RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Martin Geoffroy, L'étude du mouvement du nouvel âge au Québec. Bilan et prospective”. Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean-Marc Larouche et Guy Ménard, L'étude de la religion au Québec. Bilan et prospective, chapitre 22, pp. 227-235. Québec, Presses de l'Université Laval, 2001. [L'auteur nous a accordé le 5 octobre 2007 son autorisation de diffuser électroniquement cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Martin Geoffroy 

L'étude du mouvement du nouvel âge au Québec.
Bilan et prospective
”. 

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean-Marc Larouche et Guy Ménard, L'étude de la religion au Québec. Bilan et prospective, chapitre 22, pp. 227-235. Québec, Presses de l'Université Laval, 2001.
 

Introduction
 
BILAN
 
La perspective « critique »
La perspective chrétienne
La perspective sociologique
 
PROSPECTIVE
 
Bibliographie

Introduction 

 

Depuis le début des années quatre-vingt, le mouvement du nouvel âge (NA) a pris une ampleur sans précédent un peu partout dans le monde occidental. Au Québec, les premiers reportages sur le phénomène commencent à être diffusés dès la fin des années quatre-vingt, mais ce n’est qu’au début des années quatre-vingt-dix que des chercheurs québécois ont commencé à publier des études plus approfondies sur cette mouvance « holistique [1] ».

 

BILAN

 

Dans un premier temps, notre texte fera la recension des ouvrages à caractère scientifique les plus marquants qui ont été réalisés au Québec. Bien que la littérature nouvel-âgiste en tant que telle ne fasse pas l’objet de ce texte, elle pourrait sûrement constituer en elle-même un objet d’analyse. Il s’agit beaucoup plus ici de recenser les travaux qui concernent le nouvel âge de l’extérieur et qui tentent de poser un regard scientifique sur le sujet. Nous estimons qu’il y a trois types principaux de littérature « scientifique » concernant le NA. Le premier type est de nature « critique » parce qu’il est fait, la plupart du temps, par des gens qui se situent partiellement dans la mouvance holistique, très souvent des défenseurs de certaines thérapies holistes. Mais ceux-ci cherchent néanmoins à se détacher du mouvement du NA qu’ils considèrent comme un phénomène au mieux commercial, au pire malsain. Le deuxième type de littérature sur le NA présente une « perspective chrétienne » du phénomène et a déjà produit plusieurs livres sur le sujet. Cette perspective a poussé très loin les connaissances sur les croyances et les rituels du NA. Le dernier angle est plus « sociologique ». Il vise principalement à étudier le NA en tant que phénomène social d’un point de vue séculier. C’est le type d’approche que nous avons privilégié, jusqu’ici, dans nos propres recherches. En conclusion de ce chapitre, nous allons discuter de quelques recherches en cours sur le NA. Nous allons voir comment le NA pourrait être abordé dans l’avenir par l’entremise de la perspective de la théorie de l’action collective et des mouvements sociaux.

 

La perspective « critique »

 

Le premier angle sous lequel le NA a été abordé est celui d’une perspective que nous qualifions de « critique » parce qu’il s’agit d’une critique qui vient de l’intérieur même du mouvement. Elle regroupe principalement les tenants de la dimension bio-psychologique du NA qui cherchent à se distancer — pour ne pas dire carrément à se dissocier — du mouvement dans son ensemble. La plupart du temps, on reproche au NA de n’être qu’une excroissance commerciale et vaine de techniques et de croyances beaucoup plus fondamentales (par exemple, la psychologie transpersonnelle, le massage, le reiki, etc.). Les attaques peuvent être directes (Pruneau, 1998) ou indirectes (Pelletier, 1992a, 1992b, 1996 ; Damiani, 1995) contre le mouvement du NA, mais l’objectif demeure toujours une démonstration de la supériorité de la croyance ou de la technique promue par l’auteur. Le cas du masso-thérapeute Michel Pruneau est typique de ce genre de littérature qui cherche à créer une polémique autour de la validité de l’existence du mouvement du NA. Cet auteur, qui pratique son métier à l’École de santé holistique du Cégep Marie-Victorin, veut à tout prix faire la séparation théorique entre la massothérapie, qui représente pour lui une technique scientifiquement valide, et ce qu’il considère, ni plus ni moins, comme les vulgaires « marchands de l’âme » du NA. 

