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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Guy Laforest, “L'accord d'Ottawa-Charlottetown et la réconciliation des aspirations nationales au Canada.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Alain G. Gagnon et Daniel Turp, Révérendum, 26 octobre 1992. Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales, pp. 135-140. Montréal: Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1992, 225 pp. [Autorisation de M. Alain G. Gagnon accordée le 20 décembre 2018.]

[135]

Référendum, 26 octobre 1992.
Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales.
Deuxième partie : Les points saillants du projet d’entente du 28 août 1992

L’Accord d’Ottawa-Charlottetown
et la réconciliation des aspirations
nationales au Canada
.”

Guy Laforest


Guy Laforest est professeur agrégé au Département de science politique de l’Université Laval. Il a publié de nombreux ouvrages, dont Le Québec et la restructuration du Canada (1991) et Trudeau et la fin d’un rêve canadien (1992).


Le talon d’Achille du système politique canadien, particulièrement depuis sa métamorphose de 1982, tient à son incapacité ou à son refus de faire une place significative aux conceptions québécoises du fédéralisme, à la façon dont une bonne majorité de Québécois se définissent eux-mêmes en tant que peuple ; en définitive, les institutions du Canada ferment les yeux devant les aspirations nationales de la société distincte québécoise. L’entente d’Ottawa-Charlottetown, à laquelle Robert Bourassa et le gouvernement du Québec ont donné leur consentement, reste prisonnière de ce problème fondamental. Telle est la thèse que j’entends développer.

Rien n'illustre mieux le blocage canadien devant le fait national québécois que l’article 28 du Rapport du consensus sur la Constitution, le texte « définitif » (dans l’attente des documents juridiques) de l’entente d’Ottawa-Charlottetown. L’article 28 stipule que la formation et le perfectionnement de la main-d’œuvre devraient être reconnus à l’article 92 de la Constitution comme une sphère de compétence provinciale exclusive. Pourtant, quelques paragraphes plus bas, on trouve des phrases qui en disent long sur le véritable sens de ce que l’on appelle communément la ronde du Canada :

Il conviendrait d'inclure dans une disposition constitutionnelle prévoyant que le gouvernement fédéral continuera à jouer un rôle dans l’établissement d’objectifs nationaux pour les aspects nationaux du perfectionnement de la main-d’œuvre. On établirait les objectifs nationaux en matière de main-d’œuvre au moyen d’un processus qui pourrait être énoncé dans la Constitution, y compris l’obligation d’en saisir le [136] Parlement pour qu’il en débatte. Les facteurs à prendre en compte dans l’établissement des objectifs nationaux pourraient englober des points comme la situation économique du pays, les besoins du marché du travail national, les tendances internationales dans le domaine de la main-d’œuvre et l’évolution de la situation économique internationale [1].

Ces références à l’identité nationale canadienne, aux normes, caractéristiques, objectifs et standards « nationaux » du Canada, sont omniprésentes dans les propositions fédérales de renouvellement du fédéralisme et dans les documents issus des négociations constitutionnelles multilatérales depuis l’automne 1991. Il fut un temps dans notre histoire où les représentants et négociateurs québécois auraient exigé, et obtenu, que l’on substitue le mot « fédéral » au mot « national » chaque fois qu’il est question de la nature et des institutions du Canada. On se rappellera que les choses se passèrent exactement de cette façon lors du congrès de fondation du Nouveau parti démocratique en 1961, à l’orée de la Révolution tranquille. Le regretté sénateur Eugene Forsey, partisan lucide de l’intégration nationale canadienne, s’en formalisa au point de quitter le parti pour se rapprocher quelques années plus tard de Pierre Elliott Trudeau. S’il était encore parmi nous, le sénateur Forsey aurait accueilli avec joie l’acceptation, par Robert Bourassa et Gil Rémillard, de la symbolique d'une seule et unique communauté nationale canadienne.

Pourtant, le consensus québécois de l’après-lac Meech, représenté par les rapports Allaire et Bélanger-Campeau, n’autorisait nullement les dirigeants du gouvernement québécois à appuyer la rhétorique du nationalisme canadien. Bien au contraire. Dans ses pages centrales, le rapport de la Commission Bélanger-Campeau note que la Loi constitutionnelle de 1982 a « acquis au Canada une force politique de cohésion nationale inconnue auparavant », contribuant ainsi à renforcer certaines visions politiques de la fédération et la perception d’une identité nationale canadienne difficilement conciliables avec la reconnaissance effective et l’expression politique de l’identité distincte du Québec [2] ». Le rapport poursuit son analyse en identifiant les éléments de ces visions et perceptions nationales canadiennes : l’égalité de tous les citoyens et l’unicité [137] de leur société, l’égalité des cultures et des origines culturelles au Canada, de même que l’égalité des dix provinces. Cette triple pulsion égalitaire, qui exige la plus parfaite symétrie dans les rapports entre les individus et les groupes au sein de la « nation canadienne » expliquait, aux yeux des signataires du rapport, le choc des visions, des aspirations et des identités nationales entre le Québec et le Canada.

