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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCOPHONIE. LITTÉRATURE D'HAÏTI. (1995)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon-François Hoffmann, HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCOPHONIE. LITTÉRATURE D'HAÏTI. EDICEF/AUPELP, 1995, 288 pp. Collection: Universités francophones. Une édition numérique réalisée par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée à la retraite.University de Princeton, département de langues romanes; Paris: Les Presses universitaires de France, 1964, 103 pp. [Autorisation accordée par le Professeur Hoffmann le 29 novembre 2010 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[3]

HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCOPHONIE

LITTÉRATURE D’HAÏTI

Avant-propos

Pour Anne
Wie iminer, für immer


Comme les autres volumes de la collection Histoire littéraire de la Francophonie, le présent ouvrage s'adresse d'une part aux étudiants et aux enseignants des centres d'éducation supérieure ayant pour objet de recherches les littératures en langue française, de l'autre à quiconque désire une initiation ou un complément d'information sur la production littéraire de la région concernée. C'est dire qu'il ne s'agira pas de faire ici concurrence aux histoires et manuels destinés à la jeunesse estudiantine haïtienne. Peut-être des lecteurs haïtiens tireront-ils malgré tout quelque profit des pages qui suivent, et auront-ils la curiosité de comparer le regard d'un étranger sur leur patrimoine littéraire avec celui de leurs concitoyens.

Ce n'est pas faire preuve d'originalité que de déplorer l'ignorance mutuelle qui persiste entre les diverses aires de la Francophonie. De ce qui concerne Haïti, bien des intellectuels étrangers ignorent pratiquement tout, non seulement de sa littérature, mais de son histoire, de sa géographie, de son économie et de sa vie quotidienne. Aussi convenait-il de leur fournir dans un premier chapitre de Présentation d’Haïti des éléments essentiels d'information sous forme de rubrique de dictionnaire encyclopédique. Le deuxième chapitre est un rapide survol, ou plus exactement, comme l'indique son titre, une Chronologie historique depuis l'arrivée des Européens en 1492 jusqu'au retour du président Jean-Bertrand Aristide au pouvoir en 1994. Le lecteur déjà familier des choses d'Haïti pourra sans inconvénient sauter ces entrées en matière.

Le troisième chapitre est un essai synchronique sur la situation sociale de l'homme et de la femme de lettres en Haïti, sur les conditions dans lesquelles ils produisent leurs textes, sur le public qu'ils visent, sur les contraintes auxquelles ils doivent faire face, sur les difficultés matérielles auxquelles ils sont en butte, sur les désagréments (et les avantages) d'écrire dans un pays dont l'énorme majorité des citoyens est illettrée. Car, on a tendance à l'oublier, une chose est d'être écrivain dans un pays riche comme la France, la Belgique ou le Québec, autre chose est d'Écrire en Haïti c'est-à-dire dans un pays où les conditions matérielles et la composition du lectorat sont extrêmement précaires.

Le quatrième chapitre, également synchronique, s'efforce de dégager les caractéristiques générales et persistantes de la littérature haïtienne, et particulièrement ce qui en fait Une littérature engagée. Il s'agit en somme de cerner et de mettre en lumière les composantes littéraires de ce que les Haïtiens eux-mêmes appellent l'haïtianité, postulant que, des origines à nos jours, pratiquement toute œuvre issue d'une plume haïtienne véhicule peu ou prou, dans son idéologie ou dans sa forme, une spécificité, flagrante quelquefois mais pas toujours facile à analyser.

Après l’Introduction et les Généralités, la troisième partie de l'ouvrage correspond plus rigoureusement à son titre d'Histoire de la littérature d’Haïti, et adopte le découpage chronologique caractéristique du genre. En Haïti comme partout ailleurs, certaines dates importantes de l'histoire nationale semblent tout naturellement marquer une nouvelle orientation de la littérature. Ainsi la reconnaissance de l'indépendance du pays par la France en 1825, l'occupation américaine à partir de 1915, l'arrivée à la présidence de François Duvalier en 1957, sans compter, bien entendu, celles qui ont marqué des tournants [4] historiques à l'échelle mondiale : 1789, 1914, 1940 ont eu des répercussions importantes sur la vie intellectuelle haïtienne.

