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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Denis Monière, Le discours électoral. Les politiciens sont-ils fiables ? (1988)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Denis Monière, Le discours électoral. Les politiciens sont-ils fiables ? Montréal: Québec/Amérique, 1988, 194 pp. collection: dossiers documents. [Autorisation accordée par l'auteur le 2 décembre 2003 et reconfirmée le 7 septembre 2021.]

[17]

Le discours électoral.
Les politiciens sont-ils fiables ?

Introduction

« Tu nous a menti »

Le problème de la fiabilité des discours politiques a été posé dès les débuts de la démocratie parlementaire au Canada. Ainsi, un journal du Bas-Canada La Gazette des Trois-Rivières publiait le 29 février 1820 un Catéchisme des électeurs où le rédacteur mettait l’électeur en garde contre les fausses promesses :

Qu’est-ce qu’une élection ?
C’est souvent un effort inutile.
Qu’entendez-vous par ces paroles ?
J’entends que les électeurs et les candidats se trompent souvent et réciproquement.
Que doivent-ils faire pour ne pas se tromper ?
Les candidats ne doivent pas promettre plus qu’ils ne peuvent tenir et les électeurs doivent tâcher de connaître assez les candidats pour ne pas être trompés, ce qui est arrivé plus d’une fois.
(Cité par D. Monière, Ludger Duvernay,
Montréal, Québec/Amérique, 1987, p. 44)

Ces sages conseils ne semblent pas avoir été entendus, car encore de nos jours, les promesses non tenues défraient la chronique.

[18]

Aux élections fédérales de 1984, le Parti conservateur s’était engagé à maintenir l’universalité des programmes sociaux et son chef, Brian Mulroney, avait juré que jamais il ne toucherait aux pensions de vieillesse, même si certains ténors de son parti avaient déjà manifesté des intentions contraires. Le 11 août 1984, il promettait « de rétablir la pleine indexation au coût de la vie des pensions de vieillesse à compter du premier janvier 1985 ». (Le Devoir)

En campagne électorale, il faut gagner le plus de votes possible, car la différence entre la victoire et l’échec tient souvent à un faible déplacement de l’électorat et la tentation est bien grande de faire des promesses à des segments spécifiques de l’électorat pour obtenir leur soutien. Mais, une fois au pouvoir, la réalité reprend ses droits ou encore le parti nouvellement élu montre son vrai visage et adopte des lois qui ne confirment pas toujours les engagements pris lors de la campagne électorale.

Ainsi, quelques mois après son élection, dans son premier budget, le gouvernement conservateur décidait de n’indexer les pensions de vieillesse qu’à partir d’une hausse de l’indice des prix à la consommation de trois pour cent, ce qui avait pour effet de réduire automatiquement le pouvoir d’achat des personnes âgées. Cette décision de réduire l’aide aux gens du troisième âge constituait un virage radical par rapport aux promesses du Parti conservateur. Une députée de ce parti déclarait que le parti n’était pas tenu de respecter sa promesse électorale, car disait-elle : « l’été dernier, nous ne connaissions pas l’état des finances gouvernementales. Il a fallu rajuster notre tir. » (La Presse, 29 mai 1985, A-5)

Le Premier ministre dut alors faire face à un tollé de protestations. Il fut interpellé sur la colline parlementaire par une vieille dame en colère : « Où sont les promesses ? Tu as dit : je ne toucherai à rien. Tu nous a menti ! Tu nous as fait voter pour toi puis là, Goodbye Charlie Brown ! » Cette déclaration témoignait de façon éloquente de la réaction de déception manifestée par les citoyens envers le politicien qui ne tient pas ses promesses. Par leur vigilance et leur campagne [19] de mobilisation, les personnes âgées obligèrent le gouvernement conservateur à reculer.

Deux ans après la prise du pouvoir, un sondage révélait une chute spectaculaire de la popularité des conservateurs qui étaient passés de 50% à 35% dans les sondages sur la faveur populaire. Ce sondage révélait que parmi les causes de cette désaffection, les promesses non tenues étaient mentionnées par 9% de l’électorat. (Voir The Gazette, 4 septembre 1986)