Le rapport de la Commission Bélanger-Campeau, et la Loi 150 qui en découle directement, donnaient au gouvernement de Robert Bourassa le mandat de concilier de telles visions et aspirations nationales, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’expérience fédérale canadienne. Charles Taylor, éminent professeur de philosophie politique à l’Université McGill, résume de la façon suivante le consensus québécois de l’après-lac Meech :

Avec l’échec de Meech, on a senti un déclic. Cela peut être expliqué assez facilement. Dorénavant, les Québécois n’accepteront plus de vivre dans une structure qui ne reconnaît pas pleinement leurs objectifs nationaux [3].

J’ai la conviction profonde que la majorité des citoyens de notre société sont prêts à concilier, comme Brian Mulroney les y invite, les exigences du nationalisme québécois et celles du nationalisme canadien. Par ailleurs, je suis heureux d’apprendre que Brian Mulroney endosse le principe d’une telle synthèse. Le malheur pour le Premier Ministre du Canada, c’est que l’on ne retrouve rien de tel dans l’entente d’Ottawa-Charlottetown. Non seulement les textes juridiques pourraient ne pas être disponibles avant la tenue du référendum, ce qui est déjà en soi scandaleux, mais en plus il n’y a aucune référence directe, explicite, dans le Rapport du consensus sur la Constitution, à l’existence d’un peuple distinct, d’une communauté nationale spécifique sur le territoire du Québec. De ce point de vue, la machine de propagande d'Ottawa tourne à vide.

Dans la foulée d’André Laurendeau, il y a beaucoup de gens au Québec qui ont cru et qui continuent de croire à la réconciliation du nationalisme québécois et du patriotisme - ou du nationalisme - canadien. Échaudés par l’expérience de 1980 et les promesses de renouvellement formulées par Pierre Elliott Trudeau, ces gens-là sont toutefois en droit [138] d’exiger ce qu’André Laurendeau et ses disciples, comme Claude Ryan, ont toujours demandé : la reconnaissance explicite de la dualité culturelle et de la dualité des sociétés et des peuples — et donc plus que la dualité des langues -, de même que des pouvoirs particuliers permettant au Québec de se réaliser pleinement compte tenu de la situation qui est la sienne en Amérique. Le vrai test pour évaluer l’entente d’Ottawa-Charlottetown ne consiste pas à la comparer avec le « beau risque » du gouvernement de René Lévesque, épuisé par dix ans de pouvoir, par l’échec du référendum de 1980 et rempli d’amertume dans la foulée de la défaite cuisante que Pierre Elliott Trudeau venait de lui infliger dans l’opération du rapatriement de la Constitution.

S’inspirant d’André Laurendeau, le sénateur Gérald Beaudoin écrivit naguère que le fédéralisme est conciliable avec l’enracinement de plus d’une culture, que le fédéralisme peut également accommoder plus d’un nationalisme. Après avoir sillonné le pays pendant des années lors de cette belle aventure que fut la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, André Laurendeau aurait applaudi selon moi à l’idée d’accepter le principe du pluralisme national.

Ne trouve-t-on pas une telle ouverture au pluralisme national, une telle générosité devant les aspirations nationales d’autrui, dans l'entente du 28 août ? Je suis bien obligé de répondre par l’affirmative à cette question. Malheureusement, cette ouverture et cette générosité ne s’expriment pas à l’égard du Québec, elles ne touchent pas aux rapports entre les Québécois et la fédération canadienne. De tels gestes et sentiments ne visent que les nations et peuples autochtones. Je suis bien conscient de toucher ici à une corde sensible, peut-être même au problème fondamental du système politique canadien. On me permettra de prendre quelques précautions pour l’aborder.

Si le Canada se présentait au monde entier en tant que fédération multinationale, capable de reconnaître les aspirations du Québec et celles des Autochtones, capable aussi d’accepter le principe de l’asymétrie dans les responsabilités des uns et des autres, je pense qu’une telle proposition devrait être examinée sérieusement par les Québécois. Si l’expérience canadienne échoue, quoiqu’il arrive, le Québec n’aura par ailleurs pas d’autre choix que celui de la générosité et de la compréhension à l’égard des aspirations et des angoisses identitaires des peuples autochtones et de ceux qui persisteront à se définir comme des Canadiens d’abord. Ce qui fait la force d’un concept comme celui de société distincte, c’est justement qu’il est suffisamment malléable et ouvert sur l’avenir pour accueillir le principe du pluralisme national. Si l’expérience canadienne [139] s’avère porteuse d’une leçon pour le Québec, c’est bien celle du caractère catastrophique de toute tentative d’imposition d’une identité nationale à des gens qui se reconnaissent volontairement d’autres origines, d’autres enracinements particuliers.

L’entente d’Ottawa-Charlottetown démontre clairement que le système politique canadien est suffisamment flexible pour faire de la place aux aspirations nationales des peuples autochtones. On y parle abondamment du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale, de leurs langues, cultures, terres, identités et justes demandes. L’article 60 de l’entente garantit aux Autochtones le droit de consentir à toute réforme constitutionnelle ultérieure les concernant. L’article 40, quant à lui, procure aux Autochtones un mécanisme de protection pour assurer que les modifications concernant le partage des pouvoirs ne portent pas atteinte à leurs droits. La clause Canada, qui énumère les caractéristiques fondamentales du pays, spécifie dans une de ses sous-sections que rien dans son contenu, y compris la reconnaissance octroyée au Québec en tant que société distincte, ne porte atteinte aux droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones. Les Canadiens s’honorent en voulant que leur pays soit le premier en Amérique à vouloir rectifier dans sa loi fondamentale et dans ses institutions les torts et les injustices causés aux peuples autochtones, qui sont encore placés sous tutelle et qui vivent dans des conditions dégradantes.

Pourtant, le régime politique et les mêmes citoyens du Canada qui sont prêts à bouleverser le fonctionnement de leurs institutions, continuent à être insensibles aux aspirations nationales des Québécois. L’abcès qu’il faut crever à tout prix lors du référendum du 26 octobre, il est là. Il faut voter non pour en finir avec ce que Christian Dufour appelle le mal canadien, le blocage qui empêche le Canada de confronter directement le problème de l’existence d’un sentiment national qui n’est pas canadien au Québec [4].

Depuis 1960, le Canada s’est restructuré à maintes reprises, la plupart du temps à la suite d’initiatives québécoises. Quand la ville de Montréal s’est transformée en poudrière linguistique au tournant des années 60, le Canada a répondu par une politique de bilinguisme officiel from coast to coast. Lorsque le Québec, après les efforts d’André Laurendeau, a demandé l’acceptation du principe de la dualité des cultures et des [140] sociétés distinctes, Pierre Elliott Trudeau répliqua par l’imposition d’une politique de multiculturalisme. De 1960 jusqu’à nos jours, les gouvernements québécois ont souhaité obtenir de nouveaux pouvoirs pour que nous puissions nous épanouir en Amérique. En guise de récompense, nos dirigeants et notre société ont obtenu la Loi constitutionnelle de 1982, dont la Charte des droits et libertés réduit les pouvoirs de l’Assemblée nationale dans les domaines de la langue et de l’éducation, et l’entente d’Ottawa-Charlottetown qui place toute une série d’obstacles sur la route de l’abandon, par le gouvernement fédéral, de ses interventions dans les champs de compétence exclusive des provinces. Enfin, vient de succéder à la ronde du Québec, celle de l’Accord du lac Meech qui donnait à la clause de la société distincte une position stratégique privilégiée dans l’interprétation de l’ensemble de la Constitution, une ronde du Canada qui dilue la société distincte tout en faisant preuve de la plus grande générosité à l’égard des peuples autochtones. Il est tout simplement attristant de constater que le Canada s’est arrêté trop tôt sur la route de la reconnaissance du pluralisme national.

Ce mal canadien est parfaitement illustré par la juxtaposition des campagnes référendaires. Le Québec avait annoncé qu’il prendrait une décision sur son avenir en tant que communauté nationale autonome, dans un référendum qui se tiendrait au plus tard le 26 octobre 1992. Une fois de plus, le Canada récupère le dynamisme québécois, en tenant un référendum « national canadien », où la même question est posée à tous les Canadiens de tous les coins du pays, le 26 octobre.

Sur le plan de la réconciliation des aspirations nationales au Canada, l’entente d’Ottawa-Charlottetown, pourtant ouverte à une philosophie du pluralisme dans les rapports entre les peuples, demeure profondément insatisfaisante pour moi, dans la mesure où elle ne reconnaît pas cette appartenance nationale québécoise qui représente un pôle important de mon identité personnelle. Je ne puis y souscrire.



[1] Rapport du consensus sur la Constitution. Charlottetown, 28 août 1992, article 28, p. 11.

[2] L’avenir politique et constitutionnel du Québec. Rapport de la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, Québec, Secrétariat de la Commission, 1991, p. 38, 41.

[3] Charles Taylor. « Shared and Divergent Values », dans Ronald Watts et Douglas Brown, Options for a New Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1991, p. 65.

[4] Christian Dufour. « Le mal canadien », dans Louis Balthazar, Guy Laforest et Vincent Lemieux, Le Québec et la restructuration du Canada 1980-1992. Enjeux et perspectives, Sillery, Les Éditions du Septentrion, 1991, p. 114.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 14 septembre 2021 18:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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