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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jacques Grand’Maison, CRISE DE PROPHÉTISME. (1965)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jacques Grand’Maison, CRISE DE PROPHÉTISME. Montréal: L'Action catholique canadienne, 1965, 317 pp. Collection: Spiritualité du laïcat. Une édition numérique réalisée par Loyola Leroux, bénévole, professeur de philosophie retraité du Cégep de Saint-Jérôme, près de Montréal. Le 15 mars 2004, M. Jacques Grand'maison me confirmait, dans une lettre manuscrite qu'il m'adressait, son autorisation de nous permettre de diffuser la totalité de ses oeuvres dans notre bibliothèque numérique. Je suis profondément reconnaissant à M. Grand'Maison de sa confiance en nous et de son autorisation de diffuser la totalité de ses oeuvres. [JMT.]

[9]

CRISE DE PROPHÉTISME


Avant-propos

Y a-t-il une crise de prophétisme chez nous ? Déjà la question est compromettante, le sujet épineux, l'entreprise difficile, la provocation irritante. Bien des difficultés se dressent sur la route. L'auteur connaît-il vraiment l'ensemble de la pastorale actuelle ? Est-il assez compétent pour interpréter la tradition peut-être la plus difficile à cerner, celle du prophétisme ?

Il faut sans doute un peu de naïveté pour s'aventurer ainsi dans ce genre de mise en question. Décidément, la maladie devient contagieuse. L'auteur, comme font d'autres actuellement, convoque ses pairs au banc des accusés. Va-t-on en finir avec ces critiques négatives qui absorbent tant d'énergies ? Tout ne va pas si mal. Le peuple reste en majorité croyant, l'Église est encore forte et puissante, des renouveaux remarquables s'amorcent en catéchèse et en liturgie. Il y a bien quelques factions minoritaires d'anticléricaux, d'athées, de militants « laïques », mais au bilan, rien de très dramatique et de désastreux.

D'autres moins optimistes, soutiennent qu'on se déchristianise en douce, sans bruit, que la crise religieuse touche non seulement les jeunes, mais les diverses couches de la population adulte. Ils s'inquiètent plus de l'indifférence religieuse des chrétiens [10] que de l'athéisme idéologique. De plus en plus de fidèles vivent en marge de l'Église. L'enquête de pratique religieuse à Montréal laisserait paraître des failles profondes de déchristianisation. En deçà de la fréquentation des sacrements, beaucoup de chrétiens n'ont plus les deux pieds dans la foi. Ils se situent dans une espèce de no man's land, prêts à chavirer si le vent tourne. L'évangile est absent des comportements quotidiens. Par ailleurs, l'action catholique aurait été un échec jusqu'ici. La confessionnalité est mise en doute non seulement par beaucoup d'intellectuels, mais aussi par toute une masse de gens de tout milieu. Le clergé, dans son ensemble, en est resté à des positions très conservatrices. Les communautés religieuses apportent un contre-témoignage évangélique en maintenant leurs gros appareils temporels, leurs privilèges, leur puissance de pression sur les différents corps publics. Les défections de leurs membres seraient nombreuses. On n'en finit plus de dresser le bilan négatif de l'Église du Québec.

Ce classement facile en attitudes optimistes et pessimistes ne résout rien, s'il n'est pas dépassé par un examen soigné de la situation de fait et par une confrontation avec les impératifs de la tradition vivante de l'Église.

Le prophétisme reprend toujours de l'actualité dans les périodes de transition. Il nous apparaît comme un critère de jugement, de fidélité, de lucidité dans les conjonctures présentes, non pas le prophétisme qu'on ne peut s'arroger soi-même, mais celui qui est en cours dans l'histoire du salut.

Évidemment le travail sera ardu parce que les prophètes ne se lisent pas facilement. La tradition prophétique s'est toujours exercée dans un contexte mystérieux et sous des genres littéraires peu familiers à notre esprit moderne. Les événements et les lieux mentionnés exigeraient une connaissance profonde et étendue de l'histoire du peuple de Dieu. Mais, par ailleurs, combien de thèmes du Nouveau Testament prennent du relief avec le message des prophètes : l'alliance, l'épousaille, la vigne, le serviteur, [11] le temple, la Pâque, etc. On a besoin de tous les prophètes pour dégager les divers traits du visage de Jésus. Prêtre, Roi et Prophète.

Le Royaume se construit particulièrement avec la conjonction de deux lignes de forces, l'institution hiérarchique et l'action pneumatique informelle de l'Esprit Saint. C'est ici que s'insère le courant prophétique auquel les membres du peuple de Dieu participent.

Nous ne tentons pas un exposé systématique sur un donné qui ne lui donnerait que très peu de prise. Nous préférons interroger les sources et l'actualité historique de l'Eglise en concile, confronter à chacune des étapes la Tradition et la situation de chez nous. C'est beaucoup plus un point de départ de réflexion qu'une ligne d'arrivée. Nous nous attendons à des réactions, à des échanges, à des corrections. Cet essai servira de dossier de travail à une session de prêtres des différents diocèses du Canada.

À l'occasion de récentes révisions de vie avec des prêtres de ministères différents j'ai constaté une certaine réticence devant l'interrogation prophétique :

« Je n'aime pas ce style tendu, inquiet, violent. » « Les fidèles n'accepteraient pas ces imprécations des prophètes. » « Suis-je prophète ? je ne le sais pas, je ne m'en préoccupe pas. L'Esprit passe à travers moi et je ne me demande pas d'où il vient, comment il travaille, où il va. »
« Se tâter à ce sujet, c'est risquer la complaisance sur soi-même, l'introspection maladive, etc. »
« Pourquoi s'interroger là-dessus ? Ça va de soi, nous sommes un peu des prophètes qui s'ignorent, je sens que je laisse des traces partout où je vais. »
« Analyser la portée prophétique de nos actes, c'est prêter flanc à l'exhibitionnisme. »

[12]

« Je juge mon ministère à ses fruits dans la mesure où je peux les évaluer. »
« Une mise en question de ma fonction prophétique, je la traduis comme ceci : en quoi je ne vis pas ce que je prêche. »
« Est-ce que nous intériorisons toutes ces richesses de la Révélation que nous répandons à pleines mains pour les autres ? » « Malheur à moi si après avoir évangélisé mes frères... »
« On dit que la Foi est moins une connaissance de Dieu qu'une expérience de Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire : expérience de Dieu ? Qui peut se vanter de voir clair là-dedans ? On se leurre en voulant analyser cette conscience supposée prophétique. »

Les réactions sont plutôt négatives. On craint ce sujet qu'on considère un peu étrange, insolite, et en dehors de toute revision pastorale. Certains ont gardé des images très simplistes du prophétisme, comme si le prophétisme était dépassé depuis la venue du Christ, comme s'il ne faisait pas partie intégrante de la mission pastorale.

On se débarrasse difficilement d'une sorte de « psychologisation » du problème, alors qu'il s'agit beaucoup plus de puiser dans les richesses de la Tradition prophétique un souffle pneumatique qui manque à la plupart des prêtres de communautés chrétiennes installées. Confronter ses façons de penser et d'agir avec celles des prophètes me semble nécessaire, surtout dans cette période transitoire de rénovation. Les laïcs perçoivent vite ce qui sonne faux, ce qui sent le « popularisme », le vendeur du temple, le pharisaïsme, l'esprit mondain. Sans l'avouer explicitement, ils nous reprochent les péchés du monde actuel, ils s'attendent à trouver en nous des exemples vivants de l'évangile dans une ambiance étrangère et imperméable au message du Seigneur. Ils nous reprochent nos timidités, nos demi-mesures, nos compromissions, nos rationalisations et justifications faciles, notre désir [13] de plaire, de ne pas inquiéter les nantis et les puissants, notre absence des vrais problèmes, notre peu d'attention aux événements qui leur tiennent à cœur. Nous nous scandalisons souvent pour des questions secondaires, nous coupons les cheveux en quatre quand il s'agit de rubriques, mais nous fermons les yeux sur la détresse des chômeurs, des petits, des mal-payés, des mal-logés. Nous sommes plus inquiétés par nos problèmes d'administration que par ceux des familles qui crèvent. C'est un truisme que de parler de notre « embourgeoisement », de nos murs qui nous isolent de la vie et du peuple de Dieu.

Le prophète est un homme au cœur de la vie des hommes. Il se fait l'écho de tous les drames, le terrain de rencontre entre ses frères et le Seigneur. Il ne parle pas pour Dieu comme quelqu'un du dehors. La Parole qu'il porte lui fait mal. Souvenons-nous des conseils du curé de Torcy au jeune curé de campagne. Si la Parole n'est jamais accouchée dans la douleur, si le pasteur ne souffre jamais de ce qu'il a dit, il peut commencer à se poser des questions. Malraux avait-il raison quand il affirmait que le sacerdoce va connaître des jours plus difficiles ? N'est-on pas de plus en plus exigeant pour nous ? On nous connaît mieux, on nous juge avec plus de rigueur. L'homme moderne cherche de l'authentique, après avoir expérimenté la fadeur de l'artificiel, du substitut. Le prophétisme a toujours été une tradition de vérité, levant le masque des uns et des autres, dénonçant les malfaçons, les contrefaçons et souvent avec un « feed back » pas toujours rassurant.

Nous aimerions au début de cette étude rappeler au lecteur quelques résonances prophétiques qui ont peut-être trop peu retenu son attention dans le passé. Interroger la tradition elle-même, n'est-ce pas la première démarche du pasteur qui se veut fidèle au dépôt ? Il g trouvera une source inépuisable de réflexion et de révision. Le prophétisme s'est élaboré à ras de sol. Il ne se laisse pas saisir facilement même dans le cadre didactique le plus souple et le plus large. Le message d'Isaïe, par exemple, [14] se développe d'un chapitre à l'autre en suivant des événements porteurs des intentions divines. Jamais on n'y trouvera un point de départ abstrait, une déduction de principes selon une logique semblable à celle des intellectuels que nous sommes. La médiation « événementielle » est ici d'un intérêt capital, puisqu'elle est si peu présente à la pensée et à l'action de tant de pasteurs. Ceci est d'autant plus grave que nous vivons de plus en plus dans un monde de l'événement connu de tous, grâce aux techniques de diffusion, de l'événement qui déclenche des attitudes très révélatrices des mentalités.

A-t-on assez compris que la signification du temps, de l'histoire prend une importance incomparable dans le monde judéo-chrétien ? qu'en ce domaine les prophètes sont des figures de proue ?

« De cette histoire pathétique du Peuple de Dieu traversée d'éclairs et de ténèbres, de gloire et de péché, de foi héroïque et d'infidélités, les prophètes sont des figures de proue. Non seulement les spectateurs et les témoins magnifiques, mais les artisans, les catalyseurs, les purificateurs. Non seulement les contemplatifs émerveillés de Dieu et de son règne qu'ils hâtent, mais les guides Vers la « plénitude des temps » et les annonciateurs de plus en plus précis de Celui en qui se réalisent les figures et se manifeste, en une épiphanie d'amour, Dieu lui-même : Jésus-Christ... Par ses prophètes, Dieu parle aux hommes et agit dans leur histoire. À cette histoire il donne un sens, c'est-à-dire une direction et une signification, un point de départ et un terme. À travers les prophètes, c'est Dieu qui se fraie une piste vers le temps, ce temps qui s'inaugure dans la beauté et la bonté avec la création et qui s'achèvera par le triomphe du Seigneur sur l'homme et l'univers rachetés et glorifiés. Dans les multiples temps de l'histoire, les prophètes transmuent et monnaient l'éternité en temps. Ils assurent et maintiennent la liaison et le dialogue de Dieu et de l'homme. Ils captent les situations qui crient vers Dieu et ils [15] expriment en langage de leur temps les gémissements de l'Esprit dans le monde et la société [1]. »

Comme l'a souligné Paul Claudel, les prophètes ont été en quelque sorte des commentateurs de l'actualité. Mes professeurs en catéchèse ne prisaient pas cette expression, ils y voyaient une tentation de journaliste. Mais y a-t-il un si grand danger d'être attentif aux événements quand on entend si souvent une prédication intemporelle, quand on observe une pastorale si peu attentive à la vie ?

[16]



[1] A. Brunot, Synthèse dynamique du prophétisme, dans Masses Ouvrières, octobre (1963), p. 17.




Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le mercredi 7 mai 2014 17:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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