La restriction mentale, le double langage ou le mensonge pur et simple sont des pratiques courantes aussi bien sur la scène fédérale que sur la scène provinciale. Et le Québec n’a pas été épargné par ce fléau. Chaque gouvernement passe à l’histoire pour au moins une promesse non tenue. (Voir Paul Unterberg, 100,000 promesses : liste partielle et incomplète des promesses électorales garochées aux Québécois depuis 1867, Montréal, Parti pris, 1968) Rappelons-nous quelques cas célèbres comme la promesse de l’Union nationale aux élections de 1936 de nationaliser les compagnies d’électricité ou encore l’engagement de Mackenzie King en 1939 de ne pas imposer la conscription. Plus récemment, le Parti libéral de Robert Bourassa s’était engagé en novembre 1985, en pleine campagne électorale, devant 5000 jeunes, à maintenir le gel des frais de scolarité. Quelques mois à peine après son élection, le gouvernement tentait de revenir sur la parole donnée et envisageait d’augmenter les frais de scolarité. Claude Ryan, ministre de l’Éducation, justifiait ce virage en disant qu’un gouvernement qui fait une promesse qu’il n’aurait jamais dû faire doit avoir le courage de reconnaître son erreur. Mais n’aurait-il pas été plus sage de ne pas céder à la tentation manipulatrice, car pas plus M. Ryan que son chef ne pouvaient ignorer la réalité du sous-financement des universités ou encore l’écart entre les frais de scolarité au Québec et en Ontario ? Même si les protestations étudiantes les obligèrent à retraiter, ces manœuvres illustrent la fragilité de la démocratie de représentation. Comment s’étonner dès lors du scepticisme et de la méfiance de larges fractions de la population envers les institutions démocratiques et du manque [20] de confiance envers les hommes politiques qui promettent souvent plus qu’ils ne peuvent tenir ?

Un récent sondage effectué en 1986 pour la revue Canadian Legislatures révélait qu’une majorité de Canadiens sont d’avis que les hommes politiques ne sont ni sincères, ni honnêtes. Le responsable de l’enquête affirmait que les jeunes manifestaient un niveau particulièrement élevé de cynisme, car 59% des personnes de la catégorie des 18-29 ans ne croyaient pas à l’intégrité des élus fédéraux et provinciaux. Seulement 42% des personnes interrogées maintenaient leur confiance à l’égard des hommes politiques. (Voir La Presse, 19 décembre 1986, p. B-4) Il semble, selon plusieurs observateurs, que depuis le début des années soixante-dix, les Canadiens sont de plus en plus mécontents et désabusés politiquement. (Voir Clarke et alii., The Absent Mandate, Toronto, Gage, 1984, p. 31)

La culture populaire entretient une vision négative de l’homme politique et le représente comme un magouilleur, un être fourbe, à l’occasion sympathique mais peu fiable. Cette image est bien illustrée par une strophe d’une chanson de Félix Leclerc : « le soir des élections, il m’appelait son fiston, le lendemain, il ne se rappelait plus de mon nom. » Ce thème a été repris par Gilles Vigneault dans un de ses monologues : « la plus grosse promesse d’élection... » D’ailleurs, certains hommes politiques ne font pas mystère de leur duplicité. Ainsi, au lendemain de l’élection qui porta l’Union nationale au pouvoir en 1936, René Chaloult qui reprochait à Maurice Duplessis son infidélité à ses engagements s’entendait répondre ce qui suit : « Voyons, René, tu n’es pas un enfant d’école, tu devrais savoir que les promesses d’élection c’est fait pour être violées. » (Cité par L. Groulx, Mémoires, Montréal, Fides, t. III p. 326-327 Ce scepticisme populaire est aussi partagé par des auteurs classiques comme Ostrogorski, qui soutient qu’on ne peut pas faire confiance aux partis politiques pour la réalisation de leur programme électoral :

The platform which is supposed to be the party’s profession of faith and its programme of action is only a [21] farce - the biggest farce of all the acts of this great parliaments of the party. The platform represents a long list of statements relating to politics in which everybody can find something considered as of any consequence by the authors of the document as well as by the whole convention... (Democracy and the Organization of Political Parties, Garden City, Doubleday Anchor, 1964, t. II, p. 138)

À l’autre extrême du continuum idéologique, Lénine, quant à lui, vilipendait la démocratie bourgeoise : « Dans les parlements, on ne fait que bavarder à la seule fin de duper le “bon peuple”. » (L'État et la révolution, Œuvres complètes, t. 25, p. 458)

Les promesses électorales non tenues font donc partie de notre folklore politique et sont une des sources du cynisme, de la méfiance et du scepticisme qui caractérisent la relation entre l’électeur et son représentant. Certaines études révèlent que cette perception négative du député tend même à s’accroître. Ainsi, selon Kornberg et Clarke, les citoyens seraient de plus en plus insatisfaits de leurs représentants. (Voir Parliament, Policy and Representation, Toronto, Methuen, 1980, p. 17)

Les politiciens méritent-ils notre confiance ? Peut-on se fier à leurs discours pour faire un choix rationnel ? Réalisent-ils leurs promesses électorales ? Comment faire la part des choses ? Comment le citoyen peut-il évaluer et contrôler ceux qui le représentent ? Ces questions sont vitales pour la démocratie de représentation, car la légitimité de ce mode de gouvernement repose sur la fiabilité du discours électoral qui motive en partie le choix de l’électeur. La légitimité des institutions démocratiques dépend précisément du rapport de confiance qui doit exister entre le peuple et ses représentants.

Dans cet essai, nous aborderons une dimension particulière du discours politique, c’est-à-dire le discours électoral. C’est la partie la plus visible du processus politique et pourtant, au Québec et au Canada, cet objet d’analyse a donné lieu à peu d’études systématiques. Cet objet de [22] recherche est primordial, d’une part parce que les citoyens effectuent leurs choix politiques en bonne partie sur la base des discours électoraux et d’autre part parce que la mise en marché systématique des politiques est devenue un rouage important du jeu politique. En effet, depuis la Deuxième Guerre mondiale, s’est développée toute une technologie de persuasion politique qui est utilisée par tous les grands partis politiques, même par les partis à vocation plus idéologique. Ce nouveau phénomène doit être intégré à l’analyse de la vie politique, car il influence non seulement le comportement des électeurs, mais il modifie aussi sensiblement le fonctionnement des partis politiques. En effet, de nouveaux acteurs - les conseillers en marketing - s’interposent entre les militants de base et la direction des partis, ce qui a souvent pour conséquence de dissocier la volonté et l’idéologie des militants de la stratégie et des discours des dirigeants des partis. Les exigences de la stratégie électorale n’ont-elles pas souvent préséance sur les choix des membres d’un parti ?

Cette nouvelle perspective ouvre donc des pistes de réflexion intéressantes sur la démocratie à l’intérieur des partis. Ainsi, aux élections de 1970, le Parti libéral du Québec dirigé par Robert Bourassa axa toute sa stratégie de communication sur la création de 100 000 emplois plutôt que sur le programme du parti élaboré et adopté par les militants. (Voir Jacques Benjamin, Comment on fabrique un Premier ministre, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1979) Cet écart a aussi été flagrant lors de l’élection québécoise de 1973 où en pleine campagne électorale, les dirigeants du Parti québécois, à la suggestion des conseillers en communication, introduisirent l’idée d’un référendum qui n’était pas au programme du parti. Ce phénomène s’est reproduit lors du référendum de 1980 dans la formulation de la question référendaire où, après avoir sondé l’opinion, on décida d’introduire un deuxième référendum.

À un niveau plus général, cette problématique permet de questionner la logique des choix collectifs. En effet, le jugement et le choix des citoyens s’effectuent à partir [23] d’images et de promesses, mais, une fois élu, le parti au pouvoir, comme nous l’avons indiqué précédemment, ne respecte pas nécessairement ses engagements. Les citoyens peuvent évidemment à l’élection suivante voter contre le parti qui a trahi leur confiance, mais ont-ils les moyens de faire cette évaluation critique ? L’effet de persuasion ne joue pas seulement durant les campagnes électorales, il se fait aussi sentir entre les campagnes. De nos jours, la persuasion est un processus continu dans la mesure où le parti au pouvoir utilise les ressources publiques pour sonder l’opinion et développe ainsi des campagnes systématiques de publicité gouvernementale pour faire accepter ses politiques et promouvoir ses dirigeants. Les partis d’opposition n’étant pas dotés des mêmes moyens pour faire contrepoids, les citoyens ne sont-ils pas à la merci des fabricants d’images ?

Nous nous proposons donc dans cette étude d’analyser la fiabilité des discours politiques. Nous chercherons dans un premier temps à expliquer la dynamique du discours électoral en analysant sur une base comparative les contenus des discours des partis lors de la campagne fédérale de 1984. Nous tenterons de répondre aux questions suivantes :

  • jusqu’à quel point les électeurs peuvent-ils choisir entre des programmes politiques distincts ?
  • quel est le degré de mimétisme entre les candidats et les partis dans une campagne électorale ?
  • les prises de position des partis ont-elles tendance à être vagues ou spécifiques ?
  • quel est le degré d’ambiguïté du discours électoral ? Dans le discours électoral, quelle est la place occupée par les propositions de politiques spécifiques, par les propositions de valeurs, de buts ou encore par les références aux caractéristiques des candidats ? Quelles sont les caractéristiques personnelles mises en valeur par les candidats ?
  • y a-t-il un écart entre les discours électoraux et le programme du parti ? Si oui, quels sont les champs législatifs où se manifestent les plus grands écarts ?

Après avoir établi les caractéristiques des discours électoraux, nous examinerons leur degré de fiabilité en [24] comparant les engagements électoraux du parti élu avec le bilan de ses actions législatives. Pour ce faire, nous partirons des messages reçus par l’électeur, messages émis et diffusés durant la période électorale. C’est à partir de ce que le citoyen reçoit comme informations qu’il faut évaluer la fiabilité du discours électoral. Le support de cette information est la presse écrite et électronique. Une étude, réalisée en 1974, révélait que deux tiers des électeurs au Canada entrent en contact avec les partis politiques par le biais de la documentation diffusée par les partis. (Voir Clarke et alii., op. cit., p. 195 ; et Clarke et alii., Absent Mandate, Toronto, Gage, 1984)

Il s’agira donc de répertorier les politiques proposées par les partis durant la campagne électorale, de les comparer entre elles et de comparer celles du parti élu avec les actions législatives réalisées durant le mandat suivant cette élection.

Nous tenterons de vérifier l’hypothèse selon laquelle les partis politiques ont intérêt à être fiables et d’établir en conséquence quel est le coefficient de fiabilité du Parti conservateur.



Retour au texte de l'auteur: Denis Monière, politologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le samedi 11 septembre 2021 7:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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