Dans le cas de Pierre Pelletier (1992a, 1992b, 1996), les critiques contre le NA sont quand même plus subtiles. Celui-ci sait faire preuve d’un sens critique peu commun chez les adeptes des thérapies holistes. Psychanalyste, théologien et philosophe, il a aussi fait en 1978 un séjour dans la Mecque du transpersonnel, c’est-à-dire l’Institut Esalen situé à Big Sur en Californie — ce qui fait de lui la personne idéale pour décrire ces « thérapies transpersonnelles » issues du mouvement du Potentiel humain. Dans ses livres, Pelletier décrit en détail l’approche transpersonnelle, non sans écorcher au passage le mouvement du NA qu’il perçoit comme une mode un peu superficielle. Selon lui, les « excès et les dérives » du transpersonnel peuvent être attribués, la plupart du temps, au mouvement du NA. En fait, il désire ardemment que l’on distingue le bon grain de l’ivraie, le bon grain étant ici le mouvement du Potentiel humain et l’ivraie, le mouvement du NA. « Les parentés avec le Nouvel Âge font problème. Le Nouvel Âge est fasciné par le merveilleux, l’inédit, le miraculeux. Il est aussi, malgré sa générosité, très centré sur le Moi  : les guérisons, les phénomènes paranormaux, les états non-ordinaires de conscience, la réincarnation sont d’abord des pouvoirs, des phénomènes qui mettent le Moi en évidence. » (Pelletier, 1996, p. 264) « Je ne crois pas que les thérapies transpersonnelles tombent dans le travers qui est plutôt celui du Nouvel Âge, des sous-produits (…) » (p. 293) « Tous ces phénomènes sensationnels, qui retiennent l’attention des médias, (…) cachent, et souvent dénaturent, l’essence du transpersonnel. Ils relèveraient plutôt, comme nous l’avons suggéré, du Nouvel Âge. » (p. 301) Il y va même d’une définition assez intéressante du phénomène  : 

Forme de religiosité dans laquelle des Occidentaux essaient de réenchanter leur monde, d’échapper à l’étouffement du positivisme et du rationalisme. Peut être vu comme le pendant populaire et non critique du transpersonnel, avec une prédominance du merveilleux, du magique, de la santé naturelle, des émotions, du sexe, des esprits, du pouvoir (pensée positive, médiumnité, guérisons, pouvoir psi). Souvent moniste, panthéiste, individualiste et utilitariste. Au Québec le Nouvel Âge apparaît à la fois comme un relais de la piété populaire (médailles, cristaux, symboles, vêtements, émotions fortes) et comme une protestation contre le mépris du corps et la religion cléricale. (Pelletier, 1996, p. 458) 

Mais le problème est toujours le même avec cette définition, qui se consacre exclusivement au contenu proprement religieux (idéologique et culturel) du NA, sans en mentionner les aspects sociaux. Les concepts de réseau ou de mouvement, qui sont d’une très grande importance dans l’étude sociologique de ce phénomène, n’y sont pas abordés. Nous ne sommes pas d’accord avec cette définition quand elle prétend que le NA est « le pendant populaire et non-critique du transpersonnel ». Selon nous, le NA n’est pas un « pendant » du transpersonnel. Nous pensons plutôt que ce dernier fait partie d’un ensemble plus vaste que nous désignons comme « le mouvement du NA ». Pour ce qui est de l’aspect « non-critique » du NA, il est important de souligner que le NA pratique son auto-critique par la voix de ses propres porte-parole. En effet, plusieurs auteurs considérés comme des tenants du NA, que ce soit David Spangler, Jacques Languirand ou Placide Gaboury, font maintenant des critiques virulentes à l’endroit du phénomène. Ceci fait que cette définition, bien qu’elle comporte des éléments intéressants, est incomplète et insatisfaisante, de notre point de vue. 

Comme nous avons pu le constater, la force de la perspective critique réside dans le fait qu’elle vienne de l’intérieur du mouvement du NA. On met donc en valeur certains aspects du mouvement jugés plus pertinents et on en critique d’autres qui, selon les auteurs, minent la pensée nouvel-âgiste. Les descriptions sont très complètes puisque, très souvent, les chercheurs ont « vécu » l’expérience du NA de l’intérieur. Mais ils semblent tous faire, plus ou moins, l’apologie d’une technique ou d’une pensée particulière au détriment d’un ensemble plus vaste dont ils nient, la plupart du temps, faire partie, c’est-à-dire le mouvement du NA.

 

La perspective chrétienne

 

Dans la perspective « chrétienne », le NA est observé de l’extérieur, la plupart du temps par des chrétiens qui cherchent à saisir le phénomène du point de vue de leur foi. La littérature, dans cette perspective, a été très riche et très abondante au Québec. Les auteurs, la plupart du temps des prêtres ou des frères catholiques, ont été parmi les premiers à produire des ouvrages d’importance sur le sujet. Ces derniers sont constitués d’études comparatives entre les croyances et les rites chrétiens et ceux du NA. Deux ouvrages se distinguent dans cette catégorie par une posture plutôt négative face au NA (Fortin, 1991 ; Labrecque, 1993) et un troisième opte pour une approche plus pragmatique, tous en restant dans une mouvance chrétienne (Bouchard, Bergeron et Pelletier, 1992). 

Le philosophe et prêtre catholique Claude Labrecque pense que l’avènement du NA trouverait ses origines dans un regain de fierté du peuple des Indes, dans la culture traditionnelle hindoue et dans une réaction à l’impérialisme occidental qui aurait engendré une contre-mission anti-chrétienne en Amérique. Cette percée des religions orientales serait à l’origine de la contre-culture des « beatniks » aux États-Unis dans les années cinquante, ancêtres des hippies des années soixante. Cette culture hippie aurait donné naissance à la musique rock, aux expériences hallucinogènes, à la fondation de plusieurs communes rurales partout en Amérique et surtout à l’Institut Esalen. Il croit aussi que le développement des sociétés ésotériques au cours du XXe siècle serait en grande partie responsable de la dimension ésotéro-occultiste du NA. Selon le philosophe catholique, il y aurait aussi un certain retour du religieux qui se ferait à l’extérieur des grandes religions établies parce qu’on reprocherait à ces dernières d’être trop dogmatiques  : 

Dans ce moule va se couler la nouvelle religiosité ou une sensibilité spirituelle qui se développe depuis lors, en dehors des murs des Églises. Les religions traditionnelles, dit-on, sont hypothéquées par leurs dogmes, leurs vérités définies de l’extérieur, leur autoritarisme, leur moralisme, le trop grand espace qu’y prennent le péché et l’engagement à long terme, l’anonymat de leur rassemblement, etc. Cette religiosité nouvelle vague sera plutôt marquée par un souci de progrès personnel grâce à ses propres efforts, une ouverture à l’expérimentation et une poursuite de la profondeur dans le ressenti, dans un cadre neuf, jeune, exaltant. (Labrecque, 1993, p. 78) 

L’auteur ajoute qu’un certain développement du néo-paganisme serait associé à ce « retour du religieux » important dans le NA. Selon lui, cette nouvelle religiosité serait essentiellement basée sur une « expérience transformante » que l’on pourrait atteindre à l’aide de diverses techniques. Ces techniques seraient le spiritisme ou les arts divinatoires (tarot, pendules, pyramides), les états modifiés de conscience, le « channeling », les expériences hors-corps (voyage astral), les cristaux ou les pierres, l’initiation, la « UFO connection », l’astrologie, la marche sur le feu, les pratiques sexuelles occultes (tantrisme), les régressions dans les vies antérieures (rebirth), les pouvoirs psychiques, le yoga, l’aspiration à créer sa propre réalité, les pratiques panthéistes (contacter les éléments naturels), la lecture de l’aura, les tables de ouija, l’écriture automatique, l’interprétation des rêves, les talismans, fétiches ou amulettes et les diverses techniques de respiration. Ces techniques seraient utilisées dans plusieurs autres domaines, plus larges, et qui, selon l’auteur, seraient en quelque sorte des dimensions du NA. Le réseau du NA se manifesterait aussi dans le champ des thérapies alternatives, de la communication avec les esprits (channeling), de la diffusion de la théorie de la réincarnation et des expériences aux frontières de la mort (voyages de l’âme, sorties dans l’astral). 

Pour Claude Labrecque, le NA ne serait qu’une vulgaire manifestation de la société de consommation. Bien que nous trouvions cette hypothèse intéressante à certains égards, il faut reconnaître qu’elle n’est énoncée, dans ce cas-ci, que pour permettre à l’auteur de poser un jugement moral et religieux sur un phénomène social. Il considère que « Dieu et le monde spirituel n’ont pas pour fonction de combler les besoins élémentaires de la vie » (p. 250), « qu’une forte expérience psychique ne se situe pas nécessairement au niveau spirituel » (p. 255) et que « la croissance spirituelle réside dans l’abandon de son désir pour faire place au désir de l’autre » (p. 258). On retrouve constamment dans les recherches qui utilisent une interprétation dogmatique de la religion des jugements de valeur semblables, qui minent considérablement la crédibilité d’excellentes recherches sur le contenu des croyances du NA. 

D’autres ouvrages issus de cette perspective sont beaucoup plus nuancés, sans toutefois perdre de vue leur objectif de servir la communauté chrétienne (Bouchard, Bergeron et Pelletier, 1992). Selon nous, la partie de ce livre rédigée par le sociologue Alain Bouchard représente la première véritable étude sociologique sur le sujet du NA publiée au Québec. Il reste que le fait que cette étude ait été réalisée pour le compte de la Conférence des évêques catholiques du Canada fait en sorte qu’elle doive, selon nous, être classée dans une perspective chrétienne du NA. 

Selon Bouchard, les premiers balbutiements du NA datent de la Renaissance. La tentative pour trouver des points de convergence entre la science et la religion en est le principal but. Cet espoir de synthèse apparaît en Europe à la Renaissance pour ensuite se développer dans les cercles ésotériques américains vers les années mille huit cent cinquante. Mais ce n’est qu’avec l’arrivée des maîtres spirituels asiatiques aux États-Unis, dans les années mille neuf cent soixante, que le NA devient un phénomène de masse. Dans les années soixante-dix, le succès en librairie du livre de Richard Bach, Jonathan Livingston le goéland, a un impact certain sur la diffusion de l’idéologie nouvel-âgiste. Cependant, Bouchard considère que la première véritable bible du « New Age » a été le livre intitulé Les enfants du Verseau de Marilyn Ferguson, qui a été publié au Québec au début des années quatre-vingt. 

Pour le sociologue, ce n’est donc pas une perte de crédibilité de la part de l’Église qui a transformé le panorama religieux, mais un changement de style de vie. Celui-ci considère que la religion est un système symbolique de croyances et d’actions qui donne à ses adeptes une interprétation cohérente de l’univers. Dans ce contexte, le NA n’est pas une mutation sociale effective, mais témoigne plutôt de l’émergence d’une nouvelle grille d’interprétation du monde. Les tenants du NA ne sont pas des illuminés ou des marginaux ; ce sont des gens ordinaires qui cherchent une nouvelle façon de comprendre le monde. L’individualisme qui caractérise la philosophie du NA n’est qu’un reflet de cette civilisation du moi et de l’instantané dans laquelle nous vivons. Bouchard présente à cet égard un concept intéressant, soit celui du « prêt-à-prier ». 

Si, dans le cas de Bouchard, il y a certains chevauchements entre la perspective chrétienne et la perspective sociologique, on ne peut pas dire que c’est le cas de Richard Bergeron (1984, 1992a) qui co-signe pourtant le même ouvrage. Selon Bergeron, la spiritualité du NA met l’accent sur la réalisation de soi, l’harmonie et la responsabilité historique. Ses principales caractéristiques sont la primauté de l’expérience, l’élargissement de la conscience et la « pensée globale/action locale ». Il considère que le NA n’est qu’un feu de paille parce que plusieurs de ses aspects sont rétrogrades. Si le NA affirme sa postmodernité en rejetant l’idéal rationaliste, Bergeron ajoute que les enseignements traditionnels, antiques et archaïques de celui-ci seraient plutôt prémodernes. Cette littérature reflète bien une perspective purement « chrétienne » du NA, où l’on compare sa religion à celle de « l’autre ». 

La grande force de la perspective ici désignée comme « chrétienne » réside dans la qualité des études comparatives qu’elle a produites au début des années quatre-vingt-dix. Mais il semble que, depuis ce temps, les auteurs s’intéressent de moins en moins au phénomène du NA, qu’ils perçoivent souvent comme un concept dépassé. En fait, on semble avoir épuisé les comparaisons possibles entre le NA et le christianisme et on se tourne beaucoup plus maintenant vers des questions de « dialogue inter-religieux ». C’est peut-être dû au fait qu’il est difficile de dialoguer avec un mouvement multiforme qui ne s’est pas encore formellement incarné dans de grandes institutions primaires comme celles auxquelles les penseurs chrétiens sont habitués. Voilà, sans doute, les limites de cette perspective. 

 

La perspective sociologique

 

Au Québec, à part nos propres recherches (Geoffroy, 1997, 1999, 2000), il y a eu très peu d’études qui ont adopté une perspective sociologique du phénomène du NA. En fait, il n’y a que deux mémoires de maîtrise qui, à notre connaissance, ont choisi d’aborder le NA en tant que phénomène social. Le premier traite d’un aspect particulier de la culture du NA (St-Germain, 1996) et le second parle du phénomène dans son ensemble (Tessier, 1998). Dans le cas de la recherche de René St-Germain, il s’agissait d’aborder le mouvement du NA sous l’angle d’une de ses manifestations matérielles  : le cristal de quartz. L’approche étant qualifiée par l’auteur de « religiologique », elle s’inscrit dans le modèle classique de la monographie d’un objet fétiche que l’on retrouve fréquemment dans plusieurs études anthropologiques de la religion. Elle porte essentiellement sur la signification symbolique et réelle du cristal dans le mouvement du NA. 

De son côté, Martine Tessier va beaucoup plus loin en postulant qu’il se développe, en ce moment, « une nouvelle organisation sociale du religieux en lien avec l’univers culturel, économique et social qui s’observe à travers l’idéologie du nouvel âge » (Tessier, 1998, p. 5). Elle propose une approche socioculturelle et anthropologique de la religion afin de mieux circonscrire le NA en tant que phénomène social. Elle inscrit aussi le mouvement du NA dans un continuum historique en le situant comme suite logique de la contre-culture hippie, tout en faisant les distinctions qui s’imposent. Cette auteure a énoncé une des définitions les plus intéressantes du NA que nous ayons rencontrées jusqu’ici dans nos recherches  : 

En premier lieu, la spiritualité du Nouvel Âge propose des valeurs inspirant une poursuite et une démarche individuelles où la réalisation de soi, par l’élargissement de la conscience et la recherche d’harmo­nie, représente l’objectif ultime. Sur ce point, l’expérience émotionnelle personnelle est essentielle au Nouvel-Âge. Il n’est plus question de croire en quelque chose de déjà établi, mais d’expérimenter d’abord et de croire ensuite. Si bien que l’unique façon d’accéder à la réalisation de soi passe par l’expérience émotionnelle personnelle vécue à travers des procédés ésotériques. La spiritualité du Nouvel-Âge met ainsi l’accent sur la prédominance des relations interpersonnelles, ainsi que du sentiment et de l’intuition sur la raison. (Tessier, 1998, p. 85) 

Il est aussi intéressant de noter que l’auteure estime que les tenants du NA forment un « réseau » assez structuré où se confrontent plusieurs interprétations du sacré, mais qui demeurent toujours dans la ligne de pensée du NA. Malheureusement, elle n’élabore pas du tout ce concept de réseau et nous présente le mouvement du NA en tant que « retour surnaturel de la religiosité primitive ». 

Nos propres recherches ont aussi tenu à analyser le NA en tant que phénomène social mais en élaborant, dans un premier temps, une typologie des manifestations idéologiques et réelles du NA dans la société contemporaine (Geoffroy, 1997, 1999). Nous avons pu ainsi voir, au cours des vingt dernières années, ce réseau devenir un véritable mouvement social et culturel, au sens de la théorie de l’action collective et des mouvements sociaux. Aujourd’hui, nous remarquons que le mouvement cherche à se légitimer socialement par l’institutionnalisation de certaines de ses composantes. Nous pensons que la force de l’analyse sociologique réside dans le fait qu’elle tente de mesurer les impacts du NA dans la société contemporaine. Mais pour réaliser cet objectif, il faudra qu’elle évite de sombrer dans le « scientisme » en se mettant à évaluer le NA en comparaison avec des valeurs dominantes qui feraient alors office de référence morale. Si elle réussit suffisamment à se distancer d’une morale quelconque, elle pourra alors se distinguer des autres approches et porter un regard unique sur le NA.

 

PROSPECTIVE

 

Nous avons constaté qu’il y avait trois approches scientifiques prédominantes qui ont traité du NA au Québec au cours des vingt dernières années. Nous avons recensé et commenté succinctement les principaux auteurs qui représentaient, selon nous, chacune des catégories énoncées. L’objectif n’était pas de démontrer la supériorité d’une approche par rapport à une autre, car elles ont toutes un rôle important à jouer, mais de justifier le choix d’un angle que nous avons qualifié de « sociologique ». Selon nous, il n’y a pas de doute que les pistes de recherche les plus intéressantes se situent dans le cadre de cette approche.

 

Certains auteurs, comme Nicole Ollivier [2], voient le NA comme un élément d’une culture postmoderne, mais le concept de postmodernisme est encore mal défini et pose problème à bon nombre de sociologues dont nous faisons partie. Il reste que les recherches en ce sens sont fécondes, mais qu’elle ne sont malheureusement pas encore très développées en ce qui concerne notre objet. Néanmoins, la thèse d’Ollivier, qui postule que les manifestations religieuses en général, et le nouvel âge en particulier, se nourrissent de la dissolution de l’unité moderne — tout en s’inscrivant dans le processus de recomposition de l’unité de la société —, ouvrira peut-être une nouvelle perspective théorique dans l’étude du phénomène du NA. Pour l’auteure, la vision du NA est un renversement de la logique moderne qui annonce une mutation vers la postmodernité. Par ailleurs, nous préférons parler de « modernité avancée » et nous croyons que le NA pourrait être mieux décrit et évalué à travers une théorie sur l’institutionnalisation de l’action collective et des mouvements sociaux, parce que nos recherches nous portent à croire que le NA est un type d’action collective, voire même de mouvement social au sens large, dont certains éléments sont en phase d’institutionnalisation (Geoffroy, 2000). Dès lors, il nous apparaît que l’avenir de la recherche sur le NA devra aller dans le sens de l’observation et de la description des divers processus d’institutionnalisation de ce type d’action collective. En effet, rappelons que ce mouvement est, de plus en plus, à la recherche d’une certaine légitimité sociale via l’institutionnalisation de certaines de ses composantes.

 

Bibliographie

 

Bergeron, Richard, 1984, Le cortège des fous de Dieu, Montréal, Fides, 511 p.

Bouchard, Alain, Richard Bergeron et Pierre Pelletier, 1992, Le Nouvel Âge en question, Montréal, Éditions Paulines, 191 p. [Bouchard, ch. 1 et 2, p. 9-60 ; Bergeron, ch. 4, 5 et 7, p. 61-106 et 125-142 ; Pelletier, ch. 6, p. 107-124]

Damiani, Carole, 1995, La médecine douce, Montréal, Éditions Saint-Martin, 232 p.

Fortin, André, 1993, Les galeries du nouvel âge  : un chrétien s’y promène, Ottawa, Novalis, 318 p.

Geoffroy, Martin, 1997, « Typologie du Nouvel Âge », mémoire de maîtrise (sociologie), U. de Montréal.

_______, 1999, « Pour une typologie du nouvel âge », Cahiers de recherche sociologique, 33, U. du Québec à Montréal, p. 51-83.

_______, 2000, « Le processus d’institutionnalisation du mouvement du nouvel âge », « Stratégies sociales des groupes religieux », Religiologiques, 22, p. 57-71.

Giroux, Guy, s.c., 1994, « Le Nouvel Âge et l’Église, interpellation réciproque », mémoire de maîtrise (théologie, éthique et philosophie), U. de Sherbrooke.

James, Marie-France, 1985, Les précurseurs de l’ère du Verseau, Montréal, Éditions Paulines et Médiaspaul, 191 p.

Labrecque, Claude, 1994, Une religion américaine  : pistes de discernement chrétien sur les courants populaires du « Nouvel Âge », Montréal, Médiaspaul, 332 p.

Ollivier, Nicole, 2000, « Nature et signification du religieux dans la société contemporaine », thèse de doctorat (sociologie), U. du Québec à Montréal.

Pelletier, Pierre, 1992, Les Dieux que nous sommes, coll. « Rencontres d’aujourd’hui », 15, Montréal, Fides, 84 p.

_______, 1996, Les thérapies transpersonnelles, Montréal, Fides, 472 p.

Pruneau, Michel, 1998, Les Marchands d’âmes  : essai critique sur le Nouvel Âge, Montréal, Stanké, 139 p.

St-Germain, René, 1996, « Le Cristal de quartz  : outil de puissance et être de perfection. Analyse religiologique d’un objet magique du Nouvel Âge », mémoire de maîtrise (sciences des religions), U. du Québec à Montréal.

Tessier, Martine, 1998, « Le déplacement du Sacré dans l’expression de l’idéologie du Nouvel Âge », mémoire de maîtrise (sociologie), UQÀM, 106 p.


[1]    La croyance dans l’holisme étant la principale caractéristique des tenants du NA, nous estimons qu’il y a alors lieu de parler aussi de mouvance holistique dans le cas du mouvement du NA.

[2]    Nicole Ollivier vient de terminer une thèse de doctorat en sociologie sur le NA, sous la direction de Michel Freitag, à l’UQÀM.



Retour au texte de l'auteur: Martin Geoffroy, sociologue, Université du Manitoba Dernière mise à jour de cette page le mercredi 27 février 2008 19:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref