RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Micheline Labelle, Deirdre Meintel, Geneviève Turcotte et Marianne Kempeneers, “Immigrées et ouvrières: un univers de travail à recomposer.” Un article publié la revue Cahiers de recherche sociologique, vol. 2, no 2, 1984, pp. 9-47. Numéro intitulé : “Problèmes d'immigration.” Montréal: département de sociologie, UQAM. [Mme Labelle nous a accordé le 9 janvier 2018 son autorisation de diffuser en libre accès à tous cette publication dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Micheline Labelle, Deirdre Meintel,
Geneviève Turcotte et Marianne Kempeneers

Immigrées et ouvrières :
un univers de travail à recomposer
.”

Un article publié la revue Cahiers de recherche sociologique, vol. 2, no 2, 1984, pp. 9-47. Montréal : département de sociologie, UQAM. Numéro intitulé : “Problèmes d'immigration.”

Introduction [9]

Les femmes : une nouvelle composante de l'armée de réserve internationale [10]
La prolétarisation sur un marché du travail sexuellement et ethniquement segmenté [12]
Une nouvelle articulation entre le procès de travail rémunéré et le procès de travail domestique [15]

Méthodologie [16]

Première partie [17]
La place des femmes immigrées dans la structure économique du pays d'origine [17]

1.1. Particularités du modèle de développement des quatre pays étudiés et rôle économique des femmes [18]
1.2. Enracinement social et familial des femmes étudiées [20]
1.3. Le type d'expérience de travail des femmes échantillonnées [21]
1.4. Structure familiale et rapport au travail [23]
Deuxième partie [26]
L'insertion des travailleuses immigrées sur le marché du travail au Québec [26]

2.1. Quelques remarques préliminaires à propos de la population féminine née en Colombie, en Grèce, en Haïti et au Portugal (1981) [26]
2.2. L'univers de travail des femmes étudiées au Québec [30]
2.3. Les trajectoires socio-professionnelles des femmes étudiées [34]
2.4. Les conditions de travail [38]
2.5. Structures familiales et articulation des procès de travail [40]

Conclusion [42]


Cet article s'inscrit dans le cadre d'une recherche menée sous la direction de Micheline Labelle et Deidre Meintel et dont le titre officiel est le suivant : « Étude comparée sur la condition prolétarienne des femmes immigrantes à Montréal ». Cette recherche a été financée par le CRSH, le FCAC, le CQRS, le Secrétariat d'État, le Ministère de l'Immigration et des communautés culturelles du Québec et l'UQAM.

Introduction

Cet article s'inscrit dans le cadre d'une recherche qui vise à saisir, décrire, comparer les modes de vie et les trajectoires socioprofessionnelles de quatre groupes de femmes immigrées et ouvrières à Montréal : Grecques, Portugaises, Colombiennes et Haïtiennes. Plusieurs aspects ont été retenus : procès migratoires ; modalités du travail rémunéré et non rémunéré ; rapports familiaux ; niveau d'insertion socio-politique ; modes de vie dans le pays d'origine et le pays d'accueil, de sorte que nous faisons appel à plusieurs sociologies partielles.

Pour les fins de cet article, nous nous limiterons aux aspects liés au travail des femmes interrogées : travail rémunéré et travail domestique. Après avoir posé les jalons théoriques qui s'imposent [10] pour aborder cette question, nous consacrons la première partie à la place des femmes immigrées dans la structure économique de leur pays d'origine. La deuxième partie porte sur l'insertion de ces femmes sur le marché du travail au Québec.

Nous nous inscrivons dans la lignée théorique qui considère la migration de travail étrangère comme un phénomène d'internationalisation de la force de travail lié au développement inégal entre régions et entre États-nations, impliquant l'articulation de formations sociales diverses. En effet, le redéploiement du capitalisme à l'échelle mondiale depuis la dernière guerre et les restructurations suscitées par la crise de la dernière décennie ont entraîné et continuent d'entraîner la dépossession d'un nombre croissant d'hommes et de femmes qui sont tour à tour intégrés dans les sociétés capitalistes avancées, ou celles des zones périphériques, ou encore repoussés, extradés selon leur statut juridique (réfugié-e-s, illégalité, permis temporaire de travail) et la conjoncture. Le problème de l'articulation entre formations sociales s'est révélé central dans l'analyse micro-économique et macro-sociologique des migrations de travail. À notre niveau, celui d'une recherche sur le terrain impliquant la cueillette de témoignages longitudinaux, il le demeure tout autant. Cela signifie que, pour explorer les mécanismes qui affectent les conditions de vie des femmes étudiées, nous avons tenu compte des déterminants structurels et des sociétés d'origine et du Québec.

Les femmes :
une nouvelle composante de l'armée de réserve internationale


Plusieurs travaux américains et européens ont signalé que la restructuration de l'armée de réserve de la force de travail au stade monopoliste actuel implique de plus en plus la mobilité des femmes des régions périphériques.

Aux États-Unis, la « nouvelle immigration » de la période 1965-80, se caractérise par la nouveauté de ses sources (la Caraïbe, l'Amérique latine, l'Asie comme fournisseurs de main-d'oeuvre immigrée ayant évincé l'Europe), l'importance des flux d'illégaux et illégales et de réfugié-e-s (15% des 100 millions de personnes en 1980)0 et sa surféminité. En effet, sur les 4,409,80 [1] admissions légales enregistrées de 1966 à 1978, 2,891,925 sont des femmes. Le sex-ratio est donc de 3 femmes pour 2 hommes. [2]

En Europe de l'Ouest, les femmes formaient en 1975 un tiers de la population totale immigrée. Étant donné le système de permis [11] de travail temporaire, les femmes étaient traditionnellement sous-représentées. [3]

En France, on observe cependant une nette augmentation du nombre des femmes dans l'immigration, suite au regroupement familial qui a suivi les restrictions à l'immigration depuis 1974. [4]

Au Canada, on observait au début des années 1960, un léger rapport de surmasculinité. Mais par la suite le courant d'immigration familiale étant plus important que dans les flux antérieurs de migrations, le rapport de masculinité des immigrant-e-s de 15 ans et plus entré-e-s entre 1961 et 1971 était de 100, indiquant le nombre de femmes égalait celui des hommes. [5]

Au Québec, de 1968 à 1980, les femmes représentent en moyenne 49% de l'immigration internationale (12,000 par année). Dans certains groupes (en provenance de la Caraïbe), on note une surféminité marquée. [6]) En termes de provenance, nous observons un net changement dans la composition ethnique depuis la deuxième guerre mondiale, à mettre en relation avec la levée des mesures racistes de la politique canadienne d'immigration. Au recensement de 1971, 80% du total de la population féminine étrangère était de souche européenne (Italie, Grande Bretagne, France, Grèce, Belgique, Pologne, Hongrie, Espagne, etc.) et américaine. Au cours des années 1970, les femmes de la Caraïbe, de l'Asie, du Moyen-Orient sont devenues majoritaires dans l'immigration internationale au Québec. [7]

Malgré leur statut théorique d'armée de réserve pour la régulation de l'accumulation capitaliste dans les pays receveurs de main-d'oeuvre immigrée, ces femmes sont économiquement actives dans leur pays d'origine. En raison de la division internationale du travail elle sont cependant insérées dans des systèmes économiques différents, impliquant, parallèlement au sous-emploi, des procès de travail et des rapports de production différents. Le passage dans les pays capitalistes avancés a diverses implications selon l'origine de classe des immigrées. Pour les femmes des classes populaires des pays sous-développés ou semi-industrialisés auxquelles nous nous limitons ici, actives dans l'agriculture, l'artisanat, le petit commerce, dans l'industrie ou le secteur informel, le procès migratoire signifiera l'insertion dans de nouveaux procès de travail (rémunéré et domestique) : une première expérience du salariat pour certaines, la rencontre avec un système de travail dominé par le taylorisme et le fordisme, ou encore le maintien dans des formes nouvelles de l'activité informelle. En tous les cas, elles sont soumises à une division du travail plus complexe et dans tous les cas [12] elles subissent la rencontre-choc avec la marchandisation généralisée des modes de vie du capitalisme avancé. [8]

La prolétarisation sur un marché du travail
sexuellement et ethniquement segmenté


Les fonctions économiques de l'immigration internationale ont été largement discutées et on a démontré qu'elles continuent d'exercer leurs effets en temps de crise : 1) surexploitation facilitée par la vulnérabilité attachée au statut juridico-politique de cette force de travail ; 2) sur-productivité observée dans tous les pays capitalistes avancés (liée aux taux d'activité élevés, au nombre d'heures travaillées, etc.) ; 3) épargne réalisée sur les coûts sociaux de formation et de reproduction de cette force de travail pour les pays bénéficiaires, liée à la sélectivité qu'exerce l'État ; 4) régulation conjoncturelle du marché du travail en dépit de son caractère non substituable ou structurel ; 5) rapport à la restructuration de l'appareil productif dans certains cas de délocalisation, de l'extériorisation de l'emploi liée à la sous-traitance ; 6) pression à la baisse sur les salaires de la population active nationale et, en conséquence, fonction de fragmentation des solidarités possibles sur la base de préjugés racistes et ethno-centristes. [9]

Ceci posé, il faut s'arrêter sur les modalités d'insertion sur le marché du travail. Les travailleuses immigrées qui se prolétarisent le font dans des places typées et spécifiques sur un marché du travail segmenté sur le plan sexuel et ethnique.

La concentration dans les basses qualifications et un nombre restreint de branches est particulièrement marquée dans le cas des femmes immigrées. Castles et Kosack, en ce qui concerne l'Europe de l'Ouest, Silberman, plus récemment pour la France, ont souligné cette insertion ghettoïsée. [10] Aux États-Unis, on a également démontré l'assignation des femmes de certaines minorités ethniques visibles à des places spécifiques et non-qualifiées, impliquant des revenus inférieurs à ceux des hommes et des femmes d'origine « anglo-saxonne », et inférieurs à ceux des hommes des mêmes minorités. [11]

Malgré le contexte de crise, Sassen-Koob relie le rôle économique central que jouent les femmes de la périphérie dans l'économie américaine à un réaménagement de la division internationale du travail : relocation des entreprises à la périphérie où les femmes constituent une main-d'oeuvre subalterne, flexible, hautement taylorisable, et flux de migrations de travail à partir de la périphérie vers les secteurs en déclin du centre menacés par la [13] crise (par exemple, la ville de New-York, dans les secteurs du vêtement et du textile et où parallèlement on observe une relance de la sous-traitance et du travail à domicile). [12]

Au Canada et au Québec, les travaux de Arnopoulos, de Ng et Ramirez, de Bernier ont également souligné l'extrême concentration ethnique et sexuelle de leur activité économique, comme l'importance de leur participation au marché du travail, supérieure à celle des femmes nées au Canada. [13]

Comment dépasser une approche descriptive de la situation des femmes immigrées sur le marché du travail qui témoigne d'un fractionnement de la classe ouvrière et expliquer leur marginalisation ?

Le débat concernant la place de la main-d'œuvre immigrée dans la structure de classe des pays capitalistes avancés a suscité plusieurs formulations. La théorie de l'adaptation à la société d'accueil soutient le caractère provisoire des difficultés économiques et de la discrimination rencontrées par les immigrant-e-s et pose l'hypothèse libérale de l'assimilation aux groupes dominants nationaux (donc la pleine mobilité sociale, en autant que les immigrant-e-s cherchent à performer sur le marché du travail avec le « stock » de valeurs congruentes avec celles de la dite société d'accueil.) [14] D'autres perspectives ont vu la main-d'œuvre immigrée comme une colonie interne, produit de l'exclusion de groupes d'intérêt [15] ou comme une sous-strate de la classe ouvrière (sous-prolétariat, infra-classe ethnique) posée en extériorité, ou encore comme le véritable prolétariat face à une « nouvelle classe ouvrière » constituée de nationaux. [16] Dans tous les cas l'articulation de l'ethnicité et des rapports sociaux de classe est l'enjeu du débat.

Deux perspectives récentes retiennent notre attention. Affirmant les limites de l'approche dualiste de la théorie du travail en marché primaire (regroupant à côté de la main-d'œuvre nationale qualifiée et privilégiée le brain-drain, c'est-à-dire la main-d'œuvre professionnelle immigrante) et secondaire (incluant le cheap labor immigrant), Portés discute du concept d'enclave ethnique comme phénomène distinct d'exploitation de la force de travail. Le développement d'enclaves ethniques requiert deux conditions : la présence d'immigrants entrepreneurs-investisseurs et le renouveau d'une force de travail « ethnique » à travers l'immigration soutenue. Alors que pour Bonacich les entrepreneurs de ces enclaves ont des fonctions précises eu égard aux entreprises plus capitalistiques de l'économie du centre, en leur servant de [14] sous-traitance et en diminuant les coûts de la force de travail, Portés voit dans l'enclave un phénomène contradictoire d'exploitation-protection : « The low-wage labor of immigrant workers is what permits survival and expansion of enclave entreprises which, in turn open new opportunities for economic advancement ». [17] La thèse de Portès est que l'enclave immigrante crée des obligations réciproques et une voie possible de mobilité pour les travailleurs intégrés ; ceci distinguerait donc ces derniers des travailleurs bon marché et vulnérables du classique secteur dit secondaire.

Selon Hayot, l'appartenance des immigré-e-s à la classe ouvrière s'accompagne objectivement d'un processus de marginalisation et non de marginalité, comme l'implique la théorie du dualisme du marché du travail. La nuance implique le rejet de toute théorie de l'extériorité et appelle à la prise en considération des facteurs reliés à l'ethnicité comme « élément constitutif des rapports sociaux ». Cette perspective dépend d'abord de la juste saisie du processus migratoire propre à chaque groupe de migrant-e-s-, c'est-à-dire « la nécessité d'appréhender les rapports sociaux de la société d'origine et leur évolution pour mieux définir une vague migratoire et les facteurs qui pèsent sur son devenir au sein de la société d'émigration ». [18] Ceci implique le constat de l'hétérogénéité ethnique et sociale de la force de travail immigrée au point de départ. Ensuite, il faut tenir compte de l'utilisation différentielle de cette force de travail dans chaque formation sociale, utilisation qui renvoie aux fonctions économiques de l'immigration internationale énumérées précédemment. Enfin, il faut appréhender le sentiment d'identité ou d'appartenance ethnique pouvant à la fois favoriser la marginalisation et y opposer une résistance dans le cas d'associations de défense basées sur la cohésion communautaire ou intra-ethnique.

La mise en regard de ces deux perspectives illustre l'effet contradictoire et complexe de l'ethnicité. On peut remettre en cause le fait que le patronat ethnique protège de la déqualification et permette une mobilité sociale, en s'appuyant sur l'ethnicité comme base de son accumulation. Quant à la notion d'enclave ethnique, elle doit être retenue et élargie pour appréhender la place des travailleuses immigrées dans cette recherche. Une enclave peut être multiethnique et utiliser systématiquement l'ethnicité : patronat de même groupe national ou non ; contremaîtrise différenciée ; travailleurs et travailleuses de plusieurs groupes en concurrence. Des mécanismes précis de maintien de l'ethnicité articulés à ceux qui relèvent du statut juridico-politique vont jouer et expliquer la reproduction de places spécifiques sur le marché du travail et l'absence de mobilité [15] sociale touchant particulièrement les femmes : l’allophonie à l'arrivée, qui se perpétue tout au long des trajectoires de travail dans certains cas ; la méconnaissance des droits sociaux qui implique des effets sur le salaire indirect, la précarité du statut dans le cas des travailleuses illégales ou de celles qui ont un permis temporaire de travail ; les réseaux d'embauché inter-personnels et construits sur une base ethnique ; la discrimination à l'égard de certains groupes, sur la base de préjugés ; les stéréotypes ethnistes entre travailleuses.

Une nouvelle articulation entre le procès de travail rémunéré
et le procès de travail domestique


Le passage de la périphérie à une société capitaliste avancée n'entraîne pas seulement une recomposition du procès de travail rémunéré, mais touche également le travail domestique. La question qui se pose ici est la suivante : comment les femmes immigré-e-s peuvent-elles être aussi disponibles sur le marché du travail et tenir compte de leurs charges familiales ? Question nouvelle qui s'inscrit à la suite de la réflexion théorique du courant féministe sur le travail ménager ou domestique et la double journée de travail dans les pays capitalistes avancés. [19]

Plusieurs études ont appliqué la même problématique au sujet d'ouvrières qui se prolétarisent dans les formations sociales de la périphérie et relevé des procès complexes de décomposition-recomposition-intensification de la division sexuelle du travail, selon les formations sociales. [20] Dans le cas des femmes immigrées, aux États-Unis, Mortimer souligne la transformation conflictuelle des fonctions traditionnellement réservées aux femmes dans l'entretien du ménage et la garde des enfants dans un contexte où la famille nucléaire ou monoparentale tend à remplacer la famille étendue et les réseaux de support communautaires. [21]

Selon Ng et Ramirez, l'expérience du travail domestique en situation d'immigration est intensifiée et contribue à augmenter la dépendance des femmes à l'égard du conjoint. Plusieurs facteurs sont en jeu : immersion définitive de la famille dans une économie où le salariat est plus étendu ; privatisation du travail ménager ; participation à un marché du travail segmenté qui n'aura pour effet que d'intensifier leur journée de travail et de les maintenir comme « main-d'oeuvre captive » sans possibilité de promotion ; politiques canadiennes d'immigration à l'égard des femmes parrainées, limitant leurs droits sociaux et soulignant leur dépendance. [22]

[16]

À partir de cette mise en perspective, nous devons faire l'hypothèse de transformations significatives affectant les femmes étudiées. Qu'il s'agisse de la structure des ménages, des réseaux d'entraide, de la relation entre le type de travail rémunéré et le type d'emploi, le passage au Québec ne peut manquer d'entraîner pour chaque groupe de femmes des effets spécifiques et nouveaux par rapport aux modes de vie dans le pays d'origine. Pour saisir à la fois les transformations dans le rôle économique, de même que dans les rapports au travail domestique, nous allons d'abord décrire la situation dans le pays d'origine, puis nous analyserons les modalités de leur insertion au Québec.

Méthodologie

La nature de notre objet d'étude nous a conduites à adopter une approche qualitative combinant l'enquête par entretiens — sur le mode des récits de vie — à la démarche monographique.

La méthode des récits de vie [23] s'est imposée comme la mieux adaptée à nos objectifs analytiques parce qu'elle est « la seule qui permette à la fois de rendre aux sujets... une parole, tout en se gardant le droit et la possibilité de tenter, à travers les repères que sont les récits des événements, de dégager des mécanismes sociaux des trajectoires, des choix, des déplacements significatifs ». [24]

L'enquête s'est déroulée, pour l'essentiel, du mois de juin au mois de novembre 1981. Au cours de cette période, une équipe de huit intervieweuses a complété 76 entrevues auprès d'un échantillon (non probabiliste par quotas) de femmes originaires de la paysannerie ou des classes populaires de la Colombie, de la Grèce, d'Haïti et du Portugal, faisant partie de la classe ouvrière (ouvrières au sens strict ou employées prolétarisées des services) à Montréal. La sélection de nos informatrices s'est faite sur la base du secteur d'activité (industrie manufacturière, services), à partir des références fournies par des personnes-ressources inscrites dans des réseaux que nous avons voulus le plus diversifiés possible : organismes communautaires liés à l'immigration, associations de groupes ethniques à caractère politique ou socio-culturel, professionnel-le-s œuvrant dans le milieu. Notre connaissance approfondie de ces réseaux au Québec et de nombreuses entrevues auprès des spécialistes des questions d'immigration nous permettent de croire que nous avons su minimiser les biais possibles dans le choix de nos informatrices.

Les entretiens étaient non directifs avec des relances orientées selon un guide d'entretien implicite. Toutes les entrevues se sont [17] déroulées dans la langue maternelle de la répondante. Du même groupe linguistique que leurs interlocutrices, les enquêteuses étaient pour la plupart également originaires du même pays, ce qui nous a permis d'obtenir un matériel d'une très grande richesse. Cette richesse des témoignages recueillis, faut-il le préciser, peut cependant difficilement être restituée dans le cadre d'un article comme celui-ci.

Évidemment, la méthodologie retenue ne permet pas les généralisations statistiques. Nous sommes ici dans une situation d'enquête exploratoire ouverte et nullement dans un processus systématique de vérification d'hypothèses. La validité de l'enquête se situe à un autre niveau : elle repose sur le concept de saturation de l'information par répétitivité. Quant à la fiabilité des données, elle se vérifie notamment par des recoupements avec des documents d'autres natures. C'est pourquoi nous avons, parallèlement à l'enquête par entretiens, mené une importante recherche documentaire sur les contextes d'émigration et les caractéristiques socio-démographiques et culturelles de la minorité d'appartenance au Québec. La perspective socio-historique des monographies ainsi constituées sert de support d'interprétation à la réalité vécue, saisie par les entretiens.

Première partie

La place des femmes immigrées
dans la structure économique du pays d'origine


La compréhension du phénomène migratoire dans toutes ses manifestations ne peut être forgée que si l'on tient compte de la double appartenance de l'immigrée à deux ensembles économiques différents : celui du pays d'origine et celui du pays d'arrivée. De ce point de vue, il n'est guère possible d'envisager le mode d'insertion des femmes immigrées sur le marché du travail québécois et leur rapport au travail sans prendre en compte d'une part, l'effet du type de formation et d'expérience acquises dans le pays d'origine et d'autre part, la façon dont s'est élaboré le système de références de ces femmes à propos du travail.

Les études sur les migrations internationales ont en général peu tenu compte de cet effet d'intersection d'ensembles économiques différents sur leur situation de travail. Cette lacune est particulièrement évidente quand il s'agit du travail des femmes immigrées. On a par exemple souvent eu tendance à sous-estimer la contribution de ces femmes à l'économie de leur pays, ce qui a eu pour effet de donner une image simplificatrice de l'immigrée. C'est ainsi que, [18] aussi bien dans le sens commun que dans la littérature sociologique, les femmes immigrées ne sont pas considérées comme des travailleuses mais comme des femmes d'immigrées : « Doublement passives parce que femmes et parce qu'immigrées, elles ne sont supposées pouvoir être en situation de travail qu'à partir d'une position d'innovation de rupture par rapport aux normes attribuées à leur environnement social ». [25]

La diversité des situations observées en cours d'enquête ainsi que les conclusions de recherches récentes sur la question tendent à démontrer le caractère stéréotypé de cette représentation de la femme immigrée.

1.1. Particularités du modèle de développement
des quatre pays étudiés et rôle économique des femmes


Cette sous-estimation du niveau d'activité des femmes immigrées dans le pays d'origine repose en grande partie sur une méconnaissance de la structure de l'activité dans ces pays, que nous allons aborder dans cette section.

Les femmes étudiées sont originaires de formations sociales qui présentent à des degrés divers des distorsions structurelles sur le plan économique, responsable de leur sous-développement respectif et qui sont précisément à l'origine de la propension à émigrer : 1) l'importance de la part relative de l'agriculture dans l'économie [26] ; 2) la pauvreté des campagnes renforcée par une structure sociale archaïque (le complexe latifundium-minifundium) produisant une propension à émigrer vers les villes ; 3) la poussée démographique dans les villes par suite du fort exode rural ; 4) un développement insuffisant de l'industrie (en biens de consommation et d'équipement) et une grande dépendance vis-à-vis l'extérieur pour l'achat d'importations. En 1981, l'industrie n'occupait que 7% de la population active haïtienne, 20% de la population active colombienne et respectivement 28% et 35% des populations grecques et portugaise [27] ; 5) le chômage et le sous-emploi consécutif à l'incapacité du secteur productif à absorber les surplus de main-d'oeuvre rurale et urbaine ; 6) la croissance d'un secteur tertiaire parasitaire qui absorbe une partie des surplus de main-d'oeuvre. En Colombie, le secteur des services regroupe 50% de la main-d'oeuvre active. [28]

Dans ce contexte, une définition du travail sous le seul angle de l'emploi rémunéré donne nécessairement une vision tronquée de la contribution des femmes à l'économie de leur pays.

Dans les quatre pays étudiés par exemple, les femmes participent largement à la production agricole qui est, on l'a vu, la [19] production dominante. Plusieurs études, hors du champs des migrations internationales, ont montré l'importance du rôle des femmes colombiennes, grecques, haïtiennes et portugaises dans l'agriculture. [29] Elles assurent notamment l'essentiel de la production vivrière sur l'exploitation familiale, font l'élevage des animaux, s'occupent de vendre le produit des récoltes au marché. De plus, les pressions de la pauvreté en obligent plusieurs à se joindre à la force de travail salariée généralement sur une base saisonnière : à l'époque des semailles ou de la cueillette lorsqu'une abondante main-d'oeuvre est requise et que les hommes sont occupés à d'autres tâches ou plus généralement lorsqu'il y a pénurie de main-d'oeuvre masculine par suite de la migration saisonnière.

Pourtant le travail agricole réalisé par la femme (ou les enfants) au sein de l'unité familiale n'est pas comptabilisé officiellement comme travail parce que souvent considéré comme une extension de ses activités ménagères : bien que toute la famille participe aux travaux agricoles seul un de ses membres est reconnu officiellement comme producteur. [30] D'autre part, qu'elle participe à l'exploitation agricole familiale ou qu'elle travaille pour d'autres, c'est toujours au mari (au père ou au frère) que revient la rémunération de son travail.

Dans les conditions de rareté des économies périphériques, les femmes à la recherche d'un emploi dans les villes sont essentiellement reléguées au secteur informel de l'économie : les innombrables petites activités marchandes, l'artisanat à domicile, les petites entreprises de service non officielles des bidonvilles, les services domestiques. [31] Leur travail existe bien sûr mais n'est pas toujours repérable à l'aide des catégories statistiques établies.

En Colombie, dans la seule ville de Bogota, il y aurait officiellement 110,000 revendeurs de trottoir réguliers dont une grande proportion seraient des femmes. [32] Une étude récente démontre par ailleurs que dans les quatre principales villes du pays, en 1977, 28,5% des femmes actives étaient domestiques ou femmes de ménage, 17,8% revendeuses de trottoir, 17,8% employées de commerce, 13,8% employées de bureau, 9,7% ouvrières dans l'industrie et les services et 5,2% artisanes. [33] En Haïti, les femmes jouent un rôle prédominant dans le circuit de commercialisation des vivres qui est le plus important secteur d'activité de la population de Port-au-Prince : selon les estimations d'Anglade, près de 1500 Madan Sara (agents de liaison entre les marchés régionaux et la capitale) transporteraient quotidiennement à Port-au-Prince plus de 1000 tonnes de produits agricoles que vendent les quelques 50,000 marchandes de la ville. [34] Le commerce de trottoir est la [20] modalité de survie du plus grand nombre d'entre elles : or, ce type d'activité est en général mal ou pas du tout recensé.

Il y a donc tout lieu de penser que bon nombre des femmes immigrées originaires de ces pays — du moins celles qui sont d'origine paysanne ou ouvrière ou qui sont issues du sous-prolétariat urbain — avaient eu une activité de travail (non ménagère) avant d'arriver ici. C'est le cas des femmes que nous avons interviewées. Presque toutes avaient eu une expérience de travail rémunéré avant d'émigrer (13 Haïtiennes sur 18, 15 Grecques sur 20, 16 Portugaises sur 19, 15 Colombiennes sur 19). Le type d'expérience de travail des unes et des autres varie en fonction de l'origine sociale et géographique, du niveau de scolarité certifié ainsi que de l'étape dans le cycle de vie.

1.2. Enracinement social et familial des femmes étudiées

Les femmes grecques et portugaises rencontrées sont originaires de petits villages à vocation agricole marquée, et à forte tradition d'émigration. Un peu plus de la moitié des travailleuses grecques interrogées et quatorze Portugaises étaient d'origine paysanne. Les autres étaient d'origine ouvrière (5 Grecques et 4 Portugaises) ou filles de petits artisans commerçants. Dans la plupart des cas, leurs parents arrivaient difficilement à vivre de leur travail, le morcellement extrême des terres rendant impossible toute rentabilité. Ces difficultés liées à une attraction subjective du mode de vie urbain ont amené à un moment ou l'autre plusieurs d'entre elles à émigrer vers les villes. De telle sorte qu'au moment d'émigrer, 12 Grecques et 11 Portugaises avaient fait l'expérience de la vie dans une grande ville.

Les femmes colombiennes et haïtiennes représentatives d'une immigration plus récente, ont au contraire passé la majeure partie de leur vie active dans une grande ville. Les Haïtiennes sont issues de ménages monoparentaux très défavorisés. Elles sont pour moitié originaires de la petite paysannerie, mais le passage en milieu urbain s'est effectué très tôt dans leur vie de sorte qu'au moment de quitter Haïti, elles vivaient à Port-au-Prince depuis de nombreuses années (douze ans en moyenne). Les autres sont originaires du secteur informel des villes. Quand aux Colombiennes, elles sont plus rarement d'origine paysanne (5) et proviennent en général d'une famille de petits artisans-commerçants urbains.

La faiblesse des revenus dans la paysannerie et les couches populaires de ces pays rend difficile la poursuite d'études secondaires. Pour les enfants de ces familles, l'éducation est un bien peu [21] accessible parce que trop coûteux (en temps passé à ne rien produire ou à ne rien gagner, en argent, en fatigues occasionnées par les longs déplacements pour celles qui vivent en milieu rural). Les pressions de la pauvreté les obligent tôt ou tard à interrompre leurs études soit pour aider leur famille par leur travail (sur l'exploitation agricole ou dans le petit commerce) ou l'apport d'un revenu supplémentaire, soit pour remplacer la mère auprès des enfants plus jeunes.

Si l'on ajoute à cela le fait que dans les familles paysannes et ouvrières de ces pays, la scolarisation formelle est souvent jugée inutile voire dangereuse pour les filles, on aura compris pourquoi nos interlocutrices étaient si faiblement scolarisées à leur arrivée au Québec. Une majorité de Portugaises (13) et près de la moitié des Haïtiennes (8) [35] n'avaient pas dépassé quatre ans de scolarité (6 Haïtiennes étaient analphabètes complètes ou fonctionnelles) [36] au moment d'émigrer. Les Colombiennes et les Grecques étaient un peu plus scolarisées avec en moyenne sept ans d'études formelles.

Contraintes d'interrompre leurs études, les femmes interviewées ont en général cherché à acquérir une formation en couture en travaillant auprès de couturières établies en atelier ou plus rarement dans des écoles de métier. Cette formation est la seule qui soit valorisée pour les filles dans la paysannerie et les couches populaires parce qu'elle permet l'acquisition rapide d'un métier tout en restant compatible avec leur rôle de reproductrice.

Cet apprentissage leur sera jusqu'à un certain point utile puisque près de la moitié d'entre elles vivront de la couture à un moment ou l'autre de leur vie dans le pays d'origine (9 Portugaises, 9 Grecques, 7 Haïtiennes et 6 Colombiennes). Ce type de qualification ne jouit cependant ni dans le pays d'origine ni au Québec d'aucune forme de reconnaissance et n'est pas monnayable à sa juste valeur sur le marché du travail.

1.3. Le type d'expérience de travail
des femmes échantillonnées


Ayant vécu plus longtemps en milieu rural, les femmes grecques et portugaises de notre échantillon ont été plus nombreuses que les Colombiennes et les Haïtiennes à avoir une activité agricole dans leur pays (8 Portugaises, 8 Grecques comparativement à 2 Colombiennes et 1 Haïtienne). En fait la plupart des filles ou des femmes de paysans ont à un moment ou l'autre travaillé sur l'exploitation familiale. Elles participent à tous les travaux agricoles, même les plus durs : comme leur mari, précisent-elles souvent, elles travaillent aux champs pendant la saison des plantages et de la [22] moisson. Mais leur fonction essentielle reste la production vivrière et le petit élevage en plus de la collecte quotidienne du combustible et bien sûr des tâches domestiques. S'ajoute à cela pour certaines d'entre elles la pratique d'une forme ou l'autre d'artisanat qui procure souvent un revenu indispensable à la survie du ménage.

Les récits font largement état des difficultés et des aléas de la condition paysanne. Pour celles que leurs études ont amenées à connaître d'autres styles de vie, le retour au monde de vie rural est souvent pénible et le travail agricole peu valorisé.

« Nous travaillions tous les deux aux champs. Nous faisions le même travail. Et à la maison, j'étais responsable de presque tout le travail ménager (...)

Vous ne pouvez vous imaginer à quel point ce travail était dur. Nous nous levions très tôt le matin : nous devions préparer les enfants, la nourriture pour la journée, s'occuper des animaux. Puis nous nous rendions aux champs. Selon les saisons, nous devions sarcler, planter les pommes de terre, cueillir les cerises, les noix (...) Nous passions toute la journée dehors : nous ne revenions que très tard le soir à la maison (...)

II n'y avait aucune période de répit dans ce travail : il y avait d'abord la saison des olives, puis les pommes de terre au printemps, puis les cerises, puis les noix. Nous avions aussi un potager et quelques animaux (...). Pendant l'été nous n'avions même pas une journée de repos parce qu'il nous fallait arroser les jardins (...).

Nous n'avions pas de revenu régulier : tout dépendait des conditions météorologiques. Au marché, nous n'étions même pas certains de pouvoir toucher $500. par année. »

(Grecque, arrivée en 1973 à l'âge de 35 ans, originaire d'un petit village agricole du Péloponnèse)

Pour celles qui ont émigré vers les villes ou qui y sont nées, l'absence de scolarité certifiée limite considérablement les possibilités d'emploi à travers les voies formelles. C'est ainsi que presque toutes les Haïtiennes et près de la moitié des Colombiennes et des Portugaises interrogées se sont à un moment ou l'autre de leur vie active trouvées engagées dans le secteur informel de l'économie.

La principale source de revenus des femmes interrogées, dans leur pays, était l'artisanat à domicile (couture, broderie, tricot) : c'est le cas de 8 Portugaises, de 5 Haïtiennes, de 5 Grecques et de 3 Colombiennes. C'est un type d'activité pour lequel elles étaient qualifiées et qui leur permettait de toucher un revenu tout en se conformant à la norme sociale dominante qui leur conteste tout rôle à l'extérieur de la maison.

[23]

La majorité d'entre elles (15) travaillaient à leur compte et avaient leur propre clientèle : elles maîtrisaient toutes les étapes de la production d'un vêtement et avaient beaucoup de liberté dans leur travail, mais il s'agissait d'un travail irrégulier dont elles vivaient difficilement. Les autres travaillaient pour des contracteurs (5 Portugaises et 1 Colombienne) : leur travail était standardisé, rémunéré à la pièce à très bas taux ce qui les obligeait à travailler un nombre d'heures considérables.

Autre filière d'emploi importante dans le secteur informel des villes surtout pour les Haïtiennes (6) et les Portugaises (4) : la domesticité. Pour des salaires dérisoires, les domestiques travaillaient souvent plus de soixante douze heures par semaine, sans aucune garantie d'emploi ni aucune protection sociale. Le travail était éreintant : la plupart des familles ne disposant ni d'eau courante ni d'installations modernes, la cuisine et la lessive deviennent des corvées écrasantes. Le cas des « restavèk » haïtiennes (5) est particulièrement frappant : en plus d'accomplir toutes les tâches domestiques dans la famille d'accueil sans aucune autre rémunération que le gîte et les repas, elles étaient souvent maltraitées.

Enfin, 5 Haïtiennes et 5 Colombiennes ont eu des petites activités marchandes : soit elles vendaient dans la rue ou au marché de la nourriture ou des produits d'artisanat, soit elles étaient propriétaires d'un petit restaurant, d'une petite épicerie ou d'une petite entreprise de service. Ces femmes jouissent en général d'une importante autonomie, mais elles exercent leur métier dans des conditions très difficiles. Elles n'ont en particulier aucune sécurité matérielle. Les marges de profit étant très réduites (autour de 5%), elles risquent tous les jours leur mince avoir et finissent par s'endetter. Et bien sûr, elles ne bénéficient d'aucun avantage social.

Ces périodes d'emploi dans le secteur informel alternent pour certaines des répondantes avec des périodes d'emploi dans le secteur formel de l'économie. En effet, la moitié d'entre elles ont eu au moins une expérience de travail salarié en usine (4 Colombiennes, 5 Grecques, 5 Haïtiennes et 5 Portugaises) ou dans un petit commerce (5 Colombiennes, 6 Grecques, 3 Haïtiennes, 3 Portugaises). Les ouvrières étaient concentrées dans les industries agroalimentaires, dans le textile et la confection. Elles travaillaient dans des conditions difficiles, avaient des horaires coupés, bénéficiaient rarement d'avantages sociaux et percevaient des salaires souvent inférieurs au minimum légal.

1.4. Structure familiale et rapport au travail

Le rapport au travail des femmes immigrantes interrogées est marqué par la nécessité, compte tenu des pressions de la pauvreté, [24] de contribuer en nature ou en argent au revenu familial toujours insuffisant pour combler tous les besoins de la famille.

La forte disponibilité au travail observée entre en principe en contradiction avec le fait que dans les pays étudiés (sauf en Haïti ou « gagner sa vie » est aussi important pour les femmes que pour les hommes), le travail des femmes est souvent perçu comme une entorse à leur rôle d'épouse et de mère, une menace pour la famille, une menace surtout pour l'autorité, la masculinité de l'homme qui est en rapport direct avec sa capacité d'assurer le bien-être économique de la famille.

« Mon mari n'aime pas que je travaille. Il dit que la coutume en Colombie veut que la femme ne doit pas travailler. Elle doit rester à la maison et c'est l'homme qui doit travailler. »
(Colombienne, 22 ans, arrivée en 1976)

« Quand j'ai commencé à travailler, mon père était fâché contre moi à peu près pendant 15 jours. Car il est très traditionnel. Il pensait qu'une femme qui travaillait, qui gagnait son propre argent devenait une « femme de rien ».
(Cualquiera) Colombienne, 31 ans, origine paysanne, arrivée en 1974)

Le décalage entre ce qui est socialement acceptable et les comportements réellement observés s'explique précisément par la nécessité économique. Résultant du chômage, du sous-emploi et du sous-salaire, l'appauvrissement économique général et la marginalisation d'une large partie des hommes invalident leur rôle socialement assigné de soutien financier de la famille.

Les femmes haïtiennes en particulier sont très souvent le principal gagne-pain du ménage. Les mères célibataires séparées ou abandonnées sont fort nombreuses et le mariage coutumier (ou placage) un fait courant. Résultat : parmi les 9 Haïtiennes qui avaient des enfants au moment du départ, 6 en avaient l'entière responsabilité. Ayant la charge presque totale d'assurer leur survie et celle de leurs enfants et ne bénéficiant d'aucune aide sociale, ces femmes sont dans l'obligation de travailler et elles saisissent toutes les opportunités qui leur permettront d'améliorer leur niveau de vie.

Comment se gèrent les conflits possibles entre responsabilités financières et responsabilités familiales ? D'abord, en associant leur rôle de travailleuse à celui de « mère responsable » : si l'on s'en tient à leurs récits, elles ne travailleraient pas pour elles-mêmes mais pour la famille qui reste ainsi leur responsabilité première.

[25]

« C'est moi seule qui me souciais des enfants. Il avait d'autres enfants avec d'autres personnes. J'ai dû me serrer la ceinture pour les élever. J'ai travaillé dur (...) j'ai fait du commerce, j'ai fait ceci, j'ai fait cela, j'ai fait de la couture. »
(Haïtienne, 58 ans, 10 enfants, origine urbaine, arrivée en 1973)

« Il faut toujours chercher du travail parce que j'ai des responsabilités financières : j'ai ma fille et j'ai mon père aussi à qui je dois une aide financière. J'ai mon petit frère que je dois aider... »
(Haïtienne, 30 ans, célibataire, 1 enfant, arrivée en 1980)

Ensuite, pour les femmes mariées, en choisissant un type d'activité qui permet de faire coïncider les lieux de travail et de résidence. À l'exception des Haïtiennes en effet, les femmes mariées de notre échantillon travaillaient très rarement à l'extérieur du foyer avant d'émigrer. Soit elles arrêtaient de travailler en se mariant ou elles faisaient de l'artisanat à domicile ou avaient un petit commerce attenant à la maison.

D'autre part, un facteur important favorisant l'activité des femmes interrogées dans le pays d'origine est l'existence d'une structure familiale d'appui. En effet, la moitié des femmes qui avaient des enfants à charge dans leur pays (18 sur 35) vivaient en famille étendue, le plus souvent en matrifocalité (12), bénéficiant ainsi de l'aide de leur mère, d'une sœur ou d'une nièce dans l'accomplissement des travaux ménagers et pour la garde des enfants. C'est particulièrement le cas des Colombiennes et des Haïtiennes (respectivement 7 sur 11 et 7 sur 9). Ajoutons que la plupart des Haïtiennes (7 sur 9) avaient en plus une ou plusieurs aide-domestiques à leur emploi : il faut préciser qu'en Haïti cette main-d'oeuvre est tellement bon marché (il n'est pas exceptionnel que les domestiques vendent leur force de travail contre un toit et la nourriture) que même les familles les plus modestes peuvent se permettre ce type d'aide.

« J'avais des bonnes pour prendre soin des enfants. À cette époque, les bonnes ne coûtaient rien en Haïti : trois dollars par mois suffisaient pour en payer une. Parfois j'en avais deux dans la boutique et une pour les enfants. J'avais aussi des enfants qui restaient avec moi (restavèk). Et je devais refuser des enfants car, vous savez, en Haïti, quand vous faites du commerce, on vient tout le temps vous offrir de l'aide (...) Les enfants, je les ai juste mis au monde. C'est ma mère qui s'en est toujours occupé, avec les bonnes. »
(Haïtienne, 58 ans, 6 enfants, origine urbaine, arrivée en 1973)

[26]

Les Grecques et les Portugaises ayant des enfants à charge avaient plutôt tendance à vivre en ménage nucléaire mais résidant en structure villageoise, elles pouvaient compter sur l'aide de voisines ou de parentes résidant à proximité.

L'immigration n'aura pas comme telle une incidence marquée sur le niveau d'activité de ces femmes. Non seulement arrivent-elles au Québec, porteuse d'une expérience de travail diversifiée, mais elles y viennent toutes avec l'intention d'y travailler afin que s'améliore leur niveau de vie. Il en résulte une forte disponibilité au travail qui se manifeste sous des aspects multiples. C'est ce que nous ferons ressortir dans la partie qui suit, tout en examinant les changements qualificatifs entraînés par l'insertion dans de nouveaux rapports sociaux de travail.

Deuxième partie

L'insertion des travailleuses immigrées
sur le marché du travail au Québec


Avant de présenter les données de notre enquête, on s'arrêtera sur les caractéristiques socio-démographiques de la population féminine des quatre communautés de référence qui nous intéressent, afin de mieux cerner le contexte général de leur insertion au Québec.

Dans un deuxième temps nous aborderons divers aspects de la position des femmes étudiées sur le marché du travail au Québec : types d'emplois, concentrations sectorielles, trajectoires socioprofessionnelles et conditions de travail, articulation des procès de travail domestique et rémunéré.

2.1. Quelques remarques préliminaires à propos
de la population féminine née en Colombie, en Grèce,
en Haïti et au Portugal (1981)
 [37]

L'immigration en provenance de la Grèce et du Portugal date essentiellement de la période 1956-1971 et a diminué progressivement par la suite. Au recensement de 1981, le Québec comptait 49,420 personnes d'origine grecque et 27,370 personnes d'origine portugaise. [38]

L'immigration d'origine colombienne et haïtienne est plus récente, puisqu'elle fournit le gros de ses effectifs à partir des années 1970. En 1981, on évaluait à 32,500 le nombre d'Haïtiens et Haïtiennes vivant au Québec. L'importance de la population d'origine colombienne est plus difficile à évaluer de façon précise, [27] les données du recensement relatives à l'origine ethnique ne la distinguant pas de l'ensemble de la population latino-américaine. On sait cependant qu'au moment du recensement la population du Québec comptait 1805 personnes nées en Colombie, ce qui donne une idée très approximative de la présence réelle de la communauté colombienne au Québec.

Ces groupes d'immigration vivent en très forte proportion dans la région métropolitaine de Montréal (98% de la communauté grecque, 94% de l'haïtienne, 89% de la colombienne, 86% de la portugaise).

Quelques traits saillants ressortent de l'analyse comparée des données concernant plus spécifiquement l'immigration féminine en provenance des quatre pays étudiés.

L'importance de la présence des femmes dans chaque groupe d'immigration relève d'une immigration familiale, propre au Québec comme à l'Amérique du Nord. La sur-représentation féminine dans le cas des Haïtiennes et des Colombiennes suggère des particularités sociologiques propres aux structures familiales et à l'activité économique des femmes dans les pays d'origine ; cette sur-représentation doit être comparée à la recomposition féminine des flux migratoires en provenance des Antilles et d'Amérique latine vers les États-Unis (Tableau 1).

La concentration des femmes aux âges actifs dans les quatre groupes d'immigration doit être notée (proportion des 15-44 ans). On sait qu'il s'agit là d'une caractéristique générale de l'immigration. Le Tableau 1 montre qu'elle est particulièrement accentuée pour les quatre groupes étudiés (75% chez les Colombiennes, 70% chez les Haïtiennes, 64% chez les Portugaises, 58% chez les Grecques), comparativement à l'immigration féminine totale (49%) et à la population féminine non-immigrée (49%).

Leur présence massive sur le marché du travail au Québec ressort des taux globaux d'activité, très élevés pour trois des quatre groupes et en hausse par rapport à ceux observés au recensement de 1971 (respectivement de 65% pour les Haïtiennes, 62% pour les Portugaises, 62% pour les Colombiennes et 50% pour les Grecques). Comme en 1971, ces taux sont supérieurs à ceux de l'immigration féminine totale (50%) et à ceux de la population féminine non immigrée (47%) malgré la forte hausse que ces derniers ont connu également depuis 1971 (Tableau 2).

On observe par ailleurs une sur-concentration des femmes des quatre groupes dans certains secteurs d'activité économique et

[28]

TABLEAU 1
Volume total des Colombiennes, Grecques, Haïtiennes et Portugaises
(Pays de naissance) ; importance du groupe d'âge 15-44 ans
et poids relatif du sexe féminin F/T (%) : Province de Québec, 1971 et 1981

Pays
de naissance

Population féminine

Effectifs

15-44 (%)

F/T (%)

Colombie

1971
1981

(1)
950

(1)
75

(1)
(53

Grèce

1971
1981

12 510
13 805

75
58

48
48

Haïti

1971
1981

1 920
14 025

78
70

51
54

Portugal

1971
1981

5 890
10 585

65
64

49
49

Née à l'extérieur du Canada

1971
1981

232 445
260 990

50
49

50
50

Née au Canada
1971
1981


2 800 775
3 005 215


45
49


0
51

* Source : MCCI, compilation spéciale (Recensement 1971 et 1981)
Statistique Canada, Recensement 1971, Cat. 92-715 (Tableau 7), Recensement 1981, Cat. 92-901 (Tableau 1).

1. Non disponible

2. Obtenue par solde (Pop. totale — Pop. née au Canada). En 1981, la population féminine immigrée née au Canada a été comptabilisée avec la population féminine non-immigrée afin d'avoir des données comparables avec 1971.


certaines catégories socio-professionnelles : travailleuses dans la fabrication, le montage et la réparation (où elles sont sur-représentées par rapport à l'immigration féminine totale et à la population féminine née au Canada). Dans le cas des travailleuses des services, l'interprétation est plus difficile, cette catégorie englobant des services extrêmement divers (depuis les services liés aux forces armées jusqu'à ceux de l'entretien). À noter la proportion plus élevée de professionnelles et de techniciennes dans le groupe des Haïtiennes comme d'ailleurs dans l'ensemble de la population féminine née à l'extérieur : elle témoigne de cette bipolarité de l'immigration internationale au Québec.

[29]

TABLEAU 2

Taux global d'activité des Colombiennes, Grecques,
Haïtiennes et Portugaises (selon le pays de naissance),
Province de Québec, aux recensements de 1971 et 1981

Pays de naissance

Taux global d’activité

Colombie

                             1971
                             1981


61.5

Grèce

                             1971
                             1981

52.5
50.0

Haïti

                             1971
                             1981

59.8
65.1

Portugal

                             1971
                             1981

49.8
61.4

Immigration

Féminine             1971
                             1981

40.9
49.8

Population

Féminine               1971
non-immigrée        1981

34.3
47.2

*Source : MCCI, compilation spéciale (Recensement 1971 et 1981) Statistique Canada Note : Les taux retenus ici sont les taux « non corrigés ».


Enfin, il ressort des données du recensement que les revenus moyens des Colombiennes, des Grecques, des Haïtiennes et des Portugaises sont inférieurs à la fois à ceux de l'ensemble de la population des femmes immigrées et à ceux des femmes nées au Canada. On notera également l'importance de l'écart entre les salaires des femmes et des hommes à l'intérieur de chaque groupe étudié (tableau 4).

En résumé, l'importance de la présence des femmes à l'intérieur de chaque groupe d'immigration étudié, leur concentration aux âges actifs, et leur forte participation au marché du travail dans un nombre restreint de secteurs sont les principales caractéristiques qui, comme au Recensement précédent, ressortent du Recensement de 1981.

[30]

TABLEAU 3
Répartition professionnelle (population active occupée)
des Colombiennes, Grecques, Haïtiennes et Portugaises
(pays de naissance) : Province de Québec, 1981

Professions
1981

Population féminine active occupée :
(pays de naissance)

Colombie

Grèce

Haïti

Portugal

Née à l’extérieur du Canada

Née au Canada

Professionnelles et techniciennes

12,0

8,8

23,6

7,2

25,8

27,1

Employées de bureau et vente

12,0

17,9

14,4

17,8

32,5

45,5

Travailleuses dans les services

26,5

17,5

13,6

19,9

12,5

14,4

Travailleuses dans le secteur secondaire

48,2

55,2

46,7

53,7

27,8

10,8

dont: fabrication, montage et réparation

39,8

50,5

35,6

45,6

22,7

6,4

Employées du bâtiment et du transport

0,4

0,2

0,6

0,4

0,6

Travailleuses dans le secteur primaire

0,2

0,6

1,3

Non classées ailleurs

3,6

0,1

1,2

0,6

0,4

0,2

Total

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

415

5 645

6 145

5 490

106 530

1 048 315

*Source : MCCI, compilation spéciale (Recensement 1981)

Statistique Canada, Recensement 1981, Cat. 92-918 (Tableau 2).


2.2. L'univers de travail des femmes étudiées au Québec

2.2.1. Des emplois précaires
dans des secteurs d'activité limités


Qu'observons-nous à l'échelle de l'échantillon ? Au moment de l'enquête, et compte tenu des critères d'échantillonnage, plus de la moitié des répondantes (42/76) occupaient un emploi dans l'industrie manufacturière de l'habillement, du cuir et de la bonneterie. Les autres travaillaient dans le secteur des services : services personnels (domestiques, femmes de ménage et gardiennes) ou encore, dans l'hôtellerie (femmes de chambre). Elles y étaient inégalement représentées selon l'origine ethnique : en effet, si les Colombiennes [31] étaient aussi nombreuses en manufacture que dans les services, les Haïtiennes et surtout les Grecques étaient surtout concentrées en manufacture tandis que les Portugaises travaillaient plutôt dans les services. À l'intérieur des services, les emplois de domestiques et femmes de ménage revenaient essentiellement aux Haïtiennes et Portugaises, on n'y trouvait que deux Colombiennes et aucune Grecque.

Par ailleurs, quel que soit le secteur et indépendamment de leur origine, toutes les répondantes occupaient les postes les moins prestigieux et les plus mal rémunérés.

On pourrait penser que cette concentration dans des emplois précaires est seulement le reflet d'une conjoncture particulière (1981 année du Recensement et de l'enquête). Or, et c'est là un des aspects intéressants que notre démarche a permis d'explorer, tout indique qu'elle est en fait une « constante structurelle » de la réalité migratoire au Québec. [39]

TABLEAU 4
Revenu total moyen de la population âgée de 15 ans et plus,
née en Colombie, Grèce, Haïti et Portugal, suivant le sexe :
Province de Québec, 1981

Pays de naissance

Revenu total moyen : pop. 15 ans et plus

Femmes

Hommes

Total

Colombie

$6,254.

$11,362.

$8,938.

Grèce

7,527.

13,745.

11,234.

Haïti

7,792.

12,096.

9,930.

Portugal

7,829.

13,434.

11,006.

Née à l’extérieur du Canada

9,087.

17,356.

13,670.

Née au Canada

8,318.

15,668.

12,322.

"Source : MCCI, compilation spéciale (Recensement 1981)

Statistique Canada, Recensement 1981, Cat. 92-928 (Tableaux 1 et 3).


En effet, si l'on considère l'ensemble des emplois occupés par les répondantes au cours de leurs trajectoires respectives (257 emplois dénombrés) [40], on s'aperçoit que toutes les Grecques interrogées, et près des 3/4 des femmes de chacun des autres groupes (14 Portugaises, 13 Haïtiennes et 13 Colombiennes), ont eu au moins une expérience de travail en manufacture depuis leur [32] arrivée, le plus souvent dans l'habillement et quelques-unes dans le cuir et la fourrure. Elles n'y ont jamais occupé de postes plus prestigieux ou mieux rémunérés que ceux auxquels on les trouvait au moment de l'enquête.

Par ailleurs plus de la moitié des femmes de chaque origine a travaillé au moins une fois dans les services, les Colombiennes surtout, dans l'entretien industriel. C'est dans cette branche également que sont cantonnées les travailleuses grecques, qu'on ne trouve jamais, par ailleurs, dans les emplois de services personnels. On y trouve par contre les Haïtiennes (domestiques) et les Portugaises (femmes de ménage).

On remarque enfin qu'à de rares exceptions près, tous ces emplois sont ethniquement typés, tant au niveau du patronat (essentiellement juif et, dans une moindre mesure, grec), qu'à celui de la maîtrise (italienne surtout). La composition de ces entreprises est en général multi-ethnique.

Dans les services personnels, les Haïtiennes ont été majoritairement au service d'employeurs haïtiens, recrutées directement d'Haïti, illégalement ou sur la base de permis temporaire de travail, et par l'intermédiaire de réseaux inter-personnels d'embauchés haïtiens. Les Portugaises, elles, ont travaillé essentiellement dans des familles juives. Les Colombiennes ont identifié des employeurs colombiens, marocains, juifs et canadiens anglais. Dans le secteur des services aux entreprises enfin, les femmes ont travaillé soit pour les grosses entreprises (Empire Maintenance), soit pour de petites entreprises contrôlées par un patronat ethnique, grec le plus souvent, latino-américain, etc.

Ainsi, autant en 1981 que tout au long de leur histoire professionnelle, les femmes que nous avons rencontrées ont toujours occupé des places déterminées sur le marché du travail québécois : postes précaires dans des secteurs d'activité limités et contrôlés par un patronat ethnique. Nos données confirment à cet égard une réalité connue. [41]

2.2.2. Des branches à haute densité de main-d'oeuvre

Ayant identifié les secteurs et sous-secteurs d'activité où nos répondantes ont été exclusivement concentrées, nous avons tenté de connaître plus précisément les caractéristiques de ces branches et leur importance dans l'économie québécoise.

En 1978, 80% des 1892 établissements de confection du vêtement au Québec, 78% des 208 établissements de bonneterie, 60% [33] des 132 usines de cuir et chaussure étaient concentrés à Montréal. Ces établissements sont en général de petite taille : en 1978 toujours, 78% des usines de vêtement comptaient moins de 60 employés, 50% des usines de bonneterie en comptaient entre 15 et 70, 40% des usines de cuir moins de 40. [42] Nous sommes donc en présence de secteurs industriels dominés par le capital non-monopoliste, dont la structure de production repose sur l'utilisation de bassins de main-d'oeuvre dont la productivité devient le facteur essentiel de rentabilité.

Au cours de la décennie 1970, et jusqu'à ce jour, ces secteurs dits « mous » ont connu de fortes fluctuations qui s'inscrivent dans le contexte d'une économie de crise et la concurrence des importations étrangères. On a noté un taux important de fermetures et de faillites (150 ateliers dans le seul secteur du vêtement entre l'été 1980 et l'été 1981) [43], impliquant diverses stratégies de réorganisation de la production : relocalisation vers l'Ontario dans certains cas, fermetures d'entreprises syndiquées suivies de réouvertures sous nouvelle raison sociale pour contrer la syndicalisation, recours à la sous-traitance et extraordinaire résurgence du travail à domicile. [44]

Les réductions de personnel dans ces secteurs ont été spectaculaires : ainsi, on note une perte de 10,078 emplois entre 1979 et 1983 dans le seul secteur du vêtement pour dames. L'extension du travail au noir l'a été tout autant. Rose et Grant estime à 30,000 le nombre de travailleuses au noir dans le seul secteur du vêtement en 1981. [45] Dans ces conditions, l'arbitraire patronal joue à plein pour réaliser l'épargne des coûts reliés au salaire direct et indirect. La forte chute du taux de syndicalisation dans le seul secteur du vêtement est directement relié à cette réorganisation de la production.

Au Québec, en octobre 1981, la rémunération horaire moyenne dans l'ensemble du secteur manufacturier était de $8.78. Les rémunérations horaires les plus faibles se retrouvaient dans le cuir ($5.89/h.), le vêtement ($6.22), la bonneterie ($5.82), le textile ($6.68). [46] Les revenus touchés par les travailleuses à domicile se situeraient en grande majorité en deçà du salaire minimum. [47]

Le secteur des services regroupe les services personnels, l'hôtellerie, la restauration et l'industrie de l'entretien ménager. Ces sous-secteurs présentent des caractéristiques fort diverses : nous ne situerons ici que celui de l'entretien ménager.

Pour le Québec, en 1983, on estime à 10,000 le nombre des travailleurs et travailleuses de l'entretien ménager, dont 8,000 seraient concentrés à Montréal et 60% seraient des immigrants. [48]

[34]

Ce secteur se compose essentiellement d'entreprises de sous-traitance spécialisées dans les services de nettoyage et d'entretien pour les propriétaires d'immeubles de toutes sortes sur la base de soumissions concurrentielles.

La rentabilité de cette industrie repose pour l'essentiel sur la productivité d'une main-d'oeuvre bon marché, les investissements en capital fixe et circulant y étant très faibles.

