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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gilles Dostaler, “L'École autrichienne dans le panorama de la pensée économique. De sa naissance à la Deuxième Guerre mondiale.” in revue Cahiers d'économie politique, 2006/2, no 51, pp. 27-48. Paris: L'Harmattan. [Autorisation accordée par l'auteur le 26 juin 2003]

Résumé / Abstract [27]

Introduction [27]

La pensée de Menger : filiations et oppositions [28]

Avant la Première Guerre Mondiale (32]

Entre les deux guerres [37]

La troisième génération [39]

La quatrième génération [41]

Épilogue [43]

Bibliographie [45]


Note pour la version numérique : La numérotation entre crochets [] correspond à la pagination, en début de page, de l'édition d'origine numérisée. JMT.

Par exemple, [1] correspond au début de la page 1 de l’édition papier numérisée.


[27]

Gilles DOSTALER

économiste et professeur d'économie, Université du Québec à Montréal (UQAM)

“L’École autrichienne dans le panorama
de la pensée économique.
De sa naissance à la Deuxième Guerre mondiale.”

In revue Cahiers d'économie Politique / Papers in Political Economy, 2/2006 (n° 51), p. 27-48.

[27]

RÉSUMÉ

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Les questions que nous nous posons sont celles de la nature, de l’homogénéité et de l’évolution de l’école autrichienne, entre son émergence dans les années 1870 et le déclenchement de la Deuxième Guerre Mondiale. C’est ensuite celle de son statut par rapport aux autres courants de la pensée économique. Les économistes rattachés à ce courant de pensée sont eux-mêmes en désaccord à ce sujet et mesurent diversement leur distance à une orthodoxie qui est elle-même en mouvement. Nous traiterons d’abord de la contribution de Menger, puis de celles de ses disciples immédiats. Nous nous pencherons enfin sur les contributions des économistes autrichiens entre les deux guerres mondiales.

Abstract

This paper is devoted to the nature, the homogeneity and the évolution of the Austrian school between its emergence in the 1870 and the lauching of the Second World War. We also investigate its status in relation to other currents of thought in economics. The economists associated with this current disagree among themselves as to their distance towards an orthodoxy which is itself in continuous evolution. We will first examine the contribution of Menger and of his immediate disciples. We will then study the contributions of the Austrian economists between the two world wars.
Classification JEL : B30

Introduction

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Il ne faut pas confondre école autrichienne et économistes autrichiens. En Autriche, comme ailleurs, on retrouve toutes les couleurs de la palette de la pensée économique. La définition de l’école elle-même n’est pas sans poser de problèmes, comme c’est d’ailleurs le cas de toutes les écoles dans l’histoire de la pensée économique, à l’exception peut-être de la physiocratie, dont la cohésion était très forte. “École” désigne en effet un groupe de personnes qui se réclament d’un même maître et professent une même doctrine. Dans le cas qui nous occupe, l’expression “courant de pensée” serait sans doute plus appropriée, mais nous sacrifierons à l’usage.

Suivant la définition qu’on en donne, certains économistes autrichiens sont exclus de l’école et d’autres en sont parents proches ou éloignés. Par ailleurs, l’école [28] autrichienne, outre le fait qu’elle a exercé une influence importante sur d’autres courants, revendique elle-même des adhérents qui ne sont pas de nationalité autrichienne. En fait, depuis les années 1970, qui marquent la renaissance d’un courant autrichien structuré, qu’on appelle parfois néo-autrichien, la plupart de ses membres sont étasuniens. Mais cette période, que nous nous contenterons d’évoquer en conclusion, est en dehors de notre champ d’investigation. [1] À l’époque qui nous occupe, on désignait aussi cette école par d’autres appellations telles que : école de Vienne, école subjectiviste, école de l’utilité marginale, école psychologique, et même tout simplement école théorique.

Les questions que nous nous posons sont celles de la nature, de l’homogénéité et de l’évolution de l’école autrichienne, entre son émergence dans les années 1870 et le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. C’est ensuite celle de son statut par rapport aux autres courants de la pensée économique, la question de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie. Les économistes rattachés à ce courant de pensée sont eux-mêmes en désaccord à ce sujet et mesurent diversement leur distance à une orthodoxie qui est elle-même en mouvement. Nous traiterons d’abord de la contribution de Menger. Nous examinerons ensuite l’œuvre de ses disciples immédiats, qu’on peut désigner comme la deuxième génération de l’école autrichienne. Nous nous pencherons enfin sur les contributions de ceux que nous regroupons comme troisième et quatrième générations, entre les deux guerres mondiales.

LA PENSÉE DE MENGER :
FILIATIONS ET OPPOSITIONS

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Les historiens de la pensée s’entendent pour situer l’origine de l’école autrichienne, même si cette appellation n’apparaît qu’une dizaine d’années plus tard, à la publication à Vienne, en 1871, des Principes de l’économie politique de Carl Menger (1840-1921). [2] De même que tous les économistes classiques, au-delà de leurs divergences, se réclament de Smith, les marxistes de Marx et les keynésiens de Keynes, les autrichiens [3] se réclament de Menger. Cela n’empêche pas, bien au contraire, que les interprétations du maître par les disciples soient diverses et contradictoires. Alors âgé de 31 ans, frère d’Anton Menger (1841-1906), juriste socialiste, auteur de Le droit au produit intégral du travail (1886), père du mathématicien Karl Menger (1902-1985), Menger s’était consacré au journalisme après avoir obtenu un doctorat de l’université de Cracovie. Il venait d’être nommé à un [29]  poste de haut fonctionnaire. La publication de son livre lui vaut, en 1873, une nomination à l’Université de Vienne où il obtient en 1879 la chaire d’économie politique. Entre 1876 et 1879, il est tuteur du prince héritier d’Autriche Rudolph. [4]

L’historiographie traditionnelle présente Menger, Jevons, auteur de la Théorie de l’économie politique publiée la même année que les Principes de Menger, et Walras, dont les Éléments d’économie politique pure paraissent en 1874 et 1877, comme les coauteurs indépendants de la révolution marginaliste, point de départ de ce que Thorstein Veblen sera le premier à appeler en 1900, en se référant à Marshall, la théorie néoclassique. La période de 1871 à 1914 voit l’émergence, puis le triomphe, de cette approche qui s’impose comme nouvelle orthodoxie après l’économie politique classique. Bien que leurs publications soient postérieures, Alfred Marshall, en Angleterre et John Bates Clark, aux États-Unis, considéraient qu’ils avaient eux aussi découvert, indépendamment du trio initial, les principes de base de la nouvelle théorie subjective de la valeur, fondée sur l’utilité.

