandations relative
 au traitement des causes structurelles de la crise

Pour renverser la tendance identifiée plus haut en matière de répartition du revenu et contribuer ainsi au soutien de la demande agrégée dans le moyen et long terme, les membres du « Gn fantôme » proposent ce qui suit :

1. Augmenter la progressivité de l’impôt, en particulier pour les hauts et très hauts revenus. Ceci devrait être décidé de manière coordonnée par les nations du monde pour éviter des déplacements trop importants de la main-d’œuvre hautement qualifiée.

2. Lutter contre les paradis fiscaux – en distinguant les États coopératifs à fiscalité faible et les autres – et, en général, augmenter les moyens de lutte contre l’évasion fiscale et favoriser un meilleur partage de l’information en la matière.

3. Introduire une certaine coopération entre les pays pour éviter la concurrence fiscale, la déflation salariale et le dumping social, qui sont la version moderne des politiques « d’appauvrissement des voisins » qui furent mises en oeuvre dans les années 1930.

4. Restaurer le rôle des stabilisateurs automatiques, et plus généralement élever le niveau de protection sociale offert par l’État pour aider au maintien d’une croissance soutenue et d’un haut niveau d’emploi.

5. Mettre en place une réforme générale de la protection sociale, visant une meilleure redistribution et l’accumulation de capital humain. Ceci implique en particulier :

a) La généralisation de l’accès universel aux soins de santé et à l’éducation ;

b) L’inversion de la tendance à transformer les systèmes de retraite à prestations définies en systèmes à contributions définies qui a, par le passé, grandement contribué à réduire le rôle redistributif de la Sécurité sociale. »

Ce que nous disent ces spécialistes est assez clair : d’une part, les pots cassés doivent être payés par ceux qui ont le plus profité du modèle (ultralibéral) qui nous a mené à la crise; d’autre part, il faut revenir vers un modèle d’État social fondé sur une plus grande justice fiscale. Autrement dit, il faut redonner aux États les moyens de leurs ambitions de justice et d’égalité. Si, en plus de ces enjeux socioéconomiques, on ajoute l’urgence de répondre le plus rapidement possible aux enjeux écologiques, et en particulier à la lutte contre les changements climatiques, on doit alors considérer le projet conservateur comme le pire risque (économique, social et environnemental) vécu par les Québécois depuis les années 1980, puisque tout semble indiquer que ce gouvernement pourrait bientôt aller chercher un majorité pour mettre en oeuvre ses politiques d’arrière-garde.

Alors que le gouvernement fédéral prévoit un déficit de 56 milliards de dollars en 2009-2010, le premier ministre Stephen Harper a déclaré récemment qu’il n’avait pas l’intention d’augmenter les impôts. Lors d’un passage à Welland, en Ontario, M. Harper a expliqué que la fin des programmes temporaires créés dans le cadre du plan de relance est prévue pour la fin 2011 et qu’après cette date les dépenses devront être modulées en fonction de la croissance économique. Il nous fait croire qu’un contrôle des dépenses en période de croissance sera suffisant pour atteindre l’objectif du retour à l’équilibre budgétaire en 2016 ! Le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, estime lui-même que les prévisions du gouvernement sont trop optimistes. Le premier ministre n’a pas aimé ces critiques et a commencé à couper les dépenses de fonctionnement du directeur parlementaire du budget !!!

Les banquiers, eux, appuient fortement la vision conservatrice de sortie de crise. Dans un rapport publié par la Banque TD, on suggère qu’« …il sera essentiel de freiner la hausse des dépenses, qui atteint en moyenne 6% chaque année. Or, si on tient compte du boulet que représentera le service de la dette au cours des prochaines années, il faudra les maintenir autour de 2%. Un chiffre qui pourrait même devoir être encore abaissé en raison du caractère incompressible des dépenses pour la Défense et les pensions de vieillesse ».

Dans les prochaines semaines, on verra dans une série d’articles sur le thème de la lutte au déficit, divers scénarios possibles pour non seulement combler les déficits budgétaires dans une perspective de justice fiscale, mais aussi les moyens pour redonner au Québec ses capacités d’agir pour combler les déficits sociaux et écologiques auxquels nous sommes confrontés.



Budget 2010. Lutte au déficit.

(2ième partie)

30 octobre 2009


Par Gilles Bourque

onnaie

Thèmes associés : budget, Canada, fiscalité, politiques publiques

Dans un article précédent, nous avons vu que, pour éviter de recréer les conditions qui ont mené à la violente crise financière que nous venons de traverser, il faudra trouver des politiques de lutte au déficit différentes de celles des dernières décennies. Les spécialistes de la nouvelle pensée « libérale » progressiste, tels que Stiglitz ou Krugman, nous disent qu’il faut revenir vers un modèle d’État social fondé sur une plus grande justice fiscale, soit en faisant payer les impacts de la crise par ceux qui en ont le plus profité.

D’ores et déjà, nous constatons que des gouvernements ou des parlementaires envisagent divers scénarios pour non seulement combler les déficits budgétaires mais pour redonner aux pays les moyens d’agir pour combler les déficits sociaux et écologiques. De toute évidence, la tâche sera ardue. Alors que les déficits sociaux et écologiques exigeraient une mobilisation exceptionnelle des ressources publiques pour répondre aux défis de court et moyen terme, les déficits budgétaires entraînées par la crise ramènent les finances publiques dans leur pire situation depuis 30 ans. Un des seuls facteurs positifs que l’on peut constater, c’est que le Québec s’en tire mieux que les autres pour le moment. En principe, nous devrions voir se rétrécir l’écart entre l’endettement du Québec et celui de ses voisins, diminuant par le fait même les pressions sur nos finances.

Prenons l’exemple du déficit des États-Unis. Pour 2008-2009, il s’est élevé à 1,420 milliards $, soit 10% du PIB. On s’attend à ce qu’il soit à un montant équivalent l’an prochain. Ce sera donc un montant de 3,000 milliards qui s’ajoutera à une dette publique de 6,700 milliards $. Selon les projections de l’administration, le déficit accumulé pour les 10 prochaines années pourrait être au-delà de 9,000 milliards. En proportion du PIB, la dette passera de près de 50% à entre 75 et 80% dès l’an prochain et pourrait dépasser les 100% d’ici quelques années.

Au Canada la situation est moins dramatique, mais nous rappelle que l’économie de l’Ontario est aussi sous tension qu’au sud de la frontière. Pour l’ensemble du Canada, on pense que les déficits publics ajouteraient une centaine de milliards $ à la dette. À près de 1,000 milliards $, elle s’approchera ainsi de 70% du PIB. Mais cette évaluation est assez conservatrice : le gouvernement de l’Ontario vient d’annoncer que son déficit pour l’année en cours sera de près du double à ce qui était prévu, soit 25 milliards $ au lieu de 14 milliards. Avec la répétition actuelle du scénario « catastrophe » de remontée du prix du pétrole et du huard, rien n’indique que la détérioration des déficits publics ne conduira pas le Canada vers une dette dépassant le seuil fatidique de 100% du PIB dans la présente décennie.

Dans ces conditions, on peut être sûr que les forces de droite martèleront la population avec un programme de réduction massive des dépenses publiques. La situation est trop belle pour eux d’en profiter pour détruire l’État social tel que nous le connaissons pour le ramener au modèle de l’Alberta. On peut aussi penser, comme le craint le Bloc québécois, que les Conservateurs pigeront dans la caisse d’assurance-emploi pour combler le déficit structurel. Selon la firme Dale Orr Economic Insight, les travailleurs canadiens pourraient voir leurs primes d’assurance-emploi grimper de 632 $ sur quatre ans tandis que les hausses des primes des employeurs pourraient être encore plus importantes. La cotisation supplémentaire pourrait atteindre environ 15,5 milliards $ d’ici 2014-15, selon l’échéancier présenté dans la dernière mise à jour économique du ministre Flaherty.

Mais d’autres choix sont possibles. Comme nous le rappelait Pierre Paquette dans un article paru dans OikosBlogue, on peut faire en sorte que la lutte au déficit soit partagée par tous les acteurs économiques. Le Bloc québécois propose un plan de lutte au déficit qui s’attaque aux bonnes cibles. Tout d’abord en s’attaquant aux iniquités de la fiscalité canadienne : c’est 3 milliards par année que le fisc pourrait récupérer chaque année en mettant fin aux échappatoires vers les paradis fiscaux; un autre 3 milliards serait engranger en mettant fin aux privilèges scandaleux consentis aux pétrolières.

Afin de redonner au système fiscal son caractère progressif, le Bloc Québécois pense que les personnes ayant un revenu imposable supérieur à 150,000 $ devraient contribuer à la lutte du déficit en payant une surtaxe de 1%, ce qui mettrait 1,5 milliards de plus par année dans les coffres de l’État. Enfin, en mettant aussi un frein à l’orgie de dépenses militaires, le Bloc Québécois estime que les mesures qu’il propose permettraient d’économiser 16 milliards par année dans les dépenses publiques, ce qui permettrait de combler une bonne partie du déficit structurel du budget canadien.

Mais, il faut le rappeler encore une fois, l’enjeu actuel n’est pas de simplement combler le déficit budgétaire : il faut rapidement combler les déficits sociaux et environnementaux en engageant le Canada dans un vaste programme de réforme sociale et dans un programme majeur sur le climat. Sur ce dernier point, il faut mobiliser les ressources publiques dans une « guerre aux changements climatiques ».

Le gouvernement doit se donner les moyens d’agir. Comme le suggère plusieurs analystes, il doit revenir sur sa décision de diminuer la TPS et relever cette dernière au niveau de 7%. Sur cette question, le Québec doit de façon urgente récupérer les deux points de pourcentage dans la TVQ de façon à négocier le transfert de ces points au Québec, aux fins de solutionner le déséquilibre fiscal auquel le Québec fait face, avant que le fédéral rehausse la TPS. Pour chaque point de% de taxe, les gouvernements augmentent leurs revenus de 7 milliards (dont 6 milliards $ au fédéral et un peu plus de 1 milliard au Québec). Pour le gouvernement canadien, la récupération des deux points de% représente donc un 12 milliards supplémentaires.

Mais il faut davantage. Il faut aussi viser plus spécifiquement ceux qui ont profité de la spéculation et qui ont allègrement recommencé à abuser de la situation de quasi monopole dont ils disposent pour s’enrichir abusivement aux dépends de la majorité. En France, le président socialiste de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Didier Migaud, a rallié plusieurs voix, même de l’UMP, pour appliquer l’an prochain au secteur bancaire un supplément d’impôt sur les sociétés de 10%. Cette idée, que l’État se réapproprie une partie plus importante de la rente de situation canalisée par les institutions financières, fait son chemin un peu partout. Devant la demande pressante provenant de la population, qui pour les années à venir devra payer les frais de la folie spéculative, le gouvernement Sarkosy va proposer un amendement créant une taxe spécifique pour les banques, égale à 0,04 à 0,08% de leurs fonds propres réglementaires, destinée à financer leur supervision. Le produit de la taxe représenterait pour les banques un effort autour de 100 millions d’euros par an.

Aux États-Unis, c’est le président de la Fed, Ben Bernanke, qui considère que pour renforcer le capital des banques, des mesures doivent être prises et que ces établissements doivent payer une taxe pour le risque qu’ils représentent pour la collectivité. Comme le déclare Lawrence Summers devant un parterre de financiers, « Wall Street n’a pas été une petite partie de la cause de la crise et Wall Street doit faire partie de la solution. Il n’est pas un établissement financier qui existe aujourd’hui qui ne soit pas le bénéficiaire direct ou indirect des milliers de milliards de dollars de soutien du contribuable. Cela à un rapport direct avec la nature changeante du contrat social entre le secteur financier et l’économie au sens large. »

Je termine cette partie en soulignant que l’État devra aussi procéder à une refondation importante de la fiscalité pour la rendre plus « verte ». Comme le font les pays qui ont décidé de mettre en place une taxe sur le carbone, il est absolument nécessaire de repenser la fiscalité de manière à inciter la consommation de biens à faible intensité de carbone (services publics, transport collectifs, culture, etc.) et à décourager celle de biens intensifs en carbone (énergie fossile). On sait que les populations rejettent ces politiques, malgré qu’elles se disent très préoccupées par les changements climatiques. Nous devons profiter de la situation de crise pour refonder, en profondeur, la fiscalité sur la base d’un nouveau contrat social.

Si la nouvelle fiscalité écologique répond au principe d’équité, un gouvernement pourra obtenir l’appui des citoyens. Elle ne pourra l’être, que si elle prend davantage aux plus riches et à ceux qui profitent de privilèges, comme par exemple l’industrie du pétrole qui profite d’une rente exceptionnelle, qui ne pourra que croître dans les années à venir, pour investir dans le bien commun. Il serait d’ailleurs temps pour l’État de s’accaparer entièrement de cette rente pétrolière. La nouvelle fiscalité doit aussi permettre de dégager des moyens financiers pour investir massivement dans l’efficacité énergétique, de manière à ce que, dans un délai raisonnable de 4-5 ans, l’augmentation de la facture énergétique des ménages puissent être compensée par des économies découlant d’une plus grande efficacité énergétique.

Dans la prochaine et dernière partie, je vais soumettre quelques réflexions sur le cas du Québec.



Budget 2010. Lutte au déficit

(3ième partie)

13 novembre 2009

Par Gilles Bourque



Thèmes associés : budget, fiscalité, politiques publiques, Québec.

alculatrice2Nous l’avons constaté dans les articles précédents (1ère partie et 2ième partie), la crise économique implique des dépenses exceptionnelles en même temps que des diminutions importantes des revenus, ce qui entraînent les finances publiques dans une situation tout à fait préoccupante. Tant aux États-Unis qu’au Canada et au Québec, la dette publique va probablement atteindre le niveau de 100% du PIB dans un horizon de moins de cinq ans. Or, les dernières décennies de la vie politique nous ont amplement démontré qu’un tel niveau de dette est jugé inacceptable par la population.

La conjoncture économique du Québec est relativement favorable lorsqu’on la compare avec le reste des pays développés. Mais la situation financière du gouvernement n’est pas aussi attrayante. D’abord il est ridicule de comparer les finances publiques provinciales avec celles des autres pays. Il faut le faire avec les autres provinces. Or la dette du Québec est la pire de toutes les provinces (25 points de% au-dessus de la moyenne des provinces). Et si on veut se comparer avec les autres pays, la dette publique totale du Québec (provinciale plus notre part de celle du fédérale) se situe déjà, aujourd’hui, au-delà de 60% du PIB, qui représente la cible de dette publique jugée soutenable par les pays de l’Union européenne.

Financer les dépenses publiques par la dette revient à emprunter de l’argent aux plus riches au lieu de percevoir des impôts sur leurs revenus. Selon les prévisions actuelles du gouvernement (voir le document de consultation pré-budgétaire), le service de la dette passerait de 10% à 14% des revenus de l’État, à un niveau qui représenterait le troisième poste de dépenses, tout près de 50% des dépenses totale pour le fonctionnement de l’État. Ne pas se préoccupé du poids de la dette, c’est de la pure inconscience. De toute façon, s’il y a une chose que l’on peut être sûr, c’est qu’à partir de l’an prochain la lutte au déficit fera partie des éléments majeurs, sinon prioritaires, de tous les partis politiques qui ont des prétentions légitimes à gouverner au Québec et qu’ils seront soutenus par la vaste majorité de la population.

Mais on a aussi vu, dans les articles précédents, que les analystes économiques les plus avisés appellent les gouvernements à faire appel à des politiques privilégiant la hausse des revenus pour combler les déficits plutôt qu’à des diminutions des dépenses. Ils prônent également des stratégies visant à diminuer les inégalités plutôt qu’à poursuivre le modèle ultralibéral des trente dernières années, qui a conduit à un monde traversé par de plus en plus d’inégalités, ces inégalités croissantes ayant par ailleurs été identifiées comme l’une des causes structurelles de la crise que nous venons de traverser.

Les coupures dans les dépenses ne peuvent absolument pas être une solution envisageable au Québec. Comme le signale Pierre Beaulne sur le site ÉconomieAutrement.org, le Québec se classe au deuxième rang canadien pour ce qui est du contrôle des dépenses. Au cours des cinq dernières années, la croissance annuelle moyenne des dépenses au Québec a été de 4,6%, comparativement à 6,6% pour l’ensemble du Canada. À ce niveau, le gouvernement du Québec a déjà été au-delà de ce qu’il est possible de faire sans mettre en danger la capacité de l’État à offrir des services publics de qualité à la population. Malgré cela, il propose de ramener la croissance des dépenses à 3,2% pour 2009-2010 et pour les quatre années qui suivent.

Dans ses prévisions budgétaires de l’an passé et dans les nouvelles prévisions qui circulent présentement dans le cadre de la consultation pré-budgétaire, le gouvernement du PLQ indique aussi sa volonté de miser sur l’indexation des tarifs sur les services pour combler ses déficits. Pour diverses raisons, ça ne nous apparaît pas particulièrement pertinent. D’abord, la contribution de cette mesure à la diminution du déficit serait peu significative alors que, de toutes les formes d’imposition, l’augmentation des tarifs sur les services est la plus régressive. Ensuite, la hausse des tarifs sur les services publics donnent un signal qui va à l’encontre de ce que devrait être une véritable fiscalité verte, dans une stratégie de développement durable : inciter les individus à transférer leurs dépenses en biens à forte intensité carbone vers les services à faible intensité carbone en taxant davantage les biens, en fonction de leur production de GES. Dans cette optique, les services liés à la santé, à l’éducation et à la culture ne doivent pas être taxés davantage, bien au contraire, mais privilégiés comparativement à toutes autres formes de dépenses des ménages.

Évidemment, tout le monde comprend que hausser les taxes et les impôts dans le contexte actuel risquerait de faire déraper la fragile reprise que nous vivons. Sauf si les hausses d’impôt s’appliquaient d’abord sur les ménages aux revenus élevés. En effet, dans la mesure où ces familles sont celles qui ont les taux d’épargne les plus élevés, la création d’un quatrième échelon à l’échelle de progressivité du régime d’impôt, par exemple à 31% pour les revenus supérieurs à 80 000 $, ne devrait pas entraîner une diminution de la consommation, mais une légère diminution de l’épargne.

Une autre mesure pourrait être prise immédiatement et rapporter un demi-milliard dans les coffres de l’État avec un effet négligeable sur l’économie. Selon les données du ministère des Finances pour l’année fiscale 2005, la déduction pour gain de capital aurait coûté à l’État québécois 450 millions $. De plus, cet avantage fiscal n’aurait profité qu’à 8 107 contribuables. Selon une étude réalisée par les chercheurs de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, 350 des 450 millions $ de déductions fiscales de cette mesure, soit 78% de sa valeur, sont allés à des contribuables ayant des revenus supérieurs à 100 000 $, la catégorie la plus susceptible d’utiliser les paradis fiscaux pour tricher avec le fisc. On pourrait donc abolir immédiatement cet avantage fiscal avec des effets minimes sur l’économie réelle.

Parlant des paradis fiscaux, le ministère des Finances du Québec évalue à 2,5 milliards $ les pertes fiscales annuelles découlant des pratiques d’évasion fiscale. Dans ses prévisions budgétaires, le gouvernement actuel s’est engagé à récupérer des montants croissants de ces pertes fiscales, atteignant près de 1 milliard $ par année à partir de 2013-2014. S’il décidait également de faire complètement la lumière sur les malversations dans l’industrie de la construction, en créant une véritable commission d’enquête, il réussirait à récupérer un montant au moins équivalent à la mesure précédente en évitant les fameux dépassements de coûts qui sont devenus monnaie courante depuis quelques années dans les grands projets d’infrastructure.

Du côté des entreprises, je partage la volonté du gouvernement de ne pas presser le citron fiscal pour l’ensemble des entreprises. Mais le gouvernement du Québec devrait s’inspirer des autres pays et envisager d’imposer une surtaxe sur les profits dans certains secteurs d’activités, en particulier dans les secteurs où le chantage des entreprises de quitter le Québec est inopérant : par exemple celui des institutions financières. La formule de la surtaxe sur les profits a l’avantage d’imposer un fardeau supplémentaire à une entreprise que lorsque cette dernière est en position de le supporter. Or, les banques canadiennes jouissent d’une position de quasi-monopole au Canada (un oligopole où la collusion est érigée en règle), ce qui leur permet de profiter d’une rente de situation imbattable : peu importe la situation économique, elles peuvent générer des profits substantiels en « pressant » leur clientèle globalement captive. Une surtaxe permettrait au gouvernement de récupérer une partie de cette rente de monopole.

Le document de consultation pré-budgétaire du gouvernement signale également que les contribuables québécois ont bénéficié d’un allègement fiscal de 5,4 milliards de $ en 2009, qui découle des actions prises par le gouvernement Charest depuis 2003. Selon les sondages des dernières années, si les citoyens québécois s’opposent massivement à la hausse de la dette publique, qui n’est rien d’autre qu’un transfert des dépenses actuelles sur les générations futures, ils n’ont par contre pas soutenu majoritairement l’effort du PLQ à diminuer à n’importe quel prix les revenus de l’État. Parce que les Québécois veulent un État qui a les capacités d’agir, ils étaient majoritairement contre les derniers allègements fiscaux décrétés par le gouvernement. Dans le contexte actuel, où les autres provinces canadiennes devront d’ici quelques années rehausser leur niveau d’imposition pour payer les factures de la crise, le Québec a une marge de manœuvre suffisante pour augmenter les impôts des Québécois d’au moins 1 milliard de $ à partir de 2012.

Enfin, si le Québec veut combler ses déficits et se donner les moyens supplémentaires lui permettant de lutter efficacement contre la pauvreté et les divers autres enjeux auxquels nous seront bientôt confrontés, il devra envisager de récupérer les deux points de pourcentage de la baisse de la TPS décrétée par le gouvernement Harper. En fait, tout semble indiquer que c’est bien ce que le gouvernement désire que les acteurs sociaux lui suggèrent lors de sa consultation. Et le gouvernement devrait le faire assez rapidement de manière à devancer une possible hausse de la TPS d’un gouvernement fédéral qui fera face à un déficit structurel important d’ici 2014.

Certains s’opposent énergiquement aux taxes à la consommation, faisant l’équation fausse que toutes les taxes à la consommation sont « néolibérales ». C’est complètement absurde. À ce compte là, l’Alberta et les États-Unis seraient très progressistes et les pays scandinaves parmi les plus ultralibéraux. En Suède, la TVA est de 25% (le double des deux taxes applicables au Québec), sauf sur l’alimentation et les services où elle est à 12% et sur les biens culturels à 6%. En général les taxes à la consommation sont plus importantes en Europe, ce qui n’en fait pas des pays nécessairement plus à droite. D’autre part, dans la mesure où des crédits d’impôts remboursables permettent aux plus démunies de récupérer les taxes payées, et même au-delà, elles peuvent avoir un effet de progressivité significatif.

Enfin, il faut penser que le meilleur système fiscal est celui dont les sources de revenus sont diversifiées, avec la base la plus élargie possible. Des revenus gouvernementaux qui ne reposent que sur les taxes ou que sur les impôts conduisent généralement à des effets pervers de fraude érigé en système. La diversification des sources permet d’éviter en bonne partie ces effets. Et plus les dépenses gouvernementales sont importantes, plus ces caractéristiques doivent prévaloir. En ce sens, la récupération des deux points de % de la TPS par la TVQ ne me semble pas une mesure qui poserait problème. Elle rapporterait annuellement des revenus de 2,5 milliards $ au gouvernement du Québec, auxquels on pourrait soustraire 400-500 millions en crédits d’impôt rembpoursables.

Ensemble, ces mesures permettraient de combler les défécits du Québec d’ici 2013-2014. Dans la mesure où la situation des autres provinces et du fédéral est encore pire que celle du Québec, ça nous permettrait en même temps de diminuer les écarts entre la dette publique québécoise et celle de ses voisins.


Retour au texte de l'auteur: Gilles Bourque, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 28 février 2010 9:32
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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