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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Christian Rouillard, Éric MONTPETIT, Alain G.-Gagnon et Isabelle Fortier [Politologues, respectivement de l’ENAP, l’Université de Montréal, l’UQAM et l’ENAP. Les auteurs sont des universitaires membres du Groupe d'étude sur les réformes de l'État (GERE)] “Réingénierie de l'État. Un effritement éhonté de la capacité stratégique des ministères.” Un article publié dans LE SOLEIL, Québec, édition du mercredi 2 juin 2004, page A17 — opinion. [Autorisation accordée par M. Éric Montpetit de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales le 6 février 2008.]

Christian Rouillard, Éric MONTPETIT,
Alain G.-Gagnon et Isabelle Fortier

[Politologues, respectivement de l’ENAP, l’Université de Montréal,
l’UQAM et l’ENAP]
 

Réingénierie de l'État. Un effritement éhonté
de la capacité stratégique des ministères
.”

 

Un article publié dans LE SOLEIL, Québec, édition du mercredi 2 juin 2004, page A17 — opinion.

 

Une nouvelle étape dans la démarche de réingénierie du gouvernement libéral a été franchie le 5 mai dernier, lors du dépôt du Plan de modernisation 2004-2007 par la présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget. De manière quasi unanime, les médias ont conclu à un changement de ton, voire à un recul gouvernemental en ce qui a trait à la réinvention de l'État québécois. 

Ne partageant pas cette interprétation, nous croyons que le gouvernement se donne plutôt les moyens de ses ambitions, que le Plan contient les germes d'une reconfiguration radicale de la gouvernance québécoise. Bien qu'il contienne plusieurs dimensions, comme l'illustrent ses 27 projets articulés à partir de quatre axes prioritaires (l'amélioration des façons de faire ; l'allégement des structures ; la réévaluation des programmes ; et, enfin, la planification des ressources humaines), la ministre Jérôme-Forget insiste sur ce que cette modernisation n'est pas un exercice comptable, mais plutôt un travail d'architecte. 

Sans rejeter la métaphore architecturale employée par la ministre pour expliquer la nature du Plan, notre lecture suggère que celui-ci est essentiellement basé sur un exercice budgétaire centralisateur qui conduit à un affaiblissement des capacités stratégiques des ministères, tout autant qu'il trahit le peu de confiance du gouvernement eu égard aux responsabilités des fonctionnaires, tant du point de vue de leur expertise sectorielle que de la gestion publique elle-même. Bref, la "réarchitecture" représente un recul significatif pour l'administration publique québécoise. 

 

La reconfiguration étatique

 

L'une des prémisses fondamentales de la reconfiguration étatique proposée est la séparation entre, d'une part, les services opérationnels, dont on veut systématiser le fractionnement en agences jouissant d'une autonomie supérieure en contrepartie d'une plus grande reddition de comptes et, d'autre part, la dimension stratégique et le développement des politiques publiques que l'on prétend vouloir laisser aux ministères. Or, cette séparation nette entre le stratégique et l'opérationnel est une vue de l'esprit : en effet, les modalités de mise en oeuvre des politiques publiques sont implicitement circonscrites dès la phase de leur élaboration, les moyens étant toujours conditionnés par les fins, tout autant que les politiques publiques continuent de se développer durant leur mise en oeuvre, à la lumière des mécanismes de prestation des services, incluant leurs multiples réajustements face à des ressources et des contraintes réelles qui se cristallisent largement dans le feu de l'action. 

Autrement dit, c'est lors de la mise en oeuvre qu'une politique publique prend son sens réel. Considérer l'élaboration et la mise en oeuvre comme deux sphères d'activités mutuellement exclusives repose sur une lecture faussée et une compréhension superficielle du processus politico-administratif. 

De même, bien que tout le monde soit d'accord avec l'objectif de simplifier les relations entre l'État et les citoyens, l'idée d'un guichet unique n'est certes pas la panacée que plusieurs semblent voir. L'agence Services Québec, qui agira en courtier centralisé des services gouvernementaux pour les différents ministères, devient un nouvel intermédiaire entre les citoyens et les ministères : ce nouvel interlocuteur privera donc les ministères d'un contact avec leurs clientèles, entraînant ainsi un certain appauvrissement des mécanismes de rétroaction et d'échange de première ligne. 

Il nous semble paradoxal que le rapport affirme que "cet État moderne ne doit pas empêcher les citoyens de prendre en charge leurs affaires", alors même que l'on crée une instance additionnelle, porte d'entrée unique de surcroît, qui obligera le citoyen à contacter des "généralistes" du service à la "clientèle", plutôt qu'avec des "spécialistes" de la problématique pour laquelle il cherche des réponses auprès de l'État. En ce sens, l'allègement des structures est un défi beaucoup plus grand que ne le suggère le gouvernement libéral. Sans pour autant rejeter l'intérêt potentiel d'un guichet unique, force est d'admettre qu'une réflexion sur ses effets pervers s'impose avant de s'engager dans l'action, ce qui, de toute évidence, n'a pas encore été fait. 

