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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Marcel Fournier, “Intellectuels de la modernité et spécialiste de la modernisation.” In ouvrage sous la direction de Yvan Lamonde et Esther Trépanier, L'avènement de la modernité culturelle au Québec. Québec: L'institut québécois de recherche sur la culture, 1986, 319 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 12 décembre 2002 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, cette oeuvre et toutes celles publiées au Québec.]

[231]

L’avènement de la modernité culturelle
au Québec.

Intellectuels de la modernité
et spécialistes de la modernisation
.”

Marcel FOURNIER

De la monographie, maintenant classique, du sociologue américain Everett C. Hughes, La Rencontre des deux mondes (1943), à l’étude récente de l’ethnologue française Colette Moreux, Douceville en Québec, La modernisation d'une tradition (1982) [1], il est question de l’entrée, à la fois nécessaire et impossible, du Québec dans la « modernité ». Plus que toute autre notion, celle de « modernisation » a été largement utilisée en sciences sociales pour qualifier l’évolution socioculturelle de cette communauté francophone qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cherche à quitter le monde de la tradition pour s’insérer dans la voie de développement et devenir une société urbaine et technique.

Dans sa définition sociologique la plus large, que l’on peut dire wébérienne, l’adhésion à la modernité signifie le refus de la tradition en tant que mode de connaissance, le rejet de toute conduite qui procède par répétition inconsciente de schèmes comportementaux culturellement transmis. Cette « entrée dans la modernité » s’accompagne, par ailleurs, d’une prétention à la rationalité, dont une forme, et une forme seulement, est le rationalisme (foi dans la raison, l’évidence et la démonstration, et critique du mysticisme). Une telle prétention à la rationalité suppose la recherche des moyens les plus adéquats à la réalisation de finalités, habituellement à court terme et généralement à caractère utilitaire, et conduit à la [232] rationalisation, c’est-à-dire, pour reprendre une formulation de J. Habermas, à l’élaboration d’actions rationnelles par rapport à des fins.

L’une des premières formes que prend habituellement l’adhésion à la modernité est l’élaboration d’une idéologie : celle du progrès. Elle est une volonté d’entrer dans le « monde moderne » et, depuis la fin du XIXe siècle, dans le monde de l’industrie, de la technique, de la science et de la grande ville. Dans cette perspective, la modernisation d’une société apparaît étroitement associée à son industrialisation. Plus précisément, le mot qualifie divers processus qui sont corrélatifs à cette transformation structurelle et morphologique [2] : d’abord une mobilisation de la population (mobilité géographique et sociale de groupes sociaux, transfert des emplois et des qualifications, etc.) ; ensuite une différenciation sociale (des sous-systèmes sociaux, des rôles et des statuts, et aussi des groupes sociaux eux-mêmes) ; et enfin une laïcisation des institutions (séparation de l’Église et de l’État, autonomie des institutions scolaires, culturelles et scientifiques, etc.). Quel que soit leur rythme, ces divers changements exigent et entraînent, au niveau des modes de vie et de pensée, une plus grande individualisation et, au niveau de la gestion des ressources tant individuelles que collectives (l’État), une plus grande rationalisation, assurée par la spécialisation et par la professionnalisation des savoirs.

Industrialisation et urbanisation, mobilisation politique, différenciation sociale et laïcisation, individualisation, rationalisation et professionnalisation des savoirs, autant de termes qui, empruntés tantôt au jargon scientifique tantôt au vocabulaire politique courant, permettent de parler d’une manière un peu plus précise du vaste mouvement de « modernisation » dans lequel sont entraînées toutes les sociétés contemporaines en changement. Pour leur part, témoins, analystes et (parfois) critiques de « l’entrée dans la modernité », les sciences sociales trouvent dans ce changement la condition même de leur propre développement. La contribution particulière de ces « nouvelles » disciplines est l’imposition, dans l’élaboration même des représentations que la société se donne d’elle-même, d’un nouveau rapport à la vie sociale et politique : la recherche de solutions à des problèmes ne peut plus reposer sur le seul respect de la doctrine ou de la tradition, ni sur la seule compréhension de textes savants (culture lettrée) ; elle exige le recours à la science, c’est-à-dire l’acquisition systématique de connaissances exactes que seules assurent la collecte et l’analyse de données objectives. À leur manière, les sciences sociales participent à la « spécialisation-professionnalisation » des savoirs. À la tradition séculaire, à l’ignorance des générations précédentes et à l’amateurisme, bref, au sens commun, elles opposent la compétence scientifique et le savoir du spécialiste.

Au Québec, les sciences sociales fourniront un premier effort d'objectivation de l’entrée, pour certains trop tardive et pour d’autres trop rapide, de cette société dans la modernité. L’impact de cette nouvelle démarche sera d’autant plus grand que, non seulement elle introduit un nouveau code de connaissance opposée [233] au savoir doctrinal et à la culture lettrée, mais aussi elle propose de nouvelles représentations de la réalité sociale elle-même. La signification du développement des sciences sociales sera, au Québec, doublement politique : d’une part, celles-ci remettront en question la légitimité des savoirs et des modes de gestion des élites dites « traditionnelles » (l’Église, le gouvernement, les notables locaux, etc.), d’autre part, elles contribueront à l’élaboration d’une nouvelle idéologie, celle du « rattrapage » qui, par l’établissement de comparaisons avec d’autres situations (au Canada anglais, par exemple), exige l’intériorisation du « regard de l’autre ». Parle seul fait d’identifier le « retard » de la collectivité francophone et d’en chercher, d’une manière empirique, les causes (mentalité traditionnelle, système d’éducation inadéquat, absence de capitaux, passivité des élites, etc.), les spécialistes en sciences sociales ne pourront pas échapper au débat politique qui, central au Québec, a pour objet « le destin du Canada français » : la lecture qu’ils feront de la réalité collective obligera en effet à une reformulation de la « question nationale ». L’enjeu que présenteront les sciences sociales sera donc double et, d’une manière indissociable, culturel et politique : il en va à la fois du rapport à la réalité (la vérité) et du rapport à soi et aux autres (l’identité).

INTELLECTUELS DE LA MODERNITÉ
SPÉCIALISTES DE LA MODERNISATION


Pour la longue période qui va de la fin du XIXe siècle au début des années 1950, il faut distinguer, dans le développement des sciences sociales, deux phases distinctes, non seulement dans les problématiques mais aussi dans les conditions d’exercice de l’activité intellectuelle. La première phase est celle des « pionniers des sciences sociales ». Par leur préoccupation même pour la « question sociale », ces précurseurs s’inscrivent dans le mouvement de mise en valeur du progrès, de lutte pour la démocratie et de promotion de la science, et apparaissent ainsi comme des intellectuels de la modernité : leur volonté ou leur prétention est d’introduire la rationalité (scientifique) dans la compréhension et la gestion de la réalité sociale. Cette génération d’intellectuels, celle des Errol Bouchette, Étienne Parent, Léon Guérin, et autres, se différencie de celle des spécialistes des sciences sociales qui leur succèdent : au moment de la Seconde Guerre mondiale, ceux-ci constituent la modernisation de la société québécoise comme objet d’étude et participent à la « professionnalisation » des savoirs (mise sur pied de départements universitaires, création de revues spécialisées, organisation de colloques, etc.). Du passage d’une phase à l’autre, les agents-symboles sont : Édouard Montpetit (1881-1951), premier secrétaire de l’Université de Montréal et fondateur, en 1920, des Écoles des sciences sociales, économiques et politiques de l’Université de Montréal, et le R.P. G.H. Lévesque, o.p. (1903-), fondateur, en 1938, de l’École des sciences sociales, économiques et politiques de l’université Laval. A la manière d’un idéal-type, nous pouvons dégager les caractéristiques sociales, scolaires, professionnelles et intellectuelles de l’une et l’autre génération à l’aide du schéma suivant :

[234]

SCHÉMA

Caractéristiques sociales des intellectuels et spécialistes en sciences sociales



Ces deux groupes ou générations d'intellectuels se distinguent l'une de l'autre tout autant par la nature de leurs activités intellectuelles (enseignement, [235] recherches, publications) que par les conditions dans lesquelles ils y accèdent et les exercent. Sous ces divers aspects, la distance qui sépare les précurseurs ou pionniers des spécialistes des sciences sociales apparaît très grande, mais le passage de la culture lettrée au savoir professionnel ne s’est opéré que graduellement et par l’intermédiaire d’agents qui souvent participaient de l’une et l’autre culture. La double polarisation caractérise tout particulièrement la période de l’entre-deux-guerres et explique largement les diverses tensions et contradictions qui se manifestent dans la vie intellectuelle de cette époque et chez ceux qui l’animent. Entre les intellectuels de la modernité et les spécialistes de la modernisation, se situent tous ceux qui, au lendemain de la Première Guerre mondiale et pendant la crise économique, apparaissent à la fois fascinés par le « modernisme » et inquiets de « l’envahissement du progrès moderne », pour reprendre une expression d’Édouard Montpetit. Par sa trajectoire et par sa personnalité, cet intellectuel qui fut secrétaire de l’Université de Montréal, illustre, mieux que tout autre, la difficulté d’effectuer le passage de l’une à l’autre culture : avocat du changement, il demeure fidèle au passé et, sans renier l’autorité de la doctrine, il cherche à subordonner l’action à la rationalité [3]. Que ce soit l’Université de Montréal, le Jardin botanique ou l’École du meuble, les institutions mises sur pied dans l’entre-deux-guerres sont aussi traversées par ces diverses tensions : installée sur la Montagne dans des édifices « modem style » conçus par l’architecte E. Cormier, la « nouvelle » Université de Montréal a pour devise « Fide splendet et scienîia » (Foi et Science) ; initiative du frère Marie-Victorin, le Jardin botanique relève tout autant du jardin public que du laboratoire de recherche et de l’institution d’enseignement ; de l’École du meuble, son premier directeur J.M. Gauvreau fait tout autant une école spécialisée qu’un lieu de formation générale (enseignement de l’histoire de l'art, des arts visuels, etc.) [4].

Du point de vue des sciences sociales et de ceux qui s’y intéressent, l’« entrée dans la modernité » signifie, dans un premier temps, la critique de la tradition et du sens commun (ou de l’« ignorance ») et exige une redéfinition de l’identité collective, c’est-à-dire de la représentation sociale que la collectivité canadienne-française s’est donnée d’elle-même à travers les luttes antérieures. L’effort d’objectivation auquel invitent les sciences sociales se traduit alors par une « mise à distance » (ou relativisme culturel), dont les conditions sont à la fois la découverte de l’étrange (les Amérindiens) et l’intériorisation du regard de l’étranger (l'Anglo-Saxon). Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les études empiriques menées au Québec portent sur les Amérindiens et sur le Canada français rural, et sont menées habituellement soit par des chercheurs étrangers — Radin et Sapir, en anthropologie, Miner et Hughes, en sociologie —, soit par des chercheurs québécois — L. Gérin et M. Barbeau — qui vivent à l’extérieur du Québec (c’est-à-dire à Ottawa) [5].

LA DÉCOUVERTE DE L’ÉTRANGE

Au tout début du XXe siècle, le gouvernement fédéral manifeste, par intérêt à la fois scientifique et politique, une préoccupation toute particulière, pour les [236] populations aborigènes du Canada. En 1909, l’on prévoit, au sein de la commission géologique du ministère des Mines d’Ottawa, « l’engagement d’un ethnologiste expérimenté et savant » et la mise sur pied d’une division d’anthropologie. C’est ainsi qu’on peut lire :

Le moment semble propice pour commencer un travail sérieux et systématique d’ethnologie et d’anthropologie canadienne. Ce travail doit être entrepris immédiatement, ou il sera trop tard, car les matériaux seront perdus à tout jamais et les générations futures seront dans l’impossibilité de trouver des données authentiques au sujet des races aborigènes de leur pays [6].

Déjà au milieu du XIXe siècle, le gouvernement voisin des États-Unis avait manifesté une telle préoccupation et créé, en 1864, le Bureau of American Ethnology et, le rattachant au Geological Federal Survey, en avait confié la direction à un ingénieur, le major John Wesley Powell [7]. L’intérêt pour l’anthropologie est aussi présent dans les milieux universitaires et muséologiques américains : engagement en 1886 d’un professeur d’anthropologie, Daniel G. Brinton, à l’Université de Pennsylvania, premier véritable enseignement de l’anthropologie à l’université Harvard par F. W. Putman du Peabody Muséum, mise sur pied de musées d’ethnologie et d’archéologie à Chicago, New York et Berkeley, etc. Enfin, entre les années 1900 et 1920, alors qu’il est engagé par l’American Museum of National History et par l’université Columbia, l’anthropologue d’origine allemande Frantz Boas joue un rôle déterminant dans le développement de cette nouvelle discipline universitaire : pendant ces deux décennies, il fait école et forme ceux qui occuperont les postes de directeur et de professeur dans les universités américaines.

L’influence de Boas au Canada est d’autant plus grande que, non seulement les chercheurs canadiens doivent tenir compte de ses études sur les Esquimaux du Canada — The Eskimo of Buff Land and Hudson Bay (New York, American Musrum of Natural History, 1901) —, mais aussi la première véritable équipe de chercheurs en anthropologie est constituée de jeunes anthropologues, tels E. Sapir et P. Radin, formés aux États-Unis sous sa direction : ces chercheurs ne peuvent alors, en raison d’une nouvelle réglementation, espérer recueillir des informations sur les populations aborigènes du Canada qu’à la condition d’être à l’emploi de la Commission géologique du Canada. Le premier directeur de la Division d’anthropologie est E. Sapir lui-même ; parallèlement à son travail d’administration (et d’organisation d’une salle d’anthropologie canadienne au Victoria Muséum), il effectue une « tournée de reconnaissance » des diverses réserves d’Iroquois et d’Algonquins de l’Ontario et du Québec, et poursuit ses recherches ethnologiques et linguistiques [8]. Dès la première année (1910-1911), l’équipe que dirige E. Sapir comprend un archéologue, H.F. Smith, un aide-ethnologue, M. Barbeau, et un sténographe. Sont aussi associés à cette équipe des professeurs d’université : A.A. Goldenweiser, de l’université Columbia, qui étudie, pendant l’été 1910, l’organisation sociale des Iroquois de la rivière Grande Réserve ; M.C. Mechling de Philadelphie, qui mène des recherches ethnologiques et linguistiques auprès des Indiens micmacs du Nouveau-Brunswick ; et C. MacMillan de l’Université McGill qui étudie le folklore des Micmacs de la Nouvelle-Écosse. Rapidement [237] l’équipe de chercheurs s’élargit et se divise en trois sous-groupes ou sections (Ethnologie et linguistique, Archéologie et Archéologie physique) ; au groupe original, se sont ajoutés, en 1912-1913, les Mackling, Tart, Waugh et Stefanson. L’organisation de la Division d’anthropologie semble suffisamment forte pour permettre à la Commission géologique de mettre sur pied, dès 1913-1914, une première grande expédition scientifique canadienne dans l’Arctique : sous la direction de N.U. Stefanson, cette expédition réunit des géographes, des géologues, des biologistes et aussi des anthropologues (M.D. Jenness de Nouvelle-Zélande et M.H. Beuchat de France [9]).