Les modalités du découpage chronologique ne se sont cependant pas imposées au départ. Dans les pays d'Europe qui ont plusieurs siècles d'existence, l'habitude s'est prise de considérer la littérature comme l'expression d'une vision du monde collective, d'une Weltanschauung nationale qui correspond à des époques historiques : Moyen Âge, Renaissance, Classicisme, Siècle des Lumières et ainsi de suite, époques historiques dont les limites chronologiques et les caractéristiques particulières, nécessairement imprécises à l'origine, s'affirment (et risquent de se fossiliser) avec le passage du temps. Dans le cas de la littérature d'Haïti, ce recul nous manque : elle est bien, comme nous le verrons, la doyenne des littératures ultramarines de langue française, mais elle n'est éclose qu'en 1804, avec l'Indépendance, et n'a produit son premier roman qu'une cinquantaine d'années plus tard. On ne s'étonnera donc pas que, pour une si brève période de temps, les chapitres consacrés aux époques pour ainsi dire de gestation, celle de La Colonie et celle des Précurseurs, c'est-à-dire de la première génération de l'Indépendance, soient succincts : les écrivains y étaient rares, les bons écrivains encore plus. Par contre, à partir de ce qu'on a pu nommer le Romantisme haïtien, et particulièrement à partir du milieu du siècle dernier, on se trouve devant une prolifération étonnante d'œuvres qui méritent d'être mieux connues, soit par leurs qualités littéraires, soit par les aperçus qu'elles offrent sur la société haïtienne.

À partir de 1930, la plupart des écrivains haïtiens vont participer aux luttes que mènent, par-delà les frontières nationales et linguistiques, les intellectuels progressistes contre les modalités capitalistes du racisme et du colonialisme, et qui unissent les intellectuels noirs dans la revendication de la Négritude. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des critiques étrangers ont donc considéré la littérature haïtienne dans le contexte de la « littérature noire », ou des « littératures africaines et néo-africaines ». Point de vue tout à fait légitime et même nécessaire à l'époque pour inciter l'opinion publique, sans distinctions de race ou de couleur, à prendre conscience des valeurs culturelles résumées par le terme « Négritude ». Aujourd'hui que nul ne met plus en doute ces valeurs communes et l'importance de leur apport au trésor culturel de l'humanité, une optique moins réductrice semble désormais préférable. Il est bon de ne jamais oublier que le contact avec l'Occident blanc a généralement été désastreux et traumatique pour les peuples noirs, y compris les Haïtiens et surtout leurs ancêtres. Mais il serait tout de même abusif de prétendre que ces contacts se sont établis et se déroulent depuis lors selon les mêmes modalités et avec les mêmes conséquences (culturelles et spécialement littéraires) dans la Première République Noire du Nouveau Monde et aux États-Unis ou dans les régions récemment décolonisées de l'Afrique, par exemple.

Enfin, conséquence de la catastrophe duvaliériste et de l'exil massif qu'elle a déclenché, la Littérature en diaspora découvrira et adaptera aux impératifs de son expression une optique moins insulaire et des techniques de composition jusqu'alors peu exploitées par la plupart des écrivains haïtiens.

Cela dit, le spécialiste haïtien ou étranger risque de trouver que le découpage en fin de compte retenu est par trop grossier, et lamine toute une série de différences entre les générations et d'idiosyncrasies individuelles qui lui semblent fondamentales. Ce serait oublier que cet ouvrage s'adresse en premier lieu à des lecteurs supposés débutants en matière de littérature et ignorants en matière de culture haïtienne. C'est d'ailleurs en pensant à eux que l'on a volontiers mentionné, résumé ou cité des textes qui ne sont pas strictement littéraires : articles de journaux, discours politiques, anecdotes, travaux ethnographiques [5] etc., afin d'illustrer le milieu et le moment dans lesquels les œuvres littéraires se produisent. Occulter les rapports de pouvoir, et leurs répercussions sur les conditions de production et de réception des œuvres littéraires n'aurait été, en l'occurrence, ni honnête, ni habile.

C'est enfin dans cette optique pédagogique que l'on a également multiplié les citations littéraires, sans lesquelles l'ouvrage risquait de n'être qu'un catalogue ou un répertoire de noms d'auteurs, de titres d'oeuvres et de dates de publication. Chacun sait en outre que la consultation d'un manuel d'histoire littéraire remplace trop souvent le contact direct avec les œuvres dont il traite. En attendant que l'école initie le jeune Français (ou Belge, ou Québécois... ) aux œuvres de Fernand Hibbert, Jacques-Stéphen Alexis ou Anthony Lespès aussi naturellement qu'elle lui impose Paul Claudel, Maurice Maeterlinck ou Saint-Denys Garneau, selon le cas, la citation fera ici fonction de manœuvre de séduction, d'encouragement à ce que Valéry Larbaud, l'apôtre du cosmopolitisme, appelait « ce vice impuni, la lecture ».

Sous sa variété haïtienne, ce vice n'est pas toujours facile à satisfaire : de nombreux ouvrages, épuisés, ne sont guère accessibles qu'en bibliothèque ; s'en procurer bien d'autres, surtout publiés à Port-au-Prince, exige les services d'un libraire spécialisé. Infliger de surcroît au lecteur un dernier chapitre sur La littérature en créole peut donc lui sembler à première vue une plaisanterie de mauvais goût. Qu'il se rassure, il ne s'agit pas de l'initier à l'étude d'une langue étrangère, mais d'essayer de cerner avec lui la contribution du créole à l'originalité de la littérature haïtienne d'expression française.

Appartenant à un pays de langue française, les hommes de lettres haïtiens ont dès les origines été formés à la lecture des mêmes écrivains que leurs confrères de la métropole. Avec un certain décalage dans le temps, ils s'investissaient dans les thèmes d'actualité et les expériences formelles venant de Paris. Aussi a-t-on pu légitimement parler d'un préromantisme, d'un romantisme, d'un naturalisme, d'un symbolisme, d'un surréalisme haïtiens, et il serait sans doute possible de composer une anthologie de textes haïtiens dont rien ne laisserait deviner l'origine antillaise. Mais ce serait là une anthologie tronquée, une curiosité littéraire sans grand intérêt, faite de morceaux qui auraient en commun de faire exception à la règle : rare est le recueil qui, pour un poème qui pourrait figurer dans notre anthologie imaginaire, n'en compte pas dix dont l'haïtianité est évidente. Or il ne s'agit pas ici d'étudier le romantisme en francophonie, ni le symbolisme ni le nouveau roman, mais bien les particularités qui confèrent à un texte la qualité d'haïtien et de dégager, à force d'accumuler et de comparer les exemples, les résonances de l'adjectif « haïtien » lorsqu'il est appliqué au substantif « littérature » : notre « histoire littéraire » se veut également « histoire des idées » ou, si l'on préfère, « histoire des mentalités ». Empressons-nous par ailleurs de préciser que des textes auxquels il serait difficile de reconnaître autre chose d'haïtien que la nationalité de leur auteur peuvent bien entendu se recommander par leurs qualités intrinsèques et faire, autant que n'importe quels autres, l'objet des déconstructions les plus a-historiques.

Si les premiers écrivains haïtiens ne pouvait que se rattacher à la tradition métropolitaine, chaque génération successive a pu en outre puiser dans une tradition nationale en constante élaboration. D'abord discrète et presque honteuse, l'haïtianité littéraire va se développer, se renforcer et s'assumer à un rythme uniformément accéléré. L'écrivain haïtien contemporain n'est pas seulement nourri des classiques et des contemporains français, mais de ses propres compatriotes : Balzac et Mérimée, certes, mais aussi Frédéric Marcelin et Justin Lhérisson ; Mauriac, sans doute, mais aussi Jacques Roumain ; Breton, certainement, mais aussi Magloire Saint-Aude et René Bélance. Il ne considère [6] plus sa littérature comme « une branche détachée du vieux tronc gaulois » (l’expression est du poète Georges Sylvain), mais comme une bouture désormais profondément enracinée dans un terroir haïtien qui en a transformé l'essence.

Il faut espérer que les temps sont révolus où les littératures ultramarines de langue française étaient considérées au pire comme des curiosités, au mieux comme des appendices régionaux des lettres métropolitaines. Aussi avons nous évité, autant que faire se peut, d'insister sur les convergences et divergences de la littérature haïtienne et de celle de la France : autant que faire se peut, car s'il est indispensable de considérer l'haïtienne comme une littérature à part entière, il serait absurde de négliger l'influence qu'a eue et que continue à exercer sur elle celle de l'Hexagone. Bien que comparaison ne soit pas raison, nous avons cru devoir faire usage de cet artifice rhétorique lorsqu'il pouvait aider le lecteur à mieux comprendre une littérature qui lui est étrangère en la confrontant avec celle dont il est familier.

À la source d'inspiration française, qui reste bien entendu primordiale, s'en ajoutent depuis ces dernières années deux autres, dont l'importance ne cesse de croître. D'une part celle des autres littératures francophones : souvent à l'occasion de séjours prolongés dans les D.O.M., en Afrique ou au Québec, les écrivains haïtiens ont découvert la littérature de ces régions, et en nourrissent leur inspiration. De l'autre, celles des pays voisins, surtout hispanophones. Le « réalisme merveilleux », dont le Cubain Alejo Carpentier eut la révélation lors de son voyage en Haïti, ne féconde pas seulement la littérature hispano-américaine mais celle d'Haïti également. C'est en fin de compte dans deux contextes différents qu'il faudrait essayer de cerner la spécificité de la littérature haïtienne : dans le contexte général des lettres d'expressions françaises (le pluriel étant en l'occurrence intentionnel), et dans le contexte géographique de celles de la région caribéenne, quelle que soit leur langue véhiculaire. Le présent volume, dont les ambitions sont plus modestes, servira peut-être de point de départ à ce genre de recherches comparatives.

L'histoire littéraire est un genre arbitraire : que ce soit en ratifiant, modifiant ou contredisant les opinions reçues sur des auteurs qui figurent déjà dans les manuels, ou en jugeant les contemporains qui vont peut-être y figurer un jour, l'historien exprime, malgré qu'il en ait, un jugement personnel, sans avoir la moindre idée de sa résistance possible au passage du temps qui apporte des réévaluations inévitables et désirables. Là n'est pas l'important. Il s'agissait ici d'une part de dessiner les lignes générales selon lesquelles la littérature haïtienne s'est formée et s'est émancipée, et de l'autre de mettre en valeur une série d'écrivains remarquables, dont certains attendent encore que leurs œuvres soient reconnues, ou au moins considérées au-delà des frontières d'Haïti.

C'est enfin avec une profonde gratitude que je remercie le Fonds de Recherche de l'université de Princeton, ainsi que son Programme d'études de l'Amérique latine, qui ont subventionné mes recherches dans les bibliothèques et les archives d'Haïti, des États-Unis et de France. Ma reconnaissance va également au Frère Ernest Evens, bibliothécaire de l'Institution Saint-Louis de Gonzague, dont l'assistance et l'amitié m'ont été indispensables, et à mon ami Gérard Barthélemy, fin connaisseur de l'histoire et de la culture haïtiennes, dont les judicieux conseils m'ont été précieux.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 15 mars 2013 15:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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