La situation réelle est plus complexe. Menger qui était sans doute, des trois révolutionnaires, celui qui avait la plus vaste culture, tant dans le domaine de la philosophie que des sciences sociales [5], n’avait l’impression ni d’être à l’origine d’une nouvelle école, ni celle de renverser une orthodoxie, contrairement à Walras et surtout Jevons qui prétendait mettre fin à la domination ricardienne. De Menger, on a dit qu’il opposait la méthode ricardienne à celle de l’école historique alors dominante en Allemagne. Mais Menger ne prétendait d’aucune manière renverser l’école historique. Il a même dédié ses Principes au chef de file de l’école, Wilhelm Roscher, pour lequel il a conservé jusqu’à la fin de sa vie une grande estime. Les deux autres membres du trio fondateur de l’école historique, Karl Knies et Bruno Hildebrand, avaient anticipé le principe de l’utilité marginale décroissante et Menger était convaincu d’œuvrer à l’intérieur de l’orthodoxie économique allemande, comme il l’affirme dans sa préface :

C’était pour moi un plaisir particulier de constater que le domaine traité ici, touchant les principes les plus généraux de notre science, est vraiment en grande partie le produit de développements récents dans l’économie politique allemande, et que cette tentative de perfectionnement des principes les plus importants de notre science s’appuie par conséquent sur des travaux entièrement réalisés par des savants allemands.

Que ce travail soit donc considéré comme un salut amical de la part d’un collaborateur autrichien, et comme un pâle écho des conseils scientifiques que nous a si abondamment prodigués l’Allemagne par l’entremise des [30]  nombreux savants éminents qu’elle nous a envoyés et à travers ses excellentes publications. (Menger [1871] 1981, p. 49) [6]

Ces universitaires allemands auxquels Menger fait référence sont, outre les fondateurs de l’école historique, des auteurs tels que Gottlieb Hufeland, Heinrich von Storch, Friedrich Hermann, Karl F. Rau, Albert Schäffle, Hans von Mangoldt, Johann von Thünen, tous plus ou moins oubliés aujourd’hui, à l’exception du dernier. [7] On trouve ainsi, dans un livre publié par Hufeland (1807), une affirmation nette de la supériorité de la méthode subjective, y compris dans l’analyse des institutions, décrites comme des résultats non intentionnels de l’action humaine. Menger se réfère aussi à des auteurs italiens et français, en particulier aux œuvres de Galiani, Condillac, Quesnay, Turgot et Say. Certains théoriciens contemporains de l’école autrichienne, tels que Murray Rothbard ou Isaac Kirzner, voient en Say un des premiers à avoir élaboré la méthode d’analyse que Mises a baptisée “praxéologie”, qu’ils relient à son hostilité à l’utilisation du raisonnement mathématique en économie. Dans la foulée de Schumpeter, ils présentent l’école autrichienne comme l’aboutissement d’une tradition d’analyse subjective qui trouverait son origine chez Aristote et son plein développement chez les scolastiques, en particulier dans l’école de Salamanque. [8] Cette tradition se serait ainsi maintenue sur le continent européen alors qu’elle aurait été renversée en Angleterre par un courant inspiré du protestantisme et mettant l’accent sur le caractère naturel et objectif des processus sociaux et humains.

La pensée d’Aristote, souvent cité dans les Principes, est effectivement une source d’inspiration importante pour Menger, tant sur le plan de la méthodologie que de l’analyse économique. C’est au Stagirite qu’il emprunte sa conception de la nature causale de tout processus, sa conviction en vertu de laquelle la connaissance doit saisir des essences derrière l’apparence phénoménale, comme celle de l’existence de lois exactes qui s’imposent en dépit de la liberté humaine. D’autres penseurs qui ont influencé l’école historique d’économie, elle-même inspirée de l’école historique de droit fondée par Friedrich von Savigny, [9] ont exercé une influence sur Menger et l’école autrichienne. Ainsi le concept de verstehende[10] que reprendra Max Weber, est-il emprunté à Friedrich Schleiermacher, Wilhelm Humboldt, Leopold von Ranke et Johann Droysen, tous proches du mouvement romantique allemand. Il constitue une réaction contre l’épistémologie rationaliste et positiviste des sciences naturelles. [11] Comme Hufeland, Droysen (1858) mentionne les conséquences [31] non intentionnelles des actions de l’esprit humain créatif. Menger a aussi été influencé par son collègue et ami de l’Université de Vienne, le philosophe et psychologue Franz Brentano, qui définit la conscience par son intentionnalité. Brentano est un précurseur du courant phénoménologique dans lequel certains voient des liens de parenté avec l’école autrichienne. [12]

Les idées neuves sont rares. Menger n’a pas tout inventé, contrairement à ce que pensent certains de ses disciples. Mais il a combiné de manière originale, dans son livre, des thèses dont il n’a pas immédiatement mesuré la distance qui les séparait de celles de ses contemporains. Il prendra toutefois vite conscience de cette distance. Un premier affrontement, le plus dur, l’opposera à la jeune école historique allemande, menée par Gustav Schmoller. [13] Déçu par l’accueil de son livre en Allemagne, Menger publie en 1883 Recherches sur les méthodes des sciences sociales, important traité méthodologique qui constitue en même temps une critique de l’historicisme. Le livre contient une élaboration de la théorie des ordres spontanés, fruits d’actions humaines non intentionnelles, qui trouve son origine chez Mandeville, Ferguson, Hume et Smith, évoquée, nous venons de la voir, par Hufeland et Droysen. Il provoque une critique cinglante de Schmoller (1883). Menger réplique avec une charge plus directe, Les erreurs de l’historicisme (1885). Il en envoie une copie à Schmoller qui la lui retourne sans l’avoir lue. Cette controverse, connue comme “Methodenstreit” (querelle des méthodes), dans laquelle d’autres prendront le relais après le retrait des chefs, peut être considérée comme la véritable naissance de l’école autrichienne, ainsi désignée dans un premier temps par ses adversaires allemands. Cette controverse a empêché Menger de poursuivre son œuvre comme il l’aurait souhaité.

Au même moment, Menger commence à voir que son approche est très différente de celles de Jevons et surtout de Walras. Dans une lettre du 28 juin 1883, dans laquelle il le remercie pour l’envoi de Théorie mathématique de la richesse sociale, Menger écrit à Walras que les mathématiques “ne sont pas une méthode mais seulement une science auxiliaire de l’économie politique” (cité dans Antonelli 1953, p. 271). Le 2 juillet, Walras le remercie pour l’envoi de Principes de l’économie politique. Soulignant qu’il ne comprend pas trop la différence, exposée par Menger, entre les mathématiques comme méthode de recherche et comme méthode d’exposition, il se dit convaincu qu’ils appliquent tous deux la même méthode, la méthode rationnelle, pour combattre l’empirisme, et qu’ils ont donc intérêt à se mettre d’accord. Walras a sans doute déchanté en lisant la longue réponse de Menger, [32] datée de février 1884, lettre à laquelle il ne répondra d’ailleurs pas. Reconnaissant l’analogie entre certains des concepts qu’ils utilisent, Menger met toutefois l’accent sur les divergences concernant les questions les plus fondamentales, dont celle de la méthode :

Je suis, de fait, de l’opinion que la méthode à suivre dans la soi-disant économie politique pure ne peut pas simplement être appelée mathématique ni simplement rationnelle. Ce ne sont pas uniquement des rapports de grandeur que nous recherchons mais aussi l’essence des phénomènes économiques. (Lettre de Menger à Walras citée dans Antonelli 1953, p. 280)

Cette hostilité à l’utilisation des mathématiques ne découle pas d’une méconnaissance de cette discipline, mais de la perception de la nature de l’objet d’étude. [14] Menger s’intéresse au processus à travers lequel les acteurs échangent, alors que Walras s’intéresse à l’équilibre final. Pour les autrichiens, l’acteur est fondamental. Pour Vilfredo Pareto, successeur de Walras à la chaire d’économie politique de l’Université de Lausanne, l’individu peut disparaître pourvu qu’il laisse une photographie de ses goûts. Pour Menger, le temps, l’incertitude et l’ignorance constituent des données fondamentales de l’expérience humaine, en particulier dans le domaine de l’économie, et ils apparaissent dès le début de l’analyse, dans une section intitulée “Le temps et l’erreur” : “L’idée de causalité, toutefois, est inséparable de l’idée de temps” (Menger [1871] 1981, p. 67). Le temps est absent de l’équilibre général walrasien et l’acteur y est omniscient. Il est intéressant de souligner que la conception du temps, développée par le philosophe français Bergson, avec l’accent sur sa continuité dynamique, son hétérogénéité et son efficacité causale est proche des positions autrichiennes. [15]

AVANT
LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

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Nous l’avons dit, l’adjectif “autrichien” a d’abord été utilisé péjorativement par les adversaires de Menger et de ses alliés dans la Methodenstreit, les tenants de l’école historique allemande. Parmi les alliés de Menger, les deux principaux sont Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914) et Friedrich von Wieser (1851-1926), qui étaient beaux-frères. Cadets de dix ans de Menger, ils n’en furent pas les élèves, contrairement à ce qu’on lit parfois. Ils ont en effet étudié le droit à l’Université de Vienne avant que Menger ne commence à y enseigner. Entre 1875 et 1877, ils ont fait ensemble des séjours à Heidelberg, Leipzig et Iéna, où ils ont participé aux séminaires du trio fondateur de l’historicisme, Knies, Hildebrandt et Roscher. Ils ont tenté, sans succès, d’y populariser les thèses de Menger, qu’ils avaient découvertes [33] avec enthousiasme et dont ils devinrent dès lors les propagateurs. Pour Wieser, le livre de Menger constituait le levier d’Archimède permettant de transformer la théorie économique.

Menger, Böhm-Bawerk et Wieser peuvent être considérés comme les cofondateurs de l’école autrichienne. Parmi les membres de la deuxième génération, [16] dont certains furent des étudiants de Menger, on compte Johan von Komorzynski (1843- 1912), Viktor Mataja (1857-1933), Robert Meyer (1855-1914), Emil Sax (1845-1927), Hermann von Schullern zu Schrattenhofen (1861-1931), Richard Schüller (1871-1972), Robert Zuckerlandl (1856-1926). Tous les économistes de nationalité autrichienne n’étaient pas pour autant partisans de l’école autrichienne. Ainsi Rudolph Auspitz et Richard Lieben, contemporains de Menger, développèrent une analyse mathématique de la valeur de type walrasien, ce qui ne leur évita pas une controverse avec Walras, en plus de l’ostracisme de leurs collègues de l’école autrichienne.

Les années 1884 à 1889, au plus fort de la Methodenstreit, voient la publication d’une succession d’ouvrages majeurs qui établissent la réputation internationale de l’école autrichienne. Dans la seule année 1889 paraissent La théorie positive du capital de Böhm-Bawerk, La valeur naturelle de Wieser, La valeur dans une économie isolée de Komorzynski, Les nouvelles recherches de théorie économique de Sax, Recherches sur le concept et la nature de la rente foncière de Schullern zu Schrattenhofen. [17] Bonar (1988-89), Böhm-Bawerk (1890) et Wieser (1891) signent, dans des revues réputées, des articles explicitement consacrés à l’école autrichienne.

Les idées autrichiennes ont disposé d’une importante caisse de résonance en étant en partie intégrée dans le très populaire manuel de Philippovich von Philippsberg (1893). Proche des positions politiques des historicistes Gustav Schmoller et Adolph Wagner, qu’on appelait aussi les “socialistes de la chaire”, Philippovich n’était pas considéré comme un adhérent de l’école autrichienne, mais il cherchait à concilier cette dernière et l’approche walrasienne. Dans les années 1890, l’école cesse d’être strictement autrichienne de nationalité. Son influence s’étend d’abord sur tout le territoire de l’empire austro-hongrois. En Italie, Maffeo Pantaleoni (1889) expose les thèses autrichiennes qui influenceront, entre autres, Luigi Cossa et Augusto Graziani. [18] En Hollande, les Principes d’économie (1884) de Nicolaas G. Pierson se situent dans la mouvance autrichienne. En France, Charles Gide, Charles Sécrétant et Maurice Block sont réceptifs aux thèses autrichiennes que font [34] connaître, aux États-Unis, Simon N. Patten et Richard Ely. Marshall avait lu et annoté les Principes de Menger et on peut déceler une influence de ce dernier dans la première édition de ses Principles of economics (1890). [19] Le plus illustre sympathisant étranger de l’école autrichienne est Knut Wicksell, qui avait assisté à des cours de Menger en 1888. Exact contemporain de Böhm-Bawerk et de Wieser, il a développé, dans Intérêt et prix (1898), la théorie du capital et de l’intérêt et Böhm-Bawerk. L’originalité et l’indépendance d’esprit de Wicksell, qui a tenté de faire la synthèse de plusieurs courants opposés, interdisent toutefois de le considérer comme membre de l’école autrichienne, même si les autrichiens ont à diverses reprises tenté de l’annexer. [20]

Mais quelle était donc, en cette fin de siècle, la nature de cette école ? Voici comment le dictionnaire Palgrave la décrivait, en 1894 :

Compte tenu de leur accord sur la méthode et les principales thèses, de même que de leur collaboration les uns avec les autres, ces auteurs sont considérés à juste titre comme formant une école distincte, qu’on peut appeler (étant donné la nationalité de ses principaux membres) l’école “autrichienne” d’économie. Leur méthode est, comme celle de Ricardo, déductive ; et, comme Ricardo, ils considèrent la théorie de la valeur comme l’élément crucial de la science économique. Toutefois, leurs résultats diffèrent considérablement des thèses ricardiennes. (Bonar 1894, p. 73)

Cette définition est problématique. Sur le plan méthodologique, l’opposition à l’historicisme ne suffit pas pour qualifier une méthode de ricardienne. Très différente de la méthode historique, la méthode de Menger l’est tout autant de celle de Ricardo. Il y a bien des manières d’être déductif. Le subjectivisme de Menger n’a rien de commun avec le naturalisme objectif de Ricardo. Quant à la place centrale de la valeur dans la théorie économique, ce n’est pas une caractéristique fondamentale de l’approche autrichienne, qui met plutôt en avant le sujet et son action. Ce n’est qu’au troisième chapitre de son livre que Menger aborde la question de la valeur.

Mais le problème principal est celui de l’“accord sur la méthode et les principales thèses” mentionné au début du texte. Et ce problème se pose même si on se limite au trio fondateur. Il y a des différences importantes entre le père fondateur et ses deux disciples. Elles ont été soulignées à diverses reprises. Le subjectivisme prôné par Menger, et qui devait s’appliquer à tous les domaines de la vie économique, se dilue, chez Böhm-Bawerk et Wieser, en un subjectivisme limité à l’analyse [35] du comportement du consommateur. Le primat de l’action humaine comme source unique de tous les phénomènes économiques et sociaux s’atténue, comme l’importance fondamentale du temps, de l’incertitude et de l’ignorance dans les affaires humaines. L’analyse par Menger des institutions comme résultats non intentionnels de l’action humaine n’apparaît pas chez ses successeurs. Alors que Menger a consacré une partie importante de son œuvre à des réflexions d’ordre méthodologique, on en trouve peu chez Böhm-Bawerk et Wieser. L’un et l’autre s’opposent à la position de Menger en vertu de laquelle il est absurde de chercher à tester empiriquement des lois.

Alors que Menger découvre graduellement le fossé qui le sépare de la perspective walrasienne et des autres courants de ce qu’on appellera bientôt la théorie néoclassique, ses disciples développent au contraire des thèses qui sont plus facilement conciliables avec cette dernière. Plus encore, certains en viendront même à identifier théorie néoclassique et école autrichienne, qu’on appellera aussi école théorique, pour l’opposer à l’école historique ; on l’appellera aussi école de l’utilité marginale, cette dernière expression étant due à Wieser. Plusieurs contributions théoriques de Böhm-Bawerk et Wieser deviendront les principaux éléments de la “boîte à outils” néoclassique.

On lit parfois que l’école autrichienne, qui serait une composante à part entière de la révolution marginaliste et du courant néoclassique qu’elle initie, se distinguerait des autres courants par son libéralisme radical. C’est une erreur. Le libéralisme radical sera le fait de membres d’une génération ultérieure de l’école, et plus particulièrement de ce qu’on appelle aujourd’hui l’école néo-autrichienne. Il est difficile de savoir ce qu’étaient les positions politiques de Menger, mais il se situait sans doute quelque part entre le libéralisme et un interventionnisme paternaliste qu’on qualifie parfois dans le langage viennois de joséphisme. [21] Alors que Böhm-Bawerk penchait vers un libéralisme plus classique, Wieser, qui manifestait des sympathies pour le socialisme modéré, dit “fabien”, né en Angleterre, s’est parfois fait partisan d’un interventionnisme plus poussé, ce qui lui a valu de dures critiques de Mises. Il était en particulier très fier d’avoir proposé une justification rationnelle de l’impôt progressif. Il faut ajouter que Böhm-Bawerk et Wieser, comme d’autres membres de l’école autrichienne, ont occupé d’importantes fonctions politiques en Autriche. Ils formaient en fait une sorte de confrérie très puissante, tant dans l’appareil politique qu’académique. Böhm-Bawerk, en particulier, a été trois fois ministre des Finances.

Différents l’un de l’autre politiquement, Böhm-Bawerk et Wieser le sont aussi sur le plan théorique. L’apport majeur du premier est sa théorie du capital et de l’intérêt, qui s’appuie sur une longue étude historique des théories antérieures dans ce domaine (Böhm-Bawerk 1884 et 1889). Son analyse originale du capital, en particulier [36] dans son rapport avec le temps, situe sa contribution en contradiction radicale avec plusieurs autres approches, entre autres celle qui lie l’intérêt à la productivité marginale du capital conçu comme un facteur de production autonome. Polémiste redoutable, Böhm-Bawerk sera entre autres amené à croiser le fer avec John Bates Clark, fondateur américain du marginalisme, dans une controverse qui préfigure celle qui opposera, dans les années 1930, Hayek et Knight, et, dans les années 1960, la guerre des deux Cambridge entre néoclassiques et post-keynésiens. [22] Il y a, dans l’approche de Böhm-Bawerk, des filiations ricardiennes, de sorte qu’il n’est pas étonnant de trouver certaines similarités avec les positions de Piero Sraffa et de ses disciples néoricardiens. Sa théorie est-elle donc autrichienne ? Tel ne fut pas, en tous cas, l’avis de Menger, qui a dit de la théorie du capital de son disciple qu’elle était “l’une des plus grandes erreurs jamais commises”. [23] Elle s’appuyait selon lui sur une conception objective de la réalité économique, indépendante de l’action humaine intentionnelle, donc inconciliable avec une vision subjectiviste. Il n’en reste pas moins que la théorie de Böhm-Bawerk est devenue pour plusieurs le contenu théorique principal, sinon exclusif, de l’école autrichienne. Elle fut reprise et développée, jusqu’à nos jours, par plusieurs théoriciens de courants divers, dont certains des plus connus sont Wicksell, Hayek et Hicks.

Böhm-Bawerk s’est aussi rendu célèbre par sa critique de Marx et sa controverse avec les marxistes, dont plusieurs et des plus éminents, tels Otto Bauer, Nicholas Boukharine et Rudolf Hilferding, le respectaient et participèrent à son fameux séminaire. Les autrichiens furent d’ailleurs les premiers économistes à prendre Marx au sérieux et à accorder à ses thèses une considération scientifique, même si elle était très critique. Marx est l’auteur le plus cité dans la thèse de doctorat de Wieser, qui souligne qu’il s’agit d’un des auteurs qui l’a le plus influencé. C’est là un autre aspect de l’idiosyncrasie autrichienne. Alors que l’approche méthodologique de Menger s’oppose tout aussi radicalement à celle de Marx qu’à celle de Walras, il n’en est pas de même de celle de Böhm-Bawerk. Nonobstant sa démolition des thèses de Marx, on peut retrouver certaines analogies dans leurs conceptions du Capital. [24]

De Wieser, la plume au vitriol de Mises, élève de Böhm-Bawerk, a écrit : “Il a enrichi la pensée à certains égards, même s’il n’était pas un penseur créatif et qu’il était généralement plus nuisible qu’utile. Il n’a jamais vraiment compris l’essentiel de l’idée de subjectivisme dans l’école de pensée autrichienne, limitation qui l’a entraîné à faire plusieurs erreurs malheureuses” (Mises 1978, p. 36). Cette dure critique est suivie d’une affirmation en vertu de laquelle Wieser devrait plutôt être [37] considéré comme membre de l’école de Lausanne, dans le camp des Auspitz et Lieben.

Il est exact que Wieser est, du trio fondateur de l’école autrichienne, le plus proche de Walras et plus généralement du néoclassicisme émergent. Nous l’avons dit, c’est lui qui forge l’expression “utilité marginale” qui s’imposera pour qualifier la nouvelle approche à la théorie de la valeur. Il développe plusieurs concepts qui font partie du corpus standard, parmi lesquels celui du coût comme utilité sacrifiée, mieux connu comme coût d’opportunité, et la détermination de la valeur des facteurs de production par imputation aux niveaux d’utilité qu’ils contribuent à produire. Autre singularité de cette histoire, Max Weber, qu’on peut considérer comme un héritier de l’école historique, demande à Wieser de rédiger l’introduction théorique à la collection Fondement de l’économie sociale, qui deviendra son livre le plus célèbre (Wieser 1914).

ENTRE LES DEUX GUERRES

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La période qui va de la Première à la Deuxième Guerre mondiale est fertile en rebondissements. Proche des autrichiens, mais aussi de Keynes, Shackle en a désigné la partie centrale comme étant celle des “années de haute théorie” (Shackle 1967). On y assiste d’abord à la consolidation de la théorie néoclassique sous les deux formes sous lesquelles elle va dominer au vingtième siècle. La variante mashallienne va d’abord s’imposer. Mais graduellement, à travers l’œuvre de Pareto et de ses successeurs, les travaux de Hicks et de plusieurs autres, c’est la vision walrasienne qui finira par dominer dans la discipline. Dans cette évolution, le processus de mathématisation de l’économie joue un rôle majeur. La création en 1930 de la Société d’économétrie en est un moment important. Les mathématiciens Abraham Wald et John von Neumann fourniront dans les années trente des preuves rigoureuses de l’existence d’un équilibre général concurrentiel que ni Walras, ni Pareto, ni Gustav Cassel n’avaient pu démontrer.

Cette époque est aussi celle de la révolution keynésienne, qui commence par la révolte de Keynes contre Marshall et les “classiques” pour se terminer par une synthèse entre ses idées et la vision néoclassique. Il faut ici distinguer l’œuvre de Keynes du keynésianisme, dans la forme sous laquelle il triomphera dans l’après-guerre. [25] Ce n’est pas par ailleurs la seule forme possible, et les racines de la mouvance post-keynésienne se mettent en place dans les années trente. L’œuvre de Kalecki, par ailleurs hautement formalisée, en est une. Et à côté du keynésianisme, qui se présente au départ comme une hétérodoxie, l’école suédoise, avec Erik Lindahl, Bertil Ohlin et Gunnar Myrdal, tire de l’œuvre de Wicksell des enseignements qui, tant sur le plan politique que théorique, sont semblables à ceux de la révolution keynésienne.

[38]

Né aux États-Unis au début du siècle, inspiré par l’école historique allemande, l’institutionnalisme s’imposera comme une des hétérodoxies majeures de notre siècle, occupant même dans son pays d’origine une position dominante, jusque dans les années trente. Présent aux réunions préparatoires de la société d’économétrie, Myrdal a témoigné du fait que la volonté de contrer l’institutionnalisme a joué un rôle majeur dans la création de la société d’économétrie. Ce sont des économistes de cette mouvance qui ont été conseillers dans la mise en place du New Deal de Roosevelt, qu’on considère souvent à tort comme un fruit de la révolution keynésienne. En réalité, il y a peu de doute sur le fait que les institutionnalistes, Veblen le premier, ont exercé une influence importante sur la pensée de Keynes. [26]

Tenu pratiquement à l’écart de tous les courants, hétérodoxes et orthodoxes, de l’économie académique, le marxisme poursuit son chemin et devient une force majeure, en particulier à la suite de la révolution russe, des soulèvements révolutionnaires en Europe et de la constitution du mouvement communiste international. L’économie marxiste deviendra l’orthodoxie de plusieurs. Mais aussi, une pensée marxiste indépendante se développe dès le début du siècle, qui aura une influence sur plusieurs auteurs. L’Autriche en est un lieu d’élection particulier.

Quelle est la place des économistes autrichiens dans ce tableau ? Certains historiens de la pensée considèrent qu’à partir de la Première Guerre mondiale, les thèses autrichiennes sont graduellement absorbées par l’orthodoxie néoclassique en voie de consolidation, la publication, en 1932, de An essay on the nature and significance of economic science de Lionel Robbins constituant le point d’orgue du processus. Dans cette perspective, l’école autrichienne aurait cessé d’exister comme entité indépendante. Il ne resterait que des économistes influencés à divers degrés par les thèses des fondateurs de l’école autrichienne. Leurs positions sont variées et parfois contradictoires. Ainsi en est-il, par exemple, du rapport au processus de mathématisation de la discipline, auquel en principe les autrichiens devraient être résolument opposés. Or c’est un autrichien, Schumpeter, qui a été le premier président de la société d’économétrie. Vienne fut le centre de cette évolution dans les années trente. Le fils de Cari Menger, Karl, a joué un rôle central dans ce processus dont il a écrit qu’il ne contredisait pas les thèses de son père. [27]

Par rapport au marxisme, le rapport des autrichiens est tout aussi ambigu. Dans le pays de Freud, il y a là un évident rapport d’amour-haine, dont l’œuvre de Schumpeter offre le témoignage. Il y avait en tout cas, entre les principaux théoriciens de l’école autrichienne et ceux de l’austro-marxisme, une estime mutuelle en dépit des divergences politiques. Ainsi Mises avait-il plus de considération pour les marxistes que pour des socialistes non marxistes tels qu’Otto Neurath, qu’il méprisait.

[39]

Le rapport est aussi embrouillé avec l’école historique. C’est à la jeune école, et non à la vieille que Menger s’est opposé dans la guerre des méthodes. Mais à cette jeune école a succédé une troisième école avec laquelle les autrichiens ont reconstruit les ponts. Nous avons vu que c’est Weber qui a commandé à Wieser son livre de 1914. Mises avait lui aussi beaucoup d’estime pour Weber, dont il était l’ami. Cette estime contrastait avec son mépris pour le chef de file de la troisième génération de l’école historique, Werner Sombart, dont il a écrit qu’il n’avait eu aucune idée originale dans une carrière qui l’a vu passer du marxisme au nazisme. [28]


La troisième génération

Formée dans la décennie précédant la Première Guerre mondiale, la troisième génération d’économistes autrichiens n’a pas subi l’influence directe de Menger, qui s’est retiré en 1903, pour se consacrer à l’écriture d’une œuvre prolongeant et généralisant ses livres de 1871 et 1883, œuvre qu’il ne parviendra pas à achever, en dépit du fait qu’il poursuivra son activité intellectuelle jusqu’à sa mort en 1921. [29] Les maîtres les plus réputés de l’enseignement viennois, alors au sommet de leur carrière et de leur célébrité, étaient Wieser, successeur de Menger à sa chaire de Vienne, Böhm-Bawerk et Philippovich, qui se rapprochait alors de l’école. Parmi leurs étudiants qui s’illustreront le plus, on compte Ludwig von Mises (1881-1973), Hans Mayer (1879-1955), Joseph Schumpeter (1883-1950), Alfred Amonn (1883-1962), Richard von Strigl (1891-1942), Ewald Schams (1889-1955), Léo Illy (1888-1952).

L’historiographie autrichienne distingue deux courants dans l’école, le courant de Böhm-Bawerk, qui serait le plus fidèle à Menger, et le courant de Wieser, qui serait le plus proche de l’orthodoxie néoclassique. La description est très discutable, mais il est clair qu’un fossé se creuse entre les élèves de Böhm-Bawerk et ceux de Wieser, et surtout entre leurs principaux lieutenants, Mises et Mayer. De l’élève préféré de Wieser, Mises a ainsi écrit qu’il “était totalement démuni d’esprit critique, ne manifestait jamais de pensée originale, et n’a fondamentalement jamais compris ce qu’était l’économie” (Mises 1978, p. 94). Comme on le voit, l’harmonie ne règne pas dans la famille et on sait que les querelles fratricides sont souvent les plus sanguinaires. Le ton s’explique ici en partie par des raisons qui ne sont ni scientifiques ni idéologiques, mais personnelles. Mises espérait succéder à la chaire d’économie politique de Vienne à Wieser, qui lui a préféré Mayer. Et il y a sans doute autre chose. Personnage complexe, penchant parfois vers le socialisme, Wieser étant en même temps, ce qui n’est évidemment pas inconciliable, autoritaire. Il a [40] aussi commis, par écrit, des propos racistes et antisémites. Pour Streissler, il était devenu fasciste à la fin de sa vie. [30]

Les positions politiques de Mayer sont encore plus problématiques et il signera la lettre décrétant que les Juifs ne peuvent plus faire partie de la Société d’économie de l’Autriche, après l’Anschluss. Or Mises était juif.

Les contributions théoriques de Mayer sont beaucoup moins connues que celles de Mises ou de Schumpeter. Cela dit, elles n’en sont pas moins importantes. C’est Mayer qui, avant Hayek, Mises et les autrichiens modernes, est allé le plus loin dans la critique de ce qu’il appelait la théorie fonctionnelle des prix, par quoi il désignait l’équilibre général walrasien, atemporel, et dans la mise en lumière de la divergence entre cette approche et la vision causale-génétique de Menger. Au moment où Mayer publiait, au début des années trente, un texte sur cette question, Misses écrivait en 1933 que les écoles autrichienne, anglaise et de Lausanne “ne se distinguaient que par leur manière d’exprimer la même idée fondamentale et se différenciaient plus par les particularités de leurs présentations que par la substance de leur enseignement (Mises 1933, p. 214). Dès la fin de la décennie, les positions de Mises, comme celles de Hayek, sur l’équilibre général et plus généralement la nouvelle orthodoxie néoclassique, se seront profondément transformées, entre autres dans la foulée du débat sur le calcul socialiste déclenché par les travaux publiés par Mises au début des années vingt (Mises 1922). C’est principalement sous l’influence de Mises et de Hayek, que s’opère le virage libéral associé à l’école autrichienne. Ce virage aura un impact important en Angleterre, alors que des contacts se nouent, au début des années vingt, entre libéraux anglais et autrichiens. L’ouvrage de Mises sur la monnaie et les cycles (Mises 1912) réalise une synthèse entre la vision de la monnaie de Menger, la conception du capital de Böhm-Bawerk et sa généralisation par Wicksell qui ouvre la voie à Hayek et à une théorie des fluctuations cycliques qui restera peut-être, dans les années trente, l’apport le plus original de l’héritage autrichien, et l’arme principale des libéraux contre le keynésianisme.

Outre Mises, le plus connu des autrichiens de la troisième génération est Schumpeter. Son œuvre a eu beaucoup d’impact sur la pensée économique contemporaine. Mais elle est aussi inclassable. Pour Hayek, et surtout Mises, Schumpeter ne fait pas partie de l’école autrichienne, sauf peut-être dans son tout premier écrit. Séduit selon eux par les sirènes positivistes et donc proche du cercle de Vienne, admirateur de Walras et de Marx, Schumpeter joue un rôle important dans la naissance de l’économétrie, honnie des autrichiens modernes. Il n’en reste pas moins que Schumpeter, comme plusieurs membres de la génération suivante, a produit une œuvre fondamentalement hétérodoxe, dont certains éléments majeurs relèvent de la tradition autrichienne. L’insistance sur le temps, la monnaie, le rôle de l’entrepreneur, la conception générale du progrès économique et des crises, en [41] sont des exemples. [31] On peut ainsi mettre en parallèle des passages importants de Hayek (1929) et Schumpeter (1939), entre autres l’idée des crises comme passage obligé pour le progrès dans les économies capitalistes.

La quatrième génération

Une nouvelle génération autrichienne émerge après la guerre et comprend d’autres noms qui deviendront célèbres : Friedrich Hayek (1899-1992), que nous avons déjà rencontré [32], Gottfried Haberler (1900-1995), Ludwig Lachmann (1906-1990), Fritz Machlup (1902-1983), Oskar Morgenstern (1902-1977), Paul N. Rosenstein-Rodan (1902-1985). Cette génération est celle de la diaspora, puisque ses membres quitteront tous Vienne, à la fois pour des raisons de manque de poste et en liaison avec la montée du nazisme et l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne. On les retrouvera à Londres, mais principalement aux États-Unis, à Chicago, Princeton, New York, Cambridge et ailleurs.

À Vienne, on se partage entre le séminaire de Mayer à l’Université et celui de Mises qui se réunit à la Chambre de commerce. Plusieurs participent simultanément aux rencontres animées par les deux adversaires. Des visiteurs étrangers sont reçus et donc soumis à l’influence du courant de pensée initié par Menger, dans sa diversité et ses contradictions. Vienne est pour l’économie ce qu’elle est encore pour plusieurs autres domaines de la pensée et de la création humaine, mathématiques, sciences, philosophie, psychologie, peinture, cinéma : un incomparable vivier. Il est hors de doute qu’il y a des réseaux d’influences réciproques entre ces divers domaines et que le prestige de l’économie autrichienne est rehaussé par celui de la culture viennoise.

Dispersée géographiquement, la quatrième génération de l’école autrichienne l’est plus encore théoriquement, même si chacun de ses membres est dépositaire de certains éléments de la singularité viennoise qui marqueront à des degrés divers la pensée économique contemporaine. Parmi les économistes formés par Wieser, Böhm-Bawerk et le séminaire de Mises, Schumpeter, Haberler, Machlup et Morgenstern feront leur niche dans l’orthodoxie, mais avec des idiosyncrasies autrichiennes : connaissance imparfaite, processus dynamiques de marché, importance du temps, de la méthodologie.

Élève de Wieser et de Mises, Machlup est souvent considéré comme le plus néoclassique des Autrichiens de cette génération. Il a d’ailleurs proposé une définition de l’école autrichienne dans laquelle il est difficile de voir ce qui la distingue de l’orthodoxie néoclassique. Mais en même temps, Machlup est l’auteur d’une production abondante et typiquement autrichienne dans le domaine de l’épistémologie [42] et de la méthodologie. Il s’est beaucoup intéressé, dans la dernière partie de sa carrière, à tout ce qui entoure la connaissance. Pendant son époque viennoise, son ami Alfred Schutz, lui aussi participant du séminaire de Mises, a tenté une synthèse de la sociologie weberienne, de la phénoménologie de Husserl et de l’économie autrichienne, dont il a entretenu Machlup.

Le destin de Morgenstern est plus singulier. C’est, comme Schumpeter, un auteur profondément original, au tempérament d’ailleurs difficile. Il fut l’un de ceux qui participaient simultanément aux séminaires de Mayer et de Mises. Intéressé tout au long de sa carrière par des questions méthodologiques, il est toujours demeuré très critique, sinon même hargneux, face à l’orthodoxie walrasienne. Mais en même temps, il a contribué, avec le mathématicien von Neumann, à l’élaboration de la théorie des jeux qui a constitué un puissant levier de l’équilibre général dans l’après-guerre. [33] Karl Menger, le fils de Carl, qui a été étroitement associé aux travaux de von Neumann dans les années 1930, dans le cadre du séminaire de mathématiques qu’il animait, prétend que la vision de Menger pointe plus naturellement en direction de l’application économique par Morgenstern de la théorie des jeux de von Neumann que le travail mathématique de l’école de Lausanne (K. Menger 1973).

Avec Mises, qui a eu une forte influence sur lui au début de sa carrière, c’est Hayek qui demeure l’un des plus fidèles aux thèses autrichiennes, en rejetant l’orthodoxie walrasienne, formaliste et mathématique. Ce rejet se manifeste clairement dans la deuxième moitié des années trente. Mais on en trouve les signes avant-coureurs dans les tout premiers travaux de Hayek. Par ailleurs, en dépit de leurs convergences à ce sujet, Hayek et Mises s’éloigneront de plus en plus l’un de l’autre sur le plan philosophique et méthodologique. Il suffit pour s’en convaincre de lire ces propos que Hayek n’a d’ailleurs pas publié de son vivant : “Mises lui-même était toutefois, plutôt davantage que les premiers autrichiens, un utilitariste strictement rationaliste, ce qui n’était pas complètement conciliable avec son subjectivisme fondamental et particulièrement avec son rejet de la possibilité de comparaisons interpersonnelles d’utilité, ou de mesure du bien-être” (Hayek 1992, p. 55).

Il n’entre pas dans le cadre de ce texte de considérer l’évolution et l’influence de la pensée de Hayek et de Mises après la Deuxième Guerre mondiale, évolution qui mène à la naissance, dans les années 1970, d’un courant autrichien véritablement organisé en école, campant dans une opposition résolue au néoclassicisme. Mais dès avant la guerre, des jalons importants des positions futures de Hayek et Mises avaient été fixés, que nous avons brièvement mentionnés en évoquant par exemple le débat sur le calcul socialiste. Les premières publications de Hayek consistent en une élaboration de la théorie de la monnaie et des cycles présentées [43] par Mises (1912). [34] Ces travaux lui vaudront d’être invité par Lionel Robbins, en 1931, à prononcer des conférences à la London School of Economics, où il obtiendra finalement un poste de professeur et restera jusqu’en 1950.

Hayek devient alors l’économiste autrichien le plus célèbre, et c’est dans le cadre d’une campagne, politique aussi bien que théorique, contre l’ascendance des thèses de Keynes, que Robbins l’invite à Londres. C’est donc le camp autrichien qui fournit les principales munitions à la résistance contre la révolution keynésienne. Keynes ne s’y trompera pas, qui réagira très brutalement à Hayek en ridiculisant ses thèses tout en prenant très au sérieux ses critiques du Treatise on money (1930) et en les utilisant dans le processus de transformation du Treatise en Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936). C’est en partie sa défaite dans ce combat, parallèle à celui qu’il mène contre Knight – inspirateur de l’école de Chicago – sur la théorie du capital et contre les “socialistes de marché”, qui amène Hayek, après qu’il eut complété The pure theory of capital (1941), à se tourner de plus en plus exclusivement vers la réflexion politique et philosophique.

Ce n’est pas le moindre paradoxe dans cette histoire que de voir Keynes, qui attaquait les classiques dans la Théorie générale, dire de Hayek qu’il n’était pas un classique mais un néoclassique (Keynes 1971-89, vol. 14, p. 24). Un autre paradoxe, beaucoup plus important, est que plusieurs éléments de la position méthodologique de Keynes, concernant par exemple le rôle du temps et de l’incertitude, les anticipations, la critique de la formalisation et de l’équilibre général, ressemblent aux positions autrichiennes et en particulier à celle de Hayek. [35]