Parmi les membres de « cette grande équipe canadienne d’ethnologie » [10], Marius Barbeau est le seul qui soit canadien-français. Ce jeune Beauceron, diplômé en droit de l’université Laval (1907) [11], revenait à peine, d’un séjour d’études en Angleterre où, grâce à la bourse Cecil Rhodes, il avait effectué des études en anthropologie à l’Université d’Oxford sous la direction du professeur Marett et y avait défendu en 1910 sa thèse « The Totemic System of North Western Indian Tribes of North America ». Pendant ce séjour de trois ans en Europe, Barbeau se rendit aussi en France, s’inscrivit à l’Ecole d’anthropologie de Paris et suivit des cours de Marcel Mauss à l’Ecole pratique des hautes études.

Les premières recherches que Barbeau mène à la Commission géologique portent sur les Hurons et les Iroquois et consistent à réunir des « données relatives à leur ethnographie générale, à savoir leur statistique sociale, leur force sociale et leur technologie » [12]. Dès 1911-1912, celui-ci enregistre aussi sur phonographe plus de deux cents chants, travail qu’il poursuivra l’année suivante chez les Salishes de Colombie-Britannique. Et rapidement, il diffuse le résultat de ses réflexions et de ses enquêtes, d’abord au Canada, dans le Bulletin de la Société de géographie du Québec et dans la Série anthropologique [13] que publie la Commission de géologie, et ensuite aux Etats-Unis, dans les importantes revues spécialisées, The American Anthropologist et The Journal of American Folklore [14]. Barbeau participe alors activement aux activités de l’American Anthropological Association et de l’American Folklore Society, dont il fonde une section au Canada et dont il deviendra le président en 1918 ; il est aussi, à partir de 1915, co-éditeur de la revue de la Société, The Journal of American Folklore.

Tout en demeurant très actif dans les milieux scientifiques américains, M. Barbeau entreprend de mieux faire connaître, auprès du grand public, la discipline qu’il pratique : il multiplie les conférences, non seulement à la Société royale du Canada et dans les universités canadiennes, mais aussi devant des groupes, associations et clubs divers (The Women’s Civil Service Association, l’Institut canadien d’Ottawa, le Gastronomie Club, la Bonne Entente League, le Women’s Press Club, le Rotary Club, etc.) et il publie de nombreux textes, chansons et contes dans les journaux de Montréal, de Québec, d’Ottawa et de Toronto [15]. Enfin il obtient la notoriété en recevant, à deux reprises, en 1925 et 1929, le premier prix de la section anglaise du Prix David, décerné par le gouvernement du Québec, pour les ouvrages [238] Indians' Days in the Canadian Rockies (Toronto, MacMillan Co., 1923) et The Downfall of Tenlaham (Toronto, MacMillan Co., 1928).

La carrière intellectuelle de Barbeau peut se diviser en deux parties : une première période où il effectue un travail d’anthropologue auprès des Indiens de l’Est et de la côte Nord-Ouest et, à partir des années 1920, une seconde période où il se transforme en véritable folkloriste et consacre de plus en plus de temps à la collecte de chansons, principalement auprès des populations francophones rurales du Canada. De Barbeau, au moment de sa retraite en 1948, le directeur du Musée national du Canada, F.J. Alcock, fournira l’appréciation suivante :

Le Musée perd avec regret les services du docteur Marius Barbeau qui fut membre du personnel pendant trente-sept ans [...]. Importante fut sa contribution à l’anthropologie canadienne par ses études des Indiens du Nord-Ouest et ses études des chansons de folklore et du folklore du Canada français. Le Musée a maintenant sa collection de plus de dix mille chansons folkloriques indiennes et françaises [16].

Dans son Essor des sciences sociales au Canada français, Jean-Charles Falardeau parlera de Marius Barbeau, comme d’un « chercheur isolé qui a silencieusement poursuivi ses travaux », qui s’est, d'une part, adonné « à d’innombrables enquêtes ethnographiques auprès des groupes indiens du Canada » et qui, d’autre part, « a très tôt dirigé ses curiosités vers la campagne québécoise » où, « impressionné par la richesse du répertoire traditionnel de légendes, de contes et de chansons, il s’en est fait le collectionneur inlassable » [17].

L’orientation intellectuelle que prend Barbeau, au début des années 1920, n’est indépendante ni de la division du travail de recherche qui s’opère à la Commission géologique, avec la venue de l’anthropologue Diamond Jenness, ni du contexte social et politique québécois marqué par le renouveau du mouvement nationaliste. Même s’il participe rarement aux débats politiques, Marius Barbeau s’est en effet attribué une véritable mission, celle de « sauver du naufrage notre répertoire oral » et de « le conserver précieusement au Musée national, à son véritable titre de relique » ; il associe la « survivance du Canada français » à la sauvegarde du « trésor infiniment précieux » que constituent « notre folklore, nos contes, nos légendes et nos chansons ». Inquiet du déclin de la culture au Canada français et soucieux d’éviter son américanisation, Barbeau apparaîtra pessimiste, au début des années 1940 :

Que sont devenus les Bailargé, les Quevillon, les Ranvoyé, les brodeuses d'ornements du Monastère des Ursulines, les doreuses de l’Hôpital Général, les tisseuses de ceintures fléchées, les faiseuses de fromage raffiné, les conteurs de contes, les chanteurs de complaintes, les beaux danseurs du temps passé et les diseuses de légendes fantastiques, dont s’inspirèrent Fréchette, Suite, l'abbé Gasgrain et Beaugrand ? En disparaissant, ces anciens Canadiens ont apporté avec eux notre habitation, nos arts, nos amusements, nos fêtes, notre cuisine, nos coutumes, notre mode de vie, notre culture.

Aujourd'hui, ballotés par les soubresauts de l'industrie moderne et poussés par les vents d’opinions contradictoires, nous errons à l’aventure, dépaysés et en quête de nouveautés. On détruit partout les maisons de pierre [...]. Les habitants au lieu de [239] rire et de chanter comme ils le faisaient naguère, songent à passer à la ville ou à la voirie, et les ouvriers devenus maussades, font la grève sur le tas ou chôment dans leur taudis [18].

Paradoxalement, le seul moyen d’assurer la survivance française en Amérique est, dans cette perspective, de « conserver nos traditions ».

L’isolement et les luttes parlementaires des Canadiens français sont des circonstances purement externes. Ils servirent à réveiller le sentiment national. Mais il en est autrement de leurs traditions ancestrales dans les campagnes et dans les villes. Ces traditions, qui constituent la base même de la survivance, comprennent trois branches principales : la tradition intellectuelle et littéraire, conservée dans les séminaires, les couvents et les écoles ; la tradition manuelle des arts et métiers, qui se perpétuait de maîtres à apprentis ; et la tradition orale, parmi la masse rurale et même urbaine de la population. On comprendra que la perte des deux dernières devient aujourd’hui un élément important de tout le problème de la survivance [19].

Mais le nationalisme de Barbeau est plus canadien qu’il n’est proprement canadien-français : il s’agit certes de maintenir le « fait français » en Amérique, mais pour autant que cette action contribue à la « formation d’une nouvelle âme canadienne » :

Cette expression de l’âme canadienne ne peut manquer de trouver son vocabulaire et son souffle dans les vieilles civilisations qui l’ont formée, particulièrement celles de la France et de l’Angleterre, [...]. Des milliers de colons et d’artisans français apportèrent avec eux les traditions du Moyen Age et de la Renaissance qui constituaient un incomparable trésor spirituel et esthétique. De cette transfusion vitale naquit, en Amérique, une Nouvelle-France qui, non seulement perpétua les arts utiles, les dires, les chants et les coutumes de l’Ancienne, mais, dans son isolement, y attacha une valeur centuplée et se fit, en conséquence, leur fidèle conservatrice [...]. Et il en est ainsi à un moindre degré du patrimoine ancestral des nations britanniques — anglaises, écossaises, irlandaises — qui collaborent avec l’élément français à la formation d’une nouvelle âme canadienne, l’âme d’une grande nation moderne [20].

La naissance de l’anthropologie au Canada, comme d’ailleurs dans les autres sociétés occidentales, exprime, au niveau des individus et des institutions, une prise de conscience du relativisme culturel et elle est étroitement liée à l’entrée dans la modernité. Cependant, le contexte social et politique de l’unification des deux Canada et de la création, en 1867, de la Confédération donne au développement de cette discipline une signification particulière. Par les rapports de force qu’elle traduit, la Confédération tend à instituer la différence comme enjeu social et politique : sous le regard de l’autre, cette différence devient tantôt un handicap tantôt un objet de musée (folklore). Si, au tournant du siècle, deux collectivités, les Amérindiens et les Canadiens français, tombent sous le regard attentif d’anthropologues, d’ethnologues et de folkloristes, il ne faut pas en imputer la raison seulement à la manifestation d'une curiosité intellectuelle que provoque la (redécouverte de l’étrange, au moment où celui-ci risque d’être détruit par le mouvement de modernisation de la société ; la constitution de ces deux populations en objets d’étude n’est pas dissociable du processus de transformation de ces collectivités, [240] avec leur culture, leur langue et leurs traditions propres, en des groupes « ethniques » et minoritaires. La multiplication des études sur la culture des Amérindiens et sur le folklore des régions rurales du Canada français ne serait donc, dans une certaine mesure, qu’un effet de la « folklorisation » de ces collectivités.

LA PRISE DE DISTANCE

Parmi les intellectuels qui ont tenté de « définir et de canaliser le destin du Canada français », Léon Gérin (1863-1951) est l’un de ceux qui apparaissent, par leur formation, leurs recherches et leurs publications, les plus étroitement associés à la naissance des sciences sociales au Canada : rétrospectivement, Léon Gérin sera identifié comme le « père de la sociologie canadienne », il deviendra un précurseur et un modèle pour les « jeunes » spécialistes en sciences sociales de l’« Ecole de Laval » [21].

Tout comme M. Barbeau, Léon Gérin refuse d’entreprendre une carrière juridique après des études en droit à l’université Laval, pour s’intéresser, lors d’un séjour à Paris (1885-1886), à la science sociale, qu’enseignent l’abbé de Tourville et Desmoulins, deux disciples de Le Play ; en cela il suit aussi l'itinéraire de son père, Antoine Gérin-Lajoie, qui fut tour à tour avocat, journaliste, historien, écrivain et conservateur de la bibliothèque du Parlement fédéral et qui, dans son roman à thèse, Jean Rivard, s’est, semble-t-il [22], servi de la méthode d’observation des familles mise au point par Le Play. A .son retour, Léon Gérin « gagne son sel », selon son expression, comme fonctionnaire au gouvernement fédéral, d’abord comme secrétaire de ministres (1892-1903) et ensuite comme chef de la traduction des débats de la Chambre des communes (1903-1925). Dans ses loisirs, il cherche, par l’exploitation méthodique d’un domaine dans les Cantons de l’Est, à réaliser l’idéal du défricheur-économiste décrit par son père dans Jean Rivard [23] et, d’une manière habituellement solitaire, il mène des activités de recherche en sciences sociales et humaines, et réalise des monographies minutieuses auprès de familles rurales canadiennes-françaises. Compte tenu de ses conditions sociales et intellectuelles, sa production est étonnamment grande : publication de nombreux articles dans la revue française La Science sociale — une vingtaine d'articles entre 1891 et 1912 —, présentation régulière de mémoires à la Société royale du Canada, où il est élu membre dès 1948, publication des ouvrages Le Type économique et social des Canadiens, Milieux agricoles de tradition française et Aux sources de notre histoire, etc. [24]

Le modèle d’intellectuel que représente Léon Gérin est particulier, pour ne pas dire atypique : refusant d’assimiler la science sociale à la morale catholique, il entend donner à cette discipline la précision, le degré de certitude et le crédit dont jouissent les sciences exactes. Son mot d’ordre est : « Du positif ! Du positif ! »

Je n’ai qu’un vœu à exprimer : c’est qu’on implante chez nous le plus tôt possible l’étude de la science sociale. Aucun peuple, aucun groupe de population n'aurait plus que nous le besoin de connaître les lois qui régissent les phénomènes sociaux et les groupements humains, les facteurs qui assurent la prospérité et la force des nations ; et pourtant aucun peuple ne néglige plus que nous l’étude de cette science [...]. La science sociale serait pour nous un agent puissant de réforme et de progrès. Hâtons-nous de combler cette lacune de notre éducation avant qu’il soit trop tard [25].

Le seul fait de ne pas trouver son inspiration doctrinale dans le catholicisme et de « se vouloir religieux sans fanatisme, patriote sans chauvinisme » le met en marge des milieux intellectuels et politiques canadiens-français. D’ailleurs, il participe lui-même peu aux grands débats politiques ; certes, à quelques occasions, dans le cadre d’articles ou de conférences, il défend ses points de vue, propose des réformes, par exemple celle du système d’enseignement, et ose même faire la morale [26], mais lorsqu’il prend la parole en public, c’est le plus souvent pour vulgariser les résultats de ses recherches. L’effort que propose Léon Gérin à ses concitoyens en est principalement un de distanciation et d’objectivation, ce qui implique dans le contexte des années 20 et 30, non seulement une mise à l’écart discrète de la doctrine sociale de l’église, mais aussi une critique de la rhétorique nationaliste. Déjà identifiée à la modernité et à ceux qui la défendent [27], la science sociale se trouve ainsi rapidement entraînée dans le conflit qui longtemps, au Québec, opposera le « social » au « national ».

À la fois par le poste qu’il occupe dans la fonction publique fédérale et par l’éducation qu’il a reçu à Ottawa, Léon Gérin est plus que tout autre intellectuel francophone, disposé à jeter un regard critique sur le Canada français.

Je partageais mes récréations, confie-t-il, entre le groupe anglicisant et le groupe « vieux-français ». Il était facile de faire la comparaison, et la supériorité du groupe anglicisant pour la rigueur de l’initiative, était trop évidente pour que je n’en fusse pas frappé, même à l’époque [28].

L’adhésion de Léon Gérin à la théorie de son maître français Desmoulins le conduira aussi à reconnaître la supériorité de la collectivité anglo-saxonne : cette théorie veut que le progrès économique, social et politique repose sur l’éducation du particulier et sur la formation à l’initiative, et donc exige, comme on le voit en Angleterre, le passage de la « famille communautaire » à la « famille particulariste ». Même s’il demeure admiratif devant plusieurs traits culturels de la famille canadienne-française, (bonté des gens, vénérabilité des personnes âgées, productivité des femmes d’habitants, etc.) et qu’il valorise les usages français de même que des traditions familiales et religieuses, le « premier sociologue canadien » n’en porte pas moins un jugement sévère sur sa collectivité qu’il invite au changement, c’est-à-dire à acquérir certains traits culturels et à adopter certaines institutions anglo-saxonnes : éveil de l’esprit d’initiative, réforme du collège classique, formation d’hommes d’affaires et d’industriels, etc. Une telle prise de position sera, il ne faut pas s’en étonner, critiquée. Pourquoi être « jaloux de la supériorité d’autres races » et ne pas « garder la foi des aïeux avec la foi en notre mission », lui demandera-t-on ? [29] Tout se passe comme si on lui reprochait d’avoir, en prenant ses distances, intériorisé le « regard de l’étranger », celui des intellectuels canadiens qu’il côtoie [30] et aussi celui d’« observateurs anglo-américains » qui, après avoir [242] étudié le Canada français, y reconnaissent une « nationalité passive » et se plaisent à parler de sa « tardivité » [31].

LE REGARD DE L’ÉTRANGER

Dès les années 1920 et 1930, l’originalité du Canada français au plan culturel suscite, chez les sociologues et anthropologues américains, un grand étonnement, au point de les inciter à y entreprendre des recherches empiriques. Présentant le livre d’Horace Miner, St. Denis, A French-Canadian Parish, Robert Redfield écrit que la contribution de cette excellente étude est de « permettre de voir en quoi la société paysanne canadienne-française ressemble aux peuples primitifs ». Et se référant au poids de la tradition, au consensus entre les membres de la communauté, à la force de la foi et à l’omniprésence de la famille, il ajoutera : « Bref, ces habitants ont une culture ». Mais cette culture (traditionnelle) dont on peut identifier les « traits essentiels », est une culture qui, au contact de la « civilisation moderne ou industrielle », est en voie de transformation [32].

La problématique qui sous-tend cette analyse est celle du passage de la société traditionnelle à la société moderne ; elle sera, sous des formes différentes, à la base des diverses études, par exemple celle d’un autre sociologue américain, Everett C. Hughes. La contribution de ce sociologue, qui est professeur à l’université McGill à partir de 1927 et à l’université Laval au début des années 1940, est d'autant plus importante que, non seulement elle introduit un nouveau rapport à la réalité sociale et politique, mais aussi elle fournit une lecture différente du « destin du Canada français ». Dans le mouvement même où il invite ses étudiants et ses collègues québécois à étudier les divers aspects de la réalité sociale qu’il considère comme importants [33] et à adopter sa conception (et son éthique) de la recherche en sciences sociales, Hughes leur propose une problématique théorique, qui met l’accent sur « l’unité organique de la société » et postule « la fonctionnalité des relations entre les institutions ». Identifiée au « fonctionnalisme », cette problématique, que Hughes emprunte à son « maître » Robert K. Park, contraint l'enquêteur social à « trouver la place de chaque problème, de chaque institution dans le tout dont ils font partie » [34]. La signification d’une institution ne peut plus, dès lors, être déterminée à priori ou en référence à une doctrine : elle en perd son caractère universaliste pour être relativisée, c’est-à-dire mise en relation avec d’autres institutions et, par là, avec l’ensemble de la dynamique d’une société.

Appliquée au Québec, cette perspective acquiert, dans la conjoncture de l’après-guerre, une dimension manifestement politique, dans la mesure où elle remet en question la vision « naïve » que se font de leur société l’élite traditionnelle et les intellectuels nationalistes : les problèmes auxquels est confrontée la collectivité francophone ne peuvent s’expliquer ni par la Conquête de 1760 ni par les seules relations politico-juridiques entre le Québec et le Canada. Beaucoup plus déterminante est la manière dont la société québécoise est, depuis son industrialisation et son urbanisation, organisée et structurée : évolution et répartition de la population sur le territoire, évolution de la structure des occupations, développement des [243] établissements industriels, rôle de la famille et de la paroisse, plus ou moins grande adaptation du système d’enseignement, etc. Dans son étude monographique de Cantonville (Drummondville), E.C. Hughes pose lui-même la question du Canada français en terme de « décalage » : face aux transformations économiques, c’est-à-dire à une « révolution industrielle tardive » dont les agents sont étrangers, le Canada français maintient une mentalité et des institutions qui, « orientés vers une autre et précédente condition économique », ne répondent plus aux « exigences plus variées et plus hautement techniques de la vie métropolitaine et industrielle ». L’un des meilleurs exemples que l’on puisse apporter du retard est l’absence d’« entrepreneurship » qui, caractéristique du Canadien français, le relègue au secteur de la petite entreprise. L’étude, que réalisera le sociologue américain Norman W. Taylor avec l’aide financière de la Carnegie Corporation et dans le cadre de ses études de doctorat à la Yale University (1957), et qui porte sur l’industriel canadien-français, en fournira la démonstration : la culture canadienne-française constitue, par nombre de ses traits (sens de la famille, individualisme ou esprit d’indépendance, primauté des relations personnelles dans la conduite des affaires, etc.), un facteur explicatif de la position inférieure que les Canadiens français occupent dans le champ économique [35]. Cette étude, tout autant que les études antérieures d’E.C. Hughes sur la division ethnique du travail et que celles qu’elles ont suscitées (Brazeau et autres), relient l’infériorité (économique ou autre) à la culture canadienne-française, c’est-à-dire à une culture qui apparaît comme l’envers de la culture nord-américaine.

Elève, ami et « héritier » d’E.C. Hughes, le sociologue Jean-Charles Falardeau fera sienne la problématique du « passage de la société traditionnelle à la société moderne » : le « drame » du Canada français ne se situe pas, comme le pensent alors les intellectuels nationalistes, sur le plan des relations constitutionnelles entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, mais sur le plan de « l’antinomie entre la civilisation urbaine et américaine et l'identité religieuse et culturelle du Canada français ». Dans l’un de ses premiers écrits, Falardeau tente de répondre à la question : « Existe-t-il une culture canadienne-française ? » et identifie ce qu’il appelle le « something different » du Canada français. Cette analyse comporte une évaluation sévère de ses concitoyens et de leurs défauts : complexe de vassalité et de jeunesse à retardement, xénophobie latente, colonialisme, une sorte d’ouverture, de mesquinerie intellectuelle, tendance à un insularisme parfois intransigeant [36].

OBJECTIVITÉ ET IDENTITÉ

Tout au cours des années 1940 à 1950, les spécialistes en sciences sociales, qu’a réunis autour de lui, à l’université Laval, le R.P. Lévesque, o.p., poursuivent cette analyse critique de la société canadienne-française : ils font le procès des chefs nationalistes qui rêvent d’une utopique Laurentie et veulent isoler le Québec du monde par « un mur de Chine politique, religieux et linguistique » [37]. Leur refus d’un « nationalisme ethnocentrique » et leur parti pris pour le progrès et la modernité [244] les amènent à reformuler la « question du Québec » : il faut cesser de déplorer les effets de la Conquête pour analyser systématiquement ceux de l’industrialisation. Ces professeurs en sciences sociales de l’université Laval organisent, en 1952, un important symposium sur les « répercussions sociales de l’industrialisation dans la province de Québec » : réunies en un ouvrage, Essais sur le Québec contemporain, sous la direction de Jean-Charles Falardeau, les diverses communications, qui se veulent « modestes et réalistes », tentent, par « une série de tableaux discontinus », d’identifier les conditions de l’industrialisation (localisation géographique, ressources naturelles, etc.) et de cerner ses effets sur la vie sociale et culturelle [38]. L’intention est claire : il s’agit de dénoncer les « fausses idées claires touchant l’évolution du Québec ». Dans son texte, « Perspectives », Falardeau s’attaque lui-même aux « chefs nationalistes dont la rhétorique a élaboré l’image d’un Canada français aigri et révolté contre les autres », et aussi au clergé qui « a trop longtemps offert à notre méditation l’image idéalisée de nous-mêmes », tout se passant comme si « les situations de fait et les sentiments réels de la population » ne correspondaient » plus à l’« image officielle du Canada français qui est proposée par certains interprètes de la société » [39]. Pour cette génération de spécialistes en sciences sociales, il apparaît urgent de modifier le rapport à la réalité sociale et politique pour « comprendre le Canada français en deçà de la théologie et au-delà des habitudes nationalistes : l’effort doit, et ils le démontreront quelques années plus tard dans l’analyse qu’ils feront, en collaboration avec des journalistes et des syndicalistes, de la « grève de l’amiante », en être un « d’objectivation et de relation avec la réalité ». Ainsi, Falardeau remarque :

La société au milieu de laquelle nous vivons se transforme plus rapidement que la connaissance que nous en avons [...]. Le Québec qu’on disait auparavant rural s’urbanise et s’industrialise à un tempo accéléré ; des industries ont proliféré ; des villages autrefois isolés ont perdu leur cachet archaïque ; des populations nombreuses ont migré de partout ; les contacts urbains se sont multipliés ; la structure et les moeurs traditionnelles de la paroisse et de la famille sont en voie de s’altérer, surtout dans les régions-frontières récemment ouvertes à une colonisation planifiée. Sous-jacentes à ces phénomènes, il y a des raisons profondes, et ce n’est pas en dissertant à priori sur un ton lyrique ou apologétique que nous parviendrons à les comprendre d’abord ni ensuite à leur appliquer les politiques les plus adéquates [40]. (L’italique est de nous.)

