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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'André Corten, “La démocratie et l’Amérique latine : théories et réalités.” Un article publié dans la revue Cahiers du GELA.IS, no 1, 2001, pp. 31-64. Un numéro intitulé: “Enjeux politiques et théoriques actuels de la démocratie en Amérique latine.” Paris: Éditions L’Harmattan. [Autorisation formelle de l'auteur accordée par l'auteur le 22 mars 2016 de diffuser ce texte en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

[31]

André CORTEN *

SOCIOLOGUE, PROFESSEUR ASSOCIÉ
Département de science politique, UQÀM

La démocratie et l’Amérique latine :
théories et réalités
.”

Un article publié dans la revue Cahiers du GELA.IS, no 1, 2001, pp. 31-64. Un numéro intitulé : “Enjeux politiques et théoriques actuels de la démocratie en Amérique latine.” Paris : Éditions L’Harmattan.

Introduction [31]

I. DES THÉORIES SELON LES PÉRIODES [32]

1. Fin des populismes et des explications structurelles [34]
2. Fin des dictatures : interprétations en termes de mouvements sociaux, de participation et de citoyenneté [35]
3. Transition et interprétation en termes de choix rationnels [39]
4. Consolidation versus inégalités de condition et/ ou négation du statut d'humain [41]

II. ANALYSE DES CATÉGORIES POLITIQUES : UN PROGRAMME DE RECHERCHE [46]

5. Processus de juridification et communauté politique [47]
6. Partis, guérillas, groupes paramilitaires : rôle de la violence dans la « traduction » politique [52]
7. L'instituant du politique [55]
8. Coup de force discursif et faiblesse de la langue politique [60]

Conclusion [62]

Introduction

Wiarda [1] rappelle qu'« en 1978, douze des vingt pays latino-américains étaient gouvernés par des régimes militaires. La liste incluait l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, l'Equateur, le Salvador., le Guatemala, le Honduras, le Paraguay, le Pérou et l'Uruguay. Venaient s'y ajouter cinq autres pays de caractère autoritaire et parfois même totalitaire : Cuba, la République Dominicaine, Haïti, Mexico et le Nicaragua ». En fait seuls trois pays (Colombie, Costa Rica et Venezuela), ajoute-t-il, avaient des régimes démocratiques, quoique ceux-ci pouvaient être qualifiés de démocratie dirigée par l'élite. Aujourd'hui, la plus grande partie des gouvernements latino-américains sont issus d'élections reconnues globalement comme régulières. Récemment, le Mexique est venu rejoindre ce dernier camp tandis qu'Haïti s'en [32] éloigne et que le Pérou est, à cette heure, dans une zone d'incertitude. Cuba est le seul régime à n'avoir pas été transformé.

Alors que les régimes issus d'élections deviennent en Amérique latine la règle certes imposée par les États-Unis, mais acceptée par bon nombre d'acteurs, les théories sur la démocratie semblent être marquées d'une sérieuse instabilité. Celle-ci traduit peut-être la « crise de la représentation » attribuée par Domínguez & Giraldo [2] au couplage du changement de régime (de dictature à la « démocratie ») au changement d'organisation de l'économie (d'étatiste à orientée vers le marché).

Dans ce texte, on montrera comment les théories ont toujours été à la traîne des changements. On a vu ainsi l'adoption de différents cadres théoriques selon qu'on vivait la crise du populisme, la fin des régimes autoritaires, la période dite de transition et la période actuelle qui devrait être celle de la consolidation. Il manque dans la réflexion sur l'Amérique latine un ancrage plus profond. Ancrage dans l'histoire, les institutions et les imaginaires latino-américains qui permettrait de traiter de la question de la démocratie en termes de catégories politiques proprement latino-américaines. Ce texte se présente dans sa seconde partie comme un programme de recherche.

I. DES THÉORIES SELON LES PÉRIODES

[33]

Guy Hermet [3] évoque la « fable de Mandeville » - « une mauvaise action peut produire un effet heureux » - à propos de la vivacité et du foisonnement des théories de la démocratie dans une période de « crise de la démocratie substantielle » résultant selon lui de « l'inertie de son dispositif central ». Je dirais que s'il est vrai que les théories sur la démocratie sont vivaces, elles résultent d'une production compulsive causée par l'incapacité de mettre le doigt sur ce qui provoque l'« inertie de son dispositif central ». Par peur des tentations totalitaires incluses dans le fait de mettre un contenu dans le vouloir vivre ensemble, on en est arrivé à accepter de vivre comme des « métèques » dans son propre pays, c'est-à-dire à limiter ses prétentions à l'équité et de renoncer à formuler une idée (ou une utopie) sur ce qui serait bon pour la communauté. Aussi malgré la crise de la République procédurale [4], aucune réponse d'ensemble n'est élaborée. Par contre se développe une série de théories partielles.

En Amérique latine, à cette impasse s'ajoutent d'autres écueils. Alors que dans les pays du Nord depuis un demi-siècle la crise de la démocratie substantielle s'est approfondie de façon suivie [5], la conjoncture latino-américaine est marquée par des interruptions subites. La profusion des théories peut d'abord être interprétée comme une réplique en partie compulsive à la multiplicité des interruptions. Elle résulte aussi de la transplantation de différentes vagues de modèles d'explications provenant des pays du Nord. Seule exception soulignée par Hermet [6] : les hypothèses sur la transitologie élaborées à partir du cas latino-américain se sont [34] imposées comme théorie politique générale notamment pour la transition des pays d'Europe orientale.

1. Fin des populismes
et des explications structurelles


Bien que le populisme n'ait jamais été très « populaire » pour beaucoup de sociologues et les politologues — il associé à l'autoritarisme [7] et à l'indifférenciation du public et du privé [8] —, les explications structurelles de l'effondrement de la démocratie lui reconnaissaient indirectement certains mérites. « Les explications économiques soutiennent que la rupture de la démocratie et l'émergence des régimes militaires en Amérique latine était le résultat des contradictions structurelles du capitalisme dépendant, ou de l'industrialisation de substitution des importations. D'un côté, le succès initial d'une telle industrialisation à la fois encourageait et absorbait les demandes croissantes des classes inférieures. D'un autre côté, les limites inhérentes d'une telle industrialisation ont conduit à un déclin drastique du taux de croissance économique » [9]. L'abandon des explications structurelles, y compris par ceux qui les avaient adoptées, comme O 'Donnell et Schmitter [10], est lié à l'apparent démenti qu'a constitué l'essor d'un processus de [35] démocratisation au cours des années 1980, c'est-à-dire durant une période de stagnation économique [11].

En fait l'abandon de ces explications a permis aussi de rendre les régimes populistes responsables de ce qui était arrivé - leur incapacité de changer ayant provoqué l'émergence de régimes militaires - et de désormais voir l'avenir dans des élites politiques n'étant en aucune façon liées à la satisfaction des demandes populaires. C'est seulement lorsqu'il s'agit de consolidation de la démocratie que la question de l'égalité sociale et d'une satisfaction des besoins populaires revient dans les réflexions sur la démocratie [12]. N'admet-on pas alors aussi un des postulats des explications structurelles, à savoir qu'il faut une certaine croissance économique pour assurer le passage aune démocratie consolidée ?

2. Fin des dictatures :
interprétations en termes de mouvements sociaux,
de participation et de citoyenneté


Dans certains pays, les mouvements sociaux ont été vigoureux durant les périodes autoritaires. Inversement une fois la transition démocratique (ou la fondation [13] engagée) entamée, ils ont tendance à s'atténuer. Ana Maria Doimo [14] a fait une démonstration convaincante de ce flux et reflux pour ce qui concerne le Brésil. Les mouvements populaires ont lutté avec énergie en faveur de la démocratisation aussi bien au Brésil qu'au Chili mais ce ne sont pas eux qui sont parvenus à libéraliser les régimes militaires. C'est au contraire le jeu d'élites [36] politiques - toutes n'étant d'ailleurs pas acquises à l'idéal démocratique - qui est, selon plusieurs, le facteur décisif. Aussi, sur la fin des dictatures, il y a un malentendu ou pire encore, on le verra dans le paragraphe suivant, un détournement des aspirations démocratiques. Le malentendu procède du fait que, comme le dit Weffort, « les mouvements démocratiques sont beaucoup plus effectifs dans l'opposition qu'au gouvernement » [15]. Il en résulte qu'une fois la libéralisation opérée, c'est dans un même discours d'opposition que les mouvements populaires approfondissent leurs revendications en matière de participation, de citoyenneté et de reconnaissance de droits sociaux [16]. Non sans quelques illusions, car leur force est de nature à diminuer une fois la démocratisation engagée, et la participation qui pouvait être intense y compris dans des organismes étatiques du régime militaire [17] tend à être relayée par une démocratie plus délégative.

