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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean-Marie Fecteau, Un nouvel ordre des choses:
la pauvreté, le crime, l'État au Québec, de la fin du XVIIIe à 1840. (1989)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-Marie Fecteau, Un nouvel ordre des choses: la pauvreté, le crime, l'État au Québec, de la fin du XVIIIe à 1840. Montréal: VLB Éditeur et Jean-Marie Fecteau, 1989, 292 pp. Collection: Études québécoises. Une édition numérique en préparation par Vicky Lapointe, historienne et responsable d'un blogue sur l'histoire et le patrimoine du Québec: Patrimoine, Histoire et Multimédia. [Autorisation formelle accordée par Jean-Marie Fecteau le 13 mai 2004 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Un nouvel ordre des choses :
la pauvreté, le crime, l’État du Québec,
de la fin du XVIIIe à 1840
.

Introduction générale

Dans le foisonnement quotidien des rapports qui constituent l'existence en société, les contours du crime et de la pauvreté apparaissent à l'observateur contemporain comme en creux, témoins plus ou moins bruyants des ratés d'un ordre social dont ils constituent l'envers. L'émergence de l'État providence a contribué à redéfinir la problématique d'approche de ce qu'on se plaît à nommer les problèmes sociaux. Dans la foulée des années soixante, les belliqueuses et désespérantes guerres à la pauvreté ou campagnes contre le crime ont remis à l'ordre du jour la question des politiques d'intervention face à ces phénomènes sociaux. De là à questionner l'historicité propre à ces politiques, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite franchi. La présente étude s'inscrit dans la mouvance de cette enquête historique qui, depuis l'œuvre première de Foucault, interroge les modes de gestion du crime et de la pauvreté.

Le problème de la régulation sociale

Dès l'abord, cependant, nous nous heurtons à un problème lexical majeur. Il n'y a pas de mot pour décrire la prise en compte globale, par un ensemble social, des phénomènes entropiques que constituent l'inégalité des conditions de vie et la criminalité. Plus exactement, les concepts dont on dispose pour saisir cette réalité sont ambigus ou, pire, anachroniques. Ainsi, le terme de politique sociale suppose une volonté politique débouchant sur un ensemble de mesures relativement bien circonscrites : il ne peut donc nous permettre d'appréhender les modes sociaux de [10] prise en charge qui ont précédé l'État providence. D'autre part, le concept de contrôle social, longtemps à la mode, est aussi large qu'ambigu. Comme tel, il évoque d'abord une entreprise rationnelle de réglementation de la vie sociale, d'imposition de la discipline et de l'ordre nécessaires à la cohésion de l'ensemble social. Il peut aussi être interprété, à l'inverse, comme la mise en place d'instruments de domination, d'institutions supports à une logique d'oppression de classe [1]. Dans l'un ou dans l'autre cas cependant, la notion de contrôle ne peut qu'impliquer l'existence d'un projet collectif et délibéré visant la maîtrise d'un problème. Cette intentionnalité postulée empêche de saisir les modes d'appréhension du crime et de la pauvreté comme des enjeux sociétaux, comme des formés de manifestation de conflits fondamentaux où la volonté de contrôle des uns se brise sur l'infinité des petites résistances quotidiennes quand elle ne se heurte pas, le cas échéant, aux grandes révoltes organisées. Ces affrontements entre dominants et dominés, ces essais ratés, ces projets dénaturés, ces réussites équivoques, considérés dans leur ensemble, et soumis à l'analyse, sont pourtant assignables à une logique d'opération. C'est pourquoi j'ai préféré, dans cette étude, le concept de régulation à la notion de contrôle social.

En effet, les principes d'organisation qui donnent son efficace propre à un ensemble social donné déterminent aussi une logique particulière de prise en charge de phénomènes comme la misère et le crime. Cette logique de prise en charge implique l'existence de conflits constants où c'est le désordre qui est premier, et le changement la règle. La régulation sociale dont il sera question ici apparaît donc comme un compromis fragile, toujours remis en question, entre l'exercice de la domination par les classes dirigeantes et la pratique de résistance des classes populaires.

Cela dit, pauvreté et crime ne sont qu'une des multiples dimensions de la régulation sociale. Ils forment des situations critiques, objets d'intervention, dans un paysage social dominé par des institutions de base, tels la famille, l'école, le travail, la [11] religion. On aura compris que ce qui nous intéresse ici est moins l'exercice de la conformité impulsé par ces institutions que la pratique de la difformité trahie par les cas limites que constituent la misère et la criminalité. Celles-ci apparaissent en effet comme le non-dit d'un ordre souvent trop bavard, et instituent ces creux qui permettent de mettre en relief une organisation sociale donnée.

Pour analyser ces phénomènes discordants, il fallait choisir un temps et un espace. Le temps déterminé privilégié est cette période fascinante qui a vu le passage au capitalisme en Occident, entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe siècle, mutation majeure qui nous permet de saisir dans toute leur ampleur les effets d'un mode de régulation en phase de dissolution. L'aire spatiale privilégiée est le Bas-Canada, formation sociale qui, entre 1791 et 1840, dispose d'une relative autonomie politique, ce qui nous permet d'observer les contradictions spécifiques à un mode de régulation en situation coloniale.

Les choix de méthode

Nous entendons traiter, essentiellement, des rapports entre des phénomènes sociaux, tels la pauvreté et le crime, et l'organisation sociale globale. C'est pourquoi nous avons privilégié l'étude des mesures adoptées face à ces phénomènes. On ne trouvera donc pas ici une analyse systématique des formes d'existence et de manifestation de la pauvreté et du crime : on tâchera plutôt d'étudier leur mode de prise en charge par l'ensemble social. Pour ce faire, l'analyse du rôle de l'État est fondamentale : lieu principal de structuration des rapports de classe, l'État est le garant suprême d'un mode donné de régulation. Le rapport des modes d'assistance et de répression à l'État est donc au centre de notre analyse.

D'autre part, une telle analyse, s'appliquant au Bas-Canada de cette période surtout, représente un défi d'envergure. Mises à part quelques études sectorielles extrêmement sommaires, ce champ de recherche n'a jamais été traité systématiquement par l'historiographie québécoise. Dans ces conditions, deux choix se [12] présentaient à nous : faire une étude approfondie d'une institution particulière et de son fonctionnement concret, tels l'hôpital, la maison d'industrie, la prison, ou entreprendre une première synthèse permettant le repérage des caractères principaux de ce champ de recherche, en tentant de déblayer le terrain pour des recherches futures.

Nous avons opté pour la deuxième solution, convaincu qu'on ne peut faire une analyse pertinente d'une institution, comme la prison par exemple, sans connaître son mode d'inscription au sein des autres appareils de contrôle social [2]. Nous sommes conscient des dangers d'une telle entreprise : la tradition historiographique, dans sa sagesse parfois frileuse, veut qu'on ne tente de synthèse qu'après la production de monographies détaillées. C'est ainsi que trop souvent le territoire de l'historien ressemble plus à un champ de taupes qu'à un véritable chantier... Après tout, une recherche planifiée et cohérente ne peut se faire qu'à partir du moment où un ensemble d'hypothèses, un tableau général d'ordre exploratoire aient été mis à jour. C'est le but que nous nous sommes donné.

Sur un autre plan, on pourra s'étonner de la place importante qui est faite, dans ce texte, à l'évolution des modes de régulation sociale en Occident en général. C'est que l'évolution des attitudes comme des mesures prises envers la misère et le crime est fondamentalement un phénomène d'ordre supranational et qu'elle se produit, malgré certaines spécificités locales ou nationales, à un rythme curieusement analogue dans chaque formation sociale occidentale. La remarquable synchronie qui caractérise, par exemple, l'apparition de la prison moderne, ou le développement d'une politique de traitement des aliénés en Angleterre, en France ou aux États-Unis est un phénomène trop souvent négligé. Une analyse en termes d'emprunt ne nous aide aucunement, dans la mesure où le réflexe d'emprunt reste lui-même à expliquer... Il faut plutôt en appeler à l'étroite interdépendance des sociétés occidentales en phase de transition. Cela dit, la tâche délicate de pondérer l'influence différentielle de la [13] conjoncture interne et des exigences tenant au développement global du mode de régulation requiert une analyse plus fine, qui n'est qu'esquissée ici.

Un mot sur les sources. On a eu surtout recours aux sources officielles, telles les journaux des chambres législatives, et aux journaux de l'époque. Les archives judiciaires ont aussi été mises à contribution, mais la richesse de ces archives est telle que d'autres études, plus approfondies, devront être envisagées. À part quelques essais de quantification dont on trouvera un témoignage dans les tableaux et graphiques inclus, nous avons essentiellement procédé par analyse qualitative, notamment dans la prise en compte du discours de l'époque. De plus, à ce stade, étant donné l'état de l'historiographie, nous avons cru bon de procéder à la description, parfois fastidieuse, des institutions mises en place à l'époque, délaissant l'analyse pour un temps [3].

Ce travail est l'aboutissement de 10 ans de recherche. Des institutions comme le ministère de l'Éducation du Québec et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada ont contribué, par leur bourse, à rendre possible cet aboutissement. De même, l'amitié et l'aide de Yves Légaré, Carol Levasseur, Jocelyn Létourneau et Douglas Hay ont été indispensables, comme l'appui reçu de Jean-Paul Bernard, Stanley Bréhaut Ryerson et Allan Greer. Ce livre n'aurait pu, non plus, voir le jour sans la compétence et les facultés de déchiffrage de Gisèle Chabot et Joanne Noël, et la générosité du Service de l'aide à la publication de l'UQAM. Pour sa part, Yves Otis a mis au point le graphisme des figures. Finalement, deux personnes ont joué un rôle tout à fait particulier dans la production de ce texte. D'abord Michelle Perrot, dont la gentillesse et l'ouverture d'esprit ont permis la production de cette analyse, alors qu'elle en était au stade fragile d'une thèse de doctorat à achever... Ensuite Lucie Robert, complice qui reconnaîtra dans cet ouvrage le rival si longtemps toléré...

[14]


[1] Voir l'introduction du recueil de A.P. Donajgrodzki, Social Control in Nineteenth Century Britain, Londres, 1977, pp. 9-26.

[2] Cette décision nous a conduit à élargir notre projet initial, qui consistait en l'étude de la criminalité et de ses instruments de prise en charge au Bas-Canada, après la Conquête.

[3] Les contraintes d'espace à l'édition nous ont amené à supprimer une bonne partie de l'appareil de référence. Le lecteur désireux d'en prendre connaissance devra se reporter à la thèse de doctorat dont ce texte est issu. Voir J.-M. Fecteau, La pauvreté, le crime, l'État. Essai sur l'économie politique du contrôle social au Québec, 1791-1840, Paris, Université de Paris VII, 1983, 480 p.


Retour au texte de l'auteur: Marcel Fournier, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 janvier 2022 13:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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