ÉPILOGUE

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La révolution keynésienne semble porter un coup fatal à un courant de pensée dont la plupart des porte-parole professent un libéralisme radical. Et pourtant Friedrich Hayek, défait par Keynes dans les années 1930, prépare une revanche qui commence avec la création de la Société du Mont-Pèlerin en 1947. Autour de Mises, qui enseigne aux États-Unis, se constitue le noyau de ce qui deviendra, dans les années 1970, un courant autrichien structuré qui mène la lutte contre l’interventionnisme, pour un libéralisme radical. À côté du monétarisme, avec lequel il ne faut pas le confondre, [36] il constitue l’un des vecteurs de ce qu’on appelle le néolibéralisme. Autrichien de nom, ce courant est désormais en grande partie américain de nationalité. Adversaire acharné du keynésianisme, il l’est aussi de l’orthodoxie néoclassique, en particulier dans sa variante walrasienne. Les publications se multiplient, alors que des programmes d’études autrichiennes sont mis sur pied dans [44] certaines universités. L’Institut Ludwig von Mises, installé à l’Université Auburn et qui publie le Austrian Economic Newsletter et la Review of Austrian Economics est un vecteur majeur de l’école, comme le Centre pour l’étude des processus de marché de l’Université George Mason, le séminaire d’économie autrichienne de New York et la Society for the Development of Austrian Economics. Les auteurs associés à ce courant sont unis dans leur rejet de la théorie de l’équilibre général et de la mathématisation de l’économie, mais leurs positions méthodologiques, théoriques et politiques varient, entre les disciples de Mises qu’on peut qualifier de libertariens, dont Murray Rothbard est le chef de file, les partisans de Hayek et sa conception des ordres spontanés et les tenants d’un subjectivisme plus radical, inspirés par Lachmann et Shackle.

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[1] Sur cette période de l’histoire de l’école autrichienne, on consultera Longuet (1998). On y trouvera en outre une bibliographie sur la littérature, très abondante, consacrée à l’école autrichienne.

[2] Grundsätze der Volkswitschaftslehre. Chose étonnante, ce livre, dont une seconde édition a été publiée en 1923, n’a jamais été traduit en français, et il fallut attendre 1976 pour qu’une première traduction anglaise voit le jour, sous le titre Principles of economics. La traduction anglaise du titre est anachronique, car le terme “economics” n’avait pas encore remplacé l’expression “political economy” pour désigner la discipline.

[3] Alors qu’on écrirait “Autrichien” pour désigner une personne de nationalité autrichienne, nous écrivons “autrichien” pour indiquer qu’il s’agit d’un économiste rattaché à l’école autrichienne.

[4] Sur Menger, on consultera Alter (1990), Caldwell (1990), Hicks et Weber (1973).

[5] À sa mort, Menger avait rassemblé l’une des plus importantes bibliothèques de sciences économiques et sociales jamais possédée par un particulier.

[6] Sauf pour les textes cités d’après une édition française, les traductions sont de nous.

[7] Voir à ce sujet Streissler (1990), qui identifie une tradition allemande “protonéoclassique”.

[8] Voir à ce sujet Rothbard (1976).

[9] La plupart des économistes autrichiens ont d’abord reçu une formation juridique.

[10] Qu’on peut traduire par “interprétation”, “compréhension”.

[11] Pour Alter (1990), le mouvement romantique, dont faisait partie Savigny, comme la philosophie idéaliste, à travers Fichte et Schelling, ont exercé une influence importante sur Menger et l’école autrichienne. La conception mengerienne de lois exactes trouverait son origine chez Fichte. Plusieurs éléments de la pensée de Menger le rapprocheraient aussi de Hegel. Il s’en séparerait par son rejet de l’idéalisme. Cela n’est pas sans ressembler à la relation que Marx voyait entre la pensée de Hegel et la sienne.

[12] Voir à ce sujet Madison (1994).

[13] Parmi les principaux membres de cette deuxième génération de l’école historique allemande, on compte Albert Schäffle, qui a occupé la chaire d’économie politique de Vienne avant Menger, Lujo Brentano, Adolf Wagner, Karl Bücher et Georg Knapp.

[14] Mais le fils de Carl Menger, le mathématicien Karl, a écrit que son père, comme les économistes autrichiens de l’époque, n’avait pas une connaissance approfondie des mathématiques et ne s’était mis à l’étude du calcul intégral et différentiel qu’en 1890, sans parvenir à maîtriser cette discipline (K. Menger 1973, p. 44-45).

[15] Voir à ce sujet O’Driscoll et Rizzo (1984).

[16] Ces regroupements comportent une part d’arbitraire. Certains classent Böhm-Bawerk et Wieser dans la deuxième génération de l’école.

[17] On trouvera dans la bibliographie les titres originaux et les données de publication de ces livres.

[18] Dans un débat peu connu, au tournant du siècle, sur la méthodologie de l’économie, le philosophe Benedetto Croce défend, contre les positions mécanicistes de Pareto, des thèses très proches de celles de l’école autrichienne, et en particulier de la praxéologie de Mises.

[19] Sur une rencontre entre Marshall, Böhm-Bawerk et Wieser dans les montagnes tyroliennes, voir Groenewegen 1995, p. 217.

[20] Ainsi Hayek le présente-t-il comme “le plus important adhérent étranger” (Hayek 1992, p. 48).

[21] En référence au règne de l’empereur Joseph II (1765-1790), despote éclairé et progressiste.

[22] Les positions des post-keynésiens, dans ce débat, ne sont pas sans ressemblances avec celles des autrichiens.

[23] Ces propos sont rapportés par Schumpeter à qui Menger lui-même les aurait tenus. Voir Schumpeter (1954), p. 847.

[24] Sur le débat entre marxisme et école autrichienne, voir Dostaler (1978).

[25] Voir à ce sujet Beaud et Dostaler (1993) et Dostaler (2005).

[26] Veblen a critiqué durement les positions de Menger qu’il assimilait à la théorie néoclassique.

[27] Sur Karl Menger, voir Leonard (1998).

[28] “Son énorme ouvrage sur le capitalisme moderne est une monstruosité historique. […] Il était très doué mais il ne s’est jamais donné la peine de réfléchir et de travailler sérieusement. […] Lorsque c’était à la mode d’être marxiste, il s’est déclaré marxiste ; lorsque Hitler prit le pouvoir, il écrivit que le Führer recevait ses ordres de Dieu !” (Mises 1978, p. 103).

[29] Il a étendu ses filets de plus en plus largement en direction de la philosophie, de la psychologie et de l’ethnologie, laissant à sa mort de nombreux manuscrits qui n’ont pas encore été publiés.

[30] Partageant de ce fait les positions de son collègue viennois Othmar Spann, héritier de l’économie “romantique” d’Adam Müller.

[31] Voir Lakomski (2002).

[32] Sur Hayek, voir Dostaler (2001a).

[33] Voir à ce sujet Léonard (1995).

[34] Voir Dostaler (2001b).

[35] Voir à ce sujet Dostaler (1990) et (1999). La plupart des pièces du dossier concernant le duel entre Keynes et Hayek ont été rassemblées dans Hayek (1995).

[36] Ainsi Hayek considère-t-il son allié politique Friedman comme un positiviste logique.


Retour au texte de l'auteur: Dernière mise à jour de cette page le jeudi 2 mars 2023 6:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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