On a reconnu le droit des analphabètes d'être intégrés à l'espace politique ; les femmes ont revendiqué activement le statut de citoyenneté ; « la demande de citoyenneté s'est étendue à la revendication de droits collectifs de groupes indigènes » [18] ; jusqu'à aujourd'hui, les mouvements de sans-terre ont renforcé l'idée qu'une démocratisation politique se prolongeait dans une démocratisation sociale. Depuis le classique de T.H. Marshall [19], s'est imposée toute une littérature voulant étendre la citoyenneté politique à la citoyenneté sociale. Cette extension procède en partie de ce que Giovanni Sartori appelle le caractère ardu de la démocratie politique. Finalement plus ardu - au moins au plan de la conception –  [37] que la démocratie sociale. « Une démocratie politique doit ramener à une autorité unique les volontés protéiformes de millions d'individus isolés... Entre une démocratie "face à face" et un système démocratique développé à grande échelle, il y a un abîme » [20]. Le modèle de démocratie directe qui inspire, depuis Rousseau, la littérature sur la démocratie participative a trouvé naturellement des tentatives d'application au niveau local [21]. Une fois transposée au plan national, la démocratie participative s'est perdue progressivement dans le discours de nouvelles formes - encore inanalysées [22] - de néo-populisme. Au Venezuela comme en Haï ti, cet emploi démagogique de la participation a transité par une période de lutte plus ou moins sincère pour la citoyenneté [23]. Plus fondamentalement, la participation renvoie à un « effet » d'un autre discours que le discours politique, en l'occurrence le discours théologique. Comme je l'ai montré ailleurs, c'est dans la nature du discours théologique de produire un « effet de participation » ou plus exactement un « effet de piété » [24]. Cela rend compte de l'intrication dans de nombreuses sociétés du politique et du religieux comme c'est le cas d'Haïti [25].

[38]

Tant les théories sur les mouvements sociaux et que celles sur la citoyenneté finissent par se transformer en théorisations sur l'identité sociale et culturelle. On « substitue l'identité à la structure comme fondement du sujet ou de l'acteur social » [26]. Lorsque ces théories ne s'enferment pas dans des auto-définitions de vue politiques ou de conceptions narcissiques ou nostalgiques de l'identité comme le néo-indigénisme, elles peuvent converger avec certaines théories communautariennes [27] permettant éventuellement de penser la transnationalisation. Elles peuvent aussi se diriger vers une reformulation de la problématique des droits sociaux. Soulignons néanmoins que les doctrines sur l'exclusion et l’apartheid sociaux insistent sur le fait que la « perte du statut de travailleur - que ce soit du fait du chômage ou du caractère marginal de l'emploi - signifie la perte du statut de citoyen et de l'existence civile » [28]. Ces doctrines présupposent ainsi que la citoyenneté au niveau politique est un statut clairement défini duquel sont exclus ceux qui n'ont pas la carte de travailleur. Or à la réflexion, ce statut de citoyenneté politique tant discuté par les grands penseurs politiques classiques et contemporains s'avère souvent être un trompe l'oeil jouant une fonction essentiellement spéculaire. Une autre voie peut-être plus cohérente est l'étude de la construction de références dans les narrations qui traversent les sociétés [29]. Dans cette perspective, il s'agit d'éviter d'une part les préconstructions telles qu'on les trouve dans certaines explications structurelles et d'autre part la fuite en avant dans la [39] recherche d'identités finalement spéculaires. La critique de postmodernisme [30] faite à l'encontre des études de Laclau et d'autres chercheurs sur la construction de référence dans des narrations est à mon avis inappropriée. Ces études évitent le second écueil. À partir des concepts de « négativité constitutive » et de contingence, elles réalisent une « révolution » du concept d'identité [31].

3. Transition et interprétation
en termes de choix rationnels


Les théoriciens du choix rationnel ont trouvé dans les facteurs d'incertitude [32] marquant la transition, des motifs de faire valoir leur approche [33]. En fait, c'était aussi l'occasion de privilégier dans la réalité le jeu des élites par rapport à l'action des mouvements sociaux. La situation est particulièrement patente au Chili où le « mouvement de protestas » (1983-1986) a acculé les élites sur la défensive et où c'est un « effet de récit » [34] (résultant, comme on le verra dans la seconde partie, d'un coup de force discursif) soutenant l'impossibilité du renversement de la dictature par la force qui a permis l'établissement d'une nouvelle langue politique [35]. Dans cette langue, il est entendu que le consensus entre les élites favorables à la démocratisation et les élites liées à la dictature et la mise hors jeu d'actions collectives sont une étape nécessaire pour contrôler la transition démocratique.

[40]

Cette explication repose sur une analyse rétrospective des causes de la faillite des démocraties dans les années 1960. Youssef Cohen [36] l'a résumée dans son paradigme du « dilemme du prisonnier ». Paradigme défini selon le modèle de la théorie des jeux. Pour lui, il n'y avait pas à cette époque nécessaire incompatibilité entre les demandes des classes populaires et les contraintes d'un « capitalisme dépendant ». Illustrant sa thèse avec le cas des réformes agraires, Cohen rappelle que l'administration Frei a mis en ouvre avec succès un programme de réforme agraire dans les années 60 et cite une étude qui montre qu'au Brésil durant le gouvernement Goulart la majorité de la population aussi bien que les politiciens au Congrès étaient favorables à un programme modéré de réformes agraire [37]. La raison de l'effondrement de la démocratie ne se trouve pas dans une impossibilité objective de trouver des solutions. Elle résulte de l'interaction stratégique incluant les quatre groupes de modérés et d'extrémistes. Au lieu d'arriver à un compromis entre le groupe modéré de gauche et le groupe modéré de droite, l'interaction stratégique aboutit à la polarisation vers les extrêmes et finalement à la violence [38]. Selon l'explication du « dilemme du prisonnier », l'alliance des extrémistes était inévitable dans les années 1960 mais peut ne plus se répéter. C'est effectivement ce qui rend compte que, dans les années 80, les modérés se rendant compte qu'ils sont pris à nouveau au piège du « dilemme du prisonnier » décident d'adopter une stratégie d'alliance entre modérés.

Derrière ces théories de l'intentionnalité et de la rationalité se légitime une nouvelle fois la conception de l'inévitable « ignorance du peuple » [39]. « Aucun peuple n'est suffisamment éduqué » et ne peut être amené à une rationalité intentionnelle. Elle légitime aussi la loi d'airain des élites. Ce retour aux « néo-machiavéliens » est cependant habillé aujourd'hui d'une conception en lapalissade [41] de la démocratie incertaine. Prolongement de la théorie du choix rationnel. « Reprenant une idée présentée en 1984 par Adam Przeworski, Albert Hirschman estime que le bon fonctionnement de la démocratie suppose l'acceptation, tant par les gouvernants que par les citoyens, de l'incertitude sur le futur. L'acceptation et la régulation de l'incertitude sont au cour même de la problématique de l'émergence et de la consolidation de la démocratie ; elles sont... au centre des modèles de choix rationnels qui non seulement introduisent l'incertitude comme « paramètre » central des démocratisations, mais en font également un élément essentiel de la définition de la démocratie » [40]. Dans cette théorie de l'incertitude, il y a une confusion, volontairement ou non entretenue, entre l'incertitude des compétitions électorales et l'incertitude du développement même de la démocratie. On en vient rapidement à justifier une conception procéduraliste de la démocratie selon laquelle la démocratie ne peut pas être définie comme une substance du vivre ensemble mais comme une simple forme procédurale. Le succès de la « troisième vague de la démocratie » [41] résulte en grande partie de l'acceptation prescrite mais aussi tactique de cette conception.

4. Consolidation versus inégalités de condition
et/ ou négation du statut d'humain


Lorsqu'on parle de consolidation de la démocratie, on confond deux réalités distinctes, la consolidation du régime établi par la transition et la consolidation de la vie et des institutions démocratiques. La première repose sur le consentement d'une partie de la population. Un régime autoritaire comme un régime démocratique ont besoin d'une légitimité pour perdurer. La légitimité repose, selon [42] la typologie webérienne, sur la croyance, soit dans le bien fondé de la rationalité-légalité des institutions, soit dans le caractère sacré de la tradition ou soit encore dans le caractère exceptionnel des qualités d'un chef charismatique. La démocratie moderne est supposée reposer sur la légitimité légale-rationnelle. Paradoxe : les populations latino-américaines reconnaissent généralement la légitimité de leur gouvernement bien qu'ils en soit très peu satisfaits [42]. Cette légitimité n'est néanmoins que très partiellement de type légal-rationnel.