Depuis son retour d’un séjour d’études à l’Université de Chicago, Jean-Charles Falardeau poursuit une carrière d’enseignement et de recherche : il est le premier francophone à le faire dans une institution universitaire québécoise. Autant son itinéraire intellectuel que sa position à l’université le confrontent au défi de doter les sciences sociales d’un caractère scientifique. Et non seulement (re)découvre-t-il Léon Gérin, mais aussi il établit ses recherches et celles des chercheurs de sa génération une filiation directe.

Il est grand temps que nous nous mettions, avec patience et sincérité, à l’étude de notre société (...]. L’essentiel est de nous mettre à la besogne, en recommençant à la suite de Léon Gérin une série de recherches qui nous apprendront à ouvrir les yeux et à comprendre les réalités sociales qui nous entourent [41].

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CONCLUSION

Entre les intellectuels de la modernité et les spécialistes de la modernisation, il y a manifestement une filiation. Jean-Charles Falardeau revendique, pour l’« École de Laval », l’héritage de Léon Gérin. De même, lorsqu’au milieu des années 1940 sont créées à l’université Laval les Archives de folklore, la responsabilité en est confiée à Luc Lacoursière, un « disciple » de Marius Barbeau ; il prend aussi la charge des cours de folklore que l’ethnologue-folkloriste a donnés pendant quelques sessions aux étudiants en lettres et en sciences sociales.

Tout comme leurs précurseurs, les membres de la « nouvelle » génération des spécialistes en sciences sociales ont comme caractéristique commune d’être des intellectuels-experts et de parler de politique, d’éducation et de religion sans être ni hommes politiques, ni membres du clergé. Une telle position les conduit à instituer un nouveau rapport à la politique : tout l’art (et l’habileté) de l’intellectuel-expert consiste à « faire de la politique » sous un mode apolitique, c’est-à-dire, sans être lié à une organisation politique ou partisane, sans être « politicien ». Le discours enflammé fait place à la prose sobre, la critique virulente des adversaires à l’analyse des situations. La tribune et le public aussi sont différents : présentation de conférences sur des thèmes sérieux auprès d’auditoires « avisés », diffusion d’articles dans les revues intellectuelles et savantes, publication d’essais et d’ouvrages, etc.

Diverses transformations ont rendu possible, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’apparition de ces « nouveaux » intellectuels. Notons, d’une part, la relative saturation du marché des professions libérales et, d’autre part, l’ouverture de deux nouveaux secteurs d’emploi, celui des communications et du journalisme, et celui de la fonction publique, avec l’organisation, en 1867, d’un système fédératif. L’un et l’autre secteur en forte expansion exige une main-d’oeuvre plus nombreuse et plus qualifiée. Des jeunes quittent alors les « sentiers battus », ils abandonnent une « belle » carrière juridique pour s’orienter vers le journalisme et le fonctionnariat, et privilégier un mode d’intervention indirecte dans le champ politique : non pas l’action militante et la prise de décision, mais le conseil et la critique.

Avec le développement que connaissent, en milieu universitaire, les sciences sociales, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le mode d’intervention propre à l’intellectuel-expert prend une nouvelle dimension : le refus de l’autorité traditionnelle et de l’amateurisme, et le mépris de la médiocrité et de l’ignorance conduisent à l’élaboration d’une véritable « culture du professionnalisme ». La culture savante s’identifie de plus en plus à la science et au savoir du spécialiste ; son lieu d’élaboration n’est plus le salon ni la bibliothèque, mais le « laboratoire » (ou travail sur le terrain), le colloque scientifique et la revue universitaire. Pour qualifier ces changements, l’on parle indissociablement de spécialisation et de « professionnalisation » ; l’intention est de reconnaître la plus grande autonomie et le nouveau statut social acquis par les spécialistes et les chercheurs en sciences sociales dans la poursuite de leurs activités de réflexion, d’enseignement et de recherche.

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Le passage vers cette spécialisation-professionnalisation ne s’est effectué que lentement : pendant un long moment, l’autonomie dans le secteur des sciences sociales est demeurée toute relative. Pour ne prendre qu’un exemple, le conflit qui oppose la sociologie à la morale ne se résout, à la fin des années 1940, qu’avec le compromis que représente l’élaboration d’une conception dualiste des sciences sociales : l’une et l’autre restent « chacune à son degré de Savoir » et se fournissent une « assistance mutuelle », la sociologie se limitant à « dire ce qui est » et laissant à la morale tout le domaine du normatif, du « ce qui doit être » [42]. Le défi ou la difficulté, pour plusieurs intellectuels, confrontés dans l’entre-deux-guerres, à cette double exigence, est — et on le voit avec les Esdras Minville, Arthur Saint-Pierre, François-A. Angers — de vouloir concilier les contraires : accepter le changement tout en demeurant fidèles au passé et subordonner l’action à la rationalité sans renier la doctrine. Souvent associés au mouvement clérico-nationaliste, ces intellectuels apparaissent à la fois fascinés par le modernisme et inquiets de ses répercussions et, dans leur volonté même de renouveler le conservatisme, ils ne peuvent ignorer les « nouvelles » sciences sociales.

Enfin, tout comme la doctrine sociale (de l’Eglise), le nationalisme constitue un obstacle au développement des sciences sociales : de Léon Gérin à Jean-Charles Falardeau, les spécialistes des science sociales combattent « l’inclination à la réflexion théorique, apologétique et sentimentale » pour « multiplier les observations concrètes et personnelles » [43]). Mais les membres des mouvements nationalistes ne peuvent longtemps ignorer la contribution des sciences sociales : conscients que « le patriotisme exige la parfaite connaissance de son pays », ils sont rapidement apparus soucieux de réunir des données exactes sur la situation du Canada français. Dès l’ouverture en 1920 de l’Ecole des sciences de l’Université de Montréal, la revue L'Action française, dirigée par l’abbé Lionel Groulx, lance le mot d’ordre : « Étudions les sciences sociales ! ». Les intentions sont manifestement de nature politique : l’histoire, la géographie et, d’une manière particulière, l’économie doivent alors être mises à contribution pour doter le Canada français d’une histoire, d’un territoire, d’une vie économique et d’une culture (ou d’une âme) qui lui soient spécifiques. L’œuvre monumentale d’un abbé Groulx (1878- 1967) est plus que la description d’événements et la constitution d’une chronologie : la construction d’une telle histoire nationale s’articule autour d’une perspective politique, qui veut « spiritualiser l’Amérique », et assure le renforcement de la conscience et de la fierté nationale. De même, dans son ouvrage, Terres et Peuples du Canada, la géographe Émile Miller (1885-1922) ne se limite pas à la seule description de la géographie du Canada ni à la seule étude des caractéristiques de ses populations (démographie, apparence physique, langue, religion, etc.) : son étude se veut un hommage à la Laurentie et aux populations qui l’habitent avec leurs « vertus anciennes d’aménité, d’amour d’ordre, du beau et de la richesse perpétuées dans des corps trempés d’endurance aux souffles vivifiants du nord » [44]. Cette volonté de « connaître le pays » et de le nommer est aussi à l’œuvre en sciences naturelles : par l’utilisation du terme « Laurentie » et par la volonté de dégager systématiquement les caractéristiques naturelles du territoire qu’occupent [247] les Canadiens français, la « publication » de la Flore laurentienne du frère Marie-Victorin s’inscrit explicitement dans la lutte nationale. Mais, parce que la question nationale apparaît d’abord comme une question économique, l’économie est, beaucoup plus que les autres disciplines, sollicitée, au moment de la crise de 1929, pour « mettre dans l’organisation de notre vie, plus de recherche, plus de savoir et plus de réflexion » ; de cet effort pour comprendre le « problème national canadien-français », la manifestation la plus éloquente est la publication, sous la direction d’Esdras Minville (1896-1975), d’une série d’« Études sur notre milieu » : ce portrait socio-économique de Montréal (1942), de L’Agriculture (1943), de La Forêt (1944) et de La Pêche et la Chasse (1945), constitue l’une des premières grandes études empiriques menées au Québec. À cette vaste enquête, l’on peut aussi associer les travaux que mènera, à l’École des hautes études commerciales, l’économiste Patrick Allen sur l’évolution de la structure occupationnelle au Québec et au Canada (W. Larkin et P. Allen, Tendances occupationnelles au Canada, Service de la documentation économique, HEC, Montréal, 1951).

Tout comme les sciences sociales ne peuvent, de par leur objet, contourner la « question nationale », ceux que mobilise cette question ne peuvent négliger le « regard objectif » de ces disciplines : le double mouvement qui lie et oppose les sciences sociales à la question nationale contribuera au renouvellement du mouvement nationaliste lui-même, tout en favorisant l’élaboration d’un nouveau discours sur la collectivité canadienne-française et son avenir.

Le nationalisme et le catholicisme ont pu constituer un frein au développement de ces disciplines, mais rapidement, pour maintenir leur influence, ces mouvements doivent à la fois se renouveler et composer avec les « nouveaux savoirs positifs ». Rien n’arrête le Progrès !

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NOTES du chapitre 8

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[1]    E.C. Hughes, French Canada in Transition, Chicago, The University of Chicago Press, 1943 ; La Rencontre des deux mondes, Montréal, Parizeau, 1945 ; C. Moreux. Douceville en Québec, La modernisation d’une tradition, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1983.

[2]    Au sujet de la notion de modernisation, voir : K. McRoberts et D. Postgate, Développement et modernisation du Québec, Montréal, Boréal Express, 1983.

[3]    Marcel Fournier, « Édouard Montpetit et l’Université moderne ou l’échec d’une génération », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 36, no 1, 1982, pp. 3-29.

[4]    Marcel Fournier, Entre l’école et l’usine, Montréal, Éditions A. Saint-Martin, 1980 ; F. Descarries-Bélanger, M. Fournier et L. Maheu, « Le frère Marie-Victorin et les petites sciences ». Recherches sociographiques, XX, 1, 1979, pp. 7-46.

[5]    Parmi les pionniers des sciences sociales au Québec, il faut aussi inclure Cari A. Dawson qui, originaire des Provinces maritimes et diplômé de l’Université de Chicago, donne en 1922 le premier cours de sociologie à l’université McGill. La plupart de ses recherches portent sur le peuplement des grands espaces de l’Ouest canadien. Dawson est aussi le co-auteur d’un manuel qui connaît du succès (C. A. Dawson et W.E. Gettys, An Introduction to Sociology, New York, The Ronald Press Company, 1929, 764 p. Réédition en 1935 et 1948). Au sujet de la carrière de Carl. A. Dawson, voir : D. Hall, « Cari A. Dawson, 1887-1967 », La Revue canadienne de sociologie et d’anthropologie, vol. 1, n° 2, mai 1964, pp. 115-117.

[6]    Rapport sommaire de la commission géologique du ministère des Mines pour l'année 1909, Ottawa, 1910, p. 2.

[7]    Regina Darnell, « The Professionalization of American Anthropology : A Case Study in the Sociology of Knowledge », Information sur les sciences sociales, 10 (2), avril 1971, pp. 91-96.

[8]    Rapport sommaire de la commission géologique du ministère des Mines pour l’année 1910, Ottawa, 1911, p. 7.

[9]    Moins d’un an après le début de l’expédition (1914), Beuchat meurt accidentellement. Marcel Mauss dira de ce chercheur français associé à l’école sociologique française : « 11 avait un remarquable talent de linguiste et d’observateur. Il savait infiniment de choses et les savait bien. » (M. Mauss, « L’œuvre inédite de Durkheim et de ses collaborateurs », l’Année sociologique, 1925, in Oeuvres, tome 3, Paris, Éditions de Minuit, 1969, p. 489.) Dans le cadre de l’expédition canadienne dans l'Arctique, Jenness publie huit ouvrages. Les premiers s’intitulent Life of the Copper Eskimos (1922), Physical Characteristics of the Copper Eskimos (1923) et Myth and Tradition from Northern Alaska (1924).

[10]   Selon l’expression de Marcel Rioux, « Marius Barbeau (1883-1969) », Revue canadienne de sociologie et d'Anthropologie, vol. 6, no 2, février 1969, p. 62.

[11]   Pour une bio-bibliographie de Marius Barbeau, voir Clarisse Cardin, Bio-bibliographie de Marius Barbeau, École de bibliothéconomie. Université de Montréal, 1942. Fils de commerçant de Sainte-Marie-de-Beauce, Barbeau entreprend un cours commercial chez les frères des écoles chrétiennes avant de s’inscrire au Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière pour y faire son cours classique (1897-1903).

[12]   Marius Barbeau, « Travail sur les Hurons », in Rapport sommaire de la commission géologique du ministère des Mines pour l’année 1911-1912, Ottawa, 1914, pp. 397-402.

[13]   Les premiers textes de Barbeau sont : « Some Aspects of Puberty Fasting among the Ojibwas », Anthropological Series, I, Ottawa, 1913, 10 p. ; « Some Myths and Taies of the Ojibwas of Southern Ontario », Anthropological Series, 2, Ottawa, 1914, 83 p. ; « The Social Organization of the Winnebogo Indians », Anthropological Series, 5, Ottawa, 1915, 40 p. ; « Literacy Aspects of North American Mythology », Anthropological Series, 6, Ottawa, 1915, 51 p.

[14]   L’analyse des articles publiés par M. Barbeau entre 1910 et 1940 (Sources : C. Cardin, Bio-bibliographie, op. cit.) permet de constater que près de 30% de ses 136 articles ont paru à l’étranger, principalement aux États-Unis. Dès 1914, Barbeau publie un article « Supernatural Beings of the Huron and Wyandot », dans l’American Anthropologist, vol. XVI, no 2, April-June 1914, pp. 288-313. On retrouve la même proportion pour les livres et les brochures : 16 sur 49 sont publiés par des maisons d’éditions américaines.

[15]   Les journaux dans lesquels M. Barbeau publie le plus grand nombre de textes entre 1910 et 1940 sont La Presse de Montréal (90) et Le Droit d'Ottawa (37).

[16]   F.J. Alcock, in Musée national du Canada, Rapport annuel du Musée national, 1947-1948, Ottawa, 1949.

[17]   Jean-Charles Falardeau, L’Essor des sciences sociales au Canada français, Québec, ministère des Affaires culturelles, 1964, pp. 40-41.

[18]   Marius Barbeau, « Déclin de la culture canadienne », L’Action nationale, vol. 17, février 1942, pp. 133-134. Dans ses « Commentaires », le directeur de la revue, André Laurendeau, manifeste aussi, face aux résultats de l’enquête sur « l’existence d'une culture canadienne-française distincte », son pessimisme : « Jamais sinon aux lendemains de 1760 et de 1837, nous n’avons à ce point douté de nous-mêmes. » (L'Action nationale, vol. 17, février 1941, p. 143).

[19]   Marius Barbeau, « Notre tradition, que devient-elle ? », Culture, II, 1941, p. 8.

[20]   Marius Barbeau, « L’âme d’une grande nation moderne », La Revue de l’université Laval, vol. 5, no 3, novembre 1950, p. 217.

[21]   Jean-Charles Falardeau, « Introduction à l’œuvre de Léon Gérin », Recherches sociographiques, vol. I, no 2, avril-juin 1960, p. 129. Voir aussi Hervé Carrier, s.j., Le sociologue canadien Léon Gérin, 1863-1951, Montréal, Les Éditions Bellarmin, 1960.

[22]   Selon l’hypothèse d’Arthur Saint-Pierre, secrétaire de l’École sociale populaire et professeur à l’École des sciences sociales, économiques et politiques de l’Université de Montréal (La Littérature sociale canadienne-française avant la Confédération, Montréal, Éditions de la Bibliothèque canadienne, 1951, pp. 81 et suivantes).

[23]   Voir aussi le portrait que Léon Gérin trace de son père dans Antoine Gérin-Lajoie : la résurrection d'un patriote canadien, Montréal, Éditions du Devoir, 1925. Voir aussi L. Gérin et l’habitant de Saint-Justin, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1968.

[24]   Léon Gérin, Le Type économique et social des Canadiens. Milieux agricoles de traditions françaises, Montréal, Bibliothèque de l’ACF, 1937 ; Aux sources de notre histoire. Les conditions économiques et sociales de la colonisation française en Nouvelle-France, Montréal, Éditions Fides. Les monographies sont considérées comme « l’activité la plus originale et la plus féconde » de Léon Gérin. Dans son étude, commencée en 1886, de la Famille Casaubon à Saint-Just, celui-ci réalisera diverses monographies de familles rurales : en 1887 à Saint-Dominique, en 1903 à l’Ange-Gardien, en 1920 et en 1929 à Saint-Irénée, etc. Le Type économique et social des Canadiens, publié en 1937 et réédité en 1948, réunit ces études.

[25]   Léon Gérin, « M. Desmoulins et la science sociale », la Revue canadienne, vol. 56, avril 1904, p. 356.

[26]   Léon Gérin, « Le mouvement intellectuel », Mémoires de la Société royale du Canada, 2° série, VI, 1901 ; « La Loi naturelle du développement de l’instruction populaire », la Science Sociale, XXV, juin 1893, pp. 522 et 5.

[27]   Jean-Charles Falardeau, L'Essor des sciences sociales au Canada français, Québec, ministère des Affaires culturelles, 1964 ; Arthur Saint-Pierre, « Esquisse historique de la pensée sociale au Canada français, 1910-1935 », Culture, XVIII, 1957, pp. 316-325.

[28]   Léon Gérin, « La Loi naturelle du développement de l’instruction populaire », op. cit., p. 378.

[29]   Abbé J.-A.M. Brosseau, « Étude critique du livre A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons », la Revue canadienne, vol. 56, avril 1904, p. 356. La réponse de Léon Gérin paraît la même année sous le titre « M. Desmoulins et la science sociale » in la Revue canadienne, vol. 56, avril 1904, p. 356.

[30]   À Ottawa, Léon Gérin entretient des relations amicales, non seulement avec l’économiste Errol Bouchette et l’historien Benjamin Suite, mais aussi avec le géologue G.W. Dawson, l’astronome Klats et le statisticien Coats (H. Carrier, Le Sociologue canadien, Léon Gérin, op. cit.). Membre de la commission géologique du ministère des Mines, Dawson s’est intéressé aux populations des territoires qu’il visitait. (« Notes on the Indian Tribes of the Yukon District », Annual Report of Geological Survey of Canada, Ottawa, 1887, 27 p.)

[31]   Voir Berton Ledoux, « Une communauté médiévale moderne. Le Canada français ». Relations, no 17, mai 1942, pp. 115-126.

[32]   Robert Redfield, « Introduction », in H. Miner, St. Denis, A French Canadian Parish, Chicago, University of Chicago Press, 1939. Voir Horace Miner, « Le Changement dans la culture rurale canadienne-française », (1938), in M. Rioux et Y. Martin, La Société canadienne-française, Montréal, HMH, 1971, pp. 77-89.

[33]   E.C. Hughes, « Programme de recherches sociales pour le Québec », Cahiers de l’école des sciences sociales de l’université Laval, vol. 2, no 4, 1943, 41 p. Ces aspects sont : la famille et son influence sur le choix professionnel des enfants, la paroisse comme institution sociale, les problèmes fondamentaux d’une grande ville, etc.

[34]   Ibid., p. 15.

[35]   Norman W. Taylor, « L’Industriel canadien-français et son milieu », Recherches sociographiques, vol. 2, no 2, avril-juin 1961, pp. 123-150. Cette thèse a été l’objet de nombreuses discussions mais ce n’est que tout récemment qu’elle a été réfutée systématiquement : voir Arnaud Sales. La Bourgeoisie industrielle au Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1978.

[36]   Jean-Charles Falardeau, « Existe-t-il une culture canadienne-française définitive ou en voie de disparition ? », L'Action nationale, XI, mars 1941, p. 206.

[37]   Jean-Charles Falardeau, « Les Canadiens français et leur idéologie », in Mason Wade. La Dualité canadienne, Québec, Presses universitaires Laval, 1960. p. 37. Voir aussi « Notre culture : un phare ou une lampe de sanctuaire ? ». Le Devoir, 9 janvier 1960, p. 4.

[38]   Jean-Charles Falardeau, (dir.), Essais sur le Québec contemporain, Québec, Presses universitaires Laval, 1964.

[39]   Jean-Charles Falardeau, « Perspective », in Essais sur le Québec contemporain, op. cit., p. 248.

[40]   Jean-Charles Falardeau, « Analyse sociale des communautés rurales ». Les Cahiers de la faculté des sciences sociales de l’université Laval, vol. 3, no 4, 1944, p. 5. Voir aussi Jean-Charles Falardeau, « Préface », in P.E. Trudeau, La Grève de l'amiante, Montréal, Cité Libre, 1956.

[41]   Ibid., p. 6.

[42]   R.P. G.-H. Lévesque, o.p., « Sciences sociales et Progrès humain », La Revue de l’université Laval, vol. 3, no 1, septembre 1948, pp. 37-41. Voir Marcel Fournier, « L’institutionnalisation des sciences sociales au Québec », Sociologie et Sociétés, vol. 5, no 1, 1972, pp. 27-57.

[43]   Jean-Charles Falardeau, « Problems and First Experiments of Social Research in Quebec », The Canadian Journal of Economics and Political Science, IV, 1944, p. 370.

[44]   Émile Miller, Terres et Peuples du Canada, Montréal, Beauchemin, 1912. Voir notre étude : Marcel Fournier, « Autour de la spécificité ». Possibles, vol. 8, no 1, 1983, pp. 85-115.


Retour au texte de l'auteur: Marcel Fournier, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 juillet 2021 8:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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