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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jacques Grand’Maison, LES TIERS. 1. Analyse de situation. (1986)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jacques Grand’Maison, LES TIERS. 1. Analyse de situation. Montréal: Les Éditions Fides, 1986, 240 pp. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

[9]

LES TIERS.
1. Analyse de situation.

AVANT-PROPOS

Les essais sont souvent le fruit d'une intuition qui n'a cessé de croître au point d'exiger un examen approfondi pour en sonder la pertinence. Mon intuition de départ, vérifiée dans des faits contemporains de tous ordres, est née de deux constats étroitement reliés l'un à l'autre.

Il y a d'abord ce vieux fonds historique manichéen qui ne cesse de renaître sous de nouvelles formes, non seulement dans les domaines religieux, moraux, culturels, idéologiques et politiques, mais aussi dans les pratiques sociales et même dans certains courants scientifiques à la mode. Tout se passe comme s'il ne devait y avoir que deux termes en présence, toujours engagés dans une sorte de duel où chacun cherche l'élimination de l'autre. Ce manichéisme sur tous terrains : de l'équilibre de la terreur à la guerre des sexes, est en train de nous épuiser. C'est là une des principales sources de l'escalade de la violence dont le terrorisme n'est qu'un exemple extrême parmi mille. On me dira, non sans raison, qu'il y aura toujours des conflits plus ou moins radicaux et que ceux-ci accompagnent tout changement historique. Même le pluralisme ne peut s'épargner de profondes tensions, j'en conviens. Il s'agit plutôt ici de ces batailles d'absolus qui tiennent davantage d'une logique de mort que d'une pratique de vivant. N'y a-t-il pas au moins une part de vérité dans cette affirmation de François Jacob : « Dans l'histoire, les massacres ont été accomplis par vertu, au nom de la religion vraie, du [10] nationalisme légitime, de la politique idoine, de l'idéologie juste, bref au nom du combat contre la vérité de l'autre » ? Blaise Pascal l'avait déjà dit à sa façon : « On ne fait jamais aussi parfaitement le mal que lorsqu'on le fait dans la pureté du coeur ».

Tout le monde reconnaît les méfaits du manichéisme, mais hélas ! sans beaucoup s'y attarder. Celui-ci court-circuite tout : la complexité du réel, ses ambiguïtés, ses richesses, ses possibles. Si je crois posséder la vérité totale et connaître le bien intégral, je verrai forcément mon opposant comme une incarnation de l'erreur et du mal absolu. Voyez tous ces débats autour du capitalisme, du communisme, du nationalisme, du syndicalisme, du féminisme, de la religion, de l'avortement et quoi encore !

Entre autres effets néfastes, l'attitude manichéenne inhibe toute action autre que celle de confondre et d'abattre l'adversaire. C'est une sorte d'anti-pratique qui se projette dans une logique hors du réel. Et celle-ci n'a qu'un esprit, celui de la contradiction poursuivie jusqu'à épuisement. Bien sûr, pareille logique est capable de prendre les armes, mais il ne faut pas compter sur elle pour un nouveau chantier. J'ai connu tellement de projets qui ont fait long feu, qui ne sont pas parvenus à terme parce que la démarche conflictuelle de type manichéen était le seul apprentissage qui avait précédé le projet. Il est plus facile de faire dérailler un train que d'en faire un ensemble. Je reviendrai sur cette image-guide parce qu'elle qualifie très bien le manichéisme comme anti-pratique. Le décrochage de la politique et de la militance chez un grand nombre de citoyens n'y est pas étranger. De même, le repli sur la vie privée, la quête de motivations positives, et ces initiatives à côté des grands jeux dualistes de la société. Je sais que ce diagnostic peut apporter de l'eau au moulin à l'idéologie néo-libérale et à son plaidoyer contre l'État, pour la [11] privatisation. Mais encore ici le manichéisme réapparaît. Hors du Marché, point de salut.

Mon deuxième constat est relié étroitement au premier. J'ai noté que le jeu manichéen crée la plupart du temps des exclus par le pur rapport de force qu'il instaure. En celui-ci, il n'y a pas de place pour ces tiers sans carte de pouvoir en main, pour ces tiers inclassables dans la logique dualiste de cette conception de la société et du pouvoir qui doit la régir. Mais on ne saurait qualifier ces tiers uniquement comme exclus ou victimes, car ils servent aussi comme instruments de légitimation, comme chair à canon de cette bataille, comme matériau de chantage, comme otages. Ils ne valent pas pour eux-mêmes et par eux-mêmes. Ils n'ont ni voix ni poids véritables.

Presque tous les créneaux du débat publie et des combats de l'heure sont occupés par les états-majors en lutte, par des forces corporatistes financières, professionnelles et syndicales qui utilisent plus que jamais les tiers déclassés par la crise actuelle pour légitimer leurs intérêts et leur quête de pouvoir monopolistique.

J'ai voulu vérifier la pertinence de mon intuition, à savoir la liaison entre ces deux phénomènes sociaux, avec le pari d'y trouver non seulement une clé de compréhension de la situation actuelle, mais aussi une clé de renouvellement des pratiques sociales.

Je parle de clé au singulier, parce qu'il y en a beaucoup d'autres. Cet essai n'a rien d'une nouvelle théorie sociale globale, et je ne prétends pas formuler la seule vraie pratique sociale à mettre en marche. Je me méfie d'ailleurs des explications comme des stratégies d'action qui prétendent couvrir tout le réel à partir d'une seule référence. Je tiens donc à bien marquer les limites [12] de cet essai. J'en suis d'autant plus conscient qu'en cours de route, il m'a fallu constamment réviser ma première hypothèse. Le monde des tiers aussi bien que le manichéisme d'hier et d'aujourd'hui se sont révélés beaucoup plus complexes que je ne le pensais.

La première partie de l'ouvrage porte sur l'exploration des divers types de tiers ; la seconde, sur le manichéisme comme fondement critique, et bien sûr sur son dépassement ; la troisième, sur les nouvelles pratiques, toujours en relation avec mon pari des tiers comme une issue possible. Un pari qui vient d'expériences modestes mais peut-être prometteuses.



Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le jeudi 23 mai 2013 9:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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