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Collection « Les auteur(e)s contemporains »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre DANDURAND, “La recherche en sociologie de l’éducation au Québec.” In revue PROSPECTIVES, vol. 20, nos 1-2, 1984, pp. 69-75. [Autorisation accordée par Mme Renée B.-Dandurand, veuve de l’auteur, le 18 février 2004.]

[69]

Pierre DANDURAND [1932-1995]

Professeur, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal

La recherche en sociologie de l’éducation
au Québec.”

In revue PROSPECTIVES, vol. 20, nos 1-2, pp. 69-75.


Quoi qu'il en soit, l'objectif poursuivi est de parvenir malgré tout à identifier quelles ont été les caractéristiques les plus marquantes de la recherche en ce domaine et à signaler les changements récents qui m'apparaissent significatifs.

En me référant aux années soixante-dix, je situerai d'abord brièvement dans quels climats idéologiques et théoriques ont été menées les recherches en éducation. Ensuite je m'arrêterai à montrer sur quoi ont porté ces recherches et comment le choix des objets de recherche a évolué au cours des dernières années. Je terminerai par quelques notes sur la méthodologie.

Le climat des années soixante-dix

Si on se reporte au début des années soixante-dix, on se souviendra assez facilement que les analyses de la question scolaire au Québec deviennent alors de plus en plus radicales et de plus en plus sévères.

Cette attitude peut d'abord se concevoir comme l'effet d'une conjoncture où les grandes réformes introduites dans les structures mêmes de l'appareil scolaire sont terminées. On a ainsi l'impression (pas nécessairement fausse) que le système ne bouge plus, et qu'ainsi il cesse d'être un des éléments dynamiques de la transformation, de la modernisation de la société québécoise. Mais il y a plus. Ces réformes, on est déjà en mesure de constater leur limite. Le grand idéal de démocratisation de l'enseignement est loin d'être réalisé ; la formation d'une main-d'œuvre nouvellement qualifiée que le système scolaire allait produire, se bute à des difficultés de différents ordres : les jeunes pour une part hésitent plus qu'on ne le prévoyait à s'orienter dans les secteurs professionnels au niveau de l'enseignement secondaire et collégial ; d'autre part, se font déjà sentir des surproductions de diplômés universitaires dans les secteurs des arts et des sciences humaines, par exemple. Par ailleurs, le budget de l'éducation plafonne ; c'est sur la réforme dans le secteur de la santé que les investissements gouvernementaux vont prioritairement. On parle en éducation de contre-réforme.

Il y avait donc là matière à nourrir des analyses très critiques des réalisations scolaires au Québec. Et par la suite, si l'arrivée du Parti Québécois au pouvoir a donné momentanément quelques espoirs d'un réinvestissement dans l'éducation, ces espoirs sont assez vite tombés. Enfin, l'approfondissement de la crise que nous vivons au début des années quatre-vingts ne fait que mettre en relief les inachèvements de la réforme scolaire. Bien plus, les restrictions budgétaires, les coupures, les mises à pied nous font assister, quasi impuissants, à une érosion des acquis de la Révolution tranquille.

[70]

Sous un tout autre plan, soit celui du champ de la sociologie et plus spécifiquement celui du champ de la sociologie de l'éducation, des changements majeurs s'opèrent dès le début des années soixante-dix. En effet, on peut constater que dans les premières années de la décennie soixante-dix, il y a une effervescence tout à fait exceptionnelle dans ce domaine. C'est en fait le moment d'une profonde remise en question d'un courant jusqu'alors dominant en sociologie, soit le fonctionnalisme. Dans la critique de ce paradigme, ceux qu'on a désignés comme les structuro-marxistes ont choisi, comme terrain privilégié de démonstration et de confrontation, l'analyse du rôle de l'école dans la société. On se souviendra d'Althusser et de Baudelot et Establet [1]. C'est dans le prolongement au Québec de ce courant d'analyse que se situe notamment l'excellente étude de Claude Escande sur Les classes sociales au cégep [2]. Pour présenter de façon brève ce courant néo-marxiste, on pourrait dire que, pour l'essentiel, sa thèse est que le rôle premier de l'école est de contribuer à la reproduction des classes sociales. Par ailleurs, on y montre que l'appareil scolaire est un appareil d'État, ce qui, du coup, révèle les fonctions éminemment politiques du système d'enseignement.

Cette redéfinition de l'école va donner une assise théorique aux analyses radicales de l'état et du fonctionnement de l'appareil scolaire québécois. Il est certain, par ailleurs, que l'utilisation des analyses marxistes n'a pas toujours été heureuse ; on a eu souvent tendance à y recourir de façon très mécanique ou très simpliste.

Actuellement plusieurs sociologues sont plus conscients des limites de la perspective structuro-marxiste, et les débats théoriques sont moins vifs. Le climat, pourrait-on dire, est au questionnement, à la remise en cause. Tout au moins la polarisation des débats entre des approches fonctionnalistes et marxistes est moins grande.

Une des voies les plus intéressantes de ce questionnement va dans le sens d'un développement critique de la perspective marxiste et s'inscrit dans le prolongement d'un courant britannique en sociologie de l'éducation [3]. C'est ainsi que dans la suite de ce courant, un chercheur américain, Henry Giroux, tente de développer une « théorie de la résistance [4] ». Cette tentative est tout à fait significative car elle implique une « réhabilitation » du statut théorique de l'agent social qui, sous le règne du structuro-marxisme et de la théorie de la violence symbolique de Bourdieu, en était venu à jouer soit le rôle d'un simple support de structures sociales, soit celui d'objet d'une imposition d'un arbitraire culturel. Mais cette « réhabilitation » de l'agent social, tout à fait essentielle à notre avis, n'a pas encore trouvé une formulation théorique satisfaisante. La question demeure donc ouverte.

Cette évolution des courants théoriques qui ont marqué l'analyse sociologique de l'éducation s'accompagne, par des voies qui ne sont pas toujours simples, de certains changements dans les pratiques de recherche. Comme nous le verrons, tant au niveau des approches méthodologiques qu'au niveau du choix des objets, les pratiques de recherches deviennent ces dernières années plus diversifiées, plus éclatées.

Aires traditionnelles et nouvelles de la recherche

Quels sont, dans les circonstances décrites précédemment, les principaux thèmes autour desquels convergent les entreprises de recherche au Québec ? Durant ces 10 dernières années, les intérêts sont-ils demeurés les mêmes ou se sont-ils déplacés ?

D'entrée de jeu, on peut apporter des éléments de réponse et faire écho à la conjoncture historique et théorique que nous avons déjà esquissée. À notre avis, les trois quarts des recherches entreprises depuis le début des années soixante-dix entrent sous deux grandes rubriques, soit, d'une part, l'accès différentiel des groupes sociaux à l'enseignement, soit, d'autre part, les rapports éducation/emploi. Cette thématique renvoie très directement aux idéaux de la démocratisation de l'enseignement tels qu'ils ont été prêches depuis les années soixante ainsi qu'au souci de plus en plus grand d'un ajustement du système scolaire, particulièrement de la formation professionnelle, au marché du travail. La recherche apparaît ici très orientée et donc très sensible au climat social, aux interrogations que porte le milieu. C'est indéniable. Par contre, on verra comment des déplacements d'intérêt à l'intérieur même du thème, accès différentiel des groupes à l'enseignement, sont aussi liés au questionnement théorique. Mais allons-y voir de plus près.

Accès différentiel des groupes sociaux à l'enseignement

Nous avons déjà indiqué qu'il y avait un déplacement d'intérêt sous ce thème. Il nous a semblé en effet que l'accent, qui était d'abord mis sur l'analyse des effets de l'appartenance de classe sur la scolarisation, s'estompait pour faire place à l'étude des effets liés cette fois au sexe, à l'ethnie, à l'âge.

Au début des années soixante-dix, comme cela a déjà été souligné, il y avait polarisation des débats [71] autour du rôle de l'école dans la reproduction des classes sociales. Il faut cependant reconnaître que peu de recherches en dehors de celle d'Escande [5], des analyses rapides de la C.E.Q. [6], de quelques études partielles publiées dans Défi et dilemme [7], permettaient d'asseoir sur des données d'importance une analyse de la place de l'école québécoise dans la reproduction des classes. C'est effectivement davantage vers la deuxième moitié des années soixante-dix que seront diffusés des résultats de recherches empiriques portant sur de grands échantillons et qui permettront de mieux saisir ce rôle de l'appartenance de classe dans la scolarisation. Une étude qui nous semble exemplaire dans cette perspective est celle d'Alain Massot, Cheminements scolaires dans l'école québécoise après la Réforme [8]. S'appuyant sur les données de la recherche ASOPE, Massot démontre, sans doute possible, comment le cheminement scolaire, du secondaire V à l'entrée à l'université, est marqué par l'appartenance de classe des jeunes. Par ailleurs, il tente dans une première partie de son travail de se situer non seulement par rapport aux marxistes mais aussi par rapport à Pierre Bourdieu [9] et Raymond Boudon [10] qui ont profondément marqué, comme on le sait, l'analyse de l'appareil scolaire au tournant des années soixante-dix.

D'autres travaux poursuivis à partir des mêmes données vont contribuer à documenter encore la participation de l'école à la reproduction des classes : par exemple, l'étude de Louise Laforce sur les aspirations scolaires, celle de Pierre Roberge sur le passage des jeunes à la vie active [11], etc.

Pour notre part (Pierre Dandurand, Marcel Fournier, Léon Bernier [12]), à la suite d'une enquête auprès des étudiants universitaires du Québec, nous avons tenté de mettre au jour la fonction de l'université dans le maintien ou la transformation des rapports de classe.

Curieusement, alors même qu'on a en main les données empiriques qui permettent de valider en quelque sorte les interprétations de l'école en terme de classes, on se retrouve avec des intérêts qui, souvent par la force des mouvements sociaux, se sont fixés sur d'autres objets. C'est le cas de la montée du féminisme et des rapports des femmes comme groupe à l'école ; c'est le cas d'un certain mouvement en faveur de l'éducation des adultes ; c'est le cas enfin, dans la foulée du mouvement nationaliste et des politiques de francisation (Loi 101), d'une sensibilité plus grande aux destins scolaires en fonction de l'appartenance à différents groupes socio-linguistiques ou encore à différents groupes ethniques.

De fait, dans le champ de la recherche en éducation, la situation évolue d'abord dans le sens d'une prise de conscience des clivages liés au sexe. Les premières études dans le domaine scolaire du Conseil du statut de la femme, par exemple celle sur le sexisme dans les manuels [13], datent du milieu des années soixante-dix. Par la suite, cette aire spécifique de recherche se développe et est ainsi mise au jour la place considérable de l'école dans la reproduction des rapports de sexe. Le livre de Francine Descarries-Bélanger, L'école rose... et les cols roses [14] (1980), se situe spécifiquement dans cette optique, utilisant l'approche marxiste de la reproduction des classes pour l'appliquer cette fois à l'étude de la reproduction de la division sociale des sexes. Non seulement la recherche documente la situation actuelle, mais sous l'égide d'historiennes telles Micheline Dumont, Nadia F.-Eid [15], et Nicole Thivierge [16] se poursuit un décapage de l'histoire de l'enseignement destiné aux filles.

Par ailleurs, l'intérêt pour l'accès des adultes à l'enseignement a pris de l'ampleur dès le début des années soixante-dix avec les débats, par moment vifs, autour des notions d'éducation permanente ou d'éducation récurrente. On pourra voir à ce propos le recueil de textes réunis par Gaston Pineau [17]. Des analyses ont été faites des politiques gouvernementales, en particulier des politiques fédérales de formation des adultes [18]. Mais, sans doute, une des contributions les plus importantes des études en ce domaine a été la mise au jour du phénomène de l'analphabétisme au Québec [19], alors que l'on croyait, dans la réforme des années soixante, avoir donné, même aux plus démunis, accès à l'éducation.

À la fin des années soixante-dix, l'importance de l'éducation des adultes, les problèmes notamment qui se posaient en ce domaine ont abouti, on le sait, à la création d'une commission d'étude, la Commission Jean. Cette commission, en plus de produire un volumineux rapport de réflexion et un projet de politique en éducation des adultes, a été l'occasion d'un large sondage sur les pratiques d'éducation des adultes [20]. Ce sondage nous a révélé des phénomènes qui ne manquent pas d'étonner : plus de la moitié de la population québécoise aurait participé d'une façon ou d'une autre à des activités de formation ; une proportion importante de la population adulte s'engage dans des pratiques d'autodidaxie. Heureusement, pourrions-nous dire, car le gouvernement semble profiter de la crise pour sabrer avec beaucoup de vigueur dans ce champ de l'éducation...

Enfin, dans le contexte québécois, l'étude des rapports avec l'école des groupes socio-linguistiques [72] est un autre thème de recherche qui s'est considérablement développé au cours des dernières années. Il est certain que ce développement est lié à la conjoncture politique. La loi 101, sanctionnée en 1977, qui légiférait sur la langue d'enseignement et la langue de travail, a forcé l'attention vers le rôle des institutions d'enseignement de langue anglaise.

Certains travaux ont mis en évidence la force d'attraction de la langue anglaise, non seulement auprès des allophones, mais aussi auprès des francophones. C'est notamment le cas de la vaste enquête, entreprise sous l'égide du Conseil de la langue française, sur « la conscience linguistique des jeunes Québécois [21] ». Par ailleurs, notre étude auprès des étudiants universitaires a permis de montrer l'accès différentiel des francophones, allophones et anglophones, à l'enseignement supérieur et de prendre encore une fois la mesure des inégalités qu'entérinent et souvent renforcent les appareils scolaires [22]. Enfin, la recherche de Paul Bernard et Jean Renaud sur l'évolution de la situation socio-économique des francophones et des non-francophones [23] apporte des éléments importants pour saisir le rôle joué par l'éducation dans cette évolution des deux groupes socio-linguistiques.

Par ailleurs, presque par la force des choses, s'impose un champ nouveau de recherche dans la sociologie de l'éducation québécoise : l'étude des rapports avec l'école des groupes ethniques. Les nouvelles politiques « nationalistes » qui mènent à l'intégration des immigrants dans l'école française nous placent dans une situation scolaire qui se rapproche de celle que l'on retrouve au Canada et aux États-Unis. C'est ainsi que, par exemple, on voit rapidement apparaître dans les écoles de la CÉCM des conflits raciaux avec l'arrivée entre autres déjeunes Asiatiques et déjeunes Haïtiens. C'est à ces questions que s'attaquent par exemple les travaux de Michel Laferrière [24], ceux aussi de Charles Pierre-Jacques et Émile Ollivier du Centre des recherches caraïbes [25], et plus récemment, d'Anne Laperrière [26].

Ainsi donc, après avoir voulu bien marquer le caractère de classe de l'appareil scolaire, sous la force de mouvements sociaux comme le féminisme, le nationalisme mais aussi en convergence, sur le plan théorique, avec un requestionnement du paradigme marxiste, on passe à d'autres décapages de la réalité des structures et des processus d'éducation. En ce sens-là, il y a un enrichissement indéniable du champ d'analyse en même temps que celui-ci devient plus diversifié. Le travail de décapage cependant est loin d'être terminé. Il se peut aussi que le véritable éclatement vienne des remous qu'occasionne l'hétéronomie des groupes en reposant, dans le champ de la théorie, la question spécifique du statut des classes sociales.

Éducation et emploi

Le deuxième volet autour duquel se regroupe un nombre important de recherches concerne cette fois les rapports entre l'éducation et la division sociale du travail, les rapports entre éducation et emploi.

Parmi les grandes enquêtes dont nous avons déjà parlé, plusieurs s'y rapportent directement. C'est le cas de la recherche ASOPE dont le titre même Aspirations scolaires et orientations professionnelles des étudiants renvoie aux choix d'un métier ou d'une profession, et dont les objectifs visaient précisément à expliquer l'orientation professionnelle des jeunes et leur passage de l'école au travail. Des analyses auxquelles a donné lieu cette recherche, il faut signaler celle récente de Mireille Lévesque et Louise Sylvain qui étudie spécifiquement les choix des jeunes après le secondaire entre la poursuite des études ou l'entrée sur le marché du travail [27].

Une autre grande enquête se rapporte directement au thème éducation/emploi. Il s'agit de celle de Paul Bernard et Jean Renaud [28]. L'étude de l'évolution des positions des francophones et des non-francophones les a amenés à traiter des phénomènes comme ceux de la déqualification et qualification des travailleurs et des emplois ou, encore, du rôle de la formation scolaire, de l'éducation, dans l'accès à des emplois plus ou moins rémunérateurs.

Déjà bien présente au niveau des grands surveys, la problématique éducation/emploi se poursuit aussi dans des monographies sur la formation professionnelle. La recherche en ce domaine se caractérise par la diversité des approches. Ont été publiés des travaux qui concernent l'histoire de cet enseignement dont un, celui de Jean-Pierre Charland, est particulièrement ambitieux. Il se présente en effet comme une synthèse de l'évolution de l'enseignement professionnel depuis le Régime français [29]. On y défend la thèse d'une moralisation de la classe ouvrière. Cette thèse était déjà présente dans la monographie de Marcel Fournier sur l'enseignement professionnel au secondaire [30]. Par ailleurs, d'autres analyses institutionnelles ont été entreprises (voir les travaux de Thérèse Hamel à l'INRS-éducation [31]) et des études plus qualitatives ont été menées auprès des jeunes du secteur professionnel. C'est le cas des travaux de Marcelle Hardy-Roch sur l'enseignement secondaire [73] professionnel [32] et d'une étude exploratoire sur les jeunes stagiaires du même secteur, que je termine à peine [33].

Il est bien évident que l'intérêt que suscite la formation professionnelle (et plus largement le lien école-marché du travail) est nourri par la conjoncture économique qui maintient des masses déjeunes hors-travail avec le statut de chômeurs et d'assistés sociaux. Il y a là un problème social majeur que les États par des politiques ad hoc tentent de résoudre temporairement pour aller au plus pressé. Certains analystes voient dans les politiques de création d'emploi pour les jeunes, ou plus exactement dans la généralisation sous différentes formes de stages en milieu de travail, l'émergence d'un nouveau lieu institué entre l'école et le travail, lieu qui ne servirait à toutes fins pratiques qu'à maintenir dans un « entre-deux » des fractions importantes de la jeunesse que le marché du travail ne réussit plus à absorber [34]. II y a là un champ important de recherches à développer.

De quelques autres thèmes de recherche

La question de l'entrée sur le marché du travail ne réussit cependant pas à satisfaire aux interrogations sur les jeunes et on voit poindre un intérêt plus large pour le phénomène jeunesse. Cet intérêt rappelle cette sociologie de la culture jeune qui s'était déjà manifestée dans les années soixante. On se souviendra peut-être de l'étude de Marcel Rioux et Robert Sévigny sur les jeunes citoyens [35] ou encore des travaux de Jacques Lazure sur la jeunesse [36]. Quoi qu'il en soit, il nous apparaît significatif que deux revues, la Revue internationale de développement communautaire et Possibles [37], aient édité tout récemment des numéros spéciaux sur les jeunes.

Une autre aire de recherche a pris une nouvelle ampleur ces toutes dernières années. Il s'agit de la gestion de l'appareil scolaire, de la place des différents agents sociaux dans cette gestion et, plus spécifiquement, de la place des parents dans la structure du pouvoir de l'école. Bien sûr cet intérêt a été ravivé par le projet de restructuration scolaire (bill 40) du ministre Laurin [38]. Cependant, le feu couvait sous la cendre : la participation des parents à la gestion des écoles est posée depuis longtemps. C'est évidemment une question importante puisqu'il s'agit de savoir qui aura un contrôle décisif sur l'école. Il y a plusieurs façons de poser ce problème. Une nous apparaît particulièrement intéressante et importante : on y définit la question de la gestion scolaire dans le cadre de la gestion étatique du social. Ceci permet de saisir de façon plus large les jeux de pouvoir autour de l'école.

Enfin, il nous faut signaler, même s'il ne s'agit évidemment pas d'un thème nouveau, l'importante recherche qui a été faite sur l'un des principaux protagonistes sur la scène scolaire, les enseignants. Cette recherche réalisée par les chercheurs venant des universités et du ministère de l'Éducation (R.A. Cormier, C. Lessard, L. Toupin, P. Valois) est en fait une enquête socio-pédagogique sur l'ensemble des enseignants québécois des écoles publiques élémentaires et secondaires. Elle fournit des informations à la fois sur les carrières des enseignants et sur les valeurs auxquelles ils adhèrent [39].

Une forme dominante : les grands surveys
et l'émergence de nouvelles pratiques


Nous venons de dresser rapidement une cartographie des objets sur lesquels ont porté les études sociologiques à l'intérieur du champ de l'éducation. Il s'agit maintenant de voir s'il y a des approches méthodologiques qui ont été privilégiées. Autrement dit, il s'agit de s'interroger sur le « comment » des recherches entreprises.

À ce point de vue, une première observation s'impose. Si on se reporte aux cinq dernières années, on observe que les résultats d'au moins sept grandes enquêtes du type « survey » ont été diffusés. C'est beaucoup et cette période devient ainsi probablement la plus prolifique dans l'histoire de la sociologie de l'éducation au Québec.

Rappelons pour mémoire ces recherches. Parmi celles déjà évoquées, il y a : ASOPE, l'étude de Bernard et Renaud, celle de Cormier, Lessard, Toupin et Valois sur les enseignants, les enquêtes de la Cefa, celle du Conseil de la langue française, celle de Dandurand et Fournier. À cela il faudrait ajouter celle de Manuel Crespo [40] et al. sur l'éducation en milieu défavorisé et celles qui ont été faites auprès des parents pour juger de leur sentiment sur le caractère confessionnel de l'école ou pour « mesurer » leur désir de participer directement à la gestion de l'école.

Cette liste n'est pas exhaustive mais suffit à elle seule à bien marquer le poids considérable dans le champ de la recherche en éducation des grands surveys, c'est-à-dire d'enquêtes touchant des échantillons importants, procédant par questionnaires et traitements statistiques plus ou moins sophistiqués. Une réflexion plus soutenue devrait se poursuivre quant à la place à donner à de telles pratiques de recherche. À la limite, toute entreprise de ce qu'on pourrait appeler une démographie sociale appliquée au champ de l'éducation, c'est-à-dire la mise au jour des principaux [74] paramètres des populations touchées d'une manière ou d'une autre par les activités éducatives, demeure une contribution sans conteste nécessaire et utile. Là où cette situation devient discutable c'est au moment où cette façon de faire semble tenir lieu d'une réflexion plus poussée, d'une analyse plus imaginative des réalités sociales. C'est aussi au moment où elle cherche à s'imposer comme hégémonique.

Même si cette approche méthodologique est dominante, on peut observer par ailleurs l'émergence de pratiques différentes qui éventuellement modifieront le « paysage » de la recherche dans le domaine de l'éducation.

Il me semble en effet que de la même façon que sur le plan théorique on voyait poindre des intérêts nouveaux autour de la « nouvelle » sociologie de l'éducation, sur le plan méthodologique, l'utilisation d'approches plus qualitatives et plus diversifiées tend actuellement à s'affirmer.

Je pense ici entre autres aux travaux de Janine Holt, d'Anne Laperrière, de Marcelle Hardy-Roch, de Gaston Pineau, de Claude Trottier et de cette recherche que j'ai menée avec Flavie Trudel [41]. Je pense aussi aux recherches institutionnelles sur l'admission à l'université entreprises par Renée Cloutier, Pierre W. Bélanger, Louise Laforce et Pierre Chénard [42], et par ailleurs aux démarches d'historiennes comme celles de Micheline Dumont et Nadia Fahmy-Eid [43].

S'agit-il là d'une conjoncture particulière ? Il est à espérer que non [44]. L'éventail des instruments dont on dispose est trop restreint pour qu'on rejette certains outils méthodologiques et en particulier l'approche qualitative qui permet une compréhension en profondeur qu'on ne peut atteindre facilement par d'autres voies.

Conclusion

Ce tour de piste, même s'il demeure partiel et partial, suffit à démontrer qu'au Québec, la recherche dans le champ de la sociologie de l'éducation a connu, au cours des dernières années, la période la plus active de son histoire.

Par ailleurs, nous avons vu qu'à tous les niveaux, c'est-à-dire à ceux de la théorie, et à ceux du choix des objets et des méthodes, les cadres de la recherche à différents degrés éclatent. Ce n'est pas l'anarchie, ce sont plutôt des questionnements nouveaux qui s'imposent. Voilà ce qui peut se révéler fructueux.

En toute fin, je voudrais signaler deux objets qui m'apparaissent délaissés dans le champ de la recherche en sociologie de l'éducation et qui mériteraient plus d'attention.

En premier lieu, il me semble qu'on devrait renouer avec une tradition qui nous était propre. Il faudrait se remettre à analyser le discours de l'école comme un discours idéologique et un discours de pouvoir. Le nouveau régime pédagogique constituerait un matériau intéressant pour ce genre d'analyse.

En second lieu, il faudrait aller étudier de plus près les processus sociaux tels qu'ils se présentent dans la marche ordinaire des écoles et des classes. Ceci m'apparaît un complément tout à fait nécessaire aux grandes enquêtes, aux grands surveys.

[74]



[1] L. Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d'État », La Pensée, no 151, juin 1970.

C. Baudelot, R. Establet, L'École capitaliste en France, Paris, Maspero, 1971.

[2] C. Escande, Classes sociales au Québec, Montréal, Éditions Parti-Pris, 1973.

[3] Voir J.C. Forquin, « La nouvelle sociologie de l'éducation en Grande-Bretagne : orientations, apports théoriques, évolution (1970-1980) », Revue Française de pédagogie, no 63, avril-mai-juin 1983, pp. 61-79.

[4] H.A. Giroux, « Theories of Reproduction in The New Sociology of Education: A Critical Analysis », Harvard Educational Review, Vol. 53, no 3, August 83, pp. 258-293.

[5] C. Escande, op. cit.

[6] Voir entre autres :

C.E.Q., L'école au service de la classe dominante. Manifeste présenté au XXIe Congrès de la C.E.Q., juin 1972. C.E.Q., École et luttes de classes au Québec, octobre 1974.

[7] M.E.Q., L'étudiant québécois: défi et dilemme. (Rapports de recherche), Québec, Éditeur officiel du Québec, 1972.

[8] Alain Massot, Cheminements scolaires dans l'école québécoise après la Réforme, Les cahiers d'A.S.O.P.E., volume V, Faculté des sciences de l'éducation. Université Laval, Québec, sept. 1979.

[9] P. Bourdieu, J.C. Passeron, La reproduction d'éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Éditions de Minuit, 1970.

[10] R. Boudon, L'inégalité des chances. Paris, Armand Collin, 1974.

[11] P. Roberge, Le nombril vert, les oreilles molle ; : L'entrée des jeunes Québécois dans la vie active. Les cahiers d'A.S.O.P.E., vol. IV, Faculté des sciences de l'éducation. Université Laval, Québec, juillet 1979. Pour une plus ample discussion sur les thèmes d'éducation/ classes sociales, éducation/mobilité sociale et toute la question de l'égalité des chances, on pourra se référer à deux publications relativement récentes, soit celle de R. Cloutier, J. Morisset, R. Ouellet, Analyse sociale de l'éducation, Montréal, Boréal Express, 1983, la troisième partie, La sélection sociale (pp. 105-200) et celle de Mireille Lévesque, L'égalité des chances en éducation. Conseil supérieur de l'éducation, Québec, Gouvernement du Québec, 1979.

L. Laforce, Les aspirations scolaires au Québec et en Ontario: Des observations des enquêtes A.S.O.P.E. et S.O.S.A., Les Cahiers d'A.S.O.P.E., vol. V, Faculté des sciences de l'éducation, Université Laval, Québec, septembre 1979.

[12] P. Dandurand, M. Fournier, L. Bernier, « Le développement de l'enseignement supérieur, classes sociales et luttes nationales au Québec », Sociologie et Sociétés, vol. VII, no I, avril 1980, pp. 101-132. Voir aussi

P. Dandurand, M. Fournier, C. Hétu, Conditions de vie de la population étudiante universitaire québécoise. Ministère de l'Éducation, Québec, 1979.

[13] Lise Dunnigan, Analyse des stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires au Québec, Conseil du statut de la femme, septembre 1979.

[14] F. Descarries-Bélanger, Montréal, Éditions Albert Saint-Martin, 1980.

[15] M. Dumont, N. Fahmy-Eid, Maîtresses de maison, maîtresses d'école, Montréal, Boréal Express, 1983.

[16] N. Thivierge, Écoles ménagères et instituts familiaux, un modèle féminin, Québec, Institut québécois de recherches sur la culture, 1982.

[17] G. Pineau (éd.). Éducation ou aliénation permanente, Paris, Dunod, 1977.

[18] P. Bélanger, P. Paquet, La formation professionnelle des adultes, sa signification sociale. Institut canadien d'éducation des adultes, Montréal, 1975.

P. Dandurand, L'État et la formation professionnelle des adultes, Montréal, Librairie des Presses de l'Université de Montréal, 1975-76.

P. Dandurand, « Crise, État et politique de main-d'œuvre », Revue internationale d'action communautaire, 10/50, automne 1983, pp. 101-116.

[19]  J.P. Hautecœur, Analphabétisme et alphabétisation au Québec, M.E.Q., Québec, 1978.

[20] C. Dulude, M. Berthiaume, R. Delisle, Sondage sur les adultes québécois et leurs activités éducatives. Commission d'étude sur la formation des adultes. Annexe 2, Gouvernement du Québec, février 1982.

[21] U. Locher, M. Lange, P. Georgeault, Conscience linguistique des jeunes Québécois, Dossiers du Conseil de la langue française, Études et recherches, nos 13 et 14, Québec, Éditeur officiel, 1983.

[22] P. Dandurand, M. Trépanier, Étudiants francophones, anglophones et allophones dans l'enseignement supérieur québécois. Département de sociologie. Université de Montréal, 1982.

[23] P. Bernard et al., op. cit.

[24] Michel Laferrière, « Minority children and the Québec public schools », Communication au congrès de l'American Research Association, Montréal, 1983.

[25] Voir entre autres : C. Pierre-Jacques (éd.), Enfants de migrants haïtiens en Amérique du Nord, Centre de recherches Caraïbes, Université de Montréal, 1982.

[26] A. Laperrière, L'intégration socio-sanitaire des enfants immigrants dans les écoles de milieux socio-économiquement faibles. Une recherche exploratoire. Conseil scolaire de l'île de Montréal, décembre 1983.

[27] Après l'école secondaire : Étudier ou travailler, Choisit-on vraiment ? Québec, Conseil supérieur de l'éducation, 1982.

[28] Op. cit.

[29] Op. cit.

[30] M. Fournier, Entre l'école et l'usine, Montréal, Éditions Albert Saint-Martin, 1980.

[31] Thérèse Hamel, L'enseignement professionnel au Québec :vers une soumission plus étroite de l'école à l'entreprise, Québec, I.N.R.S. Éducation, 1982.

[32] M. Hardy-Roch, Les élèves de l'enseignement professionnel court : leur origine sociale et leurs rapports à l'école d'après une analyse d'entrevues, Gouvernement du Québec, Ministère de l'éducation, 1983.

[33] P. Dandurand, F. Trudel, C'est rien qu'un stage. Recherche exploratoire sur les stages en milieu de travail des jeunes du secondaire professionnel, Rapport de recherche. Département de sociologie, Université de Montréal, Mai-juin 1984, 110 p.

[34] Voir José Rose, « Pour une analyse de l'organisation de la transition professionnelle », in Le Colloque de Dourdan, L'emploi, Paris, François Maspéro, 1982. José Rose identifie justement cet « entre-deux ».

[35] M. Rioux, R. Sévigny, Les nouveaux citoyens. Service des publications de Radio-Canada, 1983.

[36] J. Lazure, La société des jeunes Québécois, Montréal, Presses de l'Université du Québec, Québec, 1972.

[37] Revue internationale d'action communautaire. Les jeunes et le chômage, vol. 8/48, automne 1982 ; Possibles, Des acteurs sans scène, vol. 8, no 2, Hiver 1984.

[38] Voir notamment G. Pelletier, C. Lessard, La population québécoise face à la restructuration scolaire, Montréal, Guérin, 1982.

[39] Les enseignantes et enseignants du Québec : une étude socio-pédagogique. Gouvernement du Québec, Ministère de l'Éducation, Service de la recherche, 9 volumes différemment datés, années 1980-81.

[40] Évaluation de l'Opération Renouveau centrée sur les rendements en français et en mathématiques et sur l’image de soi des élèves, Rachel Houle, Claude Montmarquette, Manuel Crespo et Sophie Mahse-redjian, C.R.D.E., octobre 1983.

[41] A. Laperrière, op. cit. M. Hardy-Roch, op. cit.

J. Hohl, Les enfants n'aiment pas la pédagogie, Montréal, Éditions Albert Saint-Martin, 1982.

P. Dandurand, F. Trudel, op. cit.

G. Pineau, Produire sa vie : autoformation et autobiographie, Montréal, Éditions Saint-Martin, 1983.

C. Trottier. Projet de recherche sur le classement des étudiants dans une école secondaire polyvalente, Département d'administration et de politique scolaires. Faculté des sciences de l'éducation, Université Laval, Québec, juin 1982.

[42] Communications présentées au dernier colloque de l'ACSALF, juin 1984.

[43] Op. cit.

[44] Voir A.P. Pires, « La méthode qualitative en Amérique du Nord », Sociologie et Sociétés, vol. XIV, no 1, avril 1982, pp. 15-30. L'auteur signale un renouveau de l'approche qualitative dans les pratiques de recherche en sociologie.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 8 avril 2022 10:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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