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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'insurrection des esclaves de Saint-Domingue (22-23 août 1791). (2000)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Laënnec HURBON, L'insurrection des esclaves de Saint-Domingue (22-23 août 1791). Actes de la table ronde internationale de Port-au-Prince (8 au 10 décembre 1997). Paris: Les Éditions Karthala, 2000, 271 pp. Une édition numérique réalisée conjointement par Mme Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 19 mai 2009 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]


[9]

Avant-propos

Laënnec HURBON


La table ronde sur l'insurrection de Saint-Domingue de 1791 a été organisée du 8 au 10 décembre 1997 dans le cadre du projet international UNESCO de la Route de l'esclave. Elle s'est tenue sous la présidence de Mme Ana Maria de Oliveira, ministre de la Culture d'Angola et membre exécutif du bureau international de la Route de l'esclave. Au cours de cette table ronde ont pris la parole : Monsieur Jacques-Edouard Alexis, ministre de l'Éducation nationale et président de la Commission nationale de l'UNESCO en Haïti, Monsieur Doudou Diéne, directeur de la Division des projets interculturels de l'UNESCO, Monsieur Bernard Hadjajd, représentant-résident de l'UNESCO en Haïti, Monsieur Paul Saint-Hilaire, recteur de l'université Quisqueya de Port-au-Prince.

À travers cette table ronde, nous avons tenté de rappeler, alors que la France célébrait en 1998 à grand renfort de manifestations le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, qu'Haïti fut sans conteste le détonateur de la longue chaîne des abolitions qui allaient se succéder jusqu'en 1888, année de la dernière abolition au Brésil.

Cette table ronde a été l'une des premières activités du Comité national haïtien de la Route de l'esclave, elle a permis d'approfondir et de clarifier un certain nombre de questions centrales sur l'esclavage et son abolition, dont notamment celles qui portent sur les idéaux fondateurs de l'insurrection, sur les préparatifs et ses antécédents, son organisation, ses leaders et son aire d'expansion à Saint-Domingue et dans les colonies environnantes. On s'est attaché à faire le point sur le rôle du vodou, du christianisme, puis de la Révolution française dans [10] l'insurrection ainsi que les répercussions de l'événement dans toutes les colonies où sévissait l'esclavage (la Caraïbe, les États-Unis et l'Amérique latine)

Enfin, une opportunité a été offerte de repenser la signification de 1791 dans la genèse de l'État haïtien, et d'ouvrir une interrogation sur sa portée universelle et sur ce que représente le passage de l'esclavage à la liberté et à la citoyenneté. Récits, sites, monuments et lieux de mémoire en Haïti doivent être encore réétudiés en même temps qu'on cherchera à cerner les différentes interprétations auxquelles l'insurrection de 1791 a donné lieu dans les arts et la littérature.

Les thèmes de recherche sont nombreux, mais nous ne faisions que lancer la première table ronde internationale en vue d'aiguiser la curiosité des historiens et des anthropologues. Il aurait fallu par exemple étudier l'insurrection de Saint-Domingue à travers les traces qu'elle a laissées dans la littérature française et dans la littérature allemande, son rôle dans la chaîne des abolitions et des insurrections dans la Caraïbe, en Amérique latine et aux États-Unis. Les rapports entre Saint-Domingue et la Révolution française ont été les plus étudiés, mais dorment encore dans la poussière de nombreux papiers et autres documents qui méritent d'être analysés de manière plus approfondie avec de nouvelles méthodes historiques. On sait peu de choses sur les rôles du vodou et du catholicisme dans l'insurrection, sur les leaders de l'insurrection, ses antécédents et ses mobiles.

Mais pourquoi fallait-il se pencher si urgemment sur l'insurrection de Saint-Domingue ?

À cela deux raisons :

D'une part, à partir de la geste des esclaves, on peut mieux prendre la mesure des quatre longs siècles de traite et d'esclavage qui ont été si mal et si peu intégrés dans l'histoire universelle. L'esclavage apparaît encore comme un impensé du monde occidental.

D'autre part, le 23 août a été adopté comme « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de l'esclavage » par la résolution 20 C/Al.2/7 - UNESCO, lors de la conférence générale de l'UNESCO. Mais il reste encore bien du chemin à parcourir, bien des recherches à entreprendre pour saisir toute la portée du geste de l'insurrection de Saint-Domingue. Si, en effet, l'insurrection de Saint-Domingue fut déterminante dans le destin [11] des peuples noirs dans leur ensemble, il convient bien plus de découvrir son importance pour l'humanité universelle dans l'histoire elle-même de la liberté.

Les contributions [1] à cet ouvrage abordent déjà les divers aspects de l'insurrection du 23 août. D'abord l'événement comme tel est analysé dans les détails à partir de documents d'archives : Carolyne Fick (auteur de The Making of Haïti, 1990) étudie le processus de l'insurrection au Nord et ses liens avec diverses révoltes qui ont éclaté dans le Sud. Moins lyrique, David Geggus examine sans concession les rapports entre l'insurrection et la cérémonie du Bois Caïman. Pour lui cette cérémonie ne semble pas correspondre tout à fait aux légendes construites autour d'elle. En revanche, la plausibilité de la cérémonie qui consiste en un pacte de sang scellé autour du sacrifice d'un animal (un cochon noir), dont le sang est distribué aux participants, est soutenue par l'intervention de Robin Law, qui retrouve des pratiques similaires en Afrique et surtout au Dahomey (actuel Bénin) lors d'événements importants. Nous avons également, sans prétendre relativiser le rôle du vodou dans l'insurrection, mis en évidence une problématique peu connue : celle de la participation de la majorité des missionnaires catholiques dans le Nord à l'insurrection. Que la tête du père Philémon ait été apposée par les colons, sur la place d'armes du Cap, à côté de celle de Boukman sur la potence, cela devra encore être médité par les historiens. L'événement du 23 août est rarement mis en rapport avec la genèse elle-même de l'État haïtien. Michel Hector ouvre ici le débat et propose des nouvelles pistes de réflexion et de recherche sur l'histoire d'Haïti.

Ce livre aura réussi son but s'il parvient à inciter à une relance des investigations sur la traite, sur l'esclavage et sur l'impact des événements de Saint-Domingue sur la chaîne des abolitions tout au long du XIXe siècle. La préparation d'un dictionnaire [12] historique de la révolution haïtienne (1791-1804) avec Claude Moïse, la création d'une chaire UNESCO en Haïti pour l'histoire et l'anthropologie et surtout, rattaché à cette chaire, le projet d'un musée de la Traite et de l'Esclavage, sont présentés ici dans le cadre de l'effort déjà entrepris par le Comité de la Route de l'esclave, pour revaloriser le patrimoine immense, mais encore peu exploité, pour l'éducation et le tourisme culturel, dont on dispose en Haïti, et dans toute la Caraïbe.

Ces recherches archéologiques d'ordre historique ne sauraient viser à enfermer dans un « passéïsme ». Nous espérons plutôt à travers ces recherches que la société haïtienne et toutes les sociétés issues de la traite et de l'esclavage retrouveront davantage le sens de la dignité que tant de révoltes et d'insurrections ont exprimé et que l'actualité de l'oppression politique commande de raviver. Certes, déjà certains textes de cet ouvrage (dont celui de Florence Gauthier « Comment la nouvelle de l'insurrection des esclaves de Saint-Domingue fut-elle reçue en France ? (1791-1793) » et celui d'Yves Benot « À propos du droit à l'insurrection ») le soulignent : à la fin du XVIIIe, les hésitations et les refus opposés à l'abolition immédiate de l'esclavage dans la foulée de la proclamation universelle des droits humains à la Révolution française sont les mêmes qu'on retrouve aujourd'hui, dans de nombreux pays.

Enfin, cette table ronde a démontré une fois de plus qu'il reste beaucoup de documents qui attendent dans les archives sur la traite et l'esclavage : on devra porter une attention particulière à la contribution du Norvégien Leif Svalesen qui a découvert dans les eaux de Scandinavie l'épave du négrier Fredensborg, et qui nous offre une nouvelle preuve de la large participation de l'Europe à la pratique de la traite et à l'institution esclavagiste. Il est devenu difficile aujourd'hui pour de nombreux pays de cacher leurs négriers et leurs esclaves !



[1] Les difficultés de communication (impossibilité d'obtenir de la compagnie publique de téléphone une ligne téléphonique ou un fax) ne nous ont pas permis de disposer de tous les textes des historiens qui ont participé à la table ronde sur l'insurrection des esclaves. Nous espérons, à travers les projets du dictionnaire historique de la révolution haïtienne, de la chaire UNESCO et du musée de la Traite et de l'Esclavage, poursuivre plus tard la publication d'un certain nombre de travaux et de documents sur l'insurrection des esclaves de Saint-Domingue.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 29 janvier 2011 18:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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