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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du livre de Georges Gusdorf, “Réflexions sur la civilisation de l’image.” Un article publié dans Civilisation de l'image, pp. 11-36. Recherches et débats du Centre catholique des intellectuels français, nouvelle série, no 33. Paris: Librairie Arthème Fayard, décembre 1960, 204 pp. [Autorisation des ayant-droit le 2 février 2013 de diffuser l'oeuvre de l'auteur dans Les Classiques des sciences sociales.]

[11]

Georges GUSDORF

Professeur à l’Université de Strasbourg

Réflexions sur
la civilisation de l’image
.”

Un article publié dans Civilisation de l'image, pp. 11-36. Recherches et débats du Centre catholique des intellectuels français, nouvelle série, no 33. Paris : Librairie Arthème Fayard, décembre 1960, 204 pp.


L'humanité du XXe siècle a vu naître la civilisation de l'image. Une série de perfectionnements d'ordre technique se trouvent à l'origine de cette péripétie dans l'histoire de la culture, dont les répercussions proches ou lointaines remettent en question certains aspects essentiels de la condition humaine. Mais cette révolution pacifique, dont les développements se poursuivaient peu à peu au niveau de la vie quotidienne, n'a pas retenu autant qu'elle le méritait l'attention de ceux‑là même qui en étaient les acteurs, les témoins et les bénéficiaires. Chaque invention nouvelle, chaque procédé inédit enchantait l'opinion par les perspectives offertes à l'imagination quelque peu puérile du grand public, ravi par les tableaux de l'infatigable Père Noël technicien. Au bout du compte, le visage de l'homme et le visage du monde se sont trouvés transformés sans que personne se soit soucié de penser le phénomène dans son ensemble . la photographie, le cinéma, la télévision, les magazines ont été acceptés d'enthousiasme, et tour à tour, par une clientèle immense, qui ne pouvait mettre en doute le caractère bénéfique de ces passe‑temps innocents. Les sous‑marins, les gaz asphyxiants, l'aviation donnent à penser, parce qu'ils font peur ; mais un appareil photographique, un téléviseur, un journal illustré ne font peur à personne. Ils contribuent au confort d'une existence, de plus en plus, et légitimement, avide de loisirs.

Le merveilleux est entré dans la vie de chaque jour. Il serait absurde de le déplorer. Personne ne prend au sérieux l'enfant gâté qui se plaint d'avoir trop de jouets. Mais il vaut la peine de réfléchir sur la place considérable occupée désormais par l'image dans l'existence humaine.

*

[12]

La première civilisation fut une civilisation de la parole, et sans doute la parole est-elle forme première de toute civilisation. La culture humaine tout entière n'est pas autre chose que l'ensemble des moyens de communication mis en oeuvre pour établir le contact de l'homme avec les autres hommes et avec lui-même. L'invention de la parole est donc plus décisive que celle du feu ; elle consacre l'inauguration humaine de l'univers, et la prise en charge par les premières communautés de leurs destins solidaires. Le sourd‑muet, aussi longtemps qu'il est privé de la parole, demeure un excommunié social, et par là un arriéré mental.

L'institution de la parole est donc l'acte de naissance du premier monde humain. Ce monde archaïque est soumis à l'autorité de la tradition, définie par le mythe parlé et vécu. Les anciens détiennent l'autorité spirituelle, parce qu'ils sont les dépositaires et les conservateurs d'une mémoire sociale fragile et toujours menacée, à la merci de la mort de quelqu'un, ou de l'épidémie qui frappe ceux qui savent. Le savoir est un secret, étroitement délimité dans l'espace et dans le temps, et ce secret, d'ailleurs, peut survivre pendant des millénaires, de chuchotement en chuchotement, sans perdre jamais le caractère d'être une vérité à portée de la voix.

Une nouvelle civilisation apparaît au moment même où sont créées les techniques de l'écriture, qui augmentent considérablement la portée de la parole dans l'espace et dans le temps. La voix humaine, une fois mise en conserve, défie les vicissitudes de l'histoire et les altérations, conscientes ou non. Au règne de la tradition, l'écriture substitue l'autorité de la loi ; elle permet le rassemblement et le contrôle de multitudes immenses soumises à une discipline formulée une fois pour toutes. Alors se forment les grands empires, les grandes religions, les grandes administrations, dont l'avènement dépend de ce nouveau personnage du lettré ou du scribe, du, juriste, qui est aussi un scoliaste et un commentateur. Avec l'écriture, et grâce à elle, l'humanité entre dans l'histoire, et ensemble l'homme parvient à une nouvelle conscience de son destin.

La civilisation de l'écriture occupe la majeure partie de l'histoire universelle telle qu'on la conçoit en Occident, puisque la diffusion [13] de l'imprimerie ne date guère que de cinq siècles. Ici encore, le facteur technique apparaît étroitement solidaire de la vie spirituelle dans son ensemble. On peut observer, par exemple, que la civilisation de l'imprimé est une civilisation de la quantité, de la masse, alors que la civilisation de l'écriture garde un caractère aristocratique, oligarchique. La structure démocratique apparaît alors, dans le domaine politique aussi bien que dans le domaine religieux ; il est clair que la Réformation n'est possible que si le Livre Saint se trouve dans chaque foyer. La Bible fournit, parmi les i cunables, le contingent le plus massif. Mais pour lire la Bible, il faut savoir lire ; et celui qui lit la Bible peut aussi lire autre chose, et réfléchir sur ce qu'il lit. Une nouvelle conscience se forme, une conscience critique. Le livre, la brochure, la revue périodique, le journal, le tract alimentent désormais une sorte de sensibilité intellectuelle de plus en plus active. Au dire de Hegel, la lecture du journal et la prière du matin de l'homme moderne. Le journal a chassé la prière, et le mot porte loin, plus loin sans doute que ne le pensait Hegel lui-même.

L'avènement de l'image est lié à l'essor technique de l'imprimerie. La fresque murale, la peinture sur bois, la miniature sur parchemin, le dessin sont d'abord des arts dont les exemplaires uniques se trouvent nécessairement réservés aux privilégiés de la fortune. Seule la mécanisation des procédés de fabrication mettra l'image à la portée du grand nombre. La xylographie, la gravure sur bois a d'ailleurs précédé l'imprimerie elle‑même, avant de s'intégrer à l'artisanat, puis à la naissante industrie du livre. Les débuts sont modestes, l'imperfection, la fragilité de la technique employée réduisant l'image au rôle de servante du texte. Bon nombre des premières éditions d'incunables réservent au milieu des pages imprimées la place des lettrines et des enluminures, des illustrations qu'un artiste exécutera à la main pour les riches amateurs. En dépit de quelques chefs‑d'œuvre, la gravure sur bois ne suffit pas à émanciper l'image, à faire d'elle un moyen d'expression indépendant.

Cette nouvelle dignité, l'image la devra à la création d'une technique riche de possibilités qui n'existaient pas jusque‑là. « À partir des dernières années du XVIe siècle, précise un ouvrage spécialisé, on cesse [14] à peu près complètement d'avoir recours à la gravure sur bois. Et cela non seulement pour illustrer des livres, mais dans tous les domaines. Le règne de la taille‑douce commence, qui durera plus de deux siècles, dont le début marque bien autre chose qu'un changement de technique : si cette technique triomphe, c'est qu'elle permet de reproduire fidèlement et jusque dans leurs moindres détails, tableaux, monuments et motifs décoratifs, et de les faire connaître partout et à tous - de reproduire surtout l'image exacte de la réalité et d'en laisser un souvenir durable ; l'estampe va jouer désormais, et de plus en plus, pour la diffusion des images, un rôle analogue, à celui que remplit depuis plus d'un siècle le livre imprimé pour la diffusion des textes. Ainsi l'adoption de la taille-douce et le développement du commerce international des estampes, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, élargit l'horizon des hommes de ce temps [1]. »

Ce texte fait voir très clairement que la civilisation de l'image date, sous sa forme première, de la mise en œuvre de la gravure sur cuivre, La finesse du procédé, sa précision, ainsi que la possibilité de produire, à partir d'une seule planche, un très grand nombre de tirages, confèrent désormais à l'image une valeur intrinsèque. Elle possède en elle-même sa signification ; là même où elle illustre un livre, elle apporte quelque chose que les caractères imprimés ne pouvaient pas figurer. Une nouvelle dimension intellectuelle et spirituelle se trouve ainsi ajoutée à l'univers de la connaissance ; cette émancipation de l'image s'affirme par exemple avec la publication de recueils de gravures, d'où l'image a éliminé le texte. Et l'on voit aussi se former des collections ou cabinets d'estampes.

Le texte imprimé s'adresse à l'esprit, et s'il peut parler à l'imagination, c'est toujours par le détour de la réflexion abstraite. Le langage direct de l'image fournit une présentation concrète de la réalité - une gravure est plus sûrement évocatrice qu'une longue description. Les relations des voyageurs qui dressent, depuis le XVIe siècle, l'inventaire méthodique de la planète devront beaucoup au témoignage [15] irremplaçable de leurs illustrations. Selon Febvre et Martin, la grande collection des voyages de Thomas de Bry « donne pour la première fois, au début du XVIIe siècle, et grâce à la taille-douce, une représentation parfois erronée mais toujours précise, des pays lointains et de leurs habitants, du Brésil à la Laponie » [2]. L'univers de la géographie et ses horizons chimériques commencent à prendre forme dans la pensée des hommes. En même temps, se constitue peu à peu le premier « musée imaginaire », rassemblant, à l'échelle du goût esthétique dominant, les reproductions des grandes œuvres de l'art. « À partir du XVIIe siècle et grâce à la gravure, chacun connaît les chefs‑d'œuvre épars en Europe. Une foule de graveurs de tous les pays s'appliquent à reproduire les peintures, les monuments et les ruines de l'Italie [3] ». Cette récapitulation des visages du monde s'étend d'ailleurs à la connaissance de la réalité présente : les hommes, les événements contemporains, fixés par la gravure, se trouvent ainsi portés à la connaissance de ceux-là même qui n'en ont pas été les proches spectateurs.

Il faut donc reporter à cette époque déjà lointaine la première révolution de l'image. La gravure, dont les prestiges ont cessé de nous être perceptibles, a été le moyen de cette prise de possession du domaine des apparences. Mais la science elle‑même bénéficie de l'image imprimée, qui équivaut vraiment à un équipement épistémologique nouveau. Dès le temps de la gravure sur bois, qui permet l'impression d'ouvrages scientifiques tirés à petit nombre, les planches deviennent un élément capital pour l'exposé du savoir. Au milieu du XVIe siècle, les premiers Théâtres de Botanique doivent le meilleur de leur valeur aux admirables et très précises illustrations qui les accompagnent. Les sciences descriptives ne prennent leur essor qu'à partir du moment où la figuration devient la forme privilégiée de la description. En 1543, le De Corporis Humani Fabrica de Vésale, qui fonde l'anatomie humaine en Occident, est d'abord un admirable recueil de planches. De même, le développement d'une géographie positive n'est possible que lorsque le savoir, consigné sur des cartes de plus en plus précises, [16] peut être mis à la disposition de tous ceux qui s'intéressent à ces recherches. D'où l'importance décisive des célèbres Atlas de Mercator, dès la fin du XVIe siècle.

La gravure sur cuivre enrichira encore ces possibilités, en multipliant en même temps la masse des reproductions possibles de chaque cliché. La reconnaissance de l'image comme élément intégrant du savoir, dont il ne saurait plus être question de se passer, s'affirme d'une manière très significative dans les premiers projets d'encyclopédie, qui trouveront leur aboutissement dans la grande entreprise de d'Alembert et Diderot. À la fin du XVIIe siècle, Locke, philosophe empiriste, affirme, contre Descartes, que la connaissance est d'abord une prise de possession du réel par la perception humaine. Les données sensibles sont la source et la ressource de toute vérité. Et Locke rêve d'un vaste dictionnaire dans lequel se trouveraient recensés tous les objets du monde. Le recours à l'image est donc indispensable : « Les mots qui figurent les choses qu'on connaît et qu'on distingue par leurs figures extérieures, devraient être accompagnés de petites tailles‑douces qui représenteraient ces choses [4]. » Le grand Leibniz, commentateur et critique de Locke, reprend l'idée à son compte, et cite des précédents : « Le R. P. Grimaldi, président du tribunal des mathématiques à Pékin, m'a dit que les Chinois ont des dictionnaires accompagnés de figures. Il y a un petit nomenclateur, imprimé à Nuremberg, où il y a de telles figures à chaque mot, qui sont assez bonnes. Un tel dictionnaire universel figuré serait à souhaiter et ne serait pas fort difficile à faire... [5] »

L'entreprise, on le sait, ne sera réalisée en fait qu'au milieu du XVIIIe siècle. On sait aussi que l'une des originalités maîtresses de l'Encyclopédie sera la collection de planches admirables qui complètent le texte même du dictionnaire : les arts et les techniques, les procédés de fabrication de l'industrie humaine se trouvent ainsi exposés avec une précision accessible à tous. Quelque chose d'essentiel se trouve [17] ainsi révélé par l'image ; aucun texte, si minutieux soit-il, ne pourrait fournir une information équivalente. Ce qu'on sait moins, c'est que les volumes de planches de l'Encyclopédie avaient été précédés par une initiative de l'Académie des Sciences qui, dès la fin du XVIIe siècle, avait amassé des documents graphiques en vue d'une description des techniques et des métiers. La réalisation traînant en longueur, Diderot reprend à son compte l'idée ; il détourne même des planches gravées en vue de la publication académique... [6] Il n'en reste pas moins que l'Encyclopédie consacre la participation de l'image à la constitution du savoir. Autre signe des temps, l'Histoire naturelle de Buffon associe étroitement la magie évocatrice du style à la présentation concrète, par la gravure, des diverses espèces animales. Ici encore, l'image n'est pas un ornement et un supplément ; elle est partie intégrante de l'oeuvre.

Nous nous sommes étendu quelque peu sur les répercussions de cette première révolution technique de l'image, sous la forme de la gravure en taille‑douce, parce qu'elle est sans doute la plus décisive. Les techniques de l'image pourront faire d'énormes progrès, et se renouveler entièrement ; l'image prendra une part croissante dans la culture, mais les émerveillements à venir ne feront que recommencer le ravissement initial de l'esprit pour lequel le inonde jusque‑là représenté par un texte écrit s'incarne dans l'image et devient un monde présenté par l'illustration. Ce transfert de l'intelligible au sensible va désormais multiplier ses voies et moyens, grâce à la mise en œuvre de procédés inédits. Nous nous contenterons de signaler quelques étapes qui jalonnent ce développement ininterrompu.

La suprématie de la gravure sur cuivre est mise en question par l'invention de la lithographie, due au Bavarois Senefelder (1796) et qui, dès le début du XIXe siècle, connaîtra une expansion considérable. Le support calcaire du cliché auquel on a substitué par la suite divers supports métalliques plus maniables, donne à l'image une liberté d'allure beaucoup plus grande. La gravure en taille‑douce exigeait la [18] minutieuse patience d'un technicien spécialisé ; la lithographie s'offre sans longue adaptation préalable à la fantaisie créatrice des dessinateurs et des peintres de talent ; elle permet aussi la création d'une imagerie populaire, correspondant à une production massive et à bon marché. La légende napoléonienne, par exemple, doit beaucoup à la propagande par l'image, rendue possible par la lithographie utilisée par Raffet, par Charlet et bien d'autres artistes d'un moindre talent. Dès 1838, d'ailleurs, apparaîtront des procédés de lithographie en couleur qui ouvrent à l'imagerie une dimension supplémentaire ; la couleur, jusqu'alors appliquée à la main et réservée à des ouvrages de qualité, entre à son tour dans le cycle de la production industrielle.

Mais l'événement majeur dans le domaine des images est l'apparition de la photographie, avec les travaux de Niepce, à partir de 1822, et ceux de Daguerre vers 1829. Le gouvernement français, s'étant assuré la propriété de la nouvelle technique, la fait entrer, en 1839, dans le domaine publie, mettant ainsi la daguerréotypie à la disposition de tous ceux qui veulent s'en servir. La diffusion sera d'ailleurs lente : la photographie est d'abord un art qui concurrence la peinture, dont les jours, au dire de M. Ingres, seraient désormais comptés. Mais avant même de devenir un fait de civilisation, la photographie constitue, dans le domaine de l'image, une révolution véritable. Comme l'indique le nom même du procédé, l'image est obtenue par inscription directe des lumières et des ombres sur une plaque sensible. L'objectif enregistre l'empreinte des hommes, des choses et des paysages tels qu'ils sont en eux‑mêmes. Grâce à la captation ainsi réalisée, on obtient une image sans imagier, totalement fidèle, et menée à bien dans un temps très bref. L'opérateur qui se contente de déclencher le processus physique, n'est pas tenu à la longue patience du graveur, non plus qu'à ses essais, ses erreurs et ses échecs.

La photographie correspond, dans l'histoire de l'image, à une véritable mutation. Mais un demi‑siècle encore s'écoulera avant que cette mutation passe du domaine artisanal à la grande industrie. La conjonction devra s'opérer, au préalable, entre la photographie et l'imprimerie, seule capable de reproduire les nouvelles images à des millions d'exemplaires. Les premiers procédés industriels de reproduction typographique [19] sont mis au point vers 1884 ; l'héliogravure apparaît en 1898. Dès lors, l'image photographique envahit la production imprimée ; elle prend pied dans le livre, elle va régner sur le journal et le magazine. Elle devient le pain quotidien des masses, s'enrichissant d'ailleurs elle aussi de toutes les virtualités de la couleur.

En même temps, s'ouvre à l'imagerie une autre carrière, appelée, elle aussi, à un prodigieux avenir. Dès 1895, les frères Lumière, continuant des recherches antérieures, celles de Marey en particulier, mettent au point le premier cinématographe. À côté de l'image imprimée, il existe désormais une image projetée ; à côté de l'image fixe, une image en mouvement ; le cinéma conjugue, dans l'ordre de l'image, l'espace et le temps. Un art nouveau, et une grande industrie, consacreront bientôt l'avènement social du cinéma. Et, grâce aux progrès de l'électronique, le son viendra s'accorder aux rythmes de la lumière, restituant une image plénière du réel, dont certains procédés récents, multipliant les objectifs, les diffuseurs et les écrans, s'efforcent de parachever encore l'emprise totalitaire. La télévision enfin, dernière née des formes d'images, consacre l'avènement d'un cinéma à distance : cinéma chez soi, cinéma permanent. Dans chaque loyer, le petit écran du téléviseur est un œil ouvert sur l'univers entier.

L'envahissement de la vie quotidienne par l'image sous ses diverses formes fait de l'homme contemporain un consommateur tourmenté par une faim obsédante. Mais il est devenu aussi, de gré ou de force, un producteur, et ce dernier phénomène n’est pas le moins singulier dans l'évolution que nous nous efforçons de retracer à grands traits. L'appareil photographique et la caméra sont aujourd'hui dans toutes les mains ; l'homme du XXe siècle est chasseur d'images pour son propre compte. Il est désormais le metteur en scène de sa propre vie et il passe une part non négligeable de son temps à tenter de voir le Monde, les autres hommes et lui‑même selon les normes et convenances de l'objectif photographique, accessoire privilégié de la panoplie de tout citoyen conscient et organisé. La boucle est ainsi bouclée ; l'image a vaincu son vainqueur.

*

[20]

Ainsi la démultiplication de l'image grâce aux conquêtes de la technique a pour effet la pénétration croissante de l'image sous toutes ses formes dans la vie quotidienne. Elle est devenue, que nous le voulions ou non, un grand fait de civilisation. Je me souviens des colis de vivres que les prisonniers de guerre en Allemagne recevaient de la munificence américaine ; les conserves de toute espèce, les paquets de fruits secs apparaissaient à nos yeux éblouis dans l'éclat de leurs étiquettes bariolées, évocatrices de festivités gastronomiques. Un jour, l'administration américaine s'avisa sans doute que ce festival publicitaire coûtait cher, la clientèle n’ayant pas le choix, et d'ailleurs étant servie gratuitement. Nous reçûmes dès lors les mêmes colis, mais les divers éléments s'offraient dans des emballages neutres et nus ; une simple inscription annonçait le contenu. Et nous découvrîmes avec mélancolie que ce n'étaient plus les mêmes colis. Le Père Noël américain avait revêtu l'uniforme grisâtre de la guerre. Nos estomacs n'y perdaient rien, mais nos yeux privés d'images ressentaient durement cette nouvelle frustration.

Le fait est là. L'image a pris possession de notre sensibilité, de notre intelligence ; elle nous a imposé des attitudes, des réactions et des conduites ; elle est devenue un élément essentiel de notre mode d'existence, par le simple développement d'un certain nombre de techniques de production. Et l'importance du phénomène est d'autant plus difficile à apprécier que nous sommes nous‑mêmes mis en question, et comme atteints du dedans, sans avoir jamais eu l'occasion de ressaisir dans son ensemble une situation dans laquelle nous nous trouvons totalement impliqués. Une protestation passionnelle contre cette forme nouvelle d'aliénation technique ne rime pas à grand‑chose. Il ne suffit pas de dénoncer le cancer de la cellule photo‑électrique, la prolifération incontrôlée du virus cinématographique, ou la toxicomanie des bandes dessinées. La civilisation de l'image, c'est l'avènement d'un homme nouveau dans un monde nouveau. Il faut essayer de la comprendre dans son ensemble, ou du moins d'en démêler les caractères essentiels.

Le fait technique de la multiplication de l'image a une portée anthropologique et cosmologique tout ensemble, et sans doute convient-il [21] d'essayer tout d'abord de le comprendre dans le développement même de l'espèce humaine. L'œuvre de Pradines, résumant de nombreuses recherches de psychophysiologie, a introduit en France la thèse selon laquelle les divers sens humains doivent être situés dans la perspective de l'évolution. Les réceptions sensorielles, l'ouïe, l'odorat comme le tact ou la vue, n’ont pas toujours été ce qu'elles sont ; leur structure actuelle représente l'aboutissement présent d'un effort millénaire d'accommodation du vivant à son milieu. Chaque sens s'est très lentement affiné pour contribuer d'une manière plus efficace à la prise de possession de l'environnement humain. L'état présent des dispositifs sensori‑moteurs est le résultat de cette éducation et rien ne permet de penser que l'équilibre aujourd'hui réalisé soit définitif. Les systèmes de réception, d'alerte et de défense qui consacrent et consolident l'établissement de J'espèce humaine dans son espace vital sont appelés eux‑mêmes à se modifier si la réalité qu'ils affrontent cesse d'être ce qu'elle était jusqu'à présent.

Or notre civilisation est caractérisée par la prépondérance du facteur technique. La révolution industrielle, depuis la fin du XVIIIe siècle, a modifié de plus en plus profondément l'univers humain, substituant au milieu naturel ce qu'on a appelé le « nouveau milieu » technique. Le phénomène est d'une telle ampleur qu'on a pu considérer la progression de la civilisation mécanicienne comme une reprise humaine, et comme une sorte de relance artificielle, de l'évolution.. Les apparences, les rythmes, les échelles de notre monde se sont rapidement transformés dans l'espace d'un siècle. Sous peine de se trouver désaccordé par rapport à l'ambiance qu'il a créée, il est clair que l'homme doit procéder à une sorte de révision de ses structures neurobiologiques pour faire face au renouvellement des évidences. Il suffit ici de songer à l'entraînement des pilotes d'engins ultra‑rapides, des pilotes d'avions à réaction ou des futurs conducteurs des navires spatiaux. Leurs yeux, leurs oreilles, leurs sens externes et internes, leur organisme dans son ensemble doivent affronter des situations inédites. L'apprentissage de nouveaux modes de comportement ne peut aller sans une remise en question des équilibres traditionnels. L'avenir de l'espèce se trouve ici engagé dès le présent, sans que nous puissions [22] deviner jusqu'où ira cette modification structurale de la réalité humaine. Le navigateur cosmique représente le cas limite de l'humanité d'aujourd'hui ; il sera peut‑être l'homme moyen de demain. Mais, renonçant à l'anticipation, on peut fort bien parler d'un nouveau monde sensible, qui est celui de l'homme de la rue. Par exemple, les moyens de transport de toute espèce, en ouvrant à l'activité de chacun les possibilités de la vitesse, ont augmenté le rayon d'action de notre présence au monde. Les horizons ne sont plus ce qu'ils étaient ; la notion de distance a changé de sens. De même, l'ensemble de ce qu'on appelle les moyens audio‑visuels est venu élargir démesurément la portée des organes des sens. Nous voyons, nous entendons à des milliers de kilomètres, et l'accroissement quantitatif se double d'une démultiplication qualitative. Car nous pouvons emmagasiner les sons et les images, et nous pouvons aussi les défigurer en modifiant leurs structures et leurs cadences. Nous échappons aux normes immémoriales de la perception humaine, puisque nous pouvons à notre gré ralentir et accélérer .les rythmes familiers. La lecture naturelle du réel n'est plus qu'une possibilité parmi beaucoup d'autres dans une sorte d'univers de la relativité généralisée.

On peut donc parler d'un nouveau monde sensible. Et ce monde sensible est ensemble un inonde intelligible ; ce ne sont pas seulement les données extérieures qui changent, le mode même d'appréhension de ces données doit suivre le mouvement, ou plutôt l'accompagner. La vue, l'ouïe, chez l'homme sont différentes de ce qu'elles sont chez l'animal, non seulement parce que les appareils récepteurs ne sont pas les mêmes, mais encore et surtout parce que la vision et l'audition sont des opérations d'une intelligence qui prend possession de l'univers. L'intelligence ne vient pas après la perception ; elle est immanente à la perception elle-même ; c'est dans la perception même qu'elle vient au monde. La connaissance n'est pas une procédure extérieure aux moyens de connaissance, et distincte d'eux ; elle est l'affirmation d'une présence au monde, l'occupation par l'homme de son milieu naturel. Toute modification de l'un des aspects de la présence au monde doit donc retentir de proche en proche, entrainant un réajustement global du processus de l'incarnation.

[23]

On peut donc penser que le progrès technique, dans la mesure où il transforme la situation de l'homme dans le monde, s'accompagne de variations corrélatives de la sensibilité et de l'affectivité. Un ordre de recherches s'ouvre ici, qui mènerait sans doute à la constitution d'une anthropologie historique, si les historiens, les sociologues et les philosophes voulaient bien se donner la peine de l'entreprendre, en renonçant d'abord au postulat implicite d'une humanité identique à elle-même à travers les siècles. Quelques indications peuvent néanmoins être glanées ici et là. Par exemple, le sociologue et philosophe allemand Simmel, dans sa Sociologie, parue en 1908, observe que « à mesure que la civilisation s'affirme, l'acuité de la perception des sens s'émousse, tandis que leur capacité de jouir et de souffrir s'accentue » [7]. L'homme moderne a des yeux moins perçants, des oreilles moins fines, un odorat moins subtil que ses ancêtres ; en même temps, toutes sortes d'excitations, d'impressions communément supportées il y a quelques siècles, paraissent aujourd'hui intolérables : (c en général écrit encore Simmel, une culture avancée émousse l'acuité des sens à distance. Non seulement nous devenons myopes, mais le champ de la sensibilité en général se rétrécit. Par contre, en se bornant à des distances plus rapprochées, notre sensibilité « s'intensifie » [8].

En France, Lucien Febvre a, lui aussi, parfois souligné au passage l'importance de cette sensibilité différentielle, à l'oeuvre dans l'histoire. Il note, par exemple, que les Romains disaient d'un homme subtil : « il a le nez fin » ; au XVIe siècle, un jugement analogue se réfère plutôt au sens auditif. On dira : « Il a l'oreille fine ; il entend l'herbe pousser »... « Le XVIe siècle, écrit Febvre, un siècle d'auditifs (...) Des hommes qui flairent, qui hument, qui aspirent les odeurs, des hommes qui touchent et palpent et tâtent - mais surtout, des hommes qui captent les sons, retiennent les sons, vivent avec délices dans le monde des sons. Des passionnés de musique, tous les témoignages l'attestent [9]. » [24] Or, d'après Lucien Febvre, la diffusion de l'imprimerie aurait eu pour conséquence la transformation des auditifs en visuels. Jusque‑là, en effet, les textes sont rares, et la lecture, dans le cadre scolaire, est un exercice collégial ; elle se fait à voix haute. La diffusion du livre enferme le lecteur dans sa solitude, et l'oblige à lire pour lui seul, non plus avec la bouche, mais avec les yeux, pour ne pas empiéter sur l'espace mental du voisin qui poursuit de son côté une aventure intellectuelle solitaire.

Nous nous trouvons ici en présence d'une des premières répercussions du facteur technique sur le monde sensible. Il est clair que l'essor de l'image accentuera encore la prépondérance de la dimension visuelle dans la connaissance humaine. Et cette prépondérance se trouvera encore favorisée par la mise au point, depuis un siècle, des nouvelles techniques qui fournissent une perception du proche et du lointain sans commune mesure avec les possibilités des yeux les plus exercés. Nous vivons aujourd'hui par la vue beaucoup plus que nos devanciers ; et la place d'honneur accordée aux réceptions visuelles dans l'existence doit avoir pour contrepartie un équilibre différent, ou un déséquilibre) de la vie personnelle. Les psycho-pédagogues américains ont pu décrire la variété nouvelle des « T. V. children », les enfants de la télévision caractérisés par l'aplatissement de la partie inférieure du menton, car le sujet passe la meilleure partie de son temps allongé sur le tapis, les yeux fixés sur l'écran magique du téléviseur. Fatigué par de trop longues veillées, l'enfant somnole en classe et vit dans un état de torpeur hébétée, dont il ne sort que pour consommer sa ration d'images...

*

Cette évocation quelque peu malveillante ne suffit certes pas à caractériser la nouvelle civilisation de l'image. Une réflexion plus sagace doit d'abord constater que l'image, dans la variété de ses formes, imprimée ou photographiée, filmée ou télévisée, modifiant notre présence au monde, modifie dans une certaine mesure le monde lui-même. Au lieu d'occuper un emplacement défini une fois pour toutes, au centre [25] de l'espace perçu, l'homme d'aujourd'hui jouit d'une sorte d'ubiquité ; il se situe à la fois partout et nulle part ; il est passé, en quelques dizaines d'années, de l'univers ‑d'avant Copernic à une sorte d'univers einsteinien, où règne la relativité généralisée. La distance n'existe plus ; les actualités du cinéma et de la télévision nous font, sans effort et sans étonnement, contemporains de la planète. Le temps lui‑même est vaincu par l'image ; les morts laissent des traces qui s'animent devant nous au rythme de la vie, nous sourient et nous parlent.

Cette conquête de l'espace-temps ne se réduit pas à une simple extension de nos possibilités naturelles. Là même où nous sommes présents, l'image donne à voir autrement, et mieux. Fabrice, à Waterloo, ne connaît qu'un aspect fragmentaire de la bataille. Aucun des combattants de Waterloo ne peut voir la bataille de Waterloo ; et chacun sait que la belle ordonnance des tableaux peints après coup par les peintres de batailles laisse échapper l'essentiel. Un seul regard ne peut saisir la pluralité des perspectives contemporaines, réconcilier l'ensemble et le détail. L'objectif photographique ou cinématographique, en multipliant les prises de vues simultanées, remédie à cette déficience congénitale de la vision humaine. Un match sportif, une grande cérémonie télévisée s'offrent ainsi aux millions de spectateurs lointains dans une visibilité totale, et avec un relief dont les témoins immédiats ne bénéficient pas. Ainsi s'est développée une nouvelle possibilité de vision dans l'espace, qui est ensemble une vision de l'espace.

L'un des aspects les plus singuliers de cette perception spatiale, c'est la possibilité pour l'homme de se voir lui-même. Jusqu'à une époque somme toute assez récente il était impossible au sujet de retourner contre soi son propre regard. L'œil, disaient les philosophes, ne peut se voir lui‑même. La civilisation de l'image a tourné la difficulté. La première, et la plus simple, des techniques de l'image de soi est le miroir. Cet accessoire banal de la vie quotidienne a cessé de nous émouvoir, et pourtant la révélation du miroir produit à l'origine un effet de choc, dont témoigne le mythe de Narcisse. Pendant le grand voyage de Magellan autour du monde, l'expédition fait escale en Patagonie au cours de l'hiver 1519-1520. Un indigène de grande taille est conduit à bord du vaisseau amiral : « Le capitaine fit bailler à manger et à boire [26] à ce géant, puis il lui montra quelques objets, entre autres un miroir d'acier. Quand ce géant y vit sa semblance, il s'épouvanta grandement, sautant en arrière, et il fit tomber trois ou quatre de nos gens par terre [10]. »

Les miroirs de Venise, au début de la Renaissance, de beaucoup supérieurs aux anciens miroirs métalliques, mèneront l'homme moderne, par la contemplation de son image, vers la connaissance de soi. La photographie, le cinéma, en fixant cette image, en lui donnant un pouvoir évocateur extraordinaire, ont certainement contribué à modifier profondément la conscience de l'homme d'aujourd'hui. François Mauriac notait un jour ce malaise du témoin de sa propre vie, qui se voit à distance tel que les autres le voient. Il assiste à la projection d'un film documentaire qui lui est consacré : « Quand je me suis vu pour la première fois, j'étais atterré. On croit se voir dans une glace, mais on ne se voit pas. Quand j'ai vu entrer ce vieil homme dans mon salon, j'ai cru que c'était un aîné. J'ai été consterné. On ne connaît pas plus son aspect physique que le son de sa voix. C'est aussi déroutant [11]. » Consterné ou ravi, l'homme moderne est devenu le témoin de son propre personnage, grâce à une sorte de dédoublement spéculaire de la personnalité.

Il apparaît ici clairement que la modification de la présence au monde ne se limite pas au domaine de la perception. Ce n'est pas seulement la manière de voir qui est atteinte, c'est aussi la manière d'être et de sentir. Le règne des images n'est pas indépendant du règne des valeurs. Et, par exemple, la nouvelle sensibilité caractéristique de la civilisation de l'image exerce de proche en proche son influence jusqu'aux activités esthétiques. L'imagination créatrice de l'artiste est liée au règne des images. Le miroir renaissant est l'origine de la grande famille des « portraits du peintre par lui-même ». Et le nouvel espace visuel de la photographie et du cinéma permet de comprendre certains aspects insolites de l'art contemporain. C'est en 1911-1912 que Marcel Duchamp, né en 1887, peint -,on célèbre Nu descendant un escalier, qui transcrit [27] sur la toile, pour la première fois sans doute, un montage photographique ou cinématographique, le même sujet en mouvement figurant plusieurs fois dans la composition. Les audaces du cubisme, du surréalisme et de l'art abstrait, avec leurs démultiplications de perspectives, leurs télescopages d'images simultanées et leurs efforts pour exprimer graphiquement des dynamismes, donnent carrière à cette nouvelle imagination libérée par les moyens techniques d'enrichissement du inonde visuel.

Ces brèves remarques ne visent d'ailleurs qu'à indiquer la possibilité d'une recherche qui pourrait être entreprise pour l'exploration du nouveau monde visuel. Elles attestent en tout cas l'importance décisive de cette prise de possession de l'univers et de soi-même, dont les diverses techniques de l'image sont à la fois la cause et l'expression. De même que l'on a parlé d'un musée imaginaire, rassemblant les œuvres de toutes les cultures et de tous les temps, on pourrait dire que le monde actuel est, pour chacun d'entre nous un monde imaginaire, lui‑même habité par un homme imaginaire. Ces formules auraient l'avantage de mettre en relief la démultiplication des aspects simultanés constituant à chaque instant la réalité humaine, qui se définirait désormais comme une unité toujours contestée, comme le foyer imaginaire, vers lequel s'efforce la pensée, par-delà la concurrence et la contradiction des apparences. Le monde actuel est pour chacun de nous la limite vers laquelle tend la totalité indéfinie, et sans cesse croissante, des images procurées par l'ensemble des perceptions supplétives qui multiplient les possibilités de nos sens.

*

Mais les images ne sont pas seulement des objets de contemplation, le mode de présentation du monde à la pensée. Toute appréhension et définition d'un aspect du monde par l'image fixe un terme au sein d'un ensemble de représentations. Ce terme peut être transmis à d'autres : un dessin, une caricature, une photographie, une bande filmée passent de la main à la main et de l'oeil à l'œil. Chaque ordre d'images constitue un moyen de communication. Et dans la mesure où l'image est transmissible, [28] elle ne consacre plus seulement l'éveil d'une conscience à elle-même ; elle intervient aussi comme un appel d'une conscience aux autres consciences ; elle est un moyen de culture et aussi un moyen d'action.

Et tout d'abord, il faut observer que ce langage est le plus universel de tous. L'espace‑temps de l'image est plus vaste que celui de la parole ou de l'écriture : les paroles s'envolent, les écrits restent, mais deviennent indéchiffrables. Les inscriptions hittites ou minoennes résistent encore aux investigations des spécialistes, alors que les fresques de Lascaux ou d'Altamira exercent toujours directement une singulière fascination sur les visiteurs les moins avertis. Les images des films traversent toutes les frontières linguistiques, sans qu'on ait besoin de doubler autre chose que le texte. Une production japonaise, russe ou américaine, garde une valeur signifiante pour l'humanité entière. Autrement dit, le malentendu millénaire de Babel semble ici pouvoir être évité, ainsi d'ailleurs que l'atteste le rassemblement des œuvres de l'art universel dans le Musée imaginaire. L'image réalise sans peine la communion de ceux que la parole sépare.

Néanmoins, une distance subsiste ici et un malentendu, qui se dissimule derrière les faciles prestiges de l'exotisme. Si fascinantes qu'elles soient, les peintures de Lascaux ont une signification qui demeure inconnue ; les justifications profondes d'un film venu du Japon ou de l'Inde nous échappent. Sensibles, souvent, à une indéniable beauté plastique, nous nous heurtons à une barrière subtile, au niveau des valeurs et des sentiments, des attitudes fondamentales devant la vie, caractéristiques de chaque culture particulière. Il ne s'agit plus ici du simple malentendu linguistique, si souvent ridicule et arbitraire. L'homme s'oppose à l'homme, et doit tirer de cette confrontation la leçon de la diversité intrinsèque de l'espèce humaine.

Il arrive que nous nous méprenions sur le sens d'une expression de visage, sur une attitude humaine propre à une culture étrangère. L'image ne nous dit rien, ou bien elle nous dit autre chose que ce qu'elle veut dire en réalité. Cela montre bien que l'image renvoie toujours à un monde qui est le monde humain. Ou plutôt, l'image ne renvoie pas à un monde qui serait en dehors d'elle, et dont elle fournirait une copie. [29] Le monde est dans l'image, comme le sens et la justification de cette image. Ainsi en est-il d'ailleurs de chaque langage, qui est aussi un monde. Il n'y a pas l'univers dans sa matérialité, et le langage qui, venant après coup, le décrirait en le redoublant. Le monde n'est pas derrière les mots ; la parole est donatrice du monde ; en allant au monde, elle constitue le monde pour en faire le séjour des hommes.

Au même titre que le langage parlé, et avec une intensité propre, l'image est donatrice du monde. Elle constitue l'existence en la dévoilant. Elle ne doit pas être comprise comme la projection sur le papier ou sur la pellicule photographique, sur l'écran du cinéma, d'une réalité qui subsisterait en dehors du plan de projection. Le sens de l'image ne se cache pas derrière l'image ; il faudrait dire plutôt, et tout ensemble, que l'image donne le sens, et que le sens donne l'image. Et cette valeur signifiante de l'image est d'autant plus grande que la manifestation du sens est à la fois concrète et immédiate. Le mode de production du langage parlé en fait nécessairement un instrument analytique et discursif, tandis que le langage des images est simultané et totalitaire. Les mots viennent l'un après l'autre, et la situation qu'ils évoquent apparaît comme le produit de leur alignement en esprit, le résultat final dépendant d'une totalisation réflexive. Quelle que soit la puissance d'incantation du verbe, elle agit avec un certain retard, qui laisse à l'esprit sa chance, un délai qui peut lui servir pour se mettre en état de défense.

L'image, au contraire, agit globalement, elle envahit l'espace mental par la porte grande ouverte de la vision, sans que puissent être mis en oeuvre les filtres de l'esprit critique. L'imagination, la sensibilité sont atteintes par un effet de choc. Le spectateur, pris hors de sa garde, peut encore se défendre, mais la résistance est beaucoup plus difficile. C'est pourquoi l'image est un moyen de propagande privilégié : certaines caricatures, au siècle dernier, ont fait plus, contre tel ou tel régime politique, que le traité le plus savant ou le plus spirituel pamphlet. Fénelon disait d'une certaine éloquence démagogique : « C'est le corps qui parle au corps. » Le mot s'applique, à bien plus forte raison, à l'action des images, qui ouvre à l'efficacité de l'homme sur l'homme la possibilité d'une expression totale. Que notre volonté claire y consente [30] ou non, certaines images mobilisent notre affectivité ou notre passion, notre colère, notre sensualité. Le meilleur exemple de ces prestiges pourrait être tiré de certaines expériences américaines selon lesquelles des images intercalées dans un film, et projetées pendant un temps trop bref pour qu'elles donnent lieu à une perception visuelle consciente, ont néanmoins un rendement publicitaire d'autant plus appréciable que le sujet obéit à une suggestion dont il ne s'est aucunement rendu compte. Rien ne peut mettre en meilleure lumière cette exposition totale de l'être humain à la vertu des images, et les menaces d'une fascination inconsciente que déjà s'efforce d'exercer sur nous la force persuasive des images publicitaires. Au surplus, la pire propagande est celle qui ne prétend même pas en être une ; l'immense consommation des bandes dessinées, des romans photographiques, des illustrés de toutes sortes et des films populaires correspond certainement à une puissance prodigieuse d'incantation, à un façonnement de la sensibilité et de l'imagination par de médiocres maîtres d'oeuvre qui ignorent sans doute eux‑mêmes leur puissance. Ils ne songent qu'à gagner de l'argent, et se trouvent ainsi promus à la redoutable dignité de directeurs inconscients de la conscience universelle.

Sans doute faudrait-il, pour comprendre ces phénomènes encore mal connus, mettre en œuvre les ressources des diverses psychologies des profondeurs. Certaines techniques expérimentales font appel, pour déceler les lignes de ' force d'une personnalité, à des tests projectifs : le sujet est appelé à réagir à une série d'images sélectionnées de manière à dévoiler ses modes de réaction, ses sensibilités secrètes. Or il est clair que chaque image est le moyen ou l'occasion d'une sorte de test projectif ; elle met en cause les intentions latentes, la libido et ses complexes, selon le vocabulaire de Freud, ou les archétypes constitutifs de l'inconscient collectif, dans le style de Jung. La civilisation de l'image soumet ainsi chacun d'entre nous à une immense expérimentation de psychologie réactionnelle, d'autant plus dangereuse que c'est une psychologie sans psychologue ni psychiatre, et que personne ne se soucie vraiment de la contrôler.

Assaillis constamment, et de tous les côtés à la fois, par des sollicitations incohérentes, nous sommes la proie d'une captatio benevolentiae [31] ininterrompue. Or les structures psycho-biologiques constitutives de ce qu'on appelle notre « inconscient » ne doivent pas être conçues comme des normes préexistantes, et dont la teneur précise serait définie avant toute expérience. Une pareille prédestination enlèverait tout son sens à l'histoire personnelle et à son développement ambigu. Nous abordons le monde en portant en nous des tendances, des impulsions, qui se trouvent à l'origine de nos démarches, mais subiront le choc en retour des expériences faites. L'expérience n'est pas dévoilement d'une conscience qui serait déjà là, en attente, mais constitution d'une personnalité qui, selon la rencontre, se trouvera dans la reconnaissance de telle ou telle des valeurs dont elle porte en elle‑même le germe et la promesse. Mais l'affirmation de la valeur peut se faire dans le sens ascendant ou descendant ; elle peut réaliser soit une promotion soit une dégradation, à partir de la pulsion instinctive originaire. L'instinct sexuel, omniprésent dans la nature humaine, donne lieu aux pires dépravations comme aux sublimations les plus fécondes. Et l'aiguillage, ou le changement d'orientation, peuvent dépendre d'une sollicitation occasionnelle. La personnalité indécise se laissera façonner par des suggestions répétées issues de l'environnement ; ou bien elle fixera sa figure sous l'effet d'une pression décisive exercée au moment opportun.

Dans la perspective de cette confrontation de l'être humain avec son milieu, le rôle des images est particulièrement important. L'image impose une perception préfabriquée douée d'un effet de choc exceptionnel. Ainsi pris au piège, l'enfant, l'adolescent, mais aussi l'adulte, dont l'équilibre est toujours précaire, risquent de modeler leurs réactions affectives et leurs conduites pratiques sur les précédents du monde imaginaire. C'est pourquoi, dans la situation actuelle, l'éducation par le cinéma, par les journaux illustrés, par l'affiche ou par les bandes dessinées, est une éducation sans éducateur, d'autant plus pernicieuse qu'elle ne répond à aucune préoccupation autre que celle de l'efficacité commerciale. Nul ne saurait contester l'affligeante médiocrité du sens commun au niveau de l'image.

La révolution technique a, sur ce point, modifié les conditions d'existence de l'humanité, en transférant la production des images de l'art ou de l'artisanat à la grande industrie.. La production très limitée [32] de jadis avait nécessairement un caractère qualitatif, l'artiste appliquant tous ses soins à l'exemplaire unique dont il avait la charge. Il travaillait pour une aristocratie de la naissance ou de l'argent, qui était ensemble une aristocratie de la culture. La fonction pédagogique des images étant la même, les masses populaires étaient confrontées avec un petit nombre de sculptures ou de peintures, qui, sans être toujours des chefs‑d'œuvre, présentaient néanmoins une valeur éducative certaine. La grande industrie de l'image a dû au contraire se lancer à la conquête de l'immense marché nécessaire à l'écoulement de sa production. Elle a découvert la nécessité de flatter les goûts des consommateurs, et il est apparu assez vite qu'on ne risquait jamais de sous-estimer ses préférences. Le résultat en est cette démagogie qui fait des industries de l'image une des procédures d'avilissement les plus efficaces parmi celles qui sont à l'œuvre dans le monde moderne.

*

De ces considérations peu encourageantes pourrait être tirée une philosophie de l'histoire des images fortement teintée de pessimisme. Aux origines de la conscience occidentale, la pensée grecque a réalisé ce que les historiens ont appelé le passage du muthos au logos. En Grèce comme ailleurs, les premières communautés humaines ont vécu sous le règne de la tradition, ou de la légende. Les rythmes essentiels de la vie sociale obéissaient à des précédents mythiques, c'est-à-dire à des impératifs fixés par des récits décrivant la conduite des dieux qui ont organisé le monde à l'origine. La conscience archaïque se trouve ainsi soumise aux disciplines d'une pensée concrète, le mythe pouvant être défini comme une image ou un ensemble d'images, s'exprimant selon l'ordre de la parole.

Les maîtres à penser de la Grèce, dont l'effort se poursuit jusqu'à Socrate, ont peu à peu desserré l'étreinte des mythes qui stylisaient étroitement la vie sociale selon les exigences de leurs liturgies. Dédiée de ces obédiences extérieures, la pensée grecque a été renvoyée à elle-même ; elle a découvert, dans l'approfondissement de son exigence [33] propre, une nouvelle autorité, susceptible de procurer à chacun l'accord de soi à soi et de soi aux autres. C'est ainsi que l'univers imagé des mythes a fait place au monde intelligible de l'univers du discours. Le logos, la raison abstraite, qui refuse de céder à l'évidence sensible ou traditionnelle, et qui analyse pour comprendre, qui dissocie et qui recompose, a imposé son autorité, en droit sinon en fait, à tous ceux qui sont capables de réflexion. La culture occidentale, d'abord sous la forme parlée de la scolastique, puis sous la forme imprimée de la civilisation du livre, était fondée jusqu'à hier sur le primat du logos.

Or tout se passe comme si la civilisation de l'image correspondait à une régression du logos au muthos. L'immense développement des techniques audio‑visuelles, et l'importance croissante qu'elles prennent dans la vie de chaque homme en particulier, ont pour conséquence la floraison des mythes et la constitution d'un nouveau sens commun. L'image toute faite captive la personnalité ; elle s'adresse à l'imagination, à la sensibilité, à la sensualité sans passer par le détour de la réflexion. La civilisation de masse, surgie du nouveau milieu technique, a vu le développement sans frein de toutes les propagandes et l'apothéose des mythologies les plus effroyablement inhumaines. De telle sorte qu'au bout du compte, le règne de l'image semble bien entraîner une diminution capitale de l'intelligence. L'humanité, chaque jour davantage, retombe en enfance,

Il y a certes du vrai dans ce procès de l'image. L'homme que suscite en nous l'imagerie de masse est un homme élémentaire et rudimentaire ; ce n'est pas d'ordinaire la personnalité sous sa forme d'affirmation la plus haute, niais l'individualité au sens régressif du terme. Dans ses variétés courantes, l'image sollicite l'homme par le bas ; elle l'arrache à lui‑même et le met en état de dépendance ; par la mise en oeuvre de besoins nouveaux, elle crée des états de carence correspondant à une véritable intoxication. L'individualité, sans cesse provoquée, se trouve excentrée et décentrée, jusqu'au moment où, captive d'influences incontrôlables, elle risque de se trouver à peu près complètement aliénée. La nouvelle civilisation du mythe paraît, à cet égard, beaucoup plus inhumaine que la civilisation primitive ; celle-ci répondait en effet à une sagesse traditionnelle, immanente, aux impératifs dont la [34] convergence permettait de sauvegarder l'équilibre du genre de vie. Au contraire, la masse des images qui nous assaillent est tout à fait incohérente ; ce n'est pas un ensemble ordonné, mais une totalisation d'excitants contradictoires, dont l'effet le plus clair semble se limiter à une désorientation et désarticulation spirituelle de chacun des sujets en expérience - c'est-à-dire nous tous.

Le cinéma, la télévision, le journal illustré apparaissent ainsi comme autant de formes modernes de l'opium du peuple. Chacun peut, selon son tempérament, donner à ces constatations une coloration plus ou moins sombre, mais le fait est là. Reste à savoir dans quel sens pourrait s'exercer une action correctrice. La première solution, et la plus radicale, consisterait dans une attitude radicalement iconoclaste, qui proscrirait les images sous toutes leurs formes. Cette résolution extrême aurait en tout cas l'avantage de mettre en lumière l'énorme place des images dans la vie actuelle : privé d'images, ou simplement rationné, l'homme d'aujourd'hui découvrirait une nouvelle forme de famine. Mais l'interdiction des images n'est pas pensable, ne fût-ce que parce qu'elle réduirait au chômage un certain nombre de grandes industries, et déséquilibrerait les rentrées fiscales ainsi que la balance du commerce extérieur. Or chacun sait que les crises économiques et sociales préoccupent les gouvernants beaucoup plus que les crises spirituelles.

Une deuxième solution consisterait dans une censure systématique de l'image sous toutes ses formes . feuille de vigne de rigueur, comités de moralité publique, contrôle ecclésiastique et politique, dénonciations et persécutions, et finalement un conformisme puéril et honnête dont l'État « libre » d'Irlande, le Canada français ou l'Espagne fournissent à l'heure actuelle des exemples variés. Seulement, il faut reconnaître que l'Inquisition d'Église ou d'État soulève aujourd'hui certaines résistances de la part des couches éclairées de la population. Et surtout, il est assez vain, et peut-être contradictoire, de prétendre travailler à la moralité des gens malgré eux. Les cordons sanitaires les plus hermétiques, l'antisepsie et l'asepsie rigoureuses finissent par conférer au moindre germe qui a franchi les barrages une nocivité qu'il n'aurait pas à l'égard d'individus capables de réagir à l'agression par leurs propres moyens.

[35]

Il apparaît dès lors que, loin de se réduire à un ensemble de difficultés particulières qui pourraient être traitées par des mesures de détail, le problème social de l'image est lié au destin même de la culture. Il ne saurait être résolu par des procédures répressives et régressives ; ces comportements négatifs devraient faire place à une attitude résolument positive. Car l'évolution du régime du travail depuis un siècle atteste la part toujours croissante accordée au loisir dans l'existence humaine. Or l'image, sous ses diverses formes, représente l'une des variétés de loisir les plus universellement répandue, Le pain et le cinéma du prolétaire d'aujourd'hui remplacent le pain et le cirque de la plèbe romaine. Les images font désormais partie de la nourriture quotidienne, et le problème d'hygiène alimentaire qui se pose à leur égard n'est que l'un des aspects de la responsabilité de l'homme à l'égard de son propre destin, si du moins il est vrai que l'homme ne doit pas vivre de pain seulement. Toute action de l'homme sur l'homme s'inscrit dans la perspective d'ensemble d'une éducation de l'homme par l'homme.

On a beaucoup raillé, en 1936, un gouvernement qui comportait pour la première fois un ministère des loisirs. Tout le monde admet la nécessité d'un ou plusieurs ministères pour le travail, l'industrie, les finances. Passe encore pour l'instruction publique, pour autant qu'il s'agit de doter chaque petit Français du certificat d'études ou d'aptitude, du bachot ou du diplôme d'ingénieur qui lui permettront de s'incorporer utilement à l'appareil de production. Mais la notion d'éducation nationale, si elle est entrée dans le vocabulaire des gouvernants, n'a jamais été vraiment comprise par eux. Seuls sont respectables et respectés les impératifs techniques et financiers ; mais personne parmi les responsables de l'État ne songerait à invoquer des « impératifs culturels ». La formule même paraîtrait contradictoire, car la culture est un luxe. La grande industrie des images, comme tout le reste, est régie par des considérations de rentabilité et de bénéfices, et la notion de valeur s'identifie à l'idée d'un solde créditeur dans la balance des comptes.

Le dirigisme d'ailleurs, et même un dirigisme de la bonne volonté, s'il était possible, ne résoudrait rien, ainsi qu'il apparaît dans les régimes [36] autoritaires ou totalitaires. On ne peut pas planifier la vie spirituelle d'une nation, ni élever le niveau de vie spirituelle des gens sans leur participation. Il y a là une sorte de cercle vicieux : administrateurs et administrés ne sauraient chercher que ce qu'ils ont déjà trouvé. La vraie question paraît être au bout du compte une question d'état d'esprit : seule une sorte de mutation dans la sensibilité intellectuelle, morale et esthétique des contemporains permettrait de reconnaître à la culture l'éminente dignité qui lui revient de droit.

En ce qui concerne la civilisation de l'image, le pessimisme ne s'impose pas plus que l'optimisme. Les techniques de l'image ont élargi et démultiplié l'espace mental humain. Ce grand fait anthropologique offre à l'humanité d'immenses possibilités de culture, pour autant du moins que l'homme moderne soit capable de prendre conscience de ses responsabilités. La situation dans ce domaine n'est pas différente de ce qu'elle est aux divers points d'application de la technique dans la réalité humaine. L'enjeu n'est autre que le sens même de notre civilisation ; ce que l'homme d'aujourd'hui regarde passionnément au miroir des images n'est pas autre chose que la figuration de son propre destin. Toute chance est un risque, tout risque est une chance. On ne saurait raisonnablement espérer qu'un problème de culture puisse être résolu sans que les intéressés eux‑mêmes se décident à 1%ssumer. Et d'ailleurs les vrais problèmes ne sont jamais résolus, parce qu'ils ne sont jamais posés. Ce qui, bien entendu, ne doit pas empêcher les tenants de la lucidité de faire campagne pour éveiller la conscience de leurs contemporains. Pourquoi désespérer des images ? Les images sont l'opium du peuple ? Esope disait déjà que la langue est la meilleure ou la pire des choses. Après tout, l'opium est aussi un médicament.



[1] Lucien Febvre et H.J. Martin, l’Apparition du Livre, Albin Michel, 1958, pp. 147‑148.

[2] Op. cit., p. 178.

[3] P. 149.

[4] Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain (1690), livre Ill, Ch. XI, p. 25.

[5] Leibniz, Nouveaux essais concernant l'entendement humain (composés en 1703), III, ch. XI, p. 25.

[6] Cf. Jacques Proust, La documentation technique de Diderot dans l'Encyclopédie, Revue d'histoire littéraire de la France, juillet-septembre 1957.

[7] Simmel, la Sociologie des Sens, dans : Mélanges de Philosophie relativiste, trad. Guillain, Alcan, 1912, p. 34.

[8] Ibid, p. 35.

[9] Lucien Febvre, dans le recueil collectif : Léonard de Vinci et l'expérience scientifique au XVIe siècle, P.U.F., p. 6.

[10] Pigafetta, Relation du Voyage de Magellan, p. p. L. Peillard, Club des Libraires de France, 1956, p. 161.

[11] Figaro littéraire, 18 décembre 1954.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 14 août 2014 8:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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