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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean-Paul Desbiens, L’ACTUEL ET L’ACTUALITÉ. (1986)
Avant-propos de l'auteur


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-Paul Desbiens, L’ACTUEL ET L’ACTUALITÉ. Montréal: Les Éditions Le Griffon d’argile, 1986, 438 pp. Collection: Philosophie. Une édition numérique réalisée par ma grande amie de longue date, Gemma Paquet, professeure de soins infirmiers retraitée de l'enseignement au Cégep de Chicoutimi. [Autorisation accordée par l'auteur le 20 janvier 2005 de diffuser la totalité de ses publications.]

Avant-propos de l'auteur

Que je m'explique d'abord sur le titre de ce recueil d'articles. Drôle de mot, article. Il signifie : jointure, arrangement. Ça m'arrange !

L'article est aussi une des dix parties du discours, comme disait la grammaire de mon enfance. Léon Bloy ajoutait : « La onzième partie, c'est le silence, qui les dévorera toutes. »

Voici donc un recueil d'articles publiés dans plusieurs gazettes et balisant un espace de plus de quinze ans.

L'ambition de leur donner forme de volume est défendable. C'est l'ambition de tout être humain : donner permanence à sa révolte et à ses amours. Cela se fait par la prière pour les morts, par la procréation d'un enfant, par :

« La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles
Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d'amour.
Rester gai quand le jour, triste, succède au jour,
Être fort, et s'user en circonstances viles. »
 [1]

Cela se fait aussi par l'écriture, nonobstant les vidéoclips. L'autre soir, dans l'autobus entre Montréal et Québec, ma voisine de banquette, jeune fille belle à damner trois Séraphins, lisait Le Survenant, de Germaine Guèvremont. Toute la gloire d'écrire est là. Elle est de rejoindre un inconnu dans un train ou dans une chambre ; de l'aider à vivre, à comprendre, à sentir. De l'amuser, aussi. San-Antonio m'a aidé à oublier l'enfermement angoissant dans les cigares d'acier de la compagnie Boeing. Ou à tromper l'ennui de l'autoroute 20, dans un autobus placardé Non smoking run.

Bien ! Et mon titre ? Mon titre parle d'actualité. Or, le Robert note : « Les journalistes sont à l'affût de l'actualité. » Quand on écrit dans les gazettes, on accompagne forcément l'actualité. Je l'accompagne, comme un pianiste de party accompagne une vieille chanson, quand tout le monde est un peu parti, profitant de la lucidité conique qui perce le fond des êtres quand les gardes de l'urbanité relâchent leur surveillance.

Cependant, j'ai toujours la préoccupation de m'affranchir de l'actualité en tâchant à rappeler l'actuel.

L'actuel, c'est ce qui est toujours en acte, toujours agissant. Or, le passé et l'avenir sont toujours agissant, toujours actuel. Léon Bloy écrivait : « De toutes les facultés humaines, la mémoire paraît la plus ruinée par la chute. Une preuve bien certaine de l'infirmité de notre mémoire, c'est notre ignorance de l'avenir. » [2]

Rien ne pousse sans avoir été semé ; rien ne se produit sans conséquences. Quand on est à la merci de l'actualité, on dérive comme une pitoune sur les eaux des masse-médias. Quand on cherche le point d'intersection entre l'actuel et l'actualité, on entrevoit le fil conducteur des événements. L'histoire humaine n'est erratique qu'en apparence. Elle est menée ; elle est conduite.

Je m'étonne moi-même, relisant les épreuves (quel mot !) de ce recueil, de ce que j'écrivais il y a dix ou quinze ans. Ou six mois, quant à faire. Je pense aux avatars des lois sur la langue officielle, qui ont abouti à la Loi 101, qui a les ailes rognées ; je pense à la Crise du pétrole ; je pense aux avatars du Parti québécois, dont le dernier bouillon me rappelle ce que j'écrivais en 1973. Et aussi, tout juste avant le scrutin de décembre 1985.

Lecteur inconnu, j'irai jusqu'à la confidence avec vous. Deux confidences, et une troisième.

La première m'est chuchotée par Aristote. Je vous la jazze un peu : « Les écrivains, par rapport à leurs écritures, sont comme les pères vis-à-vis de leur fils. » Nietzsche lui, disait : « Aut libre, aut liberi.  » Ou des livres, ou des (enfants) libres. Hé ! Quand on a mis un peu de peine à écrire ce que l'on a écrit, il arrive que l'on souhaite que cela pousse ailleurs, dans quelque esprit, dans quelque coeur.

La deuxième confidence, c'est celle-ci : à force d'écrire dans les gazettes ; à force de conférencer au nord, au sud et au milieu ; à force de panéliser à gauche et à droite ; à force de médiatiser dans les médias, on finit par entendre la voix d'un des vieux démons de son coeur qui s'appelle À-quoi-bon. Qu'un démon s'inquiète du bon, ne fût-ce qu'en posant la question, c'est bien la preuve que le diable est la grimace de Dieu.

Je peux bien écrire cela, cela ne me suffit pas. On écoute son démon À-quoi-bon. On le fait taire, le temps d'un article. On fait plus : on ramasse ses vieux articles et on les gerbe en volume. Pour certains chroniqueurs de la république des Lettres, cela s'appelle un non-livre. À ce compte-là, les Essais de Montaigne et les Pensées de Pascal ne valent pas Le Matou. N'importe !

Et voici ma troisième confidence. Écrire est une grâce de Dieu. Pouvoir écrire. Avoir la liberté d'écrire. Prendre la liberté d'écrire. Même en nos temps vidéoclippés, l'homme finit toujours par avoir le goût d'aller voir un texte. Si le texte en question dévoile un cœur, voici que le lecteur est tout reconduit vers lui-même. Je n'ai jamais rien voulu d'autre, reconduit moi-même vers moi-même par tant et tant de ces « porteurs d'eau » qui font la chaîne depuis le fond des temps.

Je me sens grandiloquent. Il se peut. En fait, je ne suis pas grandiloquent. Je suis quelqu'un qui s'abreuve depuis longtemps à même les « porteurs d'eau ». Je ne me prive d'ailleurs pas de présenter leurs gobelets d'eau fraîche à vos lèvres. Qu'importe la place où je me place parmi eux, écrivain, je suis l'un d'eux.

Et il arrive qu'un éditeur bienveillant et astucieux vous propose la chose que voici, impuni lecteur.

Jean-Paul Desbiens

29 septembre 1986



[1]    Verlaine, Oeuvres poétiques complètes, Sagesse VIII Pléiade, p. 248.

[2]    Bloy, Léon, Le mendiant ingrat, François Bernouard, 1948, p. 510.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Paul Desbiens, philosophe et essayiste Dernière mise à jour de cette page le samedi 25 avril 2009 8:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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