En 1981, on comptait au Québec environ 700 entreprises sous-traitantes, certaines relevant de l'infime P.M.E., d'autres étant carrément des filiales de multinationales américaines, britanniques ou canadiennes (Consolidated Maintenance Services Ltd, Nationwide Building Services Ltd, Empire Maintenance, etc.). Selon la CSN, seulement 7% de ces entreprises comptent plus de 40 employés au Québec : elles emploient 55% de la main-d'œuvre de ce secteur. Par ailleurs, on estimait qu'un travailleur sur cinq était employé par une entreprise de moins de 5 personnes [49]. À Montréal, la sous-traitance et la gérance serait sous le contrôle des petits patrons de groupes ethniques « minoritaires » : Grecs, Latino-américains, Marocains, etc.

Qualifié de jungle, à cause de la concurrence obligée entre sous-traitants, ce secteur embauche beaucoup de travailleurs illégaux et se prête au désamorçage continu de la syndicalisation, ainsi que l'a illustré la grève des travailleurs de Holiday Maintenance.

Les conditions de travail de ce secteur sont particulièrement dures : insécurité d'emploi permanente, les contrats des sous-contractants pouvant être résiliés à 30 jours d'avis ; cumul d'emplois ; problèmes de santé (surfatigue liée au travail de nuit, dangers inhérents à l'utilisation de produits chimiques, surchage de travail due à la réduction arbitraire du personnel pour la réalisation d'un contrat). En mai 1981, les salaires horaires régis par le décret 298 sur l'entretien ménager étaient de $5.50 (classe A) et de $5.10 (classe B).

Quelles trajectoires nos répondantes ont-elles suivi dans ce contexte ?

2.3. Les trajectoires socio-professionnelles
des femmes étudiées


Qu'elles soient installées au Québec depuis plusieurs années comme les Grecques et les Portugaises ou qu'elles y soient arrivées plus récemment comme les Colombiennes et les Haïtiennes, les femmes que nous avons rencontrées ont suivi des trajectoires socioprofessionnelles similaires dans leurs principaux aspects. Cette [35] uniformité contraste avec la diversité des expériences de travail que ces femmes avaient connues dans leurs pays d'origine.

Toutes les trajectoires en effet se sont déroulées soit à l'intérieur d'un seul secteur (27 en manufacture et 17 dans les services) soit avec allers-retour de l'un à l'autre (32 trajectoires). On ne repère aucune incursion, aussi brève soit-elle, dans d'autres types d'emploi, comme le bureau ou la vente, par exemple.

Ces trajectoires se caractérisent par une importante discontinuité : les changements d'emploi sont fréquents, qu'ils impliquent ou non le passage d'un secteur à l'autre. On constate cependant qu'en dépit de ces nombreux changements, les femmes sont continuellement présentes sur le marché du travail, les interruptions étant pour la plupart de très courte durée.

Par ailleurs, cette présence constante au travail ne s'est accompagnée d'aucune forme de mobilité sociale et ce, indépendamment de l'ancienneté acquise dans un emploi : en début comme en fin de trajectoire, toutes étaient concentrées dans les postes les moins prestigieux et les plus mal rémunérés.

Cependant, au-delà de ces caractéristiques communes à l'ensemble des trajectoires (déroulement exclusif dans l'un et/ou l'autre des secteurs de concentration, présence constante de travailleuses sur le marché du travail en dépit de la discontinuité des occupations, et absence de mobilité sociale), on voit se dégager des particularités propres à chacun des groupes étudiés.

Compte tenu de leur arrivée plus récente et si l'on considère l'ensemble de la trajectoire, les Haïtiennes et les Colombiennes (dont la moitié n'ont pas conservé plus d'un an le même emploi) semblent avoir connu une rotation d'emplois plus rapide que les Grecques et les Portugaises.

Cela nous amène à considérer les motifs le plus fréquemment invoqués pour expliquer ces interruptions. D'une façon générale, toutes les répondantes ont été touchées, au cours de leur trajectoire, par le « manque d'ouvrage » (entraînant la mise à pied temporaire ou définitive) et les fermetures ou déménagements d'entreprises.

Q. À ce travail, cela arrive-t-il qu'on vous mette au chômage ?

R. Oui, quand il n'y a pas de travail. Avant, il y avait toujours du travail. Il y avait un ralentissement vers le mois d'avril. Mais depuis Lévesque c'est la débandade. Il peut manquer de travail tout le temps de l'année (...). Disons, deux fois par année, [36] vous manquez de travail. Ce sont surtout les derniers embauchés qu'ils envoient au chômage. Mais quand il vous envoient au chômage, c'est qu'il n'y a vraiment pas de travail (...). Ils peuvent ne pas vous envoyer et vous travaillez trois ou quatre jours par semaine (...). Quand nous commençons à ne faire que 35 heures, nous constatons qu'il manque d'ouvrage. On peut alors s'attendre à ce qu'ils diminuent le nombre d'employés. Ils nous disent alors que cela va un peu mal, des choses comme ça (...) ou que leur matériel n'est pas encore rentré, ou qu'il n'y a pas encore de commandes (...).
(Haïtienne, 28 ans, arrivée en 1972, emploi d'opératrice depuis 8 ans en manufacture de vêtements).

(...) Ils prennent toujours des gens, ils renvoient toujours des gens, ils reprennent toujours des gens (...).
(Haïtienne, 44 ans, arrivée en 1976,
emploi d'opératrice dans une manufacture de blouses,
pendant 4 ans).

(...) Il n'y avait pas d'ouvrage. On nous a renvoyées chez-nous et quand il y a eu de l'ouvrage, ils nous ont rappelées. J'ai touché seulement une semaine de chômage (...) certains disent que je pourrais continuer à toucher, j'ai dit non, je n'aime pas les dettes, je préfère qu'ils me doivent au lieu de leur devoir (...).
(Haïtienne, 52 ans, arrivée en 1976,
emploi à l'ouvrage général dans une manufacture
de lingerie pendant 4 ans).

Des conditions trop pénibles de travail, doublées souvent de mésentente avec le personnel de supervision, ont par ailleurs contraint un grand nombre d'entre elles à laisser leur emploi. Viennent enfin les motifs familiaux (naissances et présence d'enfants en bas âge) qui eux, par contre, ont une incidence très différente d'un groupe à l'autre. En effet, c'est presque toujours la nécessité de concilier le travail salarié et les responsabilités familiales qui motive des interruptions d'emploi plus longues chez les travailleuses grecques, alors que chez les Haïtiennes, ces contraintes familiales ont une incidence beaucoup moins grande sur les changements d'emploi. C'est ici que s'impose la nécessité de tenir compte des structures familiales et de leur articulation au travail salarié, parce que, en définitive, c'est essentiellement dans la façon dent les femmes ont articulé, aux différentes étapes de leur trajectoire, les contraintes liées à leur double situation de femme et de travailleuses avec les contraintes du contexte socio-économique, qu'apparaissent certaines particularités. Ainsi, si plusieurs [37] Portugaises cherchent à travailler comme femmes de ménage à un moment donné, c'est à la fois pour échapper à des conditions trop pénibles en manufacture, et pour la plus grande souplesse d'horaire que ce type de travail permet. Ce sont les mêmes impératifs qui amènent les Grecques à passer de la manufacture au travail industriel à domicile ou encore, dans l'entretien ménager où elles travaillent de nuit comme les Colombiennes.

Outre ces facteurs liés à leur situation de femmes et de prolétaires plongées dans un contexte de crise, d'autres mécanismes interviennent pour maintenir les femmes immigrées dans ces filières typées d'emploi. L'ignorance de la langue, la précarité du statut juridico-politique, la non-reconnaissance de la formation antérieure sont sans doute les principaux.

Étant donné l'existence de réseaux ethniques d'embauché, le premier facteur détermine, dès l'arrivée, l'accès des immigrées dans des secteurs à forte concentration ethnique. Il continue de jouer par la suite dans les modalités de recherche des divers emplois.

À l'entrée en effet, les 3/4 des femmes interviewées ne connaissaient ni le français ni l'anglais, les autres le connaissaient « un peu ». Au moment de l'entrevue, le tiers d'entre elles étaient toujours allophones complètes. La moitié n'avait encore qu'une très faible connaissance du français, quant à l'anglais, seules la moitié des Grecques le parlaient « moyennement ».

C'est par l'intermédiaire de réseaux existant à l'intérieur de leurs communautés respectives que la quasi-totalité des répondantes ont trouvé non seulement leur premier emploi mais tous les autres par la suite. Le recours aux centres de main-d'oeuvre, ou aux organismes d'aide aux immigrants est très rare.

Dès lors, la persistance de l'allophonie devient autant un effet qu'une cause de ghettoïsation.

Quant aux autres facteurs (statut réglementaire et non reconnaissance de la formation antérieure) nous n'y insisterons pas ici, si ce n'est pour souligner leur importance, à l'arrivée surtout. La plupart des répondantes entrées après 1976 sont venues comme « touristes » munies d'un permis temporaire. Pour elles, aucune possibilité d'emploi autre que celui qui les lie à un employeur autorisé par le service d'immigration. La non-reconnaissance de la formation antérieure enfin, réalité observée chez toutes les répondantes, détermine leur entrée et leur maintien au bas de l'échelle des qualifications et des salaires.

[38]

2.4. Les conditions de travail

Nous n'insisterons pas ici sur la pénibilité des conditions de travail des femmes immigrées : il existe certains travaux sur la question que les témoignages recueillis viennent confirmer. Ils concernent notamment la nature répétitive des tâches, l'augmentation des cadences, l'extensivitié des horaires et l'insuffisance des salaires.

Sur le point des horaires, on constate en effet que le nombre d'heures travaillées est très élevé, cela autant en manufacture (overtime), que dans le travail industriel à domicile (10 à 12 heures/jours) ; dans le secteur des services, cela se traduit par des horaires décalés (travail de nuit dans l'entretien ménager) ou cumulés, ou encore, c'est le cas des domestiques logées chez l'employeur, par une disponibilité de 24 heures sur 24.

Cependant, cette « usure intensifiée de la force de travail n'entraîne pas l'augmentation de sa rémunération qui serait nécessaire pour la reproduire aux conditions dominantes de la nation d'accueil ». [50] En effet, si l'on compare le niveau des salaires perçus par nos répondantes aux moyennes horaires établies par Statistique Canada pour chacun des secteurs et sous-secteurs d'activité, on s'aperçoit qu'ils sont systématiquement plus bas, ce pour les quatre groupes et autant au premier emploi qu'à celui occupé en 1981. [51] D'une façon générale, l'évolution des salaires entre le premier et le dernier emploi a suivi celle du salaire minimum, sans augmentation dans le cas des travailleuses haïtiennes et avec une légère augmentation dans les trois autres groupes (quelques opératrices grecques sont à 7,00$ en 1981).

Par ailleurs, d'autres problèmes sont ressentis avec plus d'acuité par nos répondantes : dans le jugement qu'elles portent sur leur travail revient constamment la question de leurs relations avec leur superviseurs et les employées d'autre origine ethnique. Les récits font largement état des contrôles tatillons et abusifs, des humiliations répétées, de l'émulation provoquée, des tensions entre communautés ethniques à l'intérieur de l'entreprise. Le terme de « discrimination » est rarement utilisé mais plusieurs se plaignent d'un favoritisme à l'égard des employé(e)s de même appartenance ethnique que le contremaître :

... C'est une manufacture de Juifs, mais elle est dirigée par des Italiens. On exige beaucoup de ceux qui ne sont pas Italiens. Ils sont très méchants avec nous autres. Ils nous traitent mal à tout point de vue et ils veulent nous donner tout l'ouvrage (...). Elles (les  contremaîtresses  italiennes) dirigent et font ce [39] qu'elles veulent. En plus, elles donnent de l'« overtime » aux Italiennes et jamais à nous (...). Toutes le savent... que la majorité des Italiennes gagnent plus que nous autres... Des fois, elles arrivent et après huit jours, elles opèrent sur quatre machines différentes et en plus, elles font un salaire plus élevé que celles qui opèrent sur une seule machine.

(Colombienne, 56 ans, arrivée en 1972,
opératrice de machine à coudre,
manufacture de couvre-lits et rideaux.

(...). Il y en a qui travaillent beaucoup. Je ne sais pas comment les Portugaises, les Italiennes peuvent travailler. Elles travaillent vite.

Q. Est-ce que cela veut dire que les Haïtiennes ont la réputation de ne pas travailler vite ?

R. Mais oui ... (rire). Moi-même, je le vois, je le dis. Mais les autres aiment gâter le travail (...). Si elles sont là avec vous et qu'elles vont trop vite, cela fait que le patron vous demande d'aller plus vite. Vous êtes obligée d'aller vite. Quand ils mettent le travail à 2,00$ et qu'ils voient qu'une personne peut aller plus vite, ils le descendent. À ce moment, vous devez aller plus vite pour faire ce que vous faisiez avant. C'est pourquoi je les appelle « gâteurs de travail ». Normalement, ils embauchent ces gens-là avant nous. Ils savent que nous ne trimerons pas. Nous, nous discutons plus facilement (...). D'ailleurs, ils ne mettent pas les Haïtiennes au même endroit, ils disent qu'on parle trop. Et pourtant, les Portugaises parlent beaucoup. Pourquoi ils ne nous mettent pas ensemble ? Ils peuvent plus facilement manipuler les Portugaises que nous autres... Par exemple, s'il n'y a pas telles conditions, je ne le fais pas. Je tourne le dos, et je m'en vais. La Portugaise, quand on lui dit de faire quelque chose et qu'on commence à parler un peu beaucoup, elle le fait. Le patron ne nous laisse pas ensemble, je ne sais pas si ce n'est pas pour qu'on ne se monte pas la tête (...).

Q. Est-ce que les Haïtiennes font des remarques à propos des Italiennes et les Portugaises, parce qu'elles vont plus vite ?

R. Nous les regardons et parfois nous rions. Mais nous ne disons rien (...). Nous parlons d'elles seulement comme de personnes qui travaillent vite.

Q. Il n'y a jamais de dispute entre vous ?

[40]

R. Vous savez, il y a toujours des disputes, mais parfois pour un rien. Une qui passe et qui heurte une autre, et cela fait une dispute. Il y a souvent des disputes avec nous parce que nous rions. Nous rions quand ils (les boss) viennent parler à quelqu'un pour lui dire qu'il manque de travail, qu'il faut s'en aller et que la personne proteste et parle fort. C'est pourquoi elles (les travailleuses d'autres origines) nous insultent. Elles ont parfois des disputes aussi avec leur contremaîtresse. Parfois, elles disent que le travail qu'on leur a donné ne rapporte pas assez, que la personne qui est devant a plus de travail qu'elle... Elles ont plus de disputes entre elles que nous pouvons en avoir, entre nous, Haïtiennes...

(...). Il y a toujours des clans, selon la nationalité. Il y a le clan des Haïtiennes ensemble, deux ou trois Portugaises, des Italiennes ensemble. Les Italiennes ne sont pas nombreuses. Vous pouvez les voir toutes ensemble. Les Espagnoles sont ensemble. Surtout au moment de la pause, nous ne nous mêlons pas. C'est juste à la rentrée du travail qu'on peut nous voir ensemble G..).
(Haïtienne, 28 ans, arrivée en 1972,
opératrice de machine à coudre,
manufacture de vêtements)

« Quand j'ai commencé à travailler, le boss m'a demandé si j'avais déjà travaillé ailleurs. Je lui ai dit que je n'avais pas travaillé en manufacture, mais chez moi oui, dans la couture. Alors elle a dit : « Si vous me disiez que vous aviez gagné ceci ou cela, on vous paierait la même chose, mais puisque c'est comme ça vous devez gagner le minimum ». Je me suis conformée...
(Portugaise arrivée en 1978, couturière au Portugal.
À ce moment de l'entrevue, elle faisait de la couture à domicile
pour une contractrice depuis 6 mois.

2.5. Structures familiales et articulation des procès de travail

Le processus de prolétarisation au Québec a entraîné plusieurs transformations quant aux modes de vie qui touchent entre autres choses, l'articulation du travail domestique et du travail salarié à laquelle nous nous limiterons ici.

Le premier point à considérer renvoie aux structures des ménages dont la composition a des effets fort divers dans la quotidienneté. Au Québec, la proportion des femmes vivant en familles étendues au moment de l'entrevue de moitié par rapport à [41] la situation au moment du départ dans le pays d'origine (sur 76 répondantes, on passe de 30 à 15 cas au Québec). Parallèlement, il y a augmentation du nombre de ménages composés de la famille nucléaire, de personnes seules et de ménages non familiaux. Cependant, la diminution des familles étendues ne concerne que les Haïtiennes et les Colombiennes, compte-tenu, comme on l'a vu, de la spécificité des structures familiales dans leur pays d'origine.

Si l'on examine maintenant le cas des femmes (58) [52] qui, au Québec, ont des responsabilités familiales au moment de l'enquête (enfants de tous âges) et quelque soit leur statut matrimonial (veuves, séparées, divorcées, célibataires vivant en union libre), on note la même tendance : diminution de la proportion de ménages composés de familles étendues (la moitié dans le pays d'origine à comparer à 20% au Québec), nucléarisation certaine de la famille (40% des cas dans le pays d'origine à comparer à 60% au Québec), augmentation de la monoparentalité et, phénomène nouveau : femmes vivant seules tout en assumant la responsabilité financière d'enfants laissés dans le pays d'origine.

Cependant, cette tendance à la privatisation du travail domestique n'exclut pas, au contraire, le recours à diverses formes d'entraide. En effet, parallèlement à la nucléarisation de la famille, on assiste à un éclatement des réseaux d'entraide traditionnels et à leur recomposition à l'échelle internationale. C'est le second point que nous envisageons ici.

On notera tout d'abord, à propos des femmes responsables de famille au Québec (58) que, malgré leur réduction par rapport au pays d'origine, les ménages de type « étendu » représentent encore 20% au Québec. Ils se composent, soit d'une famille nucléaire (dans le cas des Portugaises et des Grecques surtout), soit d'une famille monoparentale (les Haïtiennes principalement), vivant avec une ou plusieurs parentes en co-résidence. Qu'il s'agisse de la mère de la répondante, d'une sœur ou une cousine, dans tous les cas, ces personnes contribuent largement aux tâches domestiques et à la surveillance des enfants. Parfois, c'est le cas des Portugaises notamment, ce recours à la famille est explicite : plusieurs d'entre elles en effet ont fait venir leur mère à Montréal pour une période de temps déterminée, lors d'une naissance par exemple. Cette solution cependant suppose des frais de voyage et de séjour que toutes les femmes ne sont pas capables d'assurer, surtout lorsqu'elles sont au Québec depuis peu de temps. C'est ainsi que la moitié des Haïtiennes (6/13) ont dû laisser leurs enfants au pays, à la garde d'une ou de plusieurs parentes. D'autres les y ont renvoyés par la suite.

[42]

Enfin, entre autres stratégies possibles d'articulation du travail salarié et des responsabilités domestiques, rappelons celles qui consistent à rechercher des types d'emploi permettant une plus grande souplesse d'horaire. On a vu, en effet, que ce sont ces motivation qui ont amené plusieurs répondantes (les Grecques surtout) à accepter un travail à domicile pour le compte d'une manufacture, ou encore dans le cas des Portugaises, à rechercher des emplois comme femmes de ménage. D'autres, comme les Colombiennes, ont préféré des horaires de nuit dans l'entretien ménager. Ces diverses modalités permettant d'alterner avec le conjoint la garde des enfants.

Conclusion

L'immigration n'a pas comme telle une incidence sur la disponibilité au travail des femmes étudiées : on l'a vu, celles-ci arrivent au Québec, porteuses d'une expérience de travail diversifiée. Certaines ont été prolétarisées sur place avant d'émigrer, au sens de leur soumission à des rapports sociaux impliquant salariat et contrôle du procès de travail (du rapport de domesticité à celui d'ouvrière agricole ou d'ouvrière en usine). Pour d'autres cependant, l'autonomie dans le procès de travail, individuel ou coopératif, a été préservée jusqu'au moment du départ malgré la dureté des conditions de vie (le cas des paysannes) ou encore la faiblesse du revenu (les travailleuses du secteur informel).

Venues au Québec en raison de contraintes structurelles liées à la place de leur pays d'origine dans la division internationale du travail, ce qui se reflète au niveau individuel par le net projet d'améliorer leur niveau de vie et celui de leur famille, elles vont s'insérer sur un marché du travail segmenté dans des secteurs d'activité délimités et des postes extrêmement spécialisés, au niveau hiérarchique le plus bas. Ces concentrations sont à Montréal le fait d'enclaves multi-ethniques, stratifiées selon l'ancienneté des flux migratoires.

Les différences repérables dans l'expérience de travail vécue ici et là-bas sont qualitatives. Pour la plupart des femmes interviewées, l'accès à un travail salarié régulier constitue un important changement et peut être vécu comme une promotion, en termes de revenus. En revanche, elles sont immédiatement confrontées à ce qu'implique le rapport salarial tayloriste et fordiste dans notre société : parcellisation des tâches, travail à la pièce pour certaines, mécanisation plus avancée, horaires stricts, contrôles rationalisés et tatillons en vue de pressions à la production. La nature, le rythme, [43] les relations de travail sont donc modifiés. À ceci s'ajoutent les tensions inter-ethniques propres aux enclaves décrites.

On note enfin, à un autre niveau de différences, l'intégration plus difficile des sphères du travail rémunéré et du travail domestique. Le travail salarié au Québec s'effectue dans des conditions où les structures de ménage, les rapports de parenté, la qualité quotidienne des modes de sociabilité sont autres. Les mécanismes traditionnels de partage des responsabilités familiales sont relativement brisés. Malgré toutes les formes possibles que peut prendre l'internationalisation de réseaux actifs de parenté, en ce qui concerne ce partage (garde d'enfants laissés dans le pays d'origine, venues temporaires de parentes féminines, etc.), l'immigration entraîne un processus de nucléarisation des ménages, donc une privatisation des tâches pour les travailleuses. Ceci implique une nécessaire réarticulation des rapports hommes/femmes dans le cas des travailleuses vivant avec un conjoint, question que nous nous proposons d'investiguer ailleurs.

Micheline Labelle
Deirdre Meintel
Geneviève Turcotte
Marianne Kempeneers
Département de sociologie UQAM

________________________


NOTES

[44]

[45]

[46]

[47]



[1] Portès, A. et Walton, J. ; Labor, Class and the International System, London, Academic Press, 1981, p. 178.

[2] Mortimer, E.M. et R.S. Bryce-Laporte (édit.) : Female Immigrants to the United States : Caribbean, Latin American and African Experiences, Washington, Research Institute on Immigration and Ethnic Studies, Smithsonian Institution, 1981, p. xv.

[3] « Women's Migration », Part I et II, in Migration News, Vol. 4, nos 2-3, 1975.

[4] Silberman, R. : « Femmes immigrées, une discrimination supplémentaire », in GRECO 13, Recherches sur les migrations internationales, C.N.R.S., 1982, pp. 111-130.

[5] Voir Boyd, M. : « The Status of Immigrant Women in Canada », in Stephenson, M. (éd.) : Women in Canada, Don Mills, Ontario, General Publishing Co., 1981, p. 229.

[6] Labelle, M., Larose, S. et Piché, V. : L'immigration caraïbéenne au Canada et au Québec : aspects statistiques, Montréal, Centre de recherches caraïbes, 1983.

[7] Lamotte, A. : Profil synthèse des femmes immigrées au Québec, Québec, Ministère des communautés culturelles et de l'immigration, 1982.

[8] Granou, A. : Capitalisme et mode de vie, Paris, CERF, 1974 ; Granou, A., Baron, Y. et Billaudot, B. : Croissance et crise, Paris, Maspéro, 1979.

[9] Sur les formes modernes et internationalisées de la surpopulation relative et sur son rôle dans l'économie des pays capitalistes avancés, voir Castles, S. et Kosack, G. : Immigrant Workers and Class Structure in Western Europe, London, Oxford University Press, 1973 ; M. Castells : « Travailleurs immigrés et luttes de classe », in Politique aujourd'hui, mars-avril 1975 ; C. Mercier : Les déracinés du capital, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1977 ; R.E. Verhaeren : « Immigration and Crisis », in International Migration Review, Vol. 14, No. 2, 1980, pp. 248-262 ; Portès, A. : « Toward a structural Analyses of Illegal Undocumented Immigration », in International Migration Review, 1978, Vol. 12, No 4 ; Sassen-Koob, S. : « The International Circulation of Resources and Development : The Case of Migrant Labour », in Development and Change, 9, 1978, pp. 509-545.

[10] Kosack, G. ; « Migrant Women : The Move to Western Europe — A Step Towards Emancipation », in Race and Class, No. 17, 1976. Voir également le dossier du Comité intergouvernemental pour les migrations : « Problèmes spécifiques des femmes migrantes et réfugiées », in Hommes et migrations, 1981, No. 1012, p. 14-16, 19. Voir Silberman, op. cit.

[11] Almquist Me Taggard, E. : Minorities, Gender and Work, Lexington, Mass., Lexington Books, 1979.

[12] Sassen-Koob, S. : « Exporting Capital and Importing Labor : The Role of Women », in Mortimer, E.M. et Bryce-Laporte, R.S., op. cit., pp. 203-234.

[13] Arnopoulos, S. ; Problèmes des femmes immigrantes sur le marché du travail canadien, Ottawa, Conseil consultatif de la situation de la femme, 1979 ; Ng, R. et Ramirez, J. ; Immigrant Housewives in Canada. A Report, Toronto, Immigrant Women's Center, 1978 ; Ng, R., et Das Gupta, T., The Captive Labour Force of Non-English Speaking Immigrant Women, OISE, texte ronéoté, 1980 ; Bernier, B. : « Main-d'oeuvre féminine et ethnicité dans trois usines de vêtement de Montréal », in Anthropologie et sociétés, 1979, vol. 3, no 2., pp. 117-139.

[14] Voir in Breton, R. : « Ethnic Stratification Viewed from Three Theoretical Perspectives », in Curtis, J.E. et Scott, W.E. : Social Stratification in Canada, Scarborough, Prentice Hall, 1979, pp. 270-294.

[15] Blauner, R. : « Colonized and Immigrant Minorities » in Giddens, A. et Held, D. (eds) : Classes, Power and Conflict, Berkeley, University of California Press, 1982, pp. 501-519 ; Sayad, A. Les trois âges de l'émigration algérienne » in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, no 15, juin 1977, pp. 59-79.

[16] Voir les débats in Giddens, A. : The Class Structure of the Advanced Societies, London, Hutchinson, University Library, 1973.

[17] Portès, A. : « Immigrant Enclaves : An Analysis of the Labor Market Experiences of Cubans in Miami », in American Journal of Sociology, 1980, Vol. 86, No 2, p. 315.

[18] Hayot, A. : « Migrants et formation sociale : appartenance de classe et identité ethnique dans l'analyse des modes de vie » in GRECO 13, Recherches sur les migrations internationales, 1980, No 1, p. 55.

[19] Voir entre autres : Seccombe, W. : « Domestic Labour and the Working-Class Household », in Hidden in the Household, Fox, B. (éd.), 1, The Women's Press, 1980.

[20] Elson, D. et R. Pearson : « The Subordination of Women and the Internationalization of Factory Production », in Young, K., Wolkowitz, C. et McCullagh, R. (éd.), Of Marriage and the Market : Women's Subordination in International Perspective, London, C.S.E. Books, 1981, pp. 144-166.

[21] Mortimer, D.M. Et Bryce-Laporte, R.S., op. cit.

[22] Ng. R. et Ramirez, J. ; op. cit.

[23] Pour un exposé plus détaillé des caractéristiques de cette méthode voir entre autres Bertaux, D., « L'approche biographique : sa validité méthodologique, ses potentialités » in Cahiers internationaux de Sociologie, vol. 69, 1980, pp. 197-225 ; F. Ferrarotti, « Les biographies comme instrument analytique et interprétatif » in Cahiers internationaux de sociologie, op. cit., pp. 227-248 ; J. Poirier, S. Clapier-Valladon, P. Raybaut ; Les récits de vie. Théorie et pratique. Paris, P.U.F., 1983.

[24] B. Bawin-Legros : « Du type d'explication possible au choix d'une méthode réelle : le cas particulier de la mobilité sociale des femmes à travers le vécu d'une recherche » in Sociologie et Sociétés, Vol. 4, no 1, avril 1982, p. 60.

[25] Paperman, P. et Pierrot, L. ; Le travail ambigu. Effets de contexte et variations du sens des activités des femmes immigrées, Paris, C.E.R.F.I.S.E., CORDES, p. 3.

[26] En Colombie et plus encore en Haïti, l'agriculture revêt aujourd'hui encore une importance capitale dans l'économie du pays. En Haïti, elle demeure la principale activité et la principale ressource, regroupant 66% de la population active et participant pour 45% au PNB du pays. En Colombie, la proportion de la population active employée dans l'agriculture a diminué de près de la moitié en dix-sept ans, passant de 47% en 1964 à 27% en 1981. Mais le poids de la production agricole y reste très important puisque ce secteur contribuait en 1981 pour 30% du PNB du pays. Aujourd'hui encore, les produits agricoles représentent l'essentiel des exportations colombiennes, le café à lui seul intervenant pour 60% des rentrées de devises étrangères au pays. Pays essentiellement agricoles jusqu'à la fin des années '60, la Grèce et le Portugal s'industrialisent depuis une décennie (leur puissance industrielle demeure toutefois encore peu importante par rapport à leurs partenaires de l'OCDE). Bien que le secteur agricole ait vu sa part relative dans l'économie diminuer de moitié en 15 ans, il reste très important puisqu'il occupe respectivement 32% et 26% des populations actives de la Grèce et du Portugal, contribuant pour 16% et 14% au PNB de ces pays.

Source : Atlaséco 1982/1983, Paris, Robert Laffont, 1982. À titre de comparaison, notons qu'au Canada, l'agriculture représente 4% du PNB et occupe 5% de la population.

[27] Ibidem.

[28] Ibidem.

[29] Sur le rôle économique des femmes dans les quatre pays étudiés et plus particulièrement sur leur rôle dans l'agriculture, voir : Pour la Colombie : Mujeres, Des latino-américaines, Collectif de femmes d'Amérique latine et de la Caraïbe, Des femmes, 1977 ; M. Whiteford ; « Women, migration and social change : a Columbian case study », in International Migration Review, été 1978, pp. 236-237 ; M. Léon de Leal, C. Diana Deere, « Rural Women and the development of capitalism in Columbian agriculture », in Signs, Vol. 5, No 1, 1979, pp. 60-67 ; Schmidt, S.W. ; « Political participation and development, The role of women in Latin America », in Journal of International Affairs, Vol. 30, No 2, 1976-1977.

Pour la Grèce : L. Pannet ; « Grèce. La maternité, un devoir, un pouvoir et un sacrifice », in E. Paquot (ed.), Terre des Femmes. Panorama de la situation des femmes dans le monde, Paris/Montréal, La Découverte, Maspéro/ Boréal Express, 1982, pp. 280-283.

Pour Haïti : G. Anglade ; L'espace haïtien, Québec, Presses de l'Université du Québec, 1974 ; S. Mintz ; « Les rôles économiques et la tradition culturelle », in Roger Bastide (éd.), La femme de couleur en Amérique Latine, Paris, Ed. Anthropos, 1974, pp. 113-146.

Pour le Portugal : Presidencia do conselho de ministros comissao da condicço feminina : Some Facts and figures on the position of Portuguese women in the labour market mai 1976, 13 pages.

[30] Selon certaines estimations réalisées à partir des données du BIT, la proportion des femmes actives employées dans l'agriculture était en 1975 de 58% pour Haïti, de 62% en Grèce, de 24% au Portugal et de 3% seulement en Colombie. Les chiffres disponibles pour la Colombie sous-estiment certainement la réalité si on tient compte du fait que 27% de la population active dans ce pays est engagée dans l'agriculture.

[31] Sur le rôle et L'importance du secteur informel en Amérique latine, voir : Portés, A. et Walton, J. ; Labor, Class and the International System, op. cit.

[32] R. Dumont, M.-F. Mottin ; Le mal-développement en Amérique latine, Paris, Seuil, 1981, p. 138.

[33] R. de Marulando ; El trabajo de la Mujer, Document 063, Bogota, Uniander, C.E.D.E.S., 1981, Tiré de : M.G. Castro : « Women in migration : columbian voices in the big Apple », Migration Today, Vol. 10, no 3/4, 1982, pp. 22-32.

[34] G. Anglade ; Espace et liberté en Haïti, Études et Recherches critiques d'espace/Centre de recherches Caraïbes, 1982, pp. 59-81.

[35] Parmi ces huit Haïtiennes, cinq avaient été placées très jeunes auprès de parents plus favorisés de la capitale dans l'espoir que s'améliorent leurs conditions de vie et notamment leurs chances d'accès à une meilleure éducation. Dans les faits, elles sont assujetties aux travaux domestiques dans la famille d'accueil et les tâches à accomplir ne leur permettent ni d'être très assidues à l'école ni de poursuivre très loin leurs études. Il s'agit du phénomène, très courant en Haïti, des ti-moune et des restavèk.

[36] Analphabètes fonctionnelles : une ou deux années de scolarité discontinue.

[37] Les données de cette section proviennent de compilations spéciales du MCCI (Statistiques de frontière 1968-1980 ; Recensement de 1971 et 1981) et de Statistique Canada (Données publiées 1971 et 1981).

[38] L'origine (par rapport à « pays de naissance ») renvoie au « groupe ethnique ou culturel auquel appartenait la personne recensée ou ses ancêtres à leur première arrivée sur le continent » (Définition du Recensement). Le volume de la population d'origine ethnique est donc toujours plus important que celui de la population selon le pays de naissance puisqu'il comprend la descendance.

[39] Mercier, C, op. cit., p. 228.

[40] Il s'agit d'une estimation minimale.

[41] M. Labelle : « Division du travail et discrimination : le cas des travailleurs immigrés au Québec », in Travailler au Québec, Actes du Colloque de l'ACSALF, Coopératives Albert St-Martin, 1978, p. 168.

[42] C.S.N. : Dossier économique, Secteur textile/vêtement/chaussure, Montréal, décembre 1980.

[43] In Lipsig-Mummé, C. : « Le travail à domicile, un retour à l'époque présyndicale », in Le Devoir, 25 janvier 1982.

[44] Rose, R. et M. Grant ; Le travail à domicile dans l'industrie du vêtement au Québec, UQAM, texte ronéotypé, 1983.

[45] Ibid., p. 4 ; voir également Jean D. et J.-F. Guilloteau : Le travail à domicile dans le vêtement pour dames. Centre de recherche et de statistiques sur le marché du travail, Études et recherches, Ministère de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu, 1982, p. 10-11.

[46] Statistique Canada : Emploi, gains et durée du travail, décembre 1981, Catalogue 72-002, p. 23.

[47] Rose, R. et Grant, M. ; op. cit., p. 32 ; Jean, D. et Guilloteau, op. cit., p. 42.

[48] Estimations du Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, mai 1984.

[49] C.S.N. : « Faut faire le ménage là-dedans », Montréal, Colloque entretien ménager, le 2 mai 1981.

[50] C. Mercier, op. cit., p. 257.

[51] Salaire moyen des opératrices du secteur du vêtement de notre échantillon ; en 1981 : les Grecques, Colombiennes, Portugaises (autour de $6.00), les Haïtiennes ($4.00). La moyenne établie par Statistiques Canada pour l'ensemble du secteur du vêtement (octobre 1981) est de $6.22.

[52] Vingt-trois femmes ont eu leurs enfants au Québec.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 février 2022 10:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref