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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LE DÉFI DES GÉNÉRATIONS. Enjeux sociaux et religieux du Québec d'aujourd'hui. (1995)
Présentation du projet


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Jacques Grand’Maison, Lise Baroni et Jean-Marc Gauthier, LE DÉFI DES GÉNÉRATIONS. Enjeux sociaux et religieux du Québec d'aujourd'hui. Montréal: Les Éditions Fides, 1995, 496 pages. Collection: Cahiers d'études pastorales, no 15. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

[7]

Le défi des générations.
Enjeux sociaux et religieux du Québec d’aujourd’hui.

Recherche-action. Sixième dossier.

PRÉSENTATION


Histoire et filiations de notre recherche

Pour présenter ce rapport-synthèse, nous avons pensé que l'histoire de notre recherche, de ses antécédents comme de son cheminement pouvait être l'entrée de jeu la plus concrète et la plus accessible. Nous sommes tributaires d'une filiation particulière qui remonte au tournant de l'après-guerre au Québec. Les décennies 1940 et 1950 ont été une période d'effervescence critique, pour une bonne part souterraine, face aux grands discours publics des pouvoirs civils et religieux et ces années ont marqué de forts déplacements de mentalité, surtout par rapport à la société d'austérité et à la religion de sacrifices d'hier.

La nouvelle prospérité d'une bonne partie de la population amenait de nouvelles aspirations de bonheur « ici et maintenant » qui réagissaient au moralisme austère et autoritaire que maintenait l'Église, sans compter une vision religieuse du monde qui reportait les promesses de bonheur dans l'Au-delà. Les choses pouvaient donc changer. La fameuse grève d'Asbestos en 1949 avait été un point tournant à plusieurs titres : affirmation du monde ouvrier, naissance de nouvelles forces d'opposition face au pouvoir clérico-civil. Rappelons ici la célèbre affirmation du premier ministre Duplessis lors de cette grève :

Le problème n'est pas de réformer, mais de rétablir l'ordre. Les inventions modernes n'ont pas changé un seul grand principe. Le soleil se lève toujours à l'Est ; la tradition et la morale restent les mêmes. (Le Devoir, 9 juin 1949)

Une logique de légitimation aussi absolue ne pouvait tenir longtemps. Peu à peu ont émergé des débats et des combats entre les [8] tenants de l'héritage historique de la chrétienté encore triomphante et les nouveaux leaderships de la modernisation avec leurs urgences de rattrapage culturel, social, économique et laïque des autres sociétés occidentales.

Il faut noter ici que ces tensions existaient aussi dans l'Église qui occupait encore une place importante dans la société. Pensons aux procès du cléricalisme, du confessionnalisme, de l'agriculturisme, du corporatisme et du messianisme, ces cinq principaux piliers idéologiques du régime de la chrétienté, sans compter un nationalisme passéiste et un ultramontanisme téléguidé de Rome sur lequel un bon nombre d'évêques s'appuyaient. Des laïcs de l'Action catholique et des universités ainsi que des religieux de communautés progressistes ont joué des rôles prépondérants dans les profonds changements qui bouleversèrent la société québécoise.

Comme dans toute période de remise en cause, de procès, celle du tournant des années 1950 s'accompagnait d'attitudes manichéennes. Chez les uns, refus global de tout notre héritage historique culturel et religieux ; chez les autres, refus de la modernité au nom de cet héritage religieux idéalisé. Mais plusieurs d'entre nous refusaient ces visions tranchées des choses. Nous voulions travailler à la fois au renouvellement de la société et à celui de la foi chrétienne.

Pour nous, le christianisme, qui a été un des ferments principaux de la civilisation occidentale pendant deux millénaires, n'avait cessé de se renouveler et il était encore capable de le faire. L'Église qui avait accompagné notre peuple tout au long de son histoire n'allait pas démissionner devant ses nouvelles missions humaines et évangéliques. Mais elle aussi avait à se redéfinir, à se resituer, à se réformer. Chez nous, comme ailleurs en Occident, une période de renouveau a précédé les grandes réformes des années 1960, aussi bien dans l'Église que dans la société.

Nous allons évoquer ici une expérience qui se situe dans ce contexte et qui a beaucoup à voir avec la recherche-action que nous poursuivons depuis sept ans. Au cours des années 1950, une équipe de chercheurs de l'Université Laval, sous la direction de Fernand Dumont et de Yves Martin, a fait la première étude de développement régional en Amérique du Nord. Une étude couvrant six régions fort diversifiées du Québec [1]. Région métropolitaine et banlieusarde du [9] Grand Montréal métropolitain ; région industrielle de Sainte-Thérèse ; région rurale (aujourd'hui Mirabel) ; région tertiaire (services) de Saint-Jérôme ; région d'arrière-pays sous-développé de Lachute ; région touristique des Laurentides.

Ces régions constituent le territoire du diocèse de Saint-Jérôme. Or ce sont précisément les responsables de ce diocèse qui avaient invité l'équipe Dumont-Martin. L'intention première était de mieux cerner, sur un terrain plus circonscrit, l'évolution de la société et de l'Église, des mentalités et des structures dans une perspective de réformes pertinentes aussi bien dans le champ séculier que dans le champ religieux, et cela avec les forces vives de divers milieux. Une sorte d'anticipation de la Révolution tranquille des années 1960, même si les artisans de cette recherche ne pouvaient prévoir ce grand bouleversement de l'ensemble du Québec. Tout au plus, cette aventure en était-elle un bien modeste jalon. Mais pour nous, de ces régions ciblées et du diocèse, ce fut le commencement d'un long cheminement dans lequel notre propre recherche s'inscrit. Voyons-en sommairement la trame.

L'étude Dumont-Martin, par son approche séculière, opérait une première rupture, un premier déplacement : c'était à travers les milieux humains que l'Église avait à se redéfinir, selon sa mission propre, mais aussi avec un souci de service à la collectivité. Dans la foulée de l'équipe Dumont-Martin et des laïcs et religieux qui y ont travaillé, la pastorale elle-même allait se renouveler en fonction des six pôles régionaux et de leurs propres enjeux humains. Encore ici, la pastorale de zone fut une première en Amérique du Nord. Nous soulignons pareille chose non pour nous glorifier, mais pour marquer cette dynamique exploratoire qui n'a cessé de nous animer depuis ce temps, avec, bien sûr, ses aléas, ses échecs, ses creux, ses réussites modestes, aussi bien au plan social qu'au plan pastoral.

En amont de ce rapport-synthèse d'une recherche centrée sur le tournant actuel de la société et de l'Église, ressaisie par une intelligence chrétienne des mouvements de conscience qui en révèlent les enjeux cruciaux, il y a une mémoire vivante d'expériences qui ont influencé notre démarche. Nous allons en mentionner quelques-unes particulièrement signifiantes pour nous aujourd'hui.

Au moment où l'équipe Dumont-Martin effectuait son étude des six régions du diocèse, le mouvement de la Jeunesse ouvrière chrétienne poursuivait, dans chacune de ces régions, une expérience-pilote de recyclage et de reclassement des jeunes chômeurs. Expérience initiatique qui fédérait inséparablement la construction personnelle, [10] sociale, culturelle, morale et spirituelle, en mettant à profit toutes les dimensions de la vie de ces jeunes avec des touches évangéliques d'attention aux plus démunis, d'engagement durable, de liaison entre les tâches les plus matérielles du pain quotidien et le levain d'une foi espérance qui les inspirait. Cette expérience de recyclage et de reclassement a été à la source des premières réformes gouvernementales en la matière. Partie des tavernes, des salles de billard, la démarche s'est poursuivie jusqu'aux cabinets des ministres.

Ces équipes de jeunes de chaque région, avec des méthodes de recherche simples mais bien adaptées, ont bien identifié les situations, les besoins, les requêtes de formation, d'orientation professionnelle, non seulement pour eux-mêmes, mais pour les autres jeunes de leur région. Ils ont réussi, avec les diverses instances institutionnelles du milieu, une synergie dynamique de la recherche, de la formation et de l'action. Beaucoup d'entre eux et d'entre elles sont devenus des leaders dans divers champs sociaux ou ecclésiaux.

Au cours des années 1950 et 1960, le service social et les organismes familiaux du diocèse, le mouvement des travailleurs chrétiens ont développé de nouvelles stratégies de recherche-formation-action qui ont été utiles pour le renouvellement des pratiques sociales et pastorales, bien au-delà de nos propres milieux. Cette pédagogie s'est aussi enrichie à l'intérieur de l'Église, en catéchèse, en éducation de la foi des adultes, et plus tard dans la pastorale de milieux défavorisés inspirée par le Centre de la famille de Saint-Jérôme. Celui-ci a su travailler avec les réseaux institutionnels sociaux et Centraide pour une lutte plus systématique contre la pauvreté.

Au cours des dernières décennies, l'Église locale a été présente et active de diverses façons dans plusieurs grandes épreuves collectives, comme l'expropriation des cultivateurs de la région de Mirabel, les problèmes de fermeture d'usine et l'aventure douloureuse de Tricofil, la révolte des autochtones d'Oka, l'accueil des réfugiés vietnamiens.

Mais au sein de î'Église elle-même, les problèmes internes s'accumulaient : diminution des ressources de tous ordres, baisse radicale de la pratique religieuse, plafonnement des réformes inaugurées dans la foulée de Vatican II, tensions autour des nouveaux ministères, etc.

[11]

Le dilemme déclencheur

Vers la fin des années 1980, un dilemme terrible surgit dans l'esprit de plusieurs responsables pastoraux. Allons-nous consacrer toutes nos énergies aux impératifs de survie de l'Église institutionnelle, au moment où tant de gens frappés par les crises sociales et économiques sont eux-mêmes en situation de survie ? Qu'advient-il des nouvelles solidarités tissées depuis 40 ans entre nous et nos milieux humains respectifs ? Cette riche et précieuse expérience ne nous incite-t-elle pas à articuler ces deux défis l'un à l'autre pour requalifier non seulement la vie interne des communautés chrétiennes, mais aussi les apports originaux de l'Église et des chrétiens aux enjeux humains importants, toujours avec le souci d'agir avec les forces vives de nos milieux respectifs ?

Voilà les questions qu'une cinquantaine de responsables pastoraux et de laïcs de divers milieux sociaux institutionnels se posaient au début de cette recherche il y a sept ans. On n'allait pas repenser les orientations chrétiennes et pastorales sans les orientations sociales, culturelles, morales et spirituelles actuelles. Les premières investigations du groupe l'ont amené à dégager trois champs de référence : les expériences et pratiques séculières, les courants religieux actuels et les divers rapports à la tradition chrétienne.

Premières notes méthodologiques

Nous avons fait l'option d'une recherche qualitative que nous explicitons dans l'annexe consacrée à notre méthodologie. Mais par-dessus tout, nous avons privilégié le récit de vie.

Le récit de vie doit être considéré dans sa subjectivité, car au plus profond de cette subjectivité se trouve enfouie la réalité sociale incorporée par le sujet [2].

Par les récits de vie et les entrevues semi-directives individuelles et de groupe, nous avons exploré les tendances majeures qui traversent les individus et se modulent en divers profils socio-religieux, en modèles culturels, en systèmes de représentations et de significations.

Mais nous portions d'autres préoccupations plus existentielles [12] au plan séculier comme au plan religieux. Dans les différents secteurs d'intervention où nous oeuvrions, nous entendions souvent cette remarque : « On ne sait plus trop ce qui se passe chez les gens. » Comme s'il y avait un immense continent noir en dessous des discours et des pratiques de surface. Plusieurs notaient une méfiance grandissante face à toutes les institutions et aux intervenants de tous ordres. Plusieurs sondages avaient d'ailleurs souligné le fait que de plus en plus de citoyens ne font confiance qu'à eux-mêmes.

Un fossé s'est ainsi creusé au point de rendre de plus en plus problématique toute forme de projets collectifs. On ne peut faire société ou faire Église avec une telle dissociation entre les acteurs. De nouveaux ponts étaient à créer et pour ce faire, il fallait cerner et discerner ce qui avait creusé un tel fossé. Par exemple, nous avons mis beaucoup de temps à bien saisir le qui, le quoi, le comment, le pourquoi de ces tensions intergénérationnelles plus ou moins souterraines souvent évoquées dans les entrevues, mais vite soumises à des autocensures que nous avions peine à décrypter. Et que dire des propos tenus sur la religion, eux aussi voilés. Rien donc ici d'une enquête où l'on va chercher ses données par une seule opération de questionnement.

Mais ces difficultés, paradoxalement, nous ont permis d'aller beaucoup plus loin et plus profondément, sans compter que les résistances rencontrées nous ont fournis de précieux indicateurs pour le renouvellement de nos pratiques.

Cinq rapports ont été publiés au cours des trois dernières années.

  • Le drame spirituel des adolescents (1992)
  • Vers un nouveau conflit de générations (20-35 ans) (1992)
  • Une génération bouc-émissaire, les baby-boomers (35-50 ans) (1993)
  • Entre l'arbre et l'écorce (1993)
  • La part des aînés (1994)

Chacun des rapports a été produit par une équipe différente arrimée à la fois au diocèse de Saint-Jérôme et à la Faculté de théologie de l'Université de Montréal où plusieurs membres enseignent ou poursuivent des études supérieures. L'équipe de base qui dirigeait l'ensemble de ces dossiers est pluridisciplinaire.

Le type de recherche-action que nous poursuivons implique de par sa nature même une interaction constante entre le groupe de recherche et les divers milieux ou institutions concernés dans un [13] processus de transformation porteur de projets collectifs. Nous avons travaillé tout autant dans les réseaux scolaires, sociaux ou de santé que dans les divers circuits pastoraux. Nous avons aussi tenu des dizaines de sessions de travail dans une vingtaine de régions du Québec, dans plusieurs associations professionnelles, parentales, des groupes communautaires et des groupes de jeunes. Nous avons poursuivi des expériences-pilotes autour de projets intergénérationnels qui nous ont permis de constituer des outils de travail susceptibles d'être utiles bien au-delà de nos propres champs d'intervention. Par exemple, des vidéo-cassettes sur les générations et leurs rapports, sur les nouvelles pratiques de transmission. Ce rapport-synthèse, on le verra, est construit avec le même souci pédagogique, auquel s'ajoutera un cahier plus spécifique sur des outils d'animation et d'intervention.

Pour une lecture dynamique de ce rapport

Paradoxalement et malgré nos bonnes intentions, ce rapport-synthèse est très volumineux. En fait, ce rapport n'est pas un abrégé des cinq premiers mais une poursuite de la recherche entreprise il y a sept ans, qui tient compte que des actions menées ici et là ont déjà enrichi les données et obligé à revoir certaines problématiques.

La première partie de ce volume traite de grandes orientations culturelles, morales, sociales et spirituelles telles que nous les ont révélées des gens de tous âges. On y parle de révision des valeurs (chapitre un), de nouvel intérêt spirituel (chapitre deux) et de foi chrétienne à réinterpréter (chapitre trois). La deuxième partie s'intéresse à la question des générations. On y retrouve la problématique des tournants d'âge (chapitre quatre), les enjeux de transmission (chapitre cinq), les questions de tensions (chapitre six) et de solidarités (chapitre sept) entre les générations. La troisième partie se penche plus directement sur des problématiques ecclésiales et pastorales. On s'y demande comment vivre l'Église et agir pastoralement à même le monde (chapitre huit), comment refaire et parfaire les liens dans un monde en rupture (chapitre neuf) ; on se questionne sur le grand défi du changement dans l'Église (chapitre dix). La quatrième partie reprend et approfondit un thème qui s'est révélé central au fur et à mesure que la recherche s'est déployée : l'initiation qui est présentée comme une pratique fondamentale à renouveler. Pour ce faire, on y aborde les fondements de l'initiation (chapitre onze) et on propose un modèle de resymbolisation (chapitre douze) ; on y parle de première initiation à la vie (chapitre treize) et d'étapes [14] initiatiques de la maturité (chapitre quatorze). Au-delà de l'initiation, une cinquième partie propose différents outils d'analyse et de formation ; des outils ayant servi à cette recherche ou pouvant faire en sorte que cette recherche se prolonge dans l'action [3]. Une conclusion redit l'orientation de cette recherche-action et propose à l'Église d'ici de se confronter à dix enjeux ou défis fondamentaux. L'aspect méthodologique est traité longuement en annexe.

Si ce dossier peut se lire comme un tout, il est vrai aussi que chaque partie a un caractère autonome ; il est donc possible d'en faire une lecture en mouvement pour ne pas dire en chassé-croisé. Comme les autres volumes de cette recherche, celui-ci se présente comme un dossier ouvert, appelant la recherche à se compléter et l'action à s'accomplir.



[1] F. DUMONT, Yves MARTIN, L'analyse  des structures sociales régionales, Québec, PUL, 1963. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[2] C. LALIVE d'ÉPINAY, « Récit de vie et projet de connaissance scientifique », Recherches sociologiques, XVI (2), 1985, p. 248.

[3] Ces outils se présentent d'abord comme des pistes de réflexion et des voies de compréhension. Un guide publié parallèlement propose des outils d'intervention. Voir Coll. sous la direction de Lise BARONI et Alain DUROCHER, Le défi de l'intervention. Pistes d'action socio-pastorales, Montréal, Fides, 1995.



Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le vendredi 24 mai 2013 12:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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