La légitimité de n'importe quel régime repose sur une certaine équité. Qu'en est-il lorsqu'un type de régime est associé avec des inégalités sociales croissantes ? C'est la question que Weffort [43] pose en soulignant qu'il n'entend pas l'égalité sociale dans le sens marxiste du terme mais dans le sens tocquevillien. Bien que sa lecture de la conception de Marx soit quelque peu caricaturée [44], sa manière de poser le problème nous ramène de la réflexion de la stabilité de n'importe quel type de régime à la question de la démocratie. En effet, les débats sur l'accroissement de la pauvreté et des inégalités sont généralement vains - certains prétendant que si les inégalités peuvent augmenter, la pauvreté au contraire tend à diminuer [45] - car ils reposent sur une langue technocratique mesurant des niveaux de revenus. Or le problème est celui de l'« inégalité de conditions », c'est-à-dire celui de l'impossibilité pour chacun d'être traité comme un individu d'un statut équivalent. L'égalité des conditions ou l’isotimia (égalité de respect) [46] est désormais refusée dans les programmes de lutte contre la pauvreté [43] défendus par la Banque Mondiale et d'autres institutions. Les pauvres y sont ciblés comme une catégorie à part (traitée avec misérabilisme) de telle sorte que ceux qui ne sont pas retenus comme pauvres sont également ciblés, cette fois comme des profiteurs (de bénéfices qui ne devraient revenir qu'aux « [bons] pauvres »). L'égalité des conditions est abandonnée avec l'abandon du principe de solidarité sociale. Il est vrai qu'il s'agit seulement d'une solidarité entre ceux qui sont admis dans le « secteur moderne ». Mais aujourd'hui, au nom de la lutte contre l'apartheid social, on élève en vertu l'inégalité des conditions. Celle-ci s'accroît d'ailleurs sans cesse. Ce scandale fait obstacle à la consolidation de la démocratie. Pourquoi ? Nous le verrons plus loin, la théorisation ne pousse pas la réflexion jusqu'à son point ultime : la condition de déshumanisation produite par la misère absolue.

Pour reprendre la question sous un autre angle, la consolidation de la démocratie doit être analysée en terme de renforcement de la vie et des institutions politiques. Se profile ici le paradoxe de la démocratie soulevé et tranché par Schumpeter [47]. Par vie démocratique, on entend l'intérêt et la participation de la population et par institutions démocratiques on entend en fait la restriction d'interventions directes de la population au profit d'un équilibre « neutre » des pouvoirs. Apparemment, la participation massive ne peut être obtenue que par la mobilisation des passions - en gros les passions religieuses et nationalistes [48]. Face à cette impasse, Bobbio propose la rectification suivante : plus que de l'élargissement quantitatif de la participation, la démocratie ne vit-elle pas plutôt de la qualité et I intensité des débats ? [49]. L'intensité des débats permet de susciter l'intérêt de la population sans s'exposer à ses interventions intempestives. Selon [44] cette rectification, la démocratie ne se mesure pas en quantité mais en qualité de participation. Mais comme le note Hermet, tant en Europe qu'en Amérique latine, cette conception a plutôt reculé qu'avancé. En Amérique latine, l'intensité des débats s'est manifestée dans la « démocratie de la parole » des Communautés ecclésiales de base (CEB) [50]. Cette « démocratie de la parole » été atteinte à travers la formation d'une « élite populaire ». Les leçons n'ont pas été tirées de l'essor et du déclin de cette élite [51]. La théologie de la libération n'est plus à la mode. Pourquoi ? Pourquoi, alors que l'indignation face à la pauvreté est plus que jamais d'actualité ?

La consolidation de la démocratie pourrait être évaluée par la capacité de gérer les conflits. Evaluation, en termes de degré de tolérance des conflits collectifs mais aussi de respect des règles du jeu par l'élite politique. Le rétablissement des institutions démocratiques a vu resurgir dans presque tous les pays d'Amérique latine de vastes mobilisations populaires, d'autant plus que les mesures d'ajustement économique n'ont pas été diluées comme dans le passé par une politique d'inflation [52]. Le Chili a sans doute été le plus lent à accepter des actions collectives de grande envergure. L'Argentine de Menem a, au contraire, montré que les grèves générales, voire parfois les émeutes, ne menaçaient pas le maintien des institutions démocratiques. On peut évoquer aussi les cas de la Bolivie, du Costa Rica, du Brésil, voire même de l'Equateur et du Paraguay [53]. Si les conflits collectifs ont été réintégrés dans la culture politique latino-américaine après autant d'années d'autoritarisme, il faut relever qu'ils sont souvent jugés avec [45] condescendance par plusieurs secteurs des élites politiques nationales et internationales qui ne jurent plus que par la « bonne gouvernance », c'est-à-dire par une gestion publique pensée dans les termes d'une rentabilité du secteur privé [54]. Le conflit y est apprécié en coûts et non plus en expression de droits.

Le propre d'une situation de consolidation est le fait que les « règles du jeu » auxquelles doivent se conformer les élites sont encore instables [55]. À supposer qu'il existe un attachement psycho-affectif à la démocratie de la part tant de la population que de certains secteurs de l'élite, il n'existe pas encore de culture politique démocratique [56]. Dans ces conditions pour que les dites concluent un « pacte politique », il faut qu'elles adoptent des comportements « irrationnellement rationnels ». « Le pacte apparaît alors comme un des moyens de réguler de façon irrationnellement rationnelle les incertitudes de la transition » [57]. On relève immédiatement les limites de la théorie des choix rationnels lorsque les acteurs ne choisissent pas cette solution « irrationnellement rationnelle ».

En Haïti, les acteurs n'optent pas pour cette solution. Les acteurs démonisent leurs adversaires plutôt que de choisir cette solution. En même temps, le respect/non-respect des « règles du jeu » devient un moyen de chantage à l'encontre d'une partie externe (en l'occurrence vis-à-vis des « amis d'Haïti », et en particulier vis-à-vis des États-Unis). La diabolisation de l'adversaire qui résulte de la prégnance de modèles religieux est paradoxalement l'exaltation de la « tyrannie de la logique » dont Arendt a montré le caractère totalitaire [58]. La diabolisation montre bien la faille de la prétention de la théorie du choix rationnel qui doit finalement tabler sur [46] un comportement irrationnel pour s'en sortir. Le cas d'Haï ti est aussi exemplaire d'une situation où les rapports d'extrême impérialisme conduit la « communauté internationale » à vouloir imposer des « règles du jeu » dans une situation d'inégalité totale des conditions du statut des individus. Il ne s'agit plus alors seulement de présupposer l'« ignorance du peuple » mais de rendre acceptable la déshumanisation de la population [59]. Haïti constitue ainsi le cas paradigmatique de ce qui existe, à une moindre échelle ailleurs en Amérique latine. Les procédures démocratiques (formelles) peuvent s'appliquer même là où l'humain n'est pas reconnu.

II. ANALYSE DES CATÉGORIES POLITIQUES :
UN PROGRAMME DE RECHERCHE


Les catégories politiques de l'Amérique latine doivent être découvertes au cœur de la spécificité de l'histoire sociale et institutionnelle mais aussi de l'imaginaire latino-américains. Il faut aussi prendre acte de ce que Hermet [60] appelle l'« inertie du dispositif central » de la démocratie et de montrer comment les théories sur la démocratie le font passer inaperçu [61]. Dans ce programme de recherche, quatre questions peuvent être énoncées. D'abord, n'est-ce pas en raison de la façon dont on accepte dans les pays du Nord de voir la « République procédurale » [62] comme traitant tous les citoyens du pays comme des « métèques » [63] - c'est-à-dire comme n'ayant pas à définir ce qui fait la communauté politique - que la faiblesse de l'État de droit en Amérique latine est à son tour mal évaluée ? En deuxième lieu, n'est-ce [47] pas parce qu'on est captif des catégories public/privé et de société civile [64] (propres à l'Occident) qu'on est aveugle à la réalité latino-américaine ? Propres au système politique occidental même si, selon plusieurs analystes à commencer par Arendt, Marcuse et Habermas, elles sont en crise. Le rôle de la lutte armée et des accords de paix, notamment en Amérique centrale, doit être réévalué dans la perspective d'une étude du mode de traduction politique dans des sociétés où les catégories privé/ public et société civile ne sont pas dominantes. En troisième lieu ne peut-on pas penser que le désenchantement que traduisent les nouvelles théories sur la « transitologie » et sur la démocratie incertaine éclipse la recherche sur le caractère instituant du politique ? Redresser ce manque, c'est aussi voir comment les nouveaux mouvements religieux qui traversent l'Amérique latine ont un caractère instituant, peut-être plus faible que ceux traités dans la pensée politique classique, mais non négligeable. Enfin, au-delà des étapes pensées par la « transitologie », ne faut-il pas tenter de voir dans la langue politique qui s'instaure avec la « nouvelle démocratie », une langue politique qui n'est capable que de définir l'inacceptable sans être à même de définir de nouveaux acceptables ?

5. Processus de juridification
et communauté politique


L'Amérique latine est surdéveloppée plus que sous-développée en matière de droit. Surdéveloppement des textes juridiques n'implique pourtant pas processus satisfaisant de juridification [65] des rapports sociaux. Même si les textes sont nombreux au niveau du droit politique, cela ne signifie pas l'existence d'un État de droit bien établi. Relevons d'abord l'abondance du corpus juridique latino-américain. [48] « Les penseurs de la haute classe moyenne [latino-américains], dit William Stokes, étaient parmi les plus grands rédacteurs de constitutions du monde. Ils avaient plus que leur part dans l'expérience de cet art ». Et effectivement, les pays d'Amérique latine ont chacun en moyenne dix constitutions depuis leur indépendance. Les constitutions sont devenues une habitude en Amérique latine. Il est clair qu'elles jouent certaines fonctions dans la politique mais elles ne renforcent pas pour autant l'État de droit. La rédaction de constitutions démontre l'érudition et l'habilité dans l'art d'écrire des personnes éduquées du pays. Au plan de l'imaginaire, les constitutions associent la république au progrès et à la civilisation. Cela n'empêche pas les pays les plus arriérés d'avoir les constitutions les plus avancées. « Les constitutions assistent le caudillo, le dictateur présidentiel ou le césar démocratique, en acquérant et en maintenant la dignité cérémoniale que lui et le peuple apprécient grandement dans le gouvernement » [66]. Les constitutions sont autant des programmes de partis que des chartes des droits politiques. « Et les rédacteurs latino-américains sont fondés pour argumenter que si les constitutions contiennent des promesses fantasques à la multitude qui ne peuvent être tenues faute de fonds, elles peuvent être justifiées comme l'expression d'idéaux envers lesquels le pays est consacré » [67].

La constitution des États-Unis a parfois été le modèle des constitutions latino-américaines. Selon Stokes, cette influence a néanmoins été exagérée dans le passé. Ainsi, par exemple, l'Argentine, souvent citée comme une illustration classique d'influence constitutionnelle des États-Unis, a subi bien d'autres influences : suisse, française, etc. Et Stokes de préciser : « La Constitution de 1949 est à bien des égards une répudiation de la Constitution des États-Unis » [68].

[49]

Quant aux codes publics et privés, ils sont fondamentalement « ceux d'Espagne et du Portugal qui à leur tour sont une combinaison du code romain, gothique et islamique. Ces codes ont été enrichis d'éléments du droit français et de principes scolastiques. Influence aussi durant un temps des théories positivistes et aussi de l'école de la théorie pure du droit (Kelsen) » [69].

Malgré cet imposant arsenal juridique, l'inégalité devant la loi reste en Amérique latine un phénomène répandu. L'adage rappelé par Bérangère Marques-Pereira [70] - « aux ennemis la loi, aux amis, tout » - traduit toujours la réalité. L'impunité est constamment dénoncée et le droit à la vie reste aléatoire pour les personnes de catégories défavorisées. Les enfants continuent à être exécutés en pleine rue avec la complicité de la police. Le droit tant privé que public est prolixe, mais n'a que peu d'effet de normativité. Est-ce l'origine externe du droit qui rend compte de ce faible effet de normativité ? Le rapport généalogique avec le corpus monumental [71] - externe - qui le fonde est-il jugé pour cette raison peu légitime ? Autre explication : cette faiblesse résulte de la démarche essentiellement déductive des légistes latino-américains, héritée de la scolastique [72]. Celle-ci empêche à la juridification de s'opérer à partir de rapports concrets et de pouvoir s'y appliquer par récursivité.

Le coronélisme, le gamonalisme et le caciquisme ont, dans la prolongation du patronat, donné un pouvoir judiciaire aux patrons. Ne pouvant faire jurisprudence que sur des espaces très morcelés et dans une atmosphère de violence se rapprochant plus du règlement de compte que de l'application du droit, ce pouvoir [50] judiciaire reliait arbitrairement les sentences à des articles disparates de codes mobilisés pour l'occasion. Par ailleurs, le néo-patrimonialisme réglant les rapports politiques, les quelques éléments de jurisprudence ne pouvaient nullement se prolonger en juridification du politique puisqu'ils résultaient de patrons toujours en quête d'élargir leur clientèle. Dans ces conditions, même l'achat de votes par le Président ne fait plus qu'exceptionnellement scandale. Dabène le formule à sa manière à propos de Fernando Henrique Cardoso lorsqu'il dit : « Significatif à cet égard est l'exemple d'un Cardoso, sans doute le meilleur président qu'ait connu le Brésil, mettant en chantier des réformes fondamentales qui aideront son pays à se projeter dans le XXIe siècle, mais n'hésitant pas pour cela à acheter les voix des parlementaires rétifs aies voter » [73].

Le processus de juridification n'unifie pas la société en Amérique latine comme il a pu le faire en Angleterre par exemple avec les juges ambulants [74]. La communauté politique ne trouve pas de liens privilégiés à travers le droit. Avec l'émergence des « nouvelles démocraties », il y a bien eu formation d'une communauté nourrie de peur et de besoin de protection. « Ces besoins sont plus proches de la sécurité fournie par des sentiments partagés que d'une articulation d'intérêts ». Selon Lechner, si les gens préfèrent la démocratie ce n'est pas en fonction d'intérêts mais parce que celle-ci semble « pouvoir être identifiée avec la réhabilitation de la communauté » [75].

« Si la démocratie en Amérique latine ne rencontre pas cette demande de communauté », demande produite par l'atomisation et les réajustements structurels, « nous allons être témoins, ajoute Lechner, d'un accroissement de populisme et/ou de fondamentalisme… en vue d'assurer - non démocratiquement - le sentiment [51] de communauté » [76]. Le populisme est en effet une rencontre de ce besoin de communauté sans passer par une unité produite par la juridification.

L'unification de la communauté à travers l'établissement d'une jurisprudence tirée d'une comparaison méthodique des règlements judiciaires étant loin de pouvoir être réalisée, dans quelle voie l'Amérique latine s'engage-t-elle aujourd'hui ? Ce besoin de communauté étant nouveau, un cours nouveau peut-il être donné à la juridification des rapports sociaux ? Dans cette période postpopuliste, elle ne prendra pas pour base la défense des droits sociaux. Dans un contexte de violence incité par les nouvelles formes de luttes plus ou moins hypocrites contre un narcotrafic, révélateur de cette violence, n'est-ce pas sur le respect de la vie humaine que cette demande de communauté peut le plus se forger ? De ce point de vue, le fait que les Chiliens eux-mêmes ont pris à leur compte la poursuite contre Pinochet pourrait permettre un nouvel instituant du politique [77]. Ce mouvement inauguré par les « folles de la Place de Mai » n'est-il pas spécifiquement latino-américain ? Adossé à cette exigence de respect de la vie contre la violence de l'État, il y a dans la population latino-américaine une exigence de paix civile et elle n'est pas sans rapport avec l'exigence de respect de la vie par l'État. C'est souvent au nom de la pacification civile - à Rio, on cite le chiffre de 70 000 assassinées de 1985 à 1991 - que l'armée est appelée à seconder la police pour éradiquer la violence [78].

Plus généralement, derrière l'exigence de respect de le vie humaine, il y a une demande de respect tout court de l'humain. Phénomène nouveau et urgent. Cette demande est urgente car dans un certain nombre de pays, c'est la déshumanisation à grande échelle qui est à l'œuvre. Cette déshumanisation est produite par la misère [52] absolue dans laquelle sont plongés des segments importants de la population. Promiscuité et violence se cristallisent dans les images de cadavres abandonnés sur des décharges publiques [79]. L'Amérique latine est peut-être plus à même que l'Afrique, par ailleurs encore plus exposée, pour trouver des formes de juridification qui, à travers ce défi, exprimeraient le besoin de communauté.

6. Partis, guérillas, groupes paramilitaires :
rôle de la violence dans la « traduction » politique


Au XIXe siècle, le bipartisme est la règle en Amérique latine. Bien qu'aujourd'hui, il se maintienne plus ou moins formellement et de manière approximative dans quelques pays (Colombie, Costa Rica, Honduras, Paraguay), il s'est orienté vers un tripartisme de fait dans quelques autres pays (Argentine, Uruguay, Mexique, Nicaragua, République Dominicaine) et vers une fragmentation plus complète dans une troisième catégories de pays, le Brésil constituant l'exemple le plus flagrant avec huit partis disposant d'une représentation significative au Congrès [80]. Si la multiplication des partis tend à transformer ceux-ci en instance de représentation d'intérêts particuliers et rend compte des pratiques d'achat de votes, il faut bien convenir qu'en Amérique latine le bipartisme ne favorise généralement pas non plus une traduction institutionnalisée des intérêts privés en représentation publique, chacun des deux partis constituant une confédération de forteresses clientélistes. Devant ce déficit récurrent, Garreton [81] [53] croit pouvoir définir le consolidation comme le temps de formation d'un système politique, entendu comme un nouveau système organique de partis politiques.

Les nouveaux partis qui viennent s'ajouter aux partis traditionnels manifestent en principe lors de leur création une divergence jugée fondamentale. Néanmoins, ils peuvent simplement être l'expression d'intérêts particuliers qui ne trouvent pas suffisamment de place dans les structures traditionnelles. Comme le notent Dominguez et Kinney Giraldo, les guérillas sont au départ une expression de cette situation. Tenant compte de la reconversion de ceux-ci en partis politiques, ils ajoutent : « Jamais auparavant dans l'histoire du vingtième siècle latino-américain, des partis ne se sont autant multipliés à partir d'organisations de guérillas et paramilitaires » [82].

Tout se passe comme si la scène des partis politiques étant incapable de faire la traduction des intérêts particuliers en intérêts publics, il a fallu inventer d'autres instances de traduction. On a cherché dans un autre type de lien ce qu'on ne pouvait pas trouver dans les relations semi-privées de clientèle. Le rapport de clientèle basé sur la loyauté est empreint de violence ; la violence de la guérilla ne se démarque complètement de la première que lorsqu'elle tend à traduire sa force en rapports politiques. Dès que la guérilla se déclenche, c'est au nom de ces rapports qu'elle revendique d'être reconnue. Mais, il faut qu'elle soit reconnue comme telle par une partie non négligeable de la société. Beaucoup - l'aventure du Che Guevara en Bolovie en est le cas exemplaire - n'arrivent pas à cette reconnaissance.

Les différentes négociations et accords de paix, que ce soit au Venezuela avec le MAS (Mouvement pour le Socialisme), en Colombie avec le M-19 [83], avec les [54] FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et l'ELN (Armée de libération nationale), au Nicaragua avec le FLSN (Front sandiniste de libération nationale), au Salvador avec le FMLN (Front Farabundo Marti de libération nationale) et l'ARENA (Alliance républicaine nationaliste, fusion entre des escadrons de la mort et un segment de la communauté des affaires), en Argentine avec le MODIN (Mouvement pour la dignité nationale et l'indépendance) du Colonel Rico [84] ont forcé ou pourraient forcé à un nouveau pacte social dans une tradition à première vue typiquement hobbesienne [85]. Le Chili fait à cet égard exception. Face à l'état de guerre, seule l'institution d'un pouvoir souverain peut mettre fin à la méfiance omniprésente et c'est dans un pacte que ce pouvoir trouve son fondement. Bien plus qu'un accord entre partis - accord qui ne parvient jamais à être parfaitement public -, ce sont les accords de paix entre forces que la violence rend publique qui est fondatrice d'un véritable rapport politique.

Le contexte dans lequel les accords de paix se déroulent dévoie en partie ce processus de fondation. Les années 1990 sont marquées par le triomphe d'une idéologie de privatisation et par un nouveau processus d'intégration destiné à insérer ces pays « dans une économie en voie de mondialisation » en même temps que d'« affermir la paix et la démocratie dans la région [86]. L'insertion dans l'économie mondiale en promouvant comme logique de développement celle des intérêts privés affaiblit la possibilité d'établissement, dans ces négociations, d'un politique construit sur du public. Il n'y a même pas un processus de marchandage et de compromis entre élites comme dans le modèle polyarchique de Dahl, les positions de commandement dans des groupes armés n'étant pas acquises selon les [55] règles d'un pluralisme démocratique [87]. Dominguez & Kinney Giraldo croient au contraire que le modèle pourrait être adapté pour autant que la maxime suivante s'applique. « Plus les coûts de la rébellion excèdent les coûts de la participation, plus les chances d'un régime de compétition sont grandes » [88]. Le problème réside sans doute dans le fait que la compétition n'est pas, en elle seule, un mécanisme suffisant de traduction du privé en public. C'est particulièrement vrai lorsque cette compétition se calque immédiatement sur la « compétition » du marché, une compétition en fin de compte assez monopoliste. Le marasme politique qui suit à retardement les accords de paix exprime un certain paroxysme dans les crises de représentation. Ce paroxysme est bien lié au couplage des transformations du système politique et du système économique. Il hypothèque l'établissement d'une véritable nouvelle « matrice politique ».

La référence constante à la « société civile » [89] dans le discours à la fois national et technocratique international manifeste ce paroxysme. Elle tente de masquer le court-circuit de la fin de la guerre avec le couplage de deux objectifs. La rhétorique de la « société civile » dissimule aux acteurs le fait que les rapports établis dans la violence de la lutte armée ne se sont pas traduits politiquement. Elle joue sur le double sens du mot civil. Civil opposé à militaire et civil au sens de la médiation des intérêts privés dans un processus de « civilité » [90]. Il y a bien retour à la vie civile mais pas de processus de « civilité ».

7. L'instituant du politique

[56]

L'Amérique latine se caractérise par un système présidentiel fort et un système parlementaire sans tradition. On explique parfois cette disparité par le mélange de composantes constitutionnelles nord-américaines et européennes. Cette explication « anecdotique » fait l'impasse sur la question de l'instituant du politique. Dans la tradition classique, l'instituant du politique est localisé dans le processus de représentation du politique, c'est-à-dire dans le processus de traduction du privé en public [91]. Mais comment concevoir cet instituant lorsque la traduction n'est pas institutionnalisée ? Par ailleurs, on a l'habitude d'attendre beaucoup « du » politique. Comme il ne répond pas à cette attente, les considérations sur son dépérissement et l'annonce de sa fin imminente se multiplient [92].

En Amérique latine coloniale, la chrétienté [93] est le modèle de l'instituant du politique. La traduction est vue sous le mode de l'intercession. L'ordre d'autorité correspond au modèle de l'intercession hiérarchisé des saints. Bien que, par la suite, l'Église catholique tente de reprendre ce modèle et de concevoir une néochrétienté [94], le positivisme et sa vision linéaire de l'histoire oblitèrent le caractère instituant du religieux et du théologique.

Pour Lefort, les philosophes pensent « sous le nom de politique les principes générateurs d'une société ». Ils incluent dès lors dans leurs réflexions les phénomènes religieux. La raison en est que le « politique et le religieux mettent la [57] pensée philosophique en présence du symbolique » [95]. Le philosophe ne croit plus à la religion comme énonciateur de la Révélation. Pourtant, une société qui se désintéresserait du mode dénonciation du divin comme pouvoir instituant - une société qui oublierait son fondement religieux - vivrait, selon le philosophe, « dans l'illusion d'une pure immanence à elle - même et effacerait du même coup le lieu de la philosophie ». Or dit Lefort, il faut apprendre avoir l'institution par le symbolique autrement que dans le religieux. Le pouvoir du politique doit pouvoir s'appuyer sur autre chose que des entités substantielles comme la Loi ou le Savoir transcendant. Il doit pouvoir créer sa propre symbolique. La « désintrication du religieux et du politique » est la condition d'un fonctionnement démocratique de la société. Le politique dans la vision de Lefort doit être un « lieu vide » et le philosophe politique doit apprendre à faire la distinction entre l'imaginaire (religieux) et le symbolique (qui doit instituer le politique).

En Amérique latine, l'adoption du point de vue de Lefort risquerait de conduire à une lecture positiviste [96] ne renforçant nullement une position démocratique. Le Brésil, par ailleurs fort marqué par l'héritage positiviste, a vu se développer un parti, le Parti des Travailleurs (PT), qui est à certains égards le plus « moderne » d'Amérique latine. Celui-ci a fait preuve au niveau local d'une grande imagination démocratique. La victoire de Marta Suplicy à la mairie de São Paulo en octobre 2000 en est une reconnaissance. Or un des trois marqueurs de ce parti est bien religieux, même s'il s'agit d'un religieux se voulant le plus rationnel des religieux : la théologie de la libération [97].

[58]

La perspective de Lefort risque de faire passer à côté de l'imaginaire latino-américain. Cet imaginaire n'est peut-être pas aussi séparé que ne le veut la perspective lacanienne du symbolique. L'imaginaire latino-américain est profondément traversé par des mouvements religieux qui jouent précisément un rôle dans la transformation des codes juridiques et politiques hérités d'Europe et des États-Unis. Pour paraphraser Castoriadis [98], l'Amérique latine s'est laissé dominer et enfermer dans une symbolique et cette symbolique est un ordre incapable d'exprimer l'imaginaire. Le symbolique latino-américain (lié au patronat et à l'ordre de la chrétienté et de la néo-chrétienté) éclate en partie aujourd'hui à travers des mouvements religieux « fondamentalistes ». En fait, plus que fondamentalistes, il s'agit de mouvements « faisant voir dans les choses autre chose que ce qu'elles sont » [99]. Le théologien d'Harvard, Harvey Cox [100], a parlé d'expérientalisme. Une réserve donc sur ce point à la critique de Lechner qui ne voit dans ces mouvements religieux qu'un court-circuitage. En réalité, ces mouvements reprennent tout un ensemble d'éléments appartenant à la fois au monde de l'hypermodernité et de la tradition pour faire voir autre chose. Ils produisent des « images » qui représentent autre chose. Au plan politique, on peut même dire qu'ils jouent un rôle de traducteur d'un imaginaire politique dans un autre. Ils traduisent l'imaginaire de l'espace public et de la transparence, vendu avec le nouveau code démocratique de l'après-guerre froide et qui mieux qu'ailleurs en Amérique latine apparaît comme un imaginaire, en imaginaire politique des forces invisibles, des puissances souterraines, voire surnaturelles ou dans certains cas illégales (le monde parallèle du narcotrafic). Ils traduisent surtout les imaginaires politiques dans l'autre sens. Les forces invisibles (la croyance dans la [59] force supérieure de l'Esprit Saint sur les forces du mal) sont traduites en termes de transparence et de moralisation de la vie publique.

Ce rôle de traduction ne correspond nullement au rôle de traduction du privé en public qui est à la base du système de représentation politique occidental. Au contraire, le travail discursif des nouveaux mouvements religieux a souvent pour effet de rendre équivalentes le privé et le public. Ainsi, dans la formule « Jésus est la solution », la transformation est « Jésus est mon sauveur » (mon salut à moi, personne privée) en « Jésus est la solution », solution étant un terme de gestion publique.

Ce rôle de traduction des mouvements de type pentecôtiste ne renforce pas, contrairement aux apparences fondamentalistes, le recours à un principe de « vérité ». Au contraire, le jeu de traduction d'imaginaires fait apparaître un autre principe, celui du vraisemblable. Dans le discours de miracle, cette vraisemblance résulte en partie de la phagocytation du discours biomédical [101]. Le miracle entre dans la catégorie des guérisons de maux psycho-somatiques. Il est donc vraisemblable d'être guéri, ce qui n'exclut pas la croyance dans une intervention divine. La réemergence du miracle dans le discours contemporain est parfois interprété [102] comme un effet du postmodernisme ; selon moi, il doit être interprété au contraire comme remise en question des fondements du politique. Hobbes avait montré le rôle stratégique du miracle exceptionnel pour fonder le principe de vérité qui règle la position du souverain [103]. Le miracle en série raconté en partie en termes [60] biomédicaux conteste à la racine la fondation de la position de souverain occupée dans les régimes politiques contemporains par la figure présidentielle.

8. Coup de force discursif
et faiblesse de la
langue politique


Par toutes sortes de processus (coups d'États militaires, programmes d'ajustement structurel mais aussi autoculpabilisation de certains militants de gauche) la langue politique du populisme a été rendue inacceptable. Touraine résume cette inacceptabilité : « les politiques globales de développement national [des régimes nationaux populaires ou populistes] sont incapables de se transformer pour s'adapter à une situation nouvelle. Seule la décomposition ou leur explosion peut ouvrir la voie non seulement à une économie de marché libre mais aussi à un nouveau système de contrôle politique et social de la vie économique, qui ne serait plus basé sur l'intervention directe de l'État dans les affaires économiques mais sur la découverte du large éventail de politiques sociales possibles dans le cadre des contraintes imposées par l'internationalisation de l'économie » [104].

Une nouvelle langue politique de « démocratie restreinte » s'est imposée. Elle résulte d'un véritable coup d'État discursif opéré dans les années 1980. La manière de ré-écrire l'histoire des années 1960, après l'essai de tant de versions narratives dans la droite comme dans la gauche, a fini par produire un « effet de récit » [105] déclarant l’inacceptabilité des régimes populistes antérieurs. Elle doit justifier la légitimité de systèmes politiques caractérisés par un désengagement de l'État dans l'économie mais aussi de subventions et de régimes d'assurance sociale. Elle doit justifier le fonctionnement de systèmes politiques dans lesquels les acteurs sont des [61] acteurs politiques purs. Se profile ici l'image du politique comme « lieu vide » tel que pensé par Lefort [106]. On a en a montré plus haut les limites.

Il est difficile de dire qu'un nouveau système politique s'est installé ; il est encore plus difficile de prétendre qu'il est articulé à un « lieu vide ». D'un côté, c'est au nom du « savoir » sur la mondialisation que le pouvoir se constitue - l'élection au Brésil d'un intellectuel encore considéré quelques mois avant les élections de 1994 comme tellement loin du peuple brésilien. D'un autre côté, la période est marquée par une prolifération d'imaginaires dont l'expansion du pentecôtisme [107] n'est qu'un symptôme. L'Amérique latine est le continent du réalisme magique [108]. La pression des imaginaires est grosse d'une révolution symbolique encore à faire.

Par rapport à cette nouvelle langue, les nouveaux mouvements religieux accomplissent un travail de délégitimation politique. Ils ne proposent pas pour autant une alternative à cette langue. Ils éliminent un certain nombre de connexions de cette langue - ils sont « dévoreurs de syntaxe » [109] - et la rendent fragile sans constituer une opposition. Ceci n'empêche pas qu'organisés dans la vie politique, ils peuvent rejoindre l'opposition [110]. En jouant sur les imaginaires, et notamment par leur travail de traduction des imaginaires politiques les uns dans les autres, ils jouent un rôle qui, ne correspondant pas à l'instituant classique résultant de la traduction du [62] privé au public, rien est pas moins instituant. Rôle plus faible ? C'est surtout l'imagination sociologique qui s'avère faible dans sa capacité de le définir.

Conclusion

Si la démocratie n'est pas un imaginaire - elle est un idéal -, elle se donne des formes concrètes à travers des imaginaires. Tant les explications structurelles que la théorie du choix rationnel qui commande en partie les conceptions de la transitologie font l'impasse de cette couche importante de la réalité. Peut-être plus qu'ailleurs, cette couche caractérise l'Amérique latine - ainsi voulaient, en tout cas, le penser certains tenants du réalisme magique [111].

Si la transitologie en devenant une théorie politique générale a pu être un « titre de gloire » de la « théorie démocratique latino-américaine » [112], c'est qu'elle s'inscrivait dans le courant dominant de la conception de la République procédurale. D'un côté, la « troisième vague de la démocratie » habillée de la tunique transitologique donnait un nouveau souffle à une théorie (procéduraliste) dans les pays du Nord bousculée par les théories communautariennes, d'un autre côté le coup d'État discursif réussi en Amérique latine produisait l'« effet de récit » correspondant : la transitologie devenait la manière moderne de penser la démocratie. Le peuple mandataire du politique dépasse l'acceptation de son ignorance pour adhérer à un principe d'incertitude ! Comme le suggère Przeworski, « les gouvernés renoncent à n'attendre de leurs gouvernants que des certitudes en [63] réalité intenables sur leur avenir, pour en venir à s'accommoder de l'idée que la politique démocratique n'est que l'art d'affronter l'incertitude » [113] !

Il y a une autre manière de lire l'aspiration démocratique des populations latino-américaines - aspiration accompagnée d'une insatisfaction par rapport au système politique actuel [114]. Elle résulte, selon Lechner [115], d'un besoin de communauté et de rationalité politique. L'Amérique latine peut être vue comme le continent de l'imaginaire parce qu'elle est porteuse d'une rationalité politique tournée vers l'avenir. Encore faut-il chercher à lire, dans la formation des catégories politiques qui se cuisinent en partie dans les imaginaires, les traces de cette formation. L'Amérique latine pourrait alors conquérir un « titre de gloire » non seulement au niveau de la « théorie » mais au niveau de l’histoire. Elle parviendrait dans nos sociétés modernes à faire affirmer un contenu (le principe de définir un contenu) à la volonté de vivre ensemble. Elle parviendrait à redonner un sens à la démocratie substantielle dans une période où, dans bien des pays, un changement d'organisation politique prétend coïncider avec un changement de modèle économique.



* Professeur d'analyse du discours et de science politique à l'Université du Québec à Montréal. Ce texte fait partie d'une recherche « Imaginaires politiques et transnationalisation du pentecôtisme : Brésil, Haï ti, Afrique du Sud et Rwanda » réalisée grâce à une subvention (1999-2002) du Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada.

[1] Wiarda, Howard X, The Democratic Revolution : History, Politics and U.S. Policy, New York, Holmes & Meier, 1990 : xi.

[2] Dominguez, Jorge I. & Kinney Giraldo, Jeanne, « Conclusion : Parties, Institutions, and Market Reforms in Constructing Democracies », in Dominguez, Jorge & Lowenthal, Abraham F., Constructing Démocratie Governance : South America in the 1990s, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1996 : 5.

[3] Hermet, Guy, « Une crise de la théorie démocratique », in Gobin, Corinne & Rihoux, Benoît (dir.), La démocratie dans tous ses états : Systèmes politiques entre crise et renouveau, Bruxelles, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2000 : 139-149.

[4] Sandel, Michael, Democracy Discontent : America in Search of a Public Philosophy, Cambridge, Mass., The Belnap Press of Harvard University Press, 1966.

[5] Gauchet, Marcel, La religion dans la démocratie : Parcours de la laïcité, Paris, Gallimard, 1998. Notons que l'interprétation de Revault d'Allonnes qui évite la sacralisation de la société civile et qui insiste plus sur la « fragilité essentielle du politique », dès lors qu'on distingue État et politique, est plus à même de comprendre le « dépérissement du politique ». Revault d'Allonnes, Myriam, Le dépérissement de la politique : Généalogie d'un lieu commun, Paris, Aubier, 1999.

[6] Hermet, Guy, « L'Amérique latine face à la théorie démocratique », voir supra.

[7] Weffort, Francisco C, New Democracies, Which Democracies ?, Washington, Woodrow Wilson International Center for Scholars, The Latin American Program, N° 198, 1992 : 15 Voir aussi Weffort, Francisco, « L'Amérique latine fourvoyée : Notes sur la démocratie et la modernité », Problèmes d'Amérique latine, N° 1, avril-juin 1991 : 5-30.

[8] Touraine, Alain, « Amérique latine : la sortie de la transition libérale », Problèmes d'Amérique latine, N° 25, avril-juin 1997 : 131-150.

[9] Cohen, Youssef, Radicals, Reformers and Reactionnaries : The Prisoner's Dilemna and the Colapse of Democracy in Latin America, Chicago, Chicago University Press, 1994 : 23.

[10] O'Donnell, Guillermo, Schmitter, Philippe C & Whitehead, Laurence (eds.), Transitions from Authoritarian Rule : Prospects for Democracy, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1986.

[11] Santiso, Javier, « La démocratie incertaine : La théorie des choix rationnels et la démocratisation en Amérique latine », Revue française de science politique, Vol. 43 (6), décembre 1993 : 970-993, 974. Voir aussi Weffort, 1992 : 20.

[12] Weffort, 1992.

[13] Garreton (1992) préfère utiliser le terme de transition pour la stricte période de sortie du régime dictatorial. Il appelle fondation ce que les autres appellent transition.

[14] Doimo, Ana Maria, A Vez e a Voz do Popular : Movimentos sociais e participação política no Brasil pós-70, Rio de Janeiro, Anpocs/Relume - Dumarà, 1995.

[15] Weffort, 1992 : 33.

[16] Marques Pereira, Bérangère & Bizberg, Ilan (eds.J, La citoyenneté sociale en Amérique latine, Paris/ Bruxelles, L'Harmattan/ CELA.IS, ULB, 1995.

[17] Cardoso, Ruth Corréa Leite, « Les mouvements populaires dans le contexte de consolidation au Brésil », in Pécaut, Daniel & Sorj, Bernardo (dir.), Métamorphoses de la présentation politique au Brésil et en Europe, Paris, Éditions du CNRS, 1991 : 249-262, 252-253.

[18] Marques-Pereira & Bizberg, 1995 : 7.

[19] Marshall, Thomas Humphrey, Citizenship and social class : and other essays, Cambridge, University Press, 1950.

[20] Sartori, Giovanni, Théorie de la démocratie, Paris, Colin, 1973 : 13.

[21] Pateman, Carole, Participation and Démocratie Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1970 ; Jacobi, Pedro, « Brésil : succès et limites des pouvoirs progressistes locaux, les mairies du PT », Problèmes d'Amérique latine, N° 13, avril-juin 1994 : 57-74 ; Dabène, Olivier, Amérique latine, la démocratie dégradée, Bruxelles, Éditions Complexe, 1997 : 141s

[22] Hermet (supra) parle de « néo-populisme libéral-médiatique ». Peut—on mettre dans la même catégorie le néo-populisme d'un Collor et d'un Fujimori et le néo-populisme de Chavez et d'Aristide ? Notons par ailleurs que l'aspect médiatique est important à souligner et caractérise en partie l'Amérique latine contemporaine où la télévision contrôle la plus grande partie de la population. Notons pourtant que c'est un aspect important de formation d'une opinion publique qui concerne aussi bien les régimes néo-populistes que les régimes de « nouvelle démocratie ».

[23] Gómez Calcafio, Luis, « Venezuela : organisations sociales et luttes pour la citoyenneté », Problèmes d’Amérique latine, N° 29, avril-juin 1994 : 29-52. Hurbon, Laënnec, (éd.), Les transitions démocratiques, Paris, Syros, 1996.

[24] Corten, André, « Catégories politiques et discours théologique », Discours social/ Social Discourse. Discourse Analysis and Text Socio-Criticism, Vol. 4, N° 3-4, Summer-Autumn l992 : 119-144.

[25] Corten, André, Diabolisation et mal politique. Haïti : misère, religion et politique, Paris/ Montréal, Karthala/ CIDIHCA, 2000. [En préparation dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[26] Doran, Marie-Christine & Pefiafiel, Ricardo, Discours fusionnel et représentations du politique : les Pobladores dans le mouvement des Protestas au Chili (1983-1989), Montréal, Université du Québec à Montréal, 1998. On trouve dans cet excellent mémoire de maîtrise un chapitre de critique radicale du concept d'identité.

[27] Taylor, Charles, Les sources du moi : La formation de l'identité moderne, Paris, Seuil, 1998 ; Kymlicka, Will, Les théories de la justice : Une introduction, Paris, Éditions de la Découverte, 1999. Voir aussi Lechner, Norbert, « In search of the Lost Community », in Albala-Bertrand, Luis (Coord.), Democratic Culture and Governance : Latin America on the Threshold of the Third Millenium, Paris, UNESCO/ Hispanmerica, 1992 : 63-67.

[28] Silva Telles, da Vera, « Pauvreté et citoyenneté, dilemme du Brésil contemporaine », Problèmes d'Amérique latine, N° 9, avril-juin 1993 : 73-86.

[29] Laclau, Ernesto & Mouffe, Chantal, Hegemony & Social Strategy : Towards a Radical Democratic Politics, London, Verso, 1985. Laclau, Ernesto, New Reflections of the Revolution of Our Times, Londres, Verso, 1990.

[30] Munck, Ronaldo, Latin America : The Transition to Democracy, London, Zed Books, 1989 & « Postmodernism, Politics and Paradigms in Latin America », Latin American Perspectives, Vol. 27 (4), 113, July 2000 : 11-27.

[31] Doran & Penafiel, 1998 : 82-91.

[32] O'Donnell, Guillermo & Schmitter, Philippe C, « Tentative Conclusions about Uncertain Democracies », in O'Donnell, Schmitter & Whitehead, 1986.

[33] Santiso, 1993.

[34] Faye, Jean-Pierre, Théorie du récit : Introduction aux « Langages totalitaires », Paris, Hermann, 1972

[35] Solervicens, Marcelo, Mouvements sociaux et représentation du politique : le discours sur la participation dans la transition du régime militaire au régime civil au Chili dans les années 90, Montréal, UQÀM, 1996.

[36] Cohen, 1994.

[37] Ibid. : 55.

[38] Ibid. : 57.

[39] Duprat, Gérard (dir.), L'ignorance du peuple : Essais sur la démocratie, Paris, PUF, 1998.

[40] Santiso, 1993 : 977-978.

[41] Huntington, Samuel Phillips, The Third Wave : Democratization in the late Twentieth Century, Norman, University of Oklahoma Press, 1991.

[42] Dabène, 1997 : 135.

[43] Weffort, 1992 : 18s.

[44] L'égalitarisme ou le nivellement économique n'est préconisé par Marx que dans la période intermédiaire de transition socialiste où les codes bourgeois se maintiennent. Sinon la maxime de Marx est « À chacun selon son travail, à chacun selon ses besoins ».

[45] D'après l'étude systématique dirigée par Bulmer-Thomas, le « Nouveau Modèle Économique » ne contribue pas à augmenter la pauvreté mais aggrave l'inégalité dans la distribution des revenus ». Bulmer-Thomas, Victor (éd.), The New Economic Model in Latin America and its Impact on Income Distribution and Poverty, Basingstoke, Macmillan, 1996 : 22. Dabène, 1997 : 41.

[46] Sartori, 1973 : 264.

[47] Schumpeter, Joseph A., Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1965.

[48] Corten, André, « O ordem do discurso : da participação à político », Lua Nova, 1996, N° 37, pp. 191-207.

[49] Bobbio, Norberto, Democracy and Dictatorship, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1989.

[50] Ravet, Jean-Claude, Les communautés ecclésiales de base en Amérique latine comme espace public : une approche arendtienne, Montréal, Université du Québec à Montréal, 1994, Mémoire de maîtrise en sociologie.

[51] Comblin, José, « Algumas questôes a partir da pratica das Comunidades eclesiais de base no Nordeste », Revista Eclesiástica Brasíleíra, 50 (198), 1990 : 335-381. Voir aussi Corten, André, Le pentecôtisme au Brésil : Émotion du pauvre et romantisme théologique, Paris, Karthala, 1995 : chapitre 1.

[52] Lechner, 1992 : 64.

[53] Dabène, 1997 : 50-54.

[54] Schmitter, Philippe C, « Réflexions liminaires à propos du concept de gouvernance », in Gobin & Rihoux (dir.), 2000 : 51-59.

[55] Santiso, 1993 : 981.

[56] Voir Duarte, Isis, Brea, Ramonina & Tejada Holguin, Ramdn, Cultura Polítíca y Democracia en la República Dominicana, Santo Domingo, PUCMM, 1998.

[57] Santiso, 1993 : 981.

[58] Arendt, Hannah, Le système totalitaire, Paris, Seuil, 1972 : 218-226.

[59] Corten, 2000 : 28-45.

[60] Hermet, in Gobin & Rihoux, 2000 : 140.

[61] Corten, André, « Commentaire du texte de Guy Hermet : Une crise de la théorie démocratique ? », 1er Congrès de l'Association Belge de Science politique, Communauté français de Belgique, Bruxelles, 12-13 mars 1999 : 9 p.

[62] Sandel, 1966.

[63] Walzer : 93. La thèse de Marx dans La question juive est sujette à toutes sortes d'interprétation, notamment sur la vanité de la citoyenneté « formelle », mais reste un élément théorique de réflexion.

[64] Cohen, Jean L. & Arato, Andrew, Civil Society and Political Society, Cambridge, MASS, MIT Press, 1994.

[65] Par juridification, j'entends ici un processus de codification des rapports sociaux et des rapports de pouvoir qui assurent une certaine homogénéité sur un espace donné et assure, lorsqu'elle s'élève au sommet du pouvoir, une subordination du pouvoir à la Loi.

[66] Stokes, William S., Latin American Politics, New York, Thomas Y. Crowell Company, 1959 : 457. Voir aussi Chevalier, François, L'Amérique latine : De l'indépendance à nos jours, Paris, PUF, Clio, 1977.

[67] Stokes, 1959 : 457.

[68] Ibid., 463.

[69] Ibid., 470.

[70] Marques-Pereira & Bizberg, 1995 : 8.

[71] Legendre, Pierre, Leçons VII, Le désir politique de Dieu : Étude sur les montages de l'État et du Droit, Paris, Fayard, 1988.

[72] Chevalier, 1977 : 349s.

[73] Dabène, 1997 : 152.

[74] Barret-Kriegel, Blandine, L'État et les esclaves : Réflexion pour l'histoire des États, Paris, Payot, 1989 : 124.

[75] Lechner, 1992 : 66.

[76] Ibid., 67.

[77] Peut-être, est-ce un mauvais point pour le « paradigme transitologique ». Hermet (supra) le regrette.

[78] Dabène, 1997 : 83.

[79] Corten, 2000 : 129.

[80] Coalition du gouvernement au Congrès élu en 1998 : PFL (126), PSDB (115), PMDB (109), PPB (64), PTB (31) ; opposition : PT (65), PDT (27), PSB (22), autres (34).

[81] Garreton, Manuel Antonio, « From Authoritarianism to Political Democracy : A transition that Needs Rethinking », in Albala-Bertrand (coord.), Democratic Culture and Governance : Latin America on the Threshold of the Third Millenium, Paris, UNESCO/ Hispanmerica, 1992 : 21-33. Garreton, Manuel, The Chilean Political Process, Boston, Unwin Hyman 1989.

[82] Dominguez & Kinney Giraldo, 1996 : 8.

[83] Converti en Action démocratique M 19 ou AD M 19.

[84] Ibid., pp. 8-9.

[85] Ibid.

[86] Demyk, Noëlle, « Vers un nouveau modèle d'intégration de l'isthme centraméricain ? », Problèmes d'Amérique latine, N° 30, juillet-sept. 1998 : 3. Voir aussi les articles de sur le Guatemala, le Salvador et le Nicaragua de Yvon Lebot, Frédéric Massé et Gilles Bataillon.

[87] Leca, Jean, « La démocratie à l'épreuve des pluralismes », Revue Française de Science Politique, 46 (2), avril 1996 : 225-279.

[88] Dominguez & Kinney Giraldo, 1996 : 10.

[89] Arato & Cohen, 1993.

[90] Corten, André, « Société civile de la misère », Chemins critiques : Revue haïtiano-caraïbéenne, Vol. 4, N° 1, sept. 1998 : 7-30. Voir aussi Mauricio Ruano, Ph. D. en préparation sur El Salvador, Montréal, UQAM. Science Politique.

[91] Corten, André, « Pentecôtisme : une traduction des imaginaires hors société civile », Conférence session plénière, Congrès de l'Association Européenne des Anthropologues sociaux, Cracovie, 26-30 juillet 2000. Corten, André, « Le théologico-politique à l'heure du pentecôtisme transnationalisé », Communication présentée au VIIIe Congreso Latinoamericano de Religion y Etnicidad, Padova, 30 de junio - 5 de julio 2000.

[92] Revault d'Allonnes, 1999.

[93] Azzi, Riolando, A Cristandade colonial : Mito e ideologia, Petrópolis, Vozes, 1987.

[94] Krischke, Paulo José, A Igreja e as Crises Politicas no Brasil, Petrdpolis, Vozes, 1979.

[95] Lefort, Claude, « Permanence du théologico-politique ? », in Essais sur le politique (XIXe -XXe siècles), Paris, Seuil, 1986 : 251-300, 261-263.

[96] On sait que le positivisme est un courant puissant de pensée en Amérique latine. Il se mélange parfois curieusement avec la tradition scolastique. Voir Chevalier, 1977.

[97] Corten, André, Les peuples de Dieu et de la forêt : À propos de la "nouvelle gauche" brésilienne, Montréal/ Paris, VLB/L'Harmattan, 1990, voir chapitre II.

[98] Castoriadis, Cornélius, L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975 : 177s.

[99] Ibid.

[100] Cox, Harvey, Fire from Heaven : The Rise of Pentecostal Spirituality and the Reshaping of Religion in the Twenty-First Century, Reading, Mass : Addison-Wesley, 1995.

[101] Corten, André, L'alchimie politique du miracle : Discours de la guérison divine et langue politique en Amérique latine, collaboration de Fridman, Viviana & Deret, Anne, Montréal, Balzac, Collection Univers des Discours, 1999 : 71-80.

[102] Voir à ce sujet : Silveira Campos, Leonildo, Teatro, Templo e Mercado : Organização e Marketing de um Empreendimento Neopentecostal, Petrdpolis, Vozes, 1997 : 46-47.

[103] Hobbes, Thomas (1651), Léviathan : Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, Paris, Sirey, 1971 : 462-463. Voir aussi Corten, 1999 : 9-12.

[104] Touraine, 1997 : 138.

[105] Faye, 1972.

[106] « La démocratie moderne ... est le seul régime à signifier l'écart du symbolique et du réel avec la notion d'un pouvoir dont nul, prince ou petit nombre, ne saurait s'emparer ; là où se profile un lieu vide, il n'y a pas de conjonction entre le pouvoir, la loi et le savoir, pas d'énoncé possible de leur fondement ». Lefort, 1986 : 268.

[107] Bastian, Jean-Pierre (dir), « À propos de l'expansion des pentecôtismes », Problèmes d’Amérique latine, N° 24, janvier-mars 1997.

[108] Weisgerber, Jean et al., Le réalisme magique : roman, peinture, cinéma, Publié par le Centre d'Études des Avant-gardes littéraires de l'Université de Bruxelles, Genève, Éditions l'âge d'homme, 1987.

[109] Corten, 1999 : 189-200.

[110] Freston, Paul, « The Political Evolution of Brazilian Pentecostalism : 1986-2000 », in Corten, André & Mary, André, Imaginaires politiques et pentecotisme : Afrique/Amérique latine, Paris, Karthala, 2001.

[111] Une des tendances du courant littéraire du réalisme magique, ce courant qui réunit des écrivains comme Juan Rulfo, Alejo Carpentier, Gabriel Miguel Asturias, Garcia Marquez ou Alvaro Mutis, voit dans l'Amérique latine un continent de l'imaginaire.

[112] Hermet, supra.

[113] Hermet, 2000 : 148.

[114] Selon des sondages de Latinobarómetro d'octobre 1996, 68% de la population latino-américaine est peu ou pas du tout satisfaite du fonctionnement de la démocratie dans leur pays mais 60% trouve quand même la démocratie préférable (contre 16% l'autoritarisme et 17% indifférents). Dabène, 1997 : 135-137.

[115] Lechner, 1992.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 27 septembre 2016 8:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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