La proposition de créer une Agence des partenariats public-privé dont la mission sera de "...contribuer au renouvellement des infrastructures publiques et à l'amélioration de la qualité des services aux citoyens par la mise en oeuvre de projets de partenariat public-privé (PPP)" est encore plus problématique. Par sa nature même, cette agence retirera aux ministères tout autant leur capacité stratégique dans leur champ d'expertise, qu'elle les privera de la possibilité de développer leur propre expertise interne sur les partenariats public-privé. 

Contrairement à la rhétorique gouvernementale, selon laquelle le recours aux PPP ne sera pas systématique, il y a un biais évident en faveur de ces derniers : l'Agence, qui jouira d'une grande marge de manoeuvre et d'autonomie, se situe, architecturalement et stratégiquement parlant, comme une solution en quête d'applications, dont la performance sera tributaire du nombre de PPP mis en oeuvre, puisque que c'est le seul moyen par lequel elle pourra "...contribuer à l'amélioration de la qualité des services aux citoyens". L'expertise centralisée qui sera développée à l'Agence des PPP sera essentiellement de nature financière et contractuelle, confirmant encore une fois la dérive comptable de la démarche gouvernementale qui, invariablement, gomme des enjeux cruciaux comme ceux liés au contenu des projets relevant expressément des champs d'expertise des différents ministères. 

Le troisième élément architectural de la centralisation découlant du Plan de modernisation, (la création de l'Agence des services administratifs), complète le tableau de la dépossession des ministères de leur capacité stratégique à gérer leurs propres activités. Alors que l'objectif de performance de cette agence est de faire des économies, la centralisation des ressources humaines, matérielles, financières et informationnelles vers le Secrétariat du Conseil du trésor, confirme le manque de confiance du gouvernement à l'égard des gestionnaires publics en leur retirant cette flexibilité managérielle, pourtant centrale au fonctionnement des administrations publiques. La conséquence de cette dynamique centralisatrice est bien désolante : l'accroissement 

de l'autonomie et de l'imputabilité managérielles étant un jeu à somme nulle, les gestionnaires publics auront le mandat de "faire plus avec moins", tout en étant imputables de résultats dont ils n'auront pas le contrôle, puisque privés d'une partie importante des ressources multiformes nécessaires pour les réaliser. 

Enfin, la "nouvelle" politique de gestion de la performance, dont les objectifs ne sauraient être plus généraux et abstraits, constitue une extension et une systématisation de la contractualisation des rapports de gouvernance interne déjà inclus dans la Loi sur l'administration publique promulguée par le gouvernement du Parti québécois en 2000. On dénote une dérive technocratique des mécanismes de mise en oeuvre par le biais d'indicateurs, de cibles, d'étalonnage, d'analyse du prix de revient et d'analyse coûts/bénéfices, qui n'est en soit rien de nouveau, mais qui ignore les difficultés déjà identifiées par des pratiques semblables introduites il y plusieurs décennies, comme la direction participative par objectifs (DPPO). 

D'autre part, les prémisses de cette contractualisation des rapports misent sur la compétition et l'appât du gain comme facteur de motivation individuelle, tout en prétendant revaloriser le service public. À cet égard, les mesures d'incitation à la performance (primes au rendement et rémunération bonifiée) sont autant de facteurs de désabusement organisationnel - précisons que les hauts commis de l'État sont les seuls à toucher des primes suffisamment élevées pour constituer de véritables incitatifs. Il faut également souligner que la performance d'une unité organisationnelle est différente de la somme des performances individuelles : quiconque a déjà travaillé dans une organisation complexe sait que l'atteinte des objectifs individuels n'est en rien garante de celles des objectifs organisationnels. Cette difficulté est particulièrement grande lorsque les activités de l'organisation ne se prêtent pas à leur évaluation quantitative. 

Loin d'être le non-événement ou le recul gouvernemental suggéré par plusieurs journalistes et autres observateurs de la scène politique québécoise, le Plan de modernisation 2004-2007 est, au contraire, en parfaite communauté d'esprit avec les discours et les textes précédents du gouvernement libéral : comme ceux-ci, il repose sur un mépris de l'administration publique qui n'a d'égal que son fétichisme de la firme privée. Avec l'arrogance que seule peut conférer l'ignorance, le gouvernement prétend que le Plan de modernisation concourt à "soutenir l'épanouissement de la société québécoise". Malheureusement pour nous tous, il représente plutôt une nouvelle manifestation de l'appauvrissement de la gouvernance québécoise que privilégie, consciemment ou non, le gouvernement de Jean Charest. En ce sens, malgré la rhétorique gouvernementale, il s'agit bel et bien d'une dépossession de l'héritage de la Révolution tranquille : toute modernisation de l'État québécois, en tant qu'instrument collectif de développement social, économique, politique et culturel, repose sur un accroissement de sa capacité stratégique et non sur une atrophie de cette dernière. 

Tel est le propre d'un héritage : quelque chose qu'on s'approprie de manière dynamique, qu'on transforme à la lumière d'enjeux, de problématiques et de sensibilités différentes, mais qu'on fait fructifier avant de le transmettre, à notre tour, à ceux qui nous suivent. La société civile québécoise, actuelle et future, n'en mérite pas moins.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 31 mai 2008 10:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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