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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Léon Dion, La polarité des idéologies: conservatisme et progressisme (1966)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Léon Dion, “La polarité des idéologies: conservatisme et progressisme”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 7, no 1-2, janvier-août 1966, pp. 23-38. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Autorisation accordée par Mme Denyse Dion, épouse de M. Dion, le 30 mars 2005].

Introduction

Il y a moins de dix ans, les intellectuels étaient d'avis que la société québécoise était parvenue à un moment critique de son existence. Nombre d'entre eux se groupaient dans le Rassemblement des forces démocratiques. Leur diagnostic était des plus déprimants : « stérilité » de l'esprit, « monolithisme » de la pensée, « omniprésence » de la droite, bref, le corps social tout entier, selon eux, était menacé de mort. Aujourd'hui, cependant, les intellectuels définissent la situation d'une manière bien différente - ils parlent généralement de « dynamisme », de « croissance » et de « révolution ». Comment expliquer cette étonnante volte-face des états d'esprit en si peu de temps ?

L'observation un peu attentive des faits nous amène à conclure que les conditions sociales, bien qu'elles aient évolué dans ce court intervalle, ne sont pas fondamentalement aussi différentes que l'antinomie des slogans qui servent à les caractériser ne le laisse supposer. Le contraste des perceptions paraît tenir surtout à des facteurs psychologiques. Il y a dix ans, le Québec touchait à la fin d'une longue ère de conservatisme politique l'impression d'immobilisme social et intellectuel s'en trouvait amplifiée aujourd'hui, nous venons d'entrer dans une ère de progressisme politique la conscience du changement social et intellectuel s'en trouve accrue. Inversement, l'ampleur de l'évolution dans certains secteurs était alors méconnue tandis qu'aujourd'hui on sous-estime souvent l'importance des foyers de conservatisme.

Une enquête un peu poussée, menée en 1958 par l'Institut d'éducation des adultes auprès de différents milieux, révélait chez les membres d'associations les plus diverses, en même temps qu'une conscience aiguë de l'emprise du traditionalisme, l'adhésion à des normes démocratiques élevées de même qu'aux valeurs propres à la civilisation moderne. [1] Par contraste, le débat sur le Bill 60, moment critique de l'évolution récente, manifesta la fermeté de l'emprise des convictions anciennes sur un grand nombre d'associations et d'individus. [2]

Au delà des apparences, aujourd'hui comme il y a dix ans, la divergence des aspirations et des mentalités parmi les agents sociaux est intense. Dans les deux cas, cependant, par suite d'une disposition d'esprit particulière, on magnifie dans les perceptions globales un aspect de la situation idéologique et on réduit l'importance de l'autre aspect. Comment rendre compte de ce comportement insolite ? Peut-on aller au-delà de l'explication psychologique élémentaire que je viens d'esquisser ?

Le problème posé peut se formuler ainsi : comment se fait-il que le stock des idéologies dont dispose la société - entendant par idéologie un système plus ou moins élaboré de représentations en vue de l'action - soit assurément beaucoup plus diversifié qu'il ne semble aux acteurs sociaux ? Comment se fait-il qu'une série entière d'idéologies reste toujours sous-utilisée, voire même ignorée au plan global, et que les idéologies qui paraissent activer le cours des choses fassent généralement partie elles aussi d'une seule et même série d'idéologies ?

Tout se passe comme s'il existait dans la société des mécanismes de polarisation qui entraînent les idéologies sociales particulières, des qu'elles acquièrent une fonction et une signification globales, dans l'orbite de deux constellations idéologiques dominantes que j'appellerai le « conservatisme » et le « progressisme ». Par ces deux termes, j'entends deux orientations d'esprit opposées, l'une, le conservatisme, s'attachant à la consolidation et à la défense des valeurs et des institutions existantes, et l'autre, le progressisme, visant à l'implantation de valeurs et d'institutions nouvelles. J'emploierai ces deux notions d'une manière synthétique, c'est-à-dire comme exprimant deux dynamiques, différentes et opposées, de polarisation des idéologies. [3]

Dans le présent exposé, je veux m'attacher à identifier les mécanismes de polarisation des idéologies, à supposer qu'ils existent, et à examiner les effets qui résultent de la polarité sur le comportement et le destin des idéologies. L'identification des mécanismes de polarisation, je vais la chercher, d'une part, dans la nature même du tissu social qui enveloppe les idéologies, c'est-à-dire les pouvoirs, et, d'autre part, dans la voie d'analyse généralement empruntée pour l'étude des idéologies et qui consiste a considérer celles-ci selon l'optique des pouvoirs plutôt que selon celle des agents sociaux. À la suite de cet exposé forcement abstrait, je décrirai brièvement comment la question de la polarité des idéologies se pose au Québec.


[1] Cette enquête avait été menée au moyen d'un questionnaire. Voir Cahiers de l'information de l'I.C.E.A., no 2, 1958.

[2] Voir mon étude Le Bill 60 et le public, Cahiers de l'I.C.E.A., no 1, janvier 1966.

[3] Je n'ignore pas que ce sont là des notions toutes relatives dont le sens varie d'une société à l'autre et d'une époque à l'autre dans une même société. Les mentionner, c'est susciter immédiatement des questions telles que : conservatisme et progressisme par rapport à qui ? en fonction de quoi ? jusqu'à quel point ? C'est ainsi que les orientations idéologiques individuelles entrent nécessairement en ligne de compte. Le même régime politique peut paraître scandaleusement conservatiste à un socialiste et dangereusement progressiste à un réactionnaire. En outre, un régime politique peut être conservatiste à l'égard de secteurs donnés d'activités et progressiste par rapport à d'autres secteurs. Enfin, le degré de conservatisme et de progressisme peut être plus ou moins élevé selon les cas. Ainsi conçues, ces deux notions peuvent être considérées comme les deux points extrêmes d'un continuum, les régimes politiques actuels se rapprochant plus ou moins de l'un ou de l'autre de ces extrêmes. La réponse aux questions ainsi posées exige l'analyse de cas concrets à partir de critères préalablement définis. Tel n'est pas le but du présent exposé qui est de fixer des états d'esprit et non pas de décrire des situations. Je n'attribuerai donc pas ici aux notions de conservatisme et de progressisme un contenu concret particulier. Elles se présenteront plutôt comme les résultantes, d'une part, des perceptions générales que les pouvoirs se donnent d'eux-mêmes, ou encore, des impressions d'ensemble qui se dégagent des attitudes et des conduites des gouvernants ; d'autre part, des jugements d'ensemble qu'en ont les intellectuels et les leaders engagés dans les secteurs majeurs de la pensée et de l'activité sociales.


Retour au texte de l'auteur: Léon Dion, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 20 janvier 2